Intervention de Amiral Edouard Guillaud

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 12 septembre 2013 : 1ère réunion
Loi de programmation militaire — Audition de l'amiral edouard guillaud chef d'état-major des armées

Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées :

Je vous remercie de me recevoir et mesure toute la difficulté que présente l'exercice. J'espère, après l'audition du ministre de la défense, pouvoir vous apporter quelques compléments.

Une partie de vos questions trouvera ses réponses dans le corps de mon exposé. Je les compléterai directement, si vous en êtes d'accord, avant que l'on ne passe aux questions.

J'ai bien noté vos interrogations ; elles ne me surprennent pas. Je les partage pour tout dire en grande partie, car il existe toujours des risques dans ce que nous faisons.

Comme vous le savez, la LPM 2014-2019 constitue la première étape vers la réalisation du modèle d'armée défini par le Livre blanc. Avant de rentrer dans le vif du sujet, je voudrais vous faire part de trois remarques.

Tout d'abord, la réalisation d'un modèle d'armée constitue toujours un défi ; ce défi repose sur deux paris.

Le premier est parier que d'ici à 2025, c'est-à-dire dans douze ans, le monde évoluera comme nous l'imaginons aujourd'hui. Or, il y a douze ans, presque jour pour jour, les attentats de New York et Washington bousculaient un monde que nous pensions recomposé. L'Europe de la défense était encore pleine de promesses, et le retour de la France dans la structure intégrée de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) n'était pas à l'ordre du jour.

Le second pari est celui du volontarisme budgétaire, au regard de nos besoins et du contexte économique. Or, les besoins des armées évoluent et, souvent, la réalité économique diverge des prévisions. Ici également, l'histoire récente invite à la prudence.

Pourtant, la France doit relever ce défi de la réalisation du modèle d'armée. C'est une responsabilité de la Nation. Nos forces engagées sur le terrain doivent avoir les moyens de remplir leurs missions et, pour cela, disposer d'équipements adaptés, d'un entraînement suffisant, de conditions de vie et de travail satisfaisantes. Ce sera encore vrai en 2025. C'est dire l'importance que revêt la LPM.

Deuxième remarque : nous disposons aujourd'hui d'une armée immédiatement employable, efficace mais fragilisée.

A l'heure où je vous parle, un peu plus de 8 000 soldats, aviateurs et marins français sont en opération extérieure (OPEX), sur un peu plus de 20 000, déployés hors du territoire métropolitain -Afrique, Moyen-Orient, Asie, Balkans. D'autres sont mobilisés sept jours sur sept, que ce soit dans les missions de dissuasion ou pour la protection de nos concitoyens. D'autres encore sont en alerte, prêts à intervenir où et quand il le faudra. Cette diversité des postures correspond à la réalité du monde et à celle de nos missions : des théâtres variés, des menaces diversifiées, des conditions d'emploi allant de l'action ponctuelle à l'engagement durable, en national ou en coalition.

Les récents succès de nos armées ne doivent rien au hasard. Ils reposent sur quatre paramètres : la cohésion des femmes et des hommes de la défense, la préparation opérationnelle, la disponibilité d'un matériel de qualité, et enfin la réactivité. Ces quatre facteurs et une organisation adaptée donnent à nos autorités politiques une véritable liberté d'action. C'est un capital qui doit être préservé : toute fragilisation de l'un ou l'autre de ces paramètres affecterait la liberté d'action politique.

Or, avec des marges de manoeuvre financières de plus en plus limitées, la gestion passée a rendu délicat l'arbitrage permanent entre les capacités dont nous avons besoin aujourd'hui et celles dont nous aurons besoin demain. Aujourd'hui, celles qui concourent à la protection de nos concitoyens et du territoire national sont précarisées. Deux exemples : la couverture radar de notre espace aérien n'est pas optimisée ; les capacités nécessaires à l'action de l'État en mer sont déficitaires, notamment en patrouilleurs. La posture de dissuasion est tenue, mais sous forte contrainte. Les opérations extérieures soulignent à chaque fois nos principales insuffisances dans des capacités indispensables au renseignement et à la projection de nos forces : drones, transport aérien, ravitaillement en vol, hélicoptères de manoeuvre et hélicoptères lourds. Enfin, la préparation opérationnelle est grevée par l'augmentation des coûts du soutien. La situation actuelle est rendue plus instable par l'empilement des réformes conduites sur fond d'engagement permanent.

Troisième remarque : le Président de la République a choisi de conserver un niveau d'ambition stratégique élevé pour la France. Dans le contexte économique que nous connaissons, cette décision n'allait pas de soi. Je voudrais à cette occasion souligner la détermination du ministre de la défense.

Le Livre blanc 2013 exprime une ambition nationale inchangée dans ses grands objectifs, avec une stratégie militaire articulée autour de trois grandes missions : la protection des Français et du territoire national, la dissuasion nucléaire, la capacité d'intervention à l'extérieur du territoire national. Il définit le modèle d'une armée encore réduite dans son format, mais qui se veut « complet » et financièrement soutenable.

J'en arrive à la LPM. Mon analyse s'articule autour de trois idées. Premièrement, le projet de LPM prend en compte les priorités de nos armées pour le court et le moyen terme. En conséquence, et deuxièmement, des domaines jugés moins prioritaires à court terme sont mis sous tension. Troisièmement, je voudrais attirer votre attention sur certains aspects de la programmation qui, au-delà même de la cohérence du modèle, déterminent sa viabilité dès maintenant.

Les ressources budgétaires inscrites au projet de LPM s'élèvent à 183,9 milliards d'euros courants sur la période. Ces crédits sont complétés par d'importantes ressources exceptionnelles concentrées sur les quatre premières années : 6,1 milliards d'euros courants au total. Nous devrions donc compter sur 190 milliards d'euros courants pour l'ensemble de la législature. Cela représente un engagement fort de l'État. Nous en sommes pleinement conscients.

Au regard des priorités de nos armées, la LPM permet de conjuguer engagement opérationnel et préparation de l'avenir. Elle marque un effort au profit de la préparation opérationnelle, socle de l'efficacité d'une armée. Cet effort, qui porte principalement sur l'entretien programmé des matériels, permettra dans un premier temps de disposer d'un niveau de préparation opérationnelle globalement comparable aux prévisions de 2013, niveau toutefois inférieur de 15 à 20 % aux normes communément admises. Il devrait, à partir de 2016, tendre vers ceux-ci.

Cet effort est malgré tout indispensable. Ces dernières années, les indicateurs d'activité opérationnelle ont connu une érosion continue, qui s'est accentuée en 2012. Elle s'explique par des crédits d'entretien programmé du matériel (EPM) insuffisants, alors que les coûts augmentaient. Ni la diminution des parcs, ni le prélèvement de pièces détachées dans les stocks n'ont permis de les compenser. Les tensions créées sur de nombreux stocks ont fini par affecter la disponibilité des matériels, notamment des plus anciens. Cette année, la prévision de la disponibilité est de 40 % pour les véhicules de l'avant-blindé (VAB), 48 % pour les frégates, et 60 % pour les avions de combat de l'armée de l'air.

Pourtant, les crédits consacrés à l'EPM dans le cadre de ce projet de loi progresseront en valeur de 4 % par an en moyenne sur la période 2014-2019, et de 5,5 % dès 2014. C'est donc un point de satisfaction.

Les effets de ces efforts financiers devraient être renforcés par l'application du principe de différenciation, qui commande d'équiper et d'entraîner nos forces au juste besoin, des forces que l'on distinguerait plus finement en fonction de leurs missions les plus probables. Nous n'en mesurons pas encore tous les bénéfices en termes de coût et d'organisation, mais c'est l'un des fondements du nouveau modèle, et chaque armée travaille à sa mise en oeuvre. J'aurais du mal à être plus précis pour le moment. D'une certaine façon, la différenciation existait déjà. Nous l'identifions mieux et allons voir si nous pouvons en tirer plus de bénéfices.

Un exemple de différenciation réside dans le fait que tous les pilotes n'ont pas toutes les qualifications pour certaines missions. On ne demande pas à tous les navires d'être simultanément au maximum de leur savoir-faire....

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