Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 23 janvier 2013 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

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La réunion

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La commission auditionne le général Jean Debonne, directeur central du service de santé des armées.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Général, c'est un plaisir de vous accueillir dans notre commission pour la première fois.

Vous avez été nommé le 18 octobre dernier par le ministre de la défense directeur central du service de santé des armées avec un projet de service ambitieux et novateur.

Vous êtes médecin général et aujourd'hui le responsable d'un service qui comprend 16 000 hommes et femmes dont la mission est d'assurer en toutes circonstances, y compris sur les théâtres d'opérations, le soutien médical des forces armées.

Cette mission essentielle comprend : la composante médicale du soutien opérationnel des forces dans la préparation des opérations, la prise en charge médicale des blessés et des malades sur les théâtres d'opérations et le suivi de l'état de santé du militaire tout au long de sa vie.

Il s'agit d'une « médecine des forces » et d'une « médecine hospitalière » ancrées dans le territoire national, et projetables. Le service de santé des armées a une réputation d'excellence que nous connaissons tous, aussi bien sur le terrain avec une prise en charge du malade au plus près des combats, que sur le territoire national avec des hôpitaux militaires de référence.

Les activités de votre service requièrent des compétences spécifiques, notamment pour ce qui est des traumatismes de toutes natures, y compris psychologiques, liés aux combats ou pour faire face aux risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques. Mais les hôpitaux militaires soignent une gamme étendue de pathologies et accueillent une proportion croissante de patients civils.

En 2010, un rapport de la Cour des comptes a souligné la vulnérabilité importante de ce service face aux évolutions du contexte économique et de l'organisation de la santé en France. Il a mis en évidence un fort déséquilibre financier, un risque de dégradation de la qualité des soins et de l'attractivité à la fois pour les patients et pour les personnels soignants.

Un nouveau contrat opérationnel du service de santé des armées a été adopté en 2011.

Avant de prendre vos fonctions, vous avez été chargé d'une mission prospective sur l'avenir de ce service qui a en partie confirmé ces craintes et dessiné les principales caractéristiques d'un projet qui permettrait à ce service de s'adapter à son environnement et de maintenir sa spécificité militaire et la qualité de ses soins.

C'est à l'aune de cette réflexion que vous avez été nommé par le ministre de la défense. Vous avez annoncé, il y a quelques jours les principes qui devraient guider votre nouveau projet de service avec notamment un meilleur adossement au système de santé publique et un recentrage de l'activité sur les missions militaires.

Ce projet ne sera naturellement validé qu'après les travaux du Livre blanc qui définira notamment le contrat opérationnel des armées.

C'est l'annonce de ce projet ambitieux qui nous a conduits à vous inviter devant la commission.

Avant d'exposer les caractéristiques de votre projet, je souhaiterais que vous nous présentiez l'état du service tel que vous l'avez trouvé, ses missions, les difficultés que vous anticipez et enfin les perspectives tracées par votre projet.

Je vous cède la parole.

Général Jean Debonne, directeur central du service de santé des armées - Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je suis très sensible à l'honneur que vous me faites en me demandant de venir vous présenter le projet du service de santé des armées (SSA) que j'ai l'honneur de diriger depuis le 18 octobre 2012. Et ceci au moment même où, une nouvelle fois dans son histoire, il s'engage très fortement avec nos forces sur un nouveau théâtre d'opération extérieure.

Car en effet, la mission principale du SSA est de soutenir les forces en opérations, de les y préparer sur le plan médical, et de prendre en charge les blessés et les malades rapatriés des théâtres d'opération. Cette mission comporte des activités très diverses de soins, d'expertise, de conseil au commandement que le service exerce, sur le territoire national en contribuant ainsi à l'offre publique de santé.

Pour remplir ses missions, le SSA dispose d'un effectif de 16 000 personnes et d'un budget d'environ 1,5 milliard d'euros, pensions comprises, dont 37 % lui viennent des attributions de produits générés essentiellement par son activité hospitalière. Pour mémoire, le SSA représente à lui seul 80 % des recettes extrabudgétaires du ministère de la défense. Il s'appuie pour cela et comme vous le savez sur 5 composantes : les centres médicaux, les hôpitaux d'instruction, les écoles de formation, l'institut de recherche biomédicale et les établissements de ravitaillement sanitaire.

L'exercice de ces missions se heurte cependant à des difficultés dont certaines ont été exposées dans le rapport public thématique « médecins et hôpitaux militaires » de la Cour des comptes de 2010, rapport qui avait identifié deux défaillances majeures : un défaut de performance économique et une grande insuffisance de relations avec le système public de santé.

Si le SSA a engagé une transformation de grande ampleur, elle s'avère, de mon point de vue, insuffisante et nécessite la mise en oeuvre d'un nouveau projet de service. Or ce projet n'est pas une simple adaptation mais un véritable changement de paradigme, une rupture au sens stratégique du terme et c'est la raison pour laquelle je souhaite vous en présenter aujourd'hui le cadre général.

Mais tout d'abord permettez-moi de remonter un peu dans le temps...

Depuis sa création en 1708, le service de santé des armées n'a cessé d'évoluer au sein de deux mondes, celui de la défense et celui de la santé, en répondant aux besoins des forces et en s'adaptant aux progrès de la médecine, auxquels il a souvent contribué. Ainsi et au-delà de sa mission de soutien médical des forces armées, le service de santé a représenté l'un des tous premiers systèmes de santé organisé, intégrant au fil du temps les domaines du soin, de la prévention, de l'expertise, de l'enseignement et de la recherche.

Les conflits majeurs qui ont frappé l'Europe, les grandes campagnes militaires outre-mer, les particularités des blessures et des maladies dont étaient victimes les soldats, la lutte contre les grandes endémies tropicales, la prise en charge intégrale des appelés du contingent ont plus que justifié, jusqu'à la fin du 20è siècle, l'existence d'un service de santé des armées largement dimensionné, dédié et autonome, voire indépendant. En effet, sa coexistence avec l'émergence et le développement d'un service public civil de santé, aujourd'hui fortement structuré et exigeant, s'est faite sans aucune véritable relation institutionnelle.

Cependant, les bouleversements géostratégiques survenus à la fin des années 80 ont profondément modifié les missions et les conditions d'emploi des forces armées et, de ce fait, impactent, comme jamais dans son histoire, le service de santé des armées. Celui-ci a connu, dans le même temps, la fin de la coopération sanitaire en Afrique et la suspension de la conscription sur le territoire national. Il a dû aussi, dans un contexte de fortes contraintes normatives et financières, faire face aux évolutions fulgurantes de la médecine et du monde de la santé, tant scientifiques et technologiques, qu'organisationnelles et économiques.

Confronté à ces évolutions majeures de la défense et de la santé, le service de santé des armées n'a cessé d'évoluer. Malgré ses efforts, des points de fragilité sont apparus, menaçant à terme la qualité du service rendu aux forces et donc in fine la capacité opérationnelle de nos armées.

A la suite des audits de la révision générale des politiques publiques en 2008 puis du rapport thématique « Médecins et hôpitaux des armées » de la Cour des comptes en 2010, le service a entrepris un vaste programme de transformation. Toujours en cours aujourd'hui, ce processus avait pour principal objectif la rationalisation et l'optimisation des moyens dans un souci de performance accrue.

Si des résultats significatifs ont été obtenus, des questions se posent néanmoins aujourd'hui :

- cette transformation suffira-t-elle ?

- et si tel n'était pas le cas, le service aurait-il le temps, les moyens et l'énergie pour entreprendre une nouvelle transformation ?

Force est de reconnaître qu'il est bien difficile de répondre à ces questions.

Pourquoi ? Parce que cette transformation aussi utile et nécessaire soit-elle, présente des limites :

- elle n'a en effet été que réactive à des critiques et à des contraintes et manque ainsi de proactivité au regard des évolutions de son environnement ;

- elle est essentiellement centrée sur des problématiques économiques et de gestion qui n'ouvrent pas de nouvelles perspectives susceptibles de motiver et d'entraîner son personnel vers un avenir attractif ;

- enfin, elle n'est que partielle, n'ayant pas ou très peu touché la composante hospitalière qui représente pourtant un pilier majeur du SSA, tant par ses missions que par l'importance des ressources qui lui sont allouées.

Anticiper les contraintes nouvelles que feront peser sur le service de santé des armées les évolutions en cours de la défense et de la santé, telle est l'ambition du nouveau projet de service dont les grands axes stratégiques ont été récemment validés par l'état-major des armées et le cabinet du ministre de la défense.

Cette nouvelle stratégie, qui s'appuie sur les valeurs, l'identité et les qualités intrinsèques du service et de ses personnels, doit prendre en compte ces deux causes majeures de vulnérabilité que sont la dispersion, d'une part, et l'isolement, d'autre part.

Pourquoi la dispersion ? Parce que le principe d'autosuffisance, appliqué à la globalité de la mission du soutien des forces, a conduit le service de santé des armées à multiplier ses activités et à diviser ses moyens. Cette posture l'a d'autant plus fragilisé que pèsent sur lui des contraintes techniques et financières de plus en plus lourdes au point de mettre en cause sa performance économique et de compromettre à terme la qualité du service rendu.

Le service de santé doit aujourd'hui prendre toute la mesure des évolutions majeures de son environnement et admettre qu'il n'est plus en capacité d'assurer seul la globalité de la mission de soutien santé des forces et l'intégralité des activités qu'elle exige. Certaines de ces dernières ne sont pas en relation directe avec le soutien des forces mais contribuent à créer un environnement technique favorable aux disciplines projetables. Il a le devoir de mettre en oeuvre la mesure qui s'impose : le recentrage de ses activités sur le versant opérationnel du soutien santé et sa préparation.

Pourquoi l'isolement ? Parce que le principe d'autodétermination a maintenu trop longtemps le service de santé à l'écart de son environnement, le fragilisant, alors que tout, autour de lui, et notamment la santé, s'organisait fortement. La définition des capacités à détenir et la garantie de leur entière disponibilité pour le soutien opérationnel des forces justifient certainement ce principe d'autodétermination et ne sauraient être discutées. Toutefois, ce principe ne doit plus être appliqué aux autres activités. En effet, depuis plus de 20 ans maintenant, cet isolement génère pour le service plus de contraintes qu'il n'apporte d'avantages. De ce fait, le service de santé des armées, et particulièrement les hôpitaux militaires, n'ont eu d'autre choix que de développer des relations de plus en plus nombreuses et de plus en plus fortes avec leurs territoires de santé, se détachant de facto du champ exclusif des armées et de la défense.

Mais cette ouverture qui s'intensifie, sans remise en question du principe d'autodétermination, reste fragile, déséquilibrée et finalement peu favorable au service. Elle est aussi source de confusion, la position du service étant mal comprise, en particulier par le monde de la santé et par ses tutelles qui ne comprennent pas que le SSA exerce des activités sans relation avec le soutien opérationnel des forces, sans réelle concertation et parfois même en concurrence avec la santé publique.

Si dispersion et isolement sont, d'une certaine façon, le prix à payer d'une doctrine reposant sur l'autosuffisance et l'autodétermination, ne faut-il pas, dès lors, changer cette doctrine ? Telle est aujourd'hui la question que l'on doit se poser, et à laquelle le service a choisi de répondre, à la demande du ministre de la défense et du chef d'état-major des armées, en élaborant un nouveau projet, sur de nouveaux principes. Ce nouveau projet de service comprend deux axes majeurs : le recentrage et l'ouverture. Ces deux axes ne sont pas indépendants comme nous le verrons.

Le premier axe concerne le recentrage.

Le soutien médical opérationnel des forces étant la raison d'être du service de santé des armées, les activités qui concourent directement à la mise en oeuvre de la chaîne santé opérationnelle sont absolument prioritaires ; et ce, dès la zone de contact jusqu'au rapatriement et à la prise en charge sur le territoire national des blessés et des malades. Ces activités opérationnelles relèvent des compétences particulières, spécifiques du SSA et en ce sens uniques. En effet, le SSA apparaît aujourd'hui seul capable de les assurer et donc de répondre au besoin opérationnel des forces.

Pour ce qui concerne les activités qui ne concourent pas au soutien médical opérationnel et qui sont déjà réalisées par le service public de santé, le SSA, bien que devant en assumer la responsabilité devant le ministre de la défense et le chef d'état-major des armées, ne doit pas systématiquement en assurer seul la réalisation. De ce fait, ces activités peuvent être partagées en pleine synergie et totale complémentarité.

Concrètement, le recentrage, concerne l'ensemble des cinq composantes du service de santé des armées. Au sein de ces composantes, l'offre de soins au sens large, c'est-à-dire les soins curatifs, la prévention et l'expertise sera la plus concernée.

Cette offre de soins est portée par les deux composantes majeures que sont la médecine des forces d'une part et la médecine hospitalière d'autre part.

Ce recentrage doit d'abord s'envisager par une remise en question de l'équilibre entre ces deux piliers. Il faut être conscient qu'aujourd'hui la médecine des forces représente moins du quart des ressources humaines et financières du service de santé des armées alors que l'hôpital en bénéficie de plus de la moitié.

Pourtant c'est bien la médecine des forces, qui assure le 1er recours, le maillage territorial et qui représente le service de santé au sein des armées. C'est aussi la médecine des forces qui assure dans les conditions les plus difficiles qui soient, les deux premières étapes de la chaîne santé opérationnelle que sont la relève des blessés (souvent sous le feu) et leur évacuation tactique sur le théâtre d'opération. C'est aussi elle qui est en charge de la formation aux techniques du sauvetage au combat de chaque soldat afin de réduire autant que possible les délais de prise en charge. C'est enfin ce personnel qui paie le plus lourd tribut car il est le plus directement exposé au danger.

Or, les conditions d'exercice de la médecine des forces ne sont pas optimales aujourd'hui.

Si une mise à niveau des moyens consentis comme l'infrastructure, les systèmes d'information et de communication, les véhicules sanitaires et tactiques est urgente à réaliser, il convient aussi de reconsidérer la part insuffisante des activités consacrée aux soins et à l'urgence faute de temps, les parcours professionnels proposés aux personnels et la valorisation de leur engagement. Car c'est à ce prix que perdurera l'attractivité pour ces métiers dont nos forces ont le plus grand besoin. C'est aussi à ce prix que le service de santé des armées pourra résoudre la difficile équation d'un soutien garantissant la technicité médicale et soignante tout en restant proche des unités. De notre capacité à résoudre cette équation dépendra directement la qualité du service rendu, sur le territoire national comme en opérations extérieures.

Le recentrage passe également par un réexamen de la 2ème composante de l'offre de soins du service de santé : l'hôpital.

Les 9 hôpitaux d'instructions des armées sont constitués sur un modèle unique d'hôpital généraliste, de petite taille, à l'offre de soins lourde et très diversifiée. Ce modèle est aujourd'hui très fragile et structurellement déficitaire. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne les spécialités d'intérêt majeur pour les forces, comme par exemple la chirurgie, l'anesthésie et la réanimation avec un risque réel pour le maintien et le développement des compétences médicales et paramédicales. Aussi, l'hôpital militaire doit-il lui aussi recentrer ses activités sur les disciplines contribuant directement à la mise en oeuvre de la chaîne santé opérationnelle et à la prise en charge des blessés et malades rapatriés des théâtres d'opérations. Pour garantir le niveau d'activité nécessaire au maintien des compétences, ses équipes doivent aussi être densifiées et soutenues. C'est à ces conditions que les autorisations d'exercices et les agréments nécessaires à la formation des internes seront préservés. Il s'agit donc d'opérer une véritable mutation d'un modèle ancien devenu fragile vers un nouveau modèle économiquement performant. Le maintien de neuf établissements n'est absolument pas incompatible avec cette ambition. Toutefois, la réforme nécessaire suppose une importante réorganisation de l'offre de soins hospitalière et l'abandon du modèle unique ainsi qu'une nouvelle relation avec le service public de santé.

Car chaque hôpital militaire devra apporter une réponse adaptée certes à la communauté de défense mais aussi aux besoins de son territoire de santé.

Le deuxième axe concerne l'ouverture.

Malgré les échanges que développe le service de santé des armées avec son environnement de santé, il n'en reste pas moins un acteur « à part » de l'offre de soins territoriale. Sa doctrine était celle du concours au service public, et non de sa réelle participation.

Sa position actuelle, tout en lui imposant les contraintes qui pèsent sur l'ensemble du système de santé en France, le laisse de surcroît seul face à sa mission de soutien opérationnel des forces. Son activité, tant sur le plan quantitatif que qualitatif, ses capacités de coopération, le maintien à niveau de ses équipements et de ses infrastructures, de plus en plus coûteux, sont directement menacés. De plus, et en quelques années, les hôpitaux militaires, soumis à la tarification à l'activité, se sont retrouvés en concurrence avec les hôpitaux publics.

Pour rompre avec cette logique qui conduit à séparer voire à opposer ces deux services de l'Etat que sont le service de santé des armées et le service public de santé, le SSA doit devenir un acteur à part entière, et non entièrement à part, du service public de santé dans lequel il doit inscrire ses capacités en complémentarité et en synergie.

C'est seulement ainsi que ses moyens pourront réellement être pris en compte, mettant alors fin à son isolement.

Toutefois, si le service de santé ambitionne de devenir un acteur à part entière du service public de santé, il n'en reste pas moins un acteur particulier puisqu'en charge d'une mission spécifique : le soutien médical opérationnel des forces armées. A cet effet, les capacités à détenir et leur disponibilité pour la mise en oeuvre de la chaîne opérationnelle santé, sont l'objet d'un contrat opérationnel entre le SSA et les armées qui ne saurait être remis en cause. C'est tout l'enjeu de cette nouvelle relation SSA - santé publique que de concilier la disponibilité des ressources du service de santé des armées pour le soutien des forces avec son insertion dans les territoires de santé où il est implanté.

Cette ambition passe notamment par l'élaboration de coopérations, comme par exemple la création d'équipes médicales de territoire civilo-militaires.

Cette nouvelle relation, qui suppose une plus grande solidarité entre ces deux acteurs de la santé, s'inscrit pleinement dans le lien Armées-Nation et suppose un dialogue au plus haut niveau entre les ministères concernés, et une volonté politique partagée à l'échelon national et régional.

Elle suppose aussi de revisiter en profondeur la place de la réserve opérationnelle et citoyenne du service de santé des armées qui pourrait voir son rôle modifié de façon significative dans les années à venir.

Ce nouveau projet ne peut se concevoir qu'ensemble, puisqu'il se déclinera ensemble, dans le respect des missions spécifiques et des identités des acteurs. Le recentrage et l'ouverture permettront ainsi au service de santé des armées de continuer à garantir la qualité du service rendu aux forces armées.

Mais, avant de conclure, je voudrais évoquer devant vous une autre dimension du SSA.

Par sa position unique au sein des mondes de la défense et de la santé, le service de santé des armées parvient à faire la synthèse des valeurs portées par ces deux communautés, toutes deux animées par l'esprit de service. Il a fait la preuve d'aptitudes uniques que lui confère sa militarité, tout au long de son histoire et encore aujourd'hui en s'engageant dans l'urgence au sein même des forces. Capacité de réaction immédiate, robustesse, résistance en milieu hostile voire agressif, aptitude à durer et à s'adapter sont autant de qualités qui le caractérisent et qui pourraient être sollicitées plus largement dans le cadre de la résilience de la Nation à laquelle le service participe déjà. Ainsi, au-delà de l'ouverture vers le service public de santé, la question de l'organisation d'un dialogue interministériel concernant le SSA est posée.

En conclusion, Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, le changement de paradigme proposé par ce projet de service souligne clairement que le SSA ne peut plus choisir seul ses évolutions, pas plus qu'il ne peut conduire seul ce changement.

L'importance des enjeux actuels, qu'ils soient militaires, de santé publique ou sociaux, dans un contexte économique contraint, nous impose de rechercher, ensemble, les solutions permettant de garantir à la Nation un soutien médical opérationnel de ses forces engagées sur les théâtres d'opération, mais également l'utilisation pleine et entière de ses moyens de résilience.

Soyez assurés, Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, de mon engagement personnel dans cette voie mais également de celui de l'ensemble du personnel du service de santé des armées.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Les élus ruraux que nous sommes sont confrontés aux problèmes des déserts médicaux et aux difficultés de recrutement qui conduisent de nombreux hôpitaux à recruter des médecins étrangers. Êtes-vous confronté aux mêmes difficultés ?

Debut de section - PermalienPhoto de André Dulait

Je veux tout d'abord souligner la qualité des soins offerts par le service de santé des armées aux blessés d'Afghanistan que j'ai rencontrés dans le cadre des activités de la commission. Ma première question porte sur la concurrence entre le service de santé des armées et les autres acteurs du système de santé français en matière de recrutement. J'aurais notamment souhaité savoir combien de praticiens abandonnent le service de santé des armées pour d'autres structures publiques ou privées. Ma deuxième question porte sur le rapport de la Cour des comptes. Ce dernier soulignait que l'activité des hôpitaux militaires était prioritairement tournée vers les patients civils. Est-ce le cas ? Cette situation est-elle critiquable ?

Debut de section - PermalienPhoto de André Trillard

J'aurais aimé savoir quelle est la proportion de l'activité de l'hôpital de Kaboul consacré aux militaires et aux personnes civiles locales et quelles sont les modalités de financement de cette structure ?

Général Jean Debonne - Le service de santé des armées ne connaît pas de difficulté particulière de recrutement pour les praticiens. La quasi-totalité de ceux-ci sont issus de ses écoles de formation. La gestion des effectifs de médecins spécialité par spécialité nous conduit cependant à avoir un volet de personnels contractuels de l'ordre de 10 à 15 % dans lequel il peut y avoir des praticiens étrangers. Une de nos préoccupations pour l'avenir est que plus le service de santé des armées sera petit, plus la gestion des flux et des carrières sera difficile. En outre, la gestion des ressources humaines n'est pas facilitée par la rigidité du statut du personnel hospitalier militaire qui n'offre pas les mêmes souplesses que la fonction publique hospitalière.

Un certain nombre de praticiens militaires poursuivent leur carrière dans le civil. Il s'agit d'un processus assez naturel, notamment parce qu'avec l'âge, un certain nombre de nos praticiens ne remplissent plus les conditions opérationnelles pour être projetés sur des zones de combats. Ce flux participe donc au renouvellement des effectifs et permet au service de santé d'essaimer dans le secteur civil. Il arrive cependant que ces départs suscitent des difficultés dans certaines spécialités et en particulier actuellement dans le domaine de la réanimation. Il est à noter qu'un certain nombre de ces praticiens participent à la réserve opérationnelle qui joue un rôle important dans le fonctionnement du service de santé des armées.

Le projet que je porte, vous l'aurez compris, vise à élargir le socle des effectifs des praticiens sur lesquels repose le service de santé des armées en y intégrant des praticiens du civil afin de constituer ce que l'on pourrait appeler des équipes médicales civilo-militaires et de réduire ces problèmes de gestion liés à ces départs et surtout aux projections en opérations extérieures.

Le rapport de la Cour des comptes a relevé, à juste titre, que 80 % des activités des hôpitaux militaires étaient liés à l'accueil de personnels civils. C'est une situation qui peut paraître paradoxale dans la mesure où le ministère de la défense apparaît financer des structures à vocation militaire pour une activité essentiellement civile. Le paradoxe n'est cependant qu'apparent. Il faut en effet avoir à l'esprit que la qualité des soins des hôpitaux militaires, comme des hôpitaux civils, est en relation directe avec le niveau d'activité des services. Or avec la fin du service militaire obligatoire en 1996 et accessoirement la réduction de la coopération médicale dans les ex-colonies, les hôpitaux militaires ont perdu une activité « captive ». Il aura donc fallu accueillir des patients civils pour maintenir leur niveau d'activité, c'est-à-dire maintenir les compétences des praticiens hospitaliers du service. Si nous ne l'avions pas fait ça, c'est la qualité des soins et donc la légitimité du service de santé des armées qui auraient été en péril, d'autant plus que le militaire français a depuis toujours le libre choix de son praticien.

La problématique qui se pose pour l'avenir est identique. Nous devons nous ouvrir aux autres acteurs publics de la santé pour maintenir la compétence de nos services. De ce point de vue, l'adossement au système de santé public civil sera une garantie de la qualité des soins offerte aux personnels militaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jeanny Lorgeoux

Comment, dans ce contexte où le service de santé des armées prendra une part de responsabilité croissante dans le système de santé publique, arriverez-vous à concilier cette mission avec les missions opérationnelles qui sont par nature imprévisibles ?

Général Jean Debonne - Vous posez la bonne question. Comment exister dans le civil tout en étant capable de déployer un soutien médical opérationnel un jour en Afghanistan, l'autre jour au Mali ? Ma conviction est que si nous maintenons le système en l'état, nous aurons des difficultés croissantes à assurer notre contrat opérationnel. Je prends un exemple : nous disposons de 40 équipes chirurgicales dont 30 sont projetables sur le terrain. Lorsque l'ensemble des forces prévues dans le cadre de l'opération SERVAL sera déployé, un tiers de ces chirurgiens va être positionné au Mali. Qu'est-ce que cela signifie pour les hôpitaux militaires qui les emploient ? Cela veut dire que ces hôpitaux devront annuler certaines opérations chirurgicales, réduire leur activité. Cette diminution créera nécessairement une modification du flux des patients vers le secteur civil et mécaniquement une diminution des recettes des hôpitaux militaires. Dans un environnement de plus en plus concurrentiel, cette situation nous affaiblira obligatoirement. Continuer ainsi ne sera pas soutenable très longtemps et c'est pourquoi il faut élargir la base de nos équipes, constituer des équipes mixtes civilo-militaires de façon à ce que la projection sur les théâtres d'opération n'entraîne pas une interruption du fonctionnement normal des services sur le territoire national.

S'agissant de notre hôpital à Kaboul, cet établissement est destiné aux militaires qui sont en nombre décroissant du fait du désengagement des forces françaises en Afghanistan, aux forces afghanes, qui dans le cadre de la transition sont aujourd'hui dirigées vers des structures afghanes et enfin à la population locale. Le service de santé des armées françaises est un des seuls services de santé militaire à disposer d'une tradition de soins aux populations civiles. Cette pratique marque la volonté de la France de ne pas ignorer la misère et les difficultés que rencontrent la population afghane. Cette action est menée dans le respect de la priorité accordée à l'assistance médicale à nos forces sur le terrain dont les effectifs devraient être de 500 à partir de juillet prochain.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

Vous avez évoqué la réserve opérationnelle. Je souhaiterais savoir quel rôle vous comptez lui faire jouer et quels sont actuellement les liens avec l'établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS).

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre André

Je ne peux qu'approuver les propos de mes collègues sur l'excellence des soins prodigués par le service de santé des armées. Vous êtes tout à fait dans votre rôle en essayant de préserver sur le long terme la compétence des praticiens et la qualité des soins, quitte à remettre en cause les modes d'organisation du passé. Ma question porte sur trois points :

- votre réforme est ambitieuse ; elle repose sur une indispensable coopération avec le service public de la santé. Dès que vous aurez mis en place une coopération entre les établissements militaires et civils, vous serez confronté aux arbitrages des agences régionales de santé qui ne seront pas forcément favorables aux hôpitaux militaires. Il faudra donc une vigilance énorme pour que cet adossement au système de santé public préserve les moyens et l'identité de votre service ;

- en matière de ressources humaines, la situation actuelle suscite des inquiétudes et un turnover important et naturellement des départs vers le secteur public civil ou le secteur privé. La mise en place de votre réforme sera donc confrontée à cette situation difficile et à la nécessité d'assurer la relève par des formations suffisamment attractives. Il est donc essentiel de redonner des perspectives aux praticiens et au personnel médical du service de santé des armées pour mener à bien la mission que vous vous êtes assignée ;

- votre réforme s'inscrit dans le long terme, vous avez évoqué une dizaine d'années, c'est le temps qu'il faut pour former des spécialistes. Est-ce que la formation offerte aujourd'hui aux élèves des écoles de formation du service de santé des armées a anticipé les évolutions qui se profilent.

Un dernier point concerne les dépenses qui ne devraient pas être inscrites au budget des armées, je pense notamment à la prise en charge des personnalités étrangères dans nos hôpitaux militaires, ne pensez-vous pas que c'est au ministère des affaires étrangères de prendre en charge le coût.

Je considère pour ma part que vous êtes dans la bonne voie. Vous pouvez compter sur notre soutien.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Piras

Pouvez-vous nous indiquer quels accueils vous ont réservé les responsables de la santé publique ?

Debut de section - PermalienPhoto de Gilbert Roger

Il n'y a pas que dans le monde rural qu'il y a des déserts médicaux, c'est également le cas dans certaines banlieues. Les réformes hospitalières successives ont malheureusement conduit à une réduction du format des hôpitaux publics au profit du secteur privé. Je ne peux que vous encourager à être vigilant sur cette tendance favorisée par le pilotage des agences régionales de santé qui à travers notamment la tarification à l'acte ont promu un modèle libéral de santé publique. Je ne peux qu'encourager la commission à suivre l'évolution de cette réforme et à veiller à ce que la préservation de la qualité des soins reste l'objectif principal de la mise en oeuvre de cette réforme. Il me semble par ailleurs qu'il conviendrait de mieux mesurer les conséquences du numérus clausus sur nos performances en matière de santé publique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

L'idée d'accompagner et de soutenir le projet de service du général me semble excellente. Si actuellement la commission a un programme de travail chargé jusqu'à l'adoption de la loi de programmation, il faudra assurément suivre la mise en oeuvre des principes que vous venez de nous présenter.

Général Jean Debonne - La réserve opérationnelle est un élément fondamental du fonctionnement du service de santé des armées. Les réservistes opérationnels sont des militaires par intermittence qui pourraient jouer un rôle croissant à l'occasion de cette réforme. C'est pourquoi j'ai mandaté sur ce sujet trois missions : la première concerne les contributions de la réserve à notre insertion dans le service public de santé, les réservistes étant par définition des ponts entre le monde civil et militaire. La deuxième concerne les conditions d'emploi de la réserve opérationnelle sur les théâtres d'opération et non plus seulement en remplacement des médecins partis en opération. La troisième concerne une réflexion prospective sur l'avenir de la réserve.

Quant au lien avec l'EPRUS, sachez que j'entends travailler de concert avec le nouveau directeur de cet établissement. Il y a une urgence à clarifier la situation des praticiens qui peuvent appartenir à plusieurs types de réserves, celle du service de santé des armées, celle de la réserve sanitaire, voire d'autres réserves opérationnelles. Il est absolument nécessaire en cas de catastrophe majeure de savoir où ces praticiens s'orienteront en priorité. A terme, rien n'interdit d'imaginer, dans le cadre d'un grand service public de santé, que des praticiens réservistes puissent en cas de crise majeure participer selon les modalités à imaginer à la résilience de la Nation.

Vous me demandez quel accueil m'a été réservé par le ministère de la santé et les hôpitaux publics. Sachez que j'ai rencontré presque tous les acteurs au ministère, dans les CHU, dans certaines agences régionales de santé, aux hôpitaux de Paris. J'ai rencontré ces acteurs avec la forte conviction qu'une coopération était possible. Je tire cette conviction de mon expérience en tant que praticien hospitalier et en tant que directeur d'hôpital à Brest, au Val de Grâce et à Toulon. Je peux vous dire que ce type de coopération est possible car je les ai mises en oeuvre sur le terrain à la satisfaction de tout le monde et en premier chef des patients, mais jusqu'à présent ce type de coopération se déroulait, sans cadre institutionnel et la plupart du temps sans publicité excessive.

Aujourd'hui, cela me semble une nécessité comme je vous l'ai expliqué. J'ai rencontré un accueil favorable, chacun considérant que notre mission au service des armées est légitime. J'ai aussi rencontré sur certains points des incompréhensions. Certains responsables ne comprennent pas pourquoi nous exerçons des activités qui ne semblent pas directement liées à la condition militaire. J'ai pour ma part la conviction qu'à l'avenir nous pourrons dans l'intérêt général exercer ces activités ensemble. Il y a indéniablement des spécificités liées à notre mission de soutien aux forces armées. Nous devons dans ce domaine faire preuve de notre excellence et assurer la légitimité de notre action. Si demain nous nous engageons à participer au service public de santé, nous sommes prêts à garantir la permanence de certains moyens pour participer à l'effort collectif. En effet, un partenariat avec les hôpitaux civils suppose que les moyens mis à disposition ne soient pas optionnels. C'est pourquoi nous sommes donc prêts à garantir le maintien d'un niveau d'activité indépendamment de nos engagements opérationnels.

En guise de conclusion, pourriez-vous nous indiquer si la recherche médicale pour laquelle le service de santé des armées a des pôles d'excellence devrait également nouer des partenariats avec des instituts de recherche civils.

Général Jean Debonne - Nos instituts de recherche sont en voie de regroupement et ont déjà noué de nombreux partenariats avec des laboratoires civils. Il n'y a de ce point de vue pas de spécificité de la recherche qui s'inscrit pleinement dans le projet de service que je porte.

Sachez, Monsieur le président, Madame et Messieurs les sénateurs, que le service de santé des armées est entièrement mobilisé pour maintenir la qualité des soins qu'il procure au bénéfice des forces armées. La réforme que nous entreprenons s'inscrit dans le long terme. Elle est à la portée des hommes et des femmes qui composent ce service, mais elle n'aboutira que s'il existe une volonté politique de la mener à bien. C'est pourquoi je suis particulièrement sensible à votre soutien et me félicite du souhait que vous formulez d'accompagner sa mise en oeuvre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Monsieur l'ambassadeur, je vous souhaite la bienvenue au sein de notre commission pour cette audition.

J'ai fait distribuer votre biographie aux membres de la commission qui ont pu immédiatement constater que vous êtes un fin connaisseur de notre pays où vous avez été en poste trois fois comme ambassadeur. Les responsabilités que vous avez assumées au sein du ministère des affaires étrangères comme diplomate mais aussi comme vice-ministre font de vous un interlocuteur particulièrement bien informé et c'est avec un très grand intérêt que nous nous sommes préparés à cet échange.

Vous le savez, Monsieur l'ambassadeur, les relations entre nos deux pays, entre l'Iran et la communauté internationale qui le sanctionne, buttent sur la lancinante question du nucléaire.

En septembre dernier le Président de la République résumait notre appréciation en déclarant à la tribune de l'ONU : « Depuis des années, l'Iran ignore les exigences de la communauté internationale, s'affranchit des contrôles de l'AIEA, ne respecte pas sa propre parole, et pas davantage les résolutions du Conseil de sécurité. J'ai moi-même souhaité qu'une négociation puisse sincèrement avoir lieu et qu'il y ait des étapes qui soient fixées. Là encore cette négociation n'a pas abouti. La France n'accepte pas cette dérive qui menace la sécurité de la région mais, nous le savons, aussi la paix dans le monde. »

Vous connaissez notre position qui est celle du strict respect des obligations que l'Iran a accepté en étant signataire du Traité de non prolifération et de son protocole additionnel que votre pays a décidé d'appliquer. Personne ne conteste le droit de l'Iran à un programme civil. Dans le cadre des négociations du E3+3 (France, Royaume-Uni, Allemagne, Chine, Russie et Etats-Unis) des propositions très concrètes ont été faites pour établir des mesures de confiance et sortir de la crise.

Force est de constater que nous menons, depuis des années, un dialogue de sourds. La durée de cette crise nous permet d'ailleurs de rendre hommage à la qualité de la diplomatie iranienne et de ceux qui la servent.

Deuxième sujet que je vous propose d'aborder : le contexte régional avec, en particulier la guerre civile en Syrie et ses conséquences, l'absence de perspectives de résolution du conflit israélo-palestinien, la poursuite de l'onde de choc des printemps arabes. Tout cela conduit à un risque très important de déstabilisation de l'ensemble de la région. Votre gouvernement soutient le régime syrien tout comme il soutient le Hezbollah. Quelle est votre analyse de la crise syrienne ?

Monsieur l'ambassadeur, je suis conscient que ces deux sujets couvrent déjà un très large spectre pour notre échange. L'Iran est un grand pays, une grande et vieille civilisation, un grand peuple. Mon souhait c'est de voir se résoudre les affrontements actuels afin que tous ensemble, nous oeuvrions pour la paix. Je vais vous passer la parole pour un exposé liminaire et nous procéderons ensuite à un échange avec les membres de notre commission.

SE M Ali Ahani, ambassadeur de la République islamique d'Iran - Je vous remercie, Monsieur le président. Je suis heureux d'être parmi vous. Je vous présente à vous, ainsi qu'à l'ensemble des membres de la commission, mes meilleurs voeux pour la nouvelle année. Je vous remercie également d'avoir exprimé, en toute franchise, vos positions sur mon pays. Ce dialogue participe au processus nécessaire de familiarisation et de compréhension de nos positions mutuelles. Vous avez ainsi évoqué les richesses de notre civilisation très ancienne, sa culture, ses ressources humaines et énergétiques, la place particulière qu'elle occupe au croisement des civilisations de l'est et de l'ouest.

Permettez-moi de vous dire que la diabolisation dont fait l'objet l'Iran, dans certains médias, est regrettable. Elle déforme et masque la réalité de ce pays. A ce titre, je souhaite qu'une délégation sénatoriale puisse se déplacer en Iran afin de rendre compte de la réalité de ce qui s'y déroule, contrairement à ce qui est propagé dans la presse.

A titre liminaire, je souhaite rappeler que la relation franco-iranienne, qui a été, malheureusement influencée par le sujet nucléaire, est enracinée dans l'histoire. Les premiers contacts officiels entre nos deux pays datent de 1291. Nos relations offrent un potentiel important en termes de coopération, qui tend à se réduire, toutefois, progressivement. Les entreprises asiatiques, russes ou chinoises dont certaines performances n'égalent pas celles des sociétés françaises, sont parvenues, néanmoins, à gagner très rapidement des marchés sur ces dernières en Iran. Le volume du commerce bilatéral avec la France s'établit à 3,5 milliards d'euros en 2011. Il s'élève à moins d'un milliard d'euros en 2012. C'est regrettable. Je souhaite que nous dépassions le sujet du nucléaire qui a influencé nos relations afin de renforcer ces dernières dans de nombreux domaines. Les parlementaires peuvent contribuer à cette tâche afin que nos deux gouvernements dialoguent utilement.

S'agissant du nucléaire, le programme n'est pas récent. Il a été élaboré, il y a une cinquantaine d'années, par les Etats-Unis dans le cadre de l'ancien régime. Les Américains ont, en effet, construit un réacteur de recherche à Téhéran qui était approvisionné par eux-mêmes avant la révolution. A l'épuisement des combustibles après la révolution, nous nous sommes adressés à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AEIA) qui nous a proposé d'acquérir du combustible enrichi à un niveau de 20 % auprès de l'Argentine.

En réponse à une nouvelle demande d'approvisionnement de combustible à l'Agence en 2010, cette dernière nous a indiqué que les Etats-Unis, la Russie et la France avaient annoncé leur volonté de nous fournir ce combustible. Nous avons accepté de négocier, tout en avertissant que cet approvisionnement du réacteur était, à nos yeux, crucial. Tout retard nous conduirait à devoir procéder nous même à l'enrichissement. Ils ont proposé de réaliser un échange plutôt qu'une vente. Ils voulaient obtenir 1 200 kilogrammes d'uranium disponibles et enrichis à 3,5 % afin de le transformer en uranium enrichi à 20 %. La France a dit que ce processus était long. Il est de l'ordre de deux années. Nous avons prévenu nos interlocuteurs que, s'ils tentaient de jouer la montre, nous serions obligés de produire nous-mêmes le combustible nécessaire. Or, je me souviens des doutes émis par M. Bernard Kouchner, alors ministre français des affaires étrangères et européennes, quant à notre capacité à maîtriser la technique de production.

Finalement, en l'absence d'accord, nous avons demandé à nos ingénieurs de préparer eux-mêmes ce combustible. Ces derniers y sont parvenus en moins de deux ans.

En conclusion, je tiens à souligner que l'approche des négociations dite « à 5+1 », dans un contexte d'absence de bonne volonté de certains pays, a complexifié le processus. Alors que nous étions à un niveau d'enrichissement de 3,5 % et que nous aurions pu, moyennant un échange, ne pas poursuivre l'enrichissement à 20 % par nous-mêmes, nous avons dû finalement nous y résoudre. Je déplore cette approche. De même que je déplore la méfiance qui entoure notre programme civil nucléaire. Ce programme ne comporte aucun aspect militaire. C'est pourquoi nous avons accueilli les délégations inspectrices et avons respecté l'ensemble des normes.

Je vous propose d'organiser un groupe de travail, composé de personnes qualifiées appartenant à l'AIEA, à votre gouvernement et votre Parlement, afin de vérifier les règles de l'Agence ou du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) que nous aurions prétendument violées. Nous nous sommes toujours conformés à nos obligations. Cependant l'Agence subit des pressions politiques qui l'empêchent d'accomplir sa mission professionnelle. Nous avons annoncé clairement que notre programme n'avait pas de vocation à évoluer vers une capacité militaire. Nous avons accueilli plus de sept mille cinq cents personnes/jour d'inspections, dont cent d'entre elles ont été réalisées de manière inopinée. Leurs caméras sont installées sur les installations nucléaires iraniennes vingt-quatre heures sur vingt-quatre. L'uranium enrichi, sorti des centrifugeuses, était immédiatement scellé par l'Agence. En conséquence, ils savent que nous ne possédons pas la bombe atomique. Toutefois, la méfiance qu'il en soit différemment à l'avenir persiste.

Une telle attitude consiste à accuser une personne en raison de son intention éventuelle. Peut-on imaginer d'interdire l'usage d'un couteau de peur qu'une personne ne commette un crime ? Il serait plus souhaitable de prévoir les conditions empêchant un tel acte. Nous sommes prêts à dialoguer et à donner les garanties que notre programme n'a qu'une finalité civile, en contrepartie de laquelle nous pouvons poursuivre ce programme civil sous la surveillance de l'AIEA.

Quant au protocole additionnel au TNP, il doit toutefois être ratifié par le Parlement. Les négociations avec les trois pays européens, l'Allemagne, la France, et la Grande-Bretagne, avaient débuté en 2003.

Afin de dissiper tout malentendu ou ambiguïté, nous avons accepté de l'appliquer volontairement dès octobre 2003, en l'absence même de ratification. Nous l'avons mis en oeuvre de facto pendant deux ans et demi. Néanmoins, après cette période, notre Parlement a interdit à notre gouvernement de l'appliquer en raison de la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) qu'il juge illégale. L'article 12 des statuts de l'Agence prévoit, en effet, que tout transfert de dossier d'un pays au Conseil de sécurité doit être fondé sur la constatation d'une violation du TNP par les inspecteurs de l'Agence. Ce rapport doit être ensuite transmis au Conseil des Gouverneurs de l'Agence puis au Conseil de Sécurité, en cas d'approbation. Or, il n'y a avait pas de violation du TNP avérée qui justifie un transfert au CNSU. Dans un tel contexte de sanctions et de pressions, quel gouvernement iranien pourrait demander à son Parlement de ratifier le protocole additionnel ?

Il semble que le gouvernement français ait adopté récemment une position plus « réaliste ». En présence des ambassadeurs ainsi qu'à l'occasion de la visite du Premier ministre israélien, M. Benyamin Netanyahu, le Président de la République française, François Hollande, a insisté sur le droit de l'Iran à bénéficier d'une capacité nucléaire civile. M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, en a fait de même devant la conférence des ambassadeurs à Rome. J'ai appelé l'attention de mon gouvernement sur ce changement de ton et le rôle que pourrait jouer la France dans la résolution de ce problème.

Nous sommes ouverts au dialogue. Récemment les représentants de l'Agence étaient à Téhéran. Ils doivent revenir en février afin de finaliser un plan de travail pour qu'ils puissent visiter certains sites militaires qui ne constituent pourtant pas des installations nucléaires. Afin de démontrer notre bonne volonté et transparence, nous avons accepté une telle demande bien qu'elle ne relève pas de la compétence de l'Agence.

Toutefois, nous souhaitons qu'un plan de travail puisse définir les modalités de cette visite. Nous avions accepté précédemment que les équipes de l'Agence, sur leur insistance, visitent le site de Parchin. Le contexte est aujourd'hui différent et le Parlement y est très sensible. Il convient désormais de finaliser, préalablement à cette visite, un plan de travail. Il n'existe aucune manoeuvre de notre part, visant à prétendument effacer des traces nucléaires. C'est impossible car les traces nucléaires ne sont pas effaçables.

Nous sommes prêts à autoriser les visites sur le site de Parchin après la finalisation du plan de travail. Cependant, il faut que les membres du « 5 + 1 » soient réalistes et reconnaissent que l'Iran peut continuer son programme nucléaire pacifique, sous la surveillance de l'Agence. Cela constituerait un pas important.

Bien que nous nous débrouillions bien, je crains des souffrances du peuple iranien à cause des sanctions. Nous connaissons, par exemple, des problèmes d'approvisionnement des malades en médicaments. Nous disposons des moyens financiers pour les acheter mais le blocage des réseaux bancaires nous en empêche et conduit à faire souffrir le peuple et les plus pauvres. Je suis convaincu que la France peut jouer un rôle dans ce dialogue, ainsi que la diplomatie parlementaire.

S'agissant de la Syrie, les relations que nous entretenons avec ce pays sont bonnes depuis longtemps. Ce qui importe aujourd'hui, c'est l'avenir de son peuple. Nous n'y sommes pas indifférents. Le gouvernement syrien a pu commettre certaines erreurs, comme n'importe quel autre gouvernement. Néanmoins, le président syrien, Bachar el-Assad, a été soutenu par sa majorité et l'est encore. On ne peut forcer un chef de l'Etat à quitter ses fonctions, s'il est encore soutenu par la majorité de son peuple et non pas seulement par les alaouites.

Nous avons chacun nos données et nos analyses. Essayons d'établir un dialogue dans cette phase délicate même si nos prises de position sont différentes. Ces dernières doivent être établies de manière réfléchie car toute erreur dans les prises de positions risque d'emporter de graves conséquences. Le dialogue peut contribuer à calmer cette crise. Cette crise n'a d'autre solution que démocratique et non militaire. Il faut arrêter cet affrontement sanglant et préparer le terrain pour le dialogue national et des élections libres et démocratiques. Laissons les citoyens syriens choisir. Il ne nous appartient pas, ni à vous, ni à d'autres pays, de le faire à leur place. Il faut faire attention à ces personnes venues de l'extérieur en Syrie qui aujourd'hui tentent de déstabiliser le pays avec leurs armes et leur appui financier et qui demain menaceront l'Europe.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Monsieur l'ambassadeur, je suis particulièrement heureuse de cette invitation dont j'avais émis le souhait à plusieurs reprises et j'en remercie notre président. L'Iran a une image déplorable dans la presse et dans la diplomatie internationale, dont elle est en partie responsable. Elle est également victime d'un « double standard » qui conduit à lui reprocher certaines positions alors que d'autres pays échappent à l'opprobre international, en dépit de situations similaires.

J'ai de nombreuses questions. Je connais très bien votre pays, au point d'avoir été qualifiée d'agent de l'Etat iranien par les moudjahidine. Être maltraitée par eux est un honneur. Vous pourrez peut-être aborder ce sujet. Ma première question concerne l'impact de l'embargo économique sur nos relations. Peut-on conserver un minimum de relations économiques pour les secteurs qui ne sont pas sous embargo ? Le ministre des affaires étrangères soutient qu'il faut maintenir une diplomatie économique. Nous avons plusieurs dossiers importants qui ne sont pas affectés par ces sanctions. Je pense au cas de la raffinerie Petroplus et de son éventuelle reprise par un entrepreneur iranien qui n'est pas sous le coup de l'embargo ou encore à Peugeot dont nous connaissons les difficultés alors même que les voitures sont très appréciées en Iran. Ma dernière question porte sur l'Arménie, quelle est la nature de votre soutien à ce pays dans le conflit gelé du Haut-Karabagh?

Debut de section - PermalienPhoto de Gilbert Roger

Monsieur l'ambassadeur, je vous remercie de ce dialogue et de la franchise de notre président. Cette rencontre doit nous permettre de mieux comprendre vos positions. L'Iran a accepté de négocier avec l'AEIA. L'accord cadre n'est pas encore finalisé. Vous avez évoqué brièvement l'affaire Parchin. Qu'attendez-vous de la nouvelle rencontre du 13 février ? Quelles procédures votre pays peut-il mettre en oeuvre afin de parvenir à une conclusion ? Comment, d'un point de vue iranien, peut-on lever les verrous afin que nous puissions nous parler et nous comprendre ? Votre pays organisera une élection présidentielle en juin prochain, pouvez-vous nous présenter ses enjeux nationaux et internationaux et préciser éventuellement qui en seront les acteurs ?

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Monsieur l'ambassadeur, je souhaite revenir sur la mauvaise image de l'Iran, que ma collègue Nathalie Goulet a évoquée. Votre pays constitue un grand peuple qui plonge ses racines dans l'Histoire. Vous avez opportunément rappelé la date de nos premières relations. Or, vous ne jouez pas un rôle diplomatique à la hauteur de votre importance dans la région, notamment parce que au-delà de la polémique internationale sur l'utilisation de la capacité nucléaire en Iran, il y a eu également, au plus haut niveau des autorités de l'Etat, et de façon régulière, des déclarations concernant Israël et sa survie qui laissent penser que vous restez dans une volonté de voir Israël disparaître de la carte. Ma question peut apparaître naïve mais ne pensez-vous pas qu'avec la subtilité reconnue de votre diplomatie, il est temps de procéder à un véritable réexamen réaliste de la situation au Moyen-Orient ? Pensez-vous toujours que la présence d'Israël doit être niée ? Ne conviendrait-il pas, au contraire, de prendre acte de la situation telle qu'elle existe et amener cette dernière à composer, car il n'y a pas en Israël que des voix qui militent pour la paix, comme en témoignent les récentes élections. Ne considérerez- vous pas qu'il est temps de faire preuve de réalisme ? L'Iran ne peut-il pas devenir une puissance modératrice qui trace le chemin d'une paix, certes encore lointaine, mais dans lequel il devrait jouer un rôle essentiel ?

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

Je vous remercie, Excellence, d'avoir accepté notre invitation. Je tiens à vous faire part de mes reproches, adressés au président Mahmoud Ahmadinejad, s'agissant de sa déclaration devant les instances internationales, tendant à exprimer une grande sympathie à l'égard du régime nazi, dont ma famille a beaucoup souffert. Ceci étant, j'ai cru percevoir une certaine sympathie envers notre pays dans vos réponses, ce qui est encourageant. Vous affirmez qu'il faut être réaliste. Mais quelle est la situation ? Vous souhaitez obtenir l'énergie nucléaire, à titre pacifique, mais tout le monde vous soupçonne de vouloir la détourner à des fins militaires. L'idée a été avancée que la France qui possède une grande expertise dans le domaine de l'énergie nucléaire civile, construise et fasse fonctionner une centrale nucléaire en Iran. Qu'en pensez-vous ? Nos ingénieurs y demeureraient en permanence afin d'observer l'utilisation qui en est faite et prépareraient vos équipes à son fonctionnement. Il est important que nos relations s'améliorent.

Debut de section - PermalienPhoto de Rachel Mazuir

Le roi Abdallah d'Arabie avait souhaité, dans le passé, la mise en place d'un centre de dialogue interconfessionnel. Le Roi faisait essentiellement référence au dialogue entre sunnites et chiites. Est-ce que ce dialogue est envisageable aujourd'hui ?

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Vous n'avez pas évoqué la question du détroit d'Ormuz, et en particulier l'Arabie saoudite et le Qatar. Comment éviter une militarisation croissante de cette région ? En Syrie, il faut reprendre le dialogue et nous savons bien que la Russie a un rôle central à jouer. Il semble que la proposition du président Bachar el-Assad lors de son discours du 7 janvier ne puisse pas convenir. Quelles sont, selon vous, les perspectives d'évolutions sachant que l'Iran figure parmi les nations, telles que la Russie, ou la Chine, dans une moindre mesure, qui souhaitent l'application d'une formule politique qui ne passe pas nécessairement par l'éviction de Bachar el-Assad ? Que se passera-t-il si la guerre civile se poursuit ? Et quel est l'objectif de votre diplomatie, notamment envers la Russie ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Vous avez mentionné que le président Bachar el-Assad était soutenu par une majorité de Syriens. Comment le vérifier ?

SE M. Ali Ahani - Je répondrai tout d'abord à Mme Nathalie Goulet et la remercie de sa question car nous sommes effectivement victimes d'un traitement qui consiste à faire « deux poids et deux mesures ». S'agissant des droits de l'homme, l'Iran est un pays qui tente de les respecter et de les promouvoir, même si des lacunes demeurent. Aucun Etat ne peut prétendre les respecter parfaitement. Après la révolution, nous avons modifié un grand nombre de lois et créé les conditions de la promotion de ces droits. La situation des personnes incarcérées dans les prisons iraniennes ainsi que la mise en oeuvre des droits civiques ne sont comparables, à tout le moins, avec certains pays dans le voisinage immédiat de l'Iran. Le dialogue tend à favoriser la promotion des droits de l'homme. Ainsi que Mme Nathalie Goulet y a fait allusion, beaucoup de critiques sont formulées contre l'Iran mais jamais contre certains autres pays.

Je suis convaincu qu'il faut dialoguer afin de promouvoir les droits de l'homme et surtout favoriser la coopération judiciaire. Vous pouvez, si vous le jugez pertinent, proposer à votre gouvernement de préparer ce dialogue.

En ce qui concerne les moudjahidine, ils forment une secte terroriste. Ils abusent aujourd'hui des facilités que leur procure la loi afin de préparer leurs plans. Ils ont joué un rôle destructif en Irak, aux côtés de Saddam Hussein, contre les chiites et les kurdes. Ils ont assassiné plus de 16 000 citoyens iraniens. Ils ont incendié plusieurs bus à Téhéran et dans d'autres villes. Ce sont des terroristes. Je regrette qu'après être récemment parvenus à ne plus figurer sur la liste européenne et américaine des groupes terroristes, ceux-ci aient obtenu une liberté d'action dans votre pays. Ils ont ainsi organisé un colloque à l'Assemblée nationale. C'est vraiment regrettable !

Ils n'ont pas été reçus devant la commission, au Sénat.

SE M. Ali Ahani - J'espère que vos collègues parlementaires, sénateurs et députés, seront plus vigilants afin de ne pas être piégés par les moudjahidine.

Pour revenir aux relations économiques, nous sommes désolés que les entreprises françaises soient privées du marché iranien. J'ai participé, il y a plus de vingt-deux ans, à la conclusion de l'accord avec Peugeot qui a permis la mise en oeuvre d'une coopération qui a duré plus de vingt ans. Malheureusement, le partenariat de Peugeot avec General Motors les a conduits à devoir cesser leur collaboration avec l'Iran. C'est dommage car d'autres sociétés vont la remplacer rapidement. Or les entreprises françaises ont pourtant laissé une bonne image en Iran. En outre, la plupart des secteurs économiques ne sont pas affectés par les sanctions. Les entreprises françaises craignent de nouer des relations avec l'Iran, par peur des États-Unis.

A titre de prolongement, je regrette la décision de Total de ne plus approvisionner Iran Air ici depuis plus d'un an. Les Etats-Unis ont décidé, il y a deux ans, d'interdire aux compagnies pétrolières de vendre plus de cinq millions de dollars de fuel par an à Iran Air. Aujourd'hui, Total refuse de vendre du fuel à Iran Air même dans le plafond imposé par les Américains.

Quant au conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, nous avons de bonnes relations avec les deux parties. Nous cherchons à jouer un rôle qui vise à calmer les positions des deux protagonistes. Nous ne mettons pas d'huile sur le feu. Malheureusement, notre pays a été cerné par les crises dans les dernières décennies. Nous nous sommes toujours efforcés de jouer un rôle stabilisateur et de calmer les crises. C'est ce que nous avons fait à propos de l'Irak, de l'Afghanistan, et du conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan.

S'agissant de l'AEIA, nous attendons qu'elle respecte nos droits légitimes. Nous avons demandé, dans le cadre des négociations en cours, qu'un plan de travail soit établi, avant la visite des sites convenus avec leurs représentants. Il est également important que les règles de procédure soient respectées. Ainsi, les Etats Unis ont fourni à l'Agence des documents permettant de suspecter l'Iran de ne pas se conformer à ses obligations. Il serait normal que nous puissions en prendre connaissance afin d'y répondre. Cependant les Etats-Unis n'autorisent pas l'Agence à mettre ces documents à notre disposition. Ce n'est ni normal ni acceptable.

Nous voulons que cette dernière accomplisse sa mission professionnelle, en dépit des pressions politiques qui, jusqu'à présent, l'en ont empêchée. L'Iran est un membre responsable du TNP qui en respecte les règles et insiste sur ses droits légitimes. Aux termes de l'article 4 du traité, tout pays membre a le droit d'enrichir de l'uranium à des fins d'utilisation civile, sous la surveillance de l'Agence. C'est ce que nous désirons et, nous insistons, c'est notre droit. Des divergences existent quant aux modalités de cette surveillance. Il convient donc de dialoguer pour parvenir à un compromis. Nous sommes ouverts et disponibles.

En ce qui concerne l'élection présidentielle, elle se déroulera en juin. Les esprits s'animent. Les enjeux sont importants, notamment en termes de chômage et d'inflation.

Ce qu'il convient de retenir, c'est qu'en dépit des sanctions destinées à déstabiliser et paralyser notre pays, nous sommes parvenus à progresser et aller de l'avant. Notre peuple a bien résisté. Il va résister encore. Ces sanctions ont renforcé l'unité nationale. L'explosion interne tant attendue n'est pas intervenue. La vie quotidienne des Iraniens continue, indépendamment des sanctions et des difficultés. Cela fait trente ans que nous vivons sous le coup de sanctions. Leur récent durcissement peut créer des difficultés mais ne va pas nous paralyser. L'Iran est un grand pays avec ses ressources humaines et énergétiques et sa situation géopolitique. Il est doté d'une quinzaine de voisins et bénéficie de plus de 1 200 kilomètres de côtes. Nous n'acceptons pas de telles sanctions illégales. Toutefois, nous parvenons à franchir les obstacles que celles-ci dressent devant nous avec courage et pragmatisme. Quant à son rôle diplomatique, encore une fois, permettez-moi de vous dire que l'Iran s'efforce de jouer un rôle stabilisateur. Je prends un exemple : lorsque Saddam Hussein a envahi le Koweït, nous avons accueilli des réfugiés koweïtis, alors même que ce pays avait soutenu l'Irak pendant la guerre contre nous pendant les huit années qu'a duré le conflit. Nous ne nous sommes pas vengés.

Pour revenir sur la déclaration du président Mahmoud Ahmadinejad, il n'a jamais proféré les menaces auxquelles vous faites allusion. Ces propos ont été déformés par les médias. Je tiens à vous citer les paroles de M. Dan Meridor, ministre israélien, en charge du Renseignement et de l'Énergie atomique, qui ont été tenues lors d'une interview, donnée en avril 2012, à Al Jazeera, et qui ont été reprises par le New York times. Il a admis que le président iranien n'avait jamais prononcé la phrase « Israël doit être rayé de la carte ». C'est quand même un ministre israélien qui le reconnaît ! Pour autant, ces propos que le président Ahmadinejad n'a pas tenus lui sont toujours reprochés. Certes, nous avons une position claire sur le régime sioniste. Cependant, l'Iran n'a jamais menacé d'envoyer des troupes afin de rayer Israël de la carte. Il faut être vigilant afin de ne pas se laisser piéger par certains médias.

Nous avons choisi de mener une politique constante de stabilité fondée sur la connaissance de notre région. Nous ne sommes malheureusement pas écoutés. A titre d'illustration, je mentionnerai qu'en janvier 2012, lors de la cérémonie des voeux pour le corps diplomatique, et après l'assassinat de quatre soldats français en Afghanistan, le Président de la République, Nicolas Sarkozy, a reconnu l'échec du talibanisme et du Quartet. Le jour même, je rencontrais le conseiller diplomatique du Président et je lui ai rappelé que deux années auparavant, nous avions prévenu que la négociation des Américains et des Anglais avec les talibans en Afghanistan n'aboutirait pas. De même, quand le Quartet a été mis en place, l'Iran a été le seul pays qui, bénéficiant d'une parfaite connaissance de la région, a averti que la procédure de Quartet n'aboutirait pas et que ce ne pouvait être qu'un échec. Cela a été finalement reconnu après plusieurs années par M. Nicolas Sarkozy.

S'agissant de la crise syrienne, l'Iran a insisté sur le fait de devoir respecter la démocratie. Si vous défendez la démocratie, vous devez l'accepter pour tout le monde. Il faut accorder les droits à l'ensemble des pays, selon le procédé démocratique, une voix, un vote. Il faut l'accepter aussi pour le Bahreïn, pour la Palestine. Les réfugiés palestiniens doivent pouvoir être entendus et se prononcer aussi sur leur avenir.

Il convient toutefois de s'entendre sur le sens du mot démocratie.

SE M. Ali Ahani - Vous pouvez contribuer à définir ce sens commun et dialoguer pour parvenir à un compromis.

Il n'y a pas de compromis, s'agissant de la démocratie.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

Vous n'avez pas répondu à ma question.

SE M. Ali Ahani - J'y viens : le crime perpétré par les nazis a été une tragédie. Il n'est, néanmoins, pas acceptable d'interdire l'étude de ses dimensions dans un but historique.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

L'étudier oui, le contester : non. En faire l'apologie, encore moins.

SE M. Ali Ahani - Je connais des historiens qui ont voulu étudier cette période mais ont été condamnés. On ne peut nier cette tragédie. Elle ne concerne pas seulement les Juifs, mais de nombreux autres groupes humains de différentes nationalités.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

Les premiers groupes déportés dans des camps de concentration étaient les homosexuels, les francs-maçons et les Tziganes.

SE M. Ali Ahani - Vous avez mentionné les paroles du président François Hollande. Le ton qu'il emploie nous apparaît plus équilibré. Son prédécesseur avait prôné le renforcement des sanctions et créé une coalition autour de lui dans ce but. J'espère que le président Hollande tentera de le compenser et dépasser ces difficultés. Il en va de l'intérêt de tous.

Pour répondre à votre question Monsieur le président Poncelet, la France peut construire une centrale en Iran. Notre programme de développement prévoit la construction d'une vingtaine de centrales nucléaires. La France est la bienvenue et peut coopérer à ce projet. Toutefois, l'Iran revendique l'application de ses droits dans le cadre du TNP. Elle souhaite obtenir la technologie nucléaire à des fins pacifiques. Mais après avoir construit des centrales nucléaires, comment peut-on faire confiance pour acheter le combustible nécessaire qui est toujours soumis aux circonstances politiques internationales ? C'est pourquoi nous voulons être capables, sous la surveillance de l'Agence, de produire notre combustible qui a besoin d'un enrichissement d'uranium à 3,5 %.

S'agissant du dialogue entre les religions, nous y sommes favorables, l'Iran l'a toujours soutenu comme l'illustrent les échanges sur l'islam et le christianisme, avec l'Autriche et le Vatican. Nous aidons également au dialogue entre sunnites et chiites. Il convient d'insister sur le plus grand dénominateur commun. Nous croyons tous en Dieu. Il faut aller dans ce sens afin d'éviter les affrontements.

En ce qui concerne le détroit d'Ormuz, l'Iran est plus intéressé que tout autre pays à ce que soit garantie la libre circulation du pétrole et de l'énergie. Nous agissons en ce sens et nous espérons que des circonstances politiques internationales permettent que tout le monde puisse en profiter équitablement.

Sur la Syrie, nous sommes en contact avec l'ensemble des acteurs et groupes syriens à, l'exception de ceux qui ont une position trop radicale alors qu'ils ne sont pas syriens. La crise syrienne n'a pas de solution militaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Comme au Mali !

SE M. Ali Ahani - C'est exact. Là encore la crise de ce pays illustre les traitements discriminatoires dont font l'objet certains pays et territoires. On lutte contre ces éléments au Mali alors qu'on soutient ces mêmes éléments en Syrie.

Ils n'ont pas envahi la Syrie ! Ce n'est pas tout à fait pareil.

SE M. Ali Ahani - Nous sommes en contact avec tous les groupes. L'Iran aide à la résolution de la crise. Nous avons présenté un plan en six points afin d'ouvrir la porte à un dialogue national et créer les conditions démocratiques de l'expression du peuple syrien. Le président syrien est-il soutenu ? Comment peut-on le vérifier ? Pour répondre à cette question, il convient de laisser s'exprimer le peuple syrien à l'occasion des élections futures.

Je ne peux prédire l'évolution des relations entre la France et l'Iran, Toutefois il nous appartient de définir la suite à donner à cette rencontre. Peut être donnera-t-elle lieu à une visite dans votre pays ?

SE M. Ali Ahani - Vous l'avez bien compris. Nous sommes favorables au dialogue. Une rencontre avec vos homologues parlementaires est envisageable. Vous serez les bienvenus.