Intervention de Michel Miraillet

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 14 novembre 2012 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2013 — Programme 144 « environnement et prospective » de la mission « défense » - Audition de M. Michel Miraillet directeur des affaires stratégiques du ministère de la défense

Michel Miraillet, directeur chargé des affaires stratégiques :

Sur la DPSD, je souhaite vous renvoyer à la présentation qui vient d'être faite des crédits. Je ne pense pas que nous puissions considérer que ce service - dont l'utilité et la qualité ont été à nouveau démontrées ces derniers mois sur le terrain en Afghanistan, notamment à la suite des incidents « green on blue », soit délaissé. Depuis plusieurs années, un effort en profondeur a été conduit en liaison étroite avec ses responsables afin d'opérer le repyramidage et une évolution qualitative sensible des personnels affectés, notamment à travers l'affectation d'officiers brevetés. La contrepartie en est naturellement une participation du service à l'effort de rationalisation de ses coûts de fonctionnement. L'objectif n'en reste pas moins toujours le même, garantir l'efficacité du service en l'accompagnant dans sa modernisation.

La diplomatie de défense est une constante du ministère de la défense et une priorité de notre action. Cette diplomatie de défense ne se résume pas au seul réseau des attachés de défense, qui, en liaison étroite avec les chancelleries diplomatiques, jouent un rôle important mais non exclusif.

La diplomatie de défense, c'est aussi les relations avec les autres ministères de la défense et leurs départements politico-militaires lorsque ceux-ci existent, les centres de recherche qui se trouvent aujourd'hui à l'origine de la multiplication d'instances de dialogue politico-militaire, qui présentent l'originalité de rassembler dans les formats les plus variés diplomates, journalistes, universitaires et militaires. Ces enceintes, à l'image des fora gérés par les grands think tanks américains et européens, jouent sur les grands dossiers d'actualité, qu'il s'agisse de l'Afghanistan, du désarmement nucléaire, des questions de prolifération ou de sécurité régionale, de l'actualité au sein de l'Alliance atlantique ou de la défense européenne, un rôle de plus en plus important que nous devons impérativement prendre en compte.

C'est ce que ce ministère, dans toutes ses composantes, s'efforce de faire et de développer depuis plusieurs années, non seulement à travers le dialogue étroit entretenu avec nos principaux alliés, notamment américains, comme avec nos partenaires européens, quels que soient les formats retenus (dialogues stratégiques officiels, participation active à des exercices de types « track 2 », organisations de séminaires en lien avec des centres de recherche français ou étrangers) .

Dans ce paysage, dont je voudrais souligner à quel point il est exigeant en termes de ressources financières et humaines, l'Asie Pacifique joue un rôle croissant, comme vous avez tenu vous-même à le souligner. Nous n'avons pas attendu les tensions actuelles en mer de Chine pour tisser avec le Japon, la Corée du Sud, Singapour, la Malaise, l'Indonésie (avec laquelle nous avons eu à la fin des années 1980 une coopération importante) et l'Australie des liens de plus en plus productifs. Ces liens ont pu être et sont toujours, pour certains pays, motivés par le souci de soutenir le développement de nos coopérations militaires et d'armement mais, dans bien des cas, et tout particulièrement avec Singapour ou l'Australie, ces dialogues revêtent désormais un caractère structurel, un intérêt réciproque et une intimité) dont nous ne pouvons que nous féliciter. Notre présence dans le Pacifique et tout particulièrement en Nouvelle Calédonie est vue par nos partenaires de la zone, y compris dans sa dimension élargie à l'ASEAN, comme un atout et un élément essentiel de notre coopération et de notre diplomatie de défense.... Nous sommes aujourd'hui aux antipodes des rapports difficiles de la fin des années 1980 avec Canberra.

Cette évolution n'est naturellement pas exclusive de la recherche d'un engagement plus affirmé avec les grands émergents au premier chef desquels figurent l'Inde, le Brésil et bien sur, l'Indonésie. Là encore, la diplomatie de défense est là pour soutenir une coopération de défense en pleine expansion mais aussi pour donner sa pleine signification aux partenariats stratégiques décidés au plus haut niveau politique. Le Brésil n'occupe pas seulement une place majeure en Amérique du Sud, mais constitue déjà un acteur majeur bienvenu de la zone de l'Atlantique Sud et à moyen terme pour l'Afrique de l'Ouest, notamment dans le domaine sécuritaire avec pour cible prioritaire la lutte contre la réduction des trafics de stupéfiants qui inondent aujourd'hui le sud Sahel. L'Indonésie après les années de gel de la coopération en raison du coup d'état militaire est redevenue un objectif de notre politique de défense. Le seul poids de ce pays au sein de l'ASEAN le justifie à lui seul, même si le manque de structures politico-militaires développées dans ce pays constitue encore un handicap pour le développement de ces relations.

D'une façon générale, l'Asie du Sud-Est constitue l'une des priorités du ministre de la Défense, M. Jean-Yves Le Drian. Du 1er au 3 juin dernier, celui-ci a ainsi participé à Singapour au XIe Sommet sur la sécurité en Asie, dans le cadre du dialogue de « Shangri-La », organisé par l'Institut international d'Etudes Stratégiques de Londres. Sa présence à ce forum, tout à fait symptomatique de ce qu'est aujourd'hui la diplomatie de défense, lui a permis de rencontrer un très grand nombre de personnalités politiques et militaires de premier plan des pays de la région et d'affirmer le rôle de la France dans cette région qui présente pour nous une importance stratégique majeure.

Plusieurs de vos questions portaient sur l'Afrique et nos priorités sur le continent. Concernant la coopération avec l'Afrique, conformément à l'engagement pris par l'ancien Président de la République, l'ensemble des accords de défense ont été revus et ont fait l'objet d'une approbation parlementaire S'agissant de notre présence militaire à Djibouti, je n'insisterai pas longtemps : celle-ci s'est avérée très utile, fondamentale, dans le cadre de la lutte contre la piraterie maritime et l'opération Atalanta de l'Union européenne dont nous assurons un large soutien, y compris à travers cet atout majeur que représente encore aujourd'hui notre hôpital militaire. Il est d'ailleurs intéressant de noter que nous ne sommes pas les seuls à juger cet investissement nécessaire au regard du caractère central que revêt aujourd'hui l'Océan indien, au-delà du seul problème multi-dimensionnel que représente la Corne de l'Afrique, au plan stratégique, comme l'a souligné le Livre blanc de 2008 : la présence militaire américaine à Djibouti se développe ; après les Japonais et les Chinois, les Russes sollicitent aujourd'hui à leur tour les autorités de Djibouti afin de pouvoir bénéficier de facilités de stationnement pour des avions de patrouille maritime...

Plus généralement, les opérations militaires récentes menées dans la Corne de l'Afrique en Libye ou en Côte d'Ivoire, la situation au sud Sahel - dont le caractère potentiellement déstabilisateur pour la région comme pour les structures gouvernementales et administratives locales ne saurait trop être souligné - sont là pour nous rappeler l'importance du continent pour notre environnement sécuritaire immédiat. Cette donnée de fond porte en germe, comme vous le laissez entendre, une nécessaire réflexion sur l'adaptation éventuelle du dispositif plus restreint dessiné en 2008 par le Livre blanc et limité à deux implantations pour nos forces prépositionnées en Afrique, l'une en Afrique de l'Ouest, au Gabon, et l'autre en Afrique de l'Est, à Djibouti. Cette question, qui doit également être confrontée à nos contraintes financières, n'a encore fait à ce stade l'objet d'aucune conclusion, mais constitue un thème de réflexion de la commission chargée de la rédaction du nouveau Livre blanc.

S'agissant de l'Afghanistan et de la question du financement des forces de sécurité afghanes après le retrait en 2014, comme vous le savez, le Président de la République a indiqué que la France continuerait de soutenir les autorités afghanes après 2014, conformément d'ailleurs à ce que prévoit le traité bilatéral conclu entre nos deux pays. Nous n'avons à ce stade pris aucun engagement sur ce que pourrait être une éventuelle contribution à l'effort de financement de l'ANA comme le souhaitait notre allié américain à Chicago. Cette question est toujours à l'étude et devra, en toute hypothèse, prendre en compte la valorisation de l'effort que nous continuerons de conduire dans la formation des forces afghanes après 2014. Ceci me donne l'occasion de rappeler que la réussite de la transition en Afghanistan dépendra de plusieurs facteurs, à l'image du bon déroulement des prochaines élections présidentielles et législatives de 2014, qui serviront de test pour la crédibilité de la réussite du processus de transition. Nous travaillons étroitement avec le ministère des affaires étrangères pour aider les autorités afghanes, et plus largement, les différentes composantes de la société afghane, à préparer ces échéances cruciales et à fonder les bases d'une véritable vie politique démocratique dans ce pays, même si l'issue du processus de transition reste encore à ce jour incertaine. Le paiement des soldes, le maintien en condition opérationnelle de l'ANA sont bien entendu des conditions nécessaires, mais elles ne sont pas non plus suffisantes : il faut donner aussi le sentiment aux soldats et aux policiers afghans qu'ils se battent pour leur pays, ce qui supposent que les dirigeants à Kaboul, le système politique en place en 2014, disposent d'une réelle légitimité aux yeux de la population.

Enfin, s'agissant d'un éventuel impact de la fermeture de certains postes d'attachés de défense sur nos projets de relance de la défense, je ne pense pas que l'argument ait la moindre valeur... Peut être est-il l'expression de la frustration de certains postes diplomatiques qui auront fait ces dernières années les frais des restrictions budgétaires subies par ce ministère. Je voudrais seulement rappeler que, quelle que soit l'importance au quotidien de la présence et du dévouement de nos officiers en poste sur place, cette politique de relance mobilise avant tout le ministère des affaires étrangères, la DAS et l'Etat-Major des armée, comme nos représentations à Bruxelles. Les attachés de défense constituent d'utiles relais mais cette politique se dessine avant tout au niveau des administrations centrales qui, je le rappelle, entretiennent aussi des liens directs avec leurs homologues européens. C'est d'ailleurs cette facilité de contact qui, dans un certain nombre limité de cas, notamment en Europe centrale, dans des pays où l'effort en matière de défense s'est réduit de manière drastique ces cinq dernières années, a permis de justifier la suppression de certains postes d'attachés de défense.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion