Monsieur l'ambassadeur, je vous souhaite la bienvenue au sein de notre commission pour cette audition.
J'ai fait distribuer votre biographie aux membres de la commission qui ont pu immédiatement constater que vous êtes un fin connaisseur de notre pays où vous avez été en poste trois fois comme ambassadeur. Les responsabilités que vous avez assumées au sein du ministère des affaires étrangères comme diplomate mais aussi comme vice-ministre font de vous un interlocuteur particulièrement bien informé et c'est avec un très grand intérêt que nous nous sommes préparés à cet échange.
Vous le savez, Monsieur l'ambassadeur, les relations entre nos deux pays, entre l'Iran et la communauté internationale qui le sanctionne, buttent sur la lancinante question du nucléaire.
En septembre dernier le Président de la République résumait notre appréciation en déclarant à la tribune de l'ONU : « Depuis des années, l'Iran ignore les exigences de la communauté internationale, s'affranchit des contrôles de l'AIEA, ne respecte pas sa propre parole, et pas davantage les résolutions du Conseil de sécurité. J'ai moi-même souhaité qu'une négociation puisse sincèrement avoir lieu et qu'il y ait des étapes qui soient fixées. Là encore cette négociation n'a pas abouti. La France n'accepte pas cette dérive qui menace la sécurité de la région mais, nous le savons, aussi la paix dans le monde. »
Vous connaissez notre position qui est celle du strict respect des obligations que l'Iran a accepté en étant signataire du Traité de non prolifération et de son protocole additionnel que votre pays a décidé d'appliquer. Personne ne conteste le droit de l'Iran à un programme civil. Dans le cadre des négociations du E3+3 (France, Royaume-Uni, Allemagne, Chine, Russie et Etats-Unis) des propositions très concrètes ont été faites pour établir des mesures de confiance et sortir de la crise.
Force est de constater que nous menons, depuis des années, un dialogue de sourds. La durée de cette crise nous permet d'ailleurs de rendre hommage à la qualité de la diplomatie iranienne et de ceux qui la servent.
Deuxième sujet que je vous propose d'aborder : le contexte régional avec, en particulier la guerre civile en Syrie et ses conséquences, l'absence de perspectives de résolution du conflit israélo-palestinien, la poursuite de l'onde de choc des printemps arabes. Tout cela conduit à un risque très important de déstabilisation de l'ensemble de la région. Votre gouvernement soutient le régime syrien tout comme il soutient le Hezbollah. Quelle est votre analyse de la crise syrienne ?
Monsieur l'ambassadeur, je suis conscient que ces deux sujets couvrent déjà un très large spectre pour notre échange. L'Iran est un grand pays, une grande et vieille civilisation, un grand peuple. Mon souhait c'est de voir se résoudre les affrontements actuels afin que tous ensemble, nous oeuvrions pour la paix. Je vais vous passer la parole pour un exposé liminaire et nous procéderons ensuite à un échange avec les membres de notre commission.
SE M Ali Ahani, ambassadeur de la République islamique d'Iran - Je vous remercie, Monsieur le président. Je suis heureux d'être parmi vous. Je vous présente à vous, ainsi qu'à l'ensemble des membres de la commission, mes meilleurs voeux pour la nouvelle année. Je vous remercie également d'avoir exprimé, en toute franchise, vos positions sur mon pays. Ce dialogue participe au processus nécessaire de familiarisation et de compréhension de nos positions mutuelles. Vous avez ainsi évoqué les richesses de notre civilisation très ancienne, sa culture, ses ressources humaines et énergétiques, la place particulière qu'elle occupe au croisement des civilisations de l'est et de l'ouest.
Permettez-moi de vous dire que la diabolisation dont fait l'objet l'Iran, dans certains médias, est regrettable. Elle déforme et masque la réalité de ce pays. A ce titre, je souhaite qu'une délégation sénatoriale puisse se déplacer en Iran afin de rendre compte de la réalité de ce qui s'y déroule, contrairement à ce qui est propagé dans la presse.
A titre liminaire, je souhaite rappeler que la relation franco-iranienne, qui a été, malheureusement influencée par le sujet nucléaire, est enracinée dans l'histoire. Les premiers contacts officiels entre nos deux pays datent de 1291. Nos relations offrent un potentiel important en termes de coopération, qui tend à se réduire, toutefois, progressivement. Les entreprises asiatiques, russes ou chinoises dont certaines performances n'égalent pas celles des sociétés françaises, sont parvenues, néanmoins, à gagner très rapidement des marchés sur ces dernières en Iran. Le volume du commerce bilatéral avec la France s'établit à 3,5 milliards d'euros en 2011. Il s'élève à moins d'un milliard d'euros en 2012. C'est regrettable. Je souhaite que nous dépassions le sujet du nucléaire qui a influencé nos relations afin de renforcer ces dernières dans de nombreux domaines. Les parlementaires peuvent contribuer à cette tâche afin que nos deux gouvernements dialoguent utilement.
S'agissant du nucléaire, le programme n'est pas récent. Il a été élaboré, il y a une cinquantaine d'années, par les Etats-Unis dans le cadre de l'ancien régime. Les Américains ont, en effet, construit un réacteur de recherche à Téhéran qui était approvisionné par eux-mêmes avant la révolution. A l'épuisement des combustibles après la révolution, nous nous sommes adressés à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AEIA) qui nous a proposé d'acquérir du combustible enrichi à un niveau de 20 % auprès de l'Argentine.
En réponse à une nouvelle demande d'approvisionnement de combustible à l'Agence en 2010, cette dernière nous a indiqué que les Etats-Unis, la Russie et la France avaient annoncé leur volonté de nous fournir ce combustible. Nous avons accepté de négocier, tout en avertissant que cet approvisionnement du réacteur était, à nos yeux, crucial. Tout retard nous conduirait à devoir procéder nous même à l'enrichissement. Ils ont proposé de réaliser un échange plutôt qu'une vente. Ils voulaient obtenir 1 200 kilogrammes d'uranium disponibles et enrichis à 3,5 % afin de le transformer en uranium enrichi à 20 %. La France a dit que ce processus était long. Il est de l'ordre de deux années. Nous avons prévenu nos interlocuteurs que, s'ils tentaient de jouer la montre, nous serions obligés de produire nous-mêmes le combustible nécessaire. Or, je me souviens des doutes émis par M. Bernard Kouchner, alors ministre français des affaires étrangères et européennes, quant à notre capacité à maîtriser la technique de production.
Finalement, en l'absence d'accord, nous avons demandé à nos ingénieurs de préparer eux-mêmes ce combustible. Ces derniers y sont parvenus en moins de deux ans.
En conclusion, je tiens à souligner que l'approche des négociations dite « à 5+1 », dans un contexte d'absence de bonne volonté de certains pays, a complexifié le processus. Alors que nous étions à un niveau d'enrichissement de 3,5 % et que nous aurions pu, moyennant un échange, ne pas poursuivre l'enrichissement à 20 % par nous-mêmes, nous avons dû finalement nous y résoudre. Je déplore cette approche. De même que je déplore la méfiance qui entoure notre programme civil nucléaire. Ce programme ne comporte aucun aspect militaire. C'est pourquoi nous avons accueilli les délégations inspectrices et avons respecté l'ensemble des normes.
Je vous propose d'organiser un groupe de travail, composé de personnes qualifiées appartenant à l'AIEA, à votre gouvernement et votre Parlement, afin de vérifier les règles de l'Agence ou du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) que nous aurions prétendument violées. Nous nous sommes toujours conformés à nos obligations. Cependant l'Agence subit des pressions politiques qui l'empêchent d'accomplir sa mission professionnelle. Nous avons annoncé clairement que notre programme n'avait pas de vocation à évoluer vers une capacité militaire. Nous avons accueilli plus de sept mille cinq cents personnes/jour d'inspections, dont cent d'entre elles ont été réalisées de manière inopinée. Leurs caméras sont installées sur les installations nucléaires iraniennes vingt-quatre heures sur vingt-quatre. L'uranium enrichi, sorti des centrifugeuses, était immédiatement scellé par l'Agence. En conséquence, ils savent que nous ne possédons pas la bombe atomique. Toutefois, la méfiance qu'il en soit différemment à l'avenir persiste.
Une telle attitude consiste à accuser une personne en raison de son intention éventuelle. Peut-on imaginer d'interdire l'usage d'un couteau de peur qu'une personne ne commette un crime ? Il serait plus souhaitable de prévoir les conditions empêchant un tel acte. Nous sommes prêts à dialoguer et à donner les garanties que notre programme n'a qu'une finalité civile, en contrepartie de laquelle nous pouvons poursuivre ce programme civil sous la surveillance de l'AIEA.
Quant au protocole additionnel au TNP, il doit toutefois être ratifié par le Parlement. Les négociations avec les trois pays européens, l'Allemagne, la France, et la Grande-Bretagne, avaient débuté en 2003.
Afin de dissiper tout malentendu ou ambiguïté, nous avons accepté de l'appliquer volontairement dès octobre 2003, en l'absence même de ratification. Nous l'avons mis en oeuvre de facto pendant deux ans et demi. Néanmoins, après cette période, notre Parlement a interdit à notre gouvernement de l'appliquer en raison de la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) qu'il juge illégale. L'article 12 des statuts de l'Agence prévoit, en effet, que tout transfert de dossier d'un pays au Conseil de sécurité doit être fondé sur la constatation d'une violation du TNP par les inspecteurs de l'Agence. Ce rapport doit être ensuite transmis au Conseil des Gouverneurs de l'Agence puis au Conseil de Sécurité, en cas d'approbation. Or, il n'y a avait pas de violation du TNP avérée qui justifie un transfert au CNSU. Dans un tel contexte de sanctions et de pressions, quel gouvernement iranien pourrait demander à son Parlement de ratifier le protocole additionnel ?
Il semble que le gouvernement français ait adopté récemment une position plus « réaliste ». En présence des ambassadeurs ainsi qu'à l'occasion de la visite du Premier ministre israélien, M. Benyamin Netanyahu, le Président de la République française, François Hollande, a insisté sur le droit de l'Iran à bénéficier d'une capacité nucléaire civile. M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, en a fait de même devant la conférence des ambassadeurs à Rome. J'ai appelé l'attention de mon gouvernement sur ce changement de ton et le rôle que pourrait jouer la France dans la résolution de ce problème.
Nous sommes ouverts au dialogue. Récemment les représentants de l'Agence étaient à Téhéran. Ils doivent revenir en février afin de finaliser un plan de travail pour qu'ils puissent visiter certains sites militaires qui ne constituent pourtant pas des installations nucléaires. Afin de démontrer notre bonne volonté et transparence, nous avons accepté une telle demande bien qu'elle ne relève pas de la compétence de l'Agence.
Toutefois, nous souhaitons qu'un plan de travail puisse définir les modalités de cette visite. Nous avions accepté précédemment que les équipes de l'Agence, sur leur insistance, visitent le site de Parchin. Le contexte est aujourd'hui différent et le Parlement y est très sensible. Il convient désormais de finaliser, préalablement à cette visite, un plan de travail. Il n'existe aucune manoeuvre de notre part, visant à prétendument effacer des traces nucléaires. C'est impossible car les traces nucléaires ne sont pas effaçables.
Nous sommes prêts à autoriser les visites sur le site de Parchin après la finalisation du plan de travail. Cependant, il faut que les membres du « 5 + 1 » soient réalistes et reconnaissent que l'Iran peut continuer son programme nucléaire pacifique, sous la surveillance de l'Agence. Cela constituerait un pas important.
Bien que nous nous débrouillions bien, je crains des souffrances du peuple iranien à cause des sanctions. Nous connaissons, par exemple, des problèmes d'approvisionnement des malades en médicaments. Nous disposons des moyens financiers pour les acheter mais le blocage des réseaux bancaires nous en empêche et conduit à faire souffrir le peuple et les plus pauvres. Je suis convaincu que la France peut jouer un rôle dans ce dialogue, ainsi que la diplomatie parlementaire.
S'agissant de la Syrie, les relations que nous entretenons avec ce pays sont bonnes depuis longtemps. Ce qui importe aujourd'hui, c'est l'avenir de son peuple. Nous n'y sommes pas indifférents. Le gouvernement syrien a pu commettre certaines erreurs, comme n'importe quel autre gouvernement. Néanmoins, le président syrien, Bachar el-Assad, a été soutenu par sa majorité et l'est encore. On ne peut forcer un chef de l'Etat à quitter ses fonctions, s'il est encore soutenu par la majorité de son peuple et non pas seulement par les alaouites.
Nous avons chacun nos données et nos analyses. Essayons d'établir un dialogue dans cette phase délicate même si nos prises de position sont différentes. Ces dernières doivent être établies de manière réfléchie car toute erreur dans les prises de positions risque d'emporter de graves conséquences. Le dialogue peut contribuer à calmer cette crise. Cette crise n'a d'autre solution que démocratique et non militaire. Il faut arrêter cet affrontement sanglant et préparer le terrain pour le dialogue national et des élections libres et démocratiques. Laissons les citoyens syriens choisir. Il ne nous appartient pas, ni à vous, ni à d'autres pays, de le faire à leur place. Il faut faire attention à ces personnes venues de l'extérieur en Syrie qui aujourd'hui tentent de déstabiliser le pays avec leurs armes et leur appui financier et qui demain menaceront l'Europe.