Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 12 septembre 2013 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

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  • LPM
  • militaire

La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Nous recevons aujourd'hui M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, pour évoquer la loi de programmation militaire (LPM) dont il nous a fait une présentation générale la semaine dernière. La commission des finances s'en est saisie pour avis, de même que la commission des lois pour examiner les questions de judiciarisation et de renseignement.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Reiner

Le rapport annexé à la loi de programmation, qui comporte des éléments importants, a-t-il la même valeur juridique que celle-ci ? Si ce n'était pas le cas, nous déposerions des amendements pour transférer certains de ses éléments dans la loi.

L'autonomie stratégique est l'un des quatre principes fondateurs de notre politique de défense. Sur quels grands équipements s'appuie-t-il ? Le spatial devrait en être une composante essentielle : c'est manifestement un volet distinct. En matière d'alertes spatiales ou d'écoutes électromagnétiques, nous nous sentons en retard.

Parmi les huit programmes majeurs, lesquels ont d'ores et déjà fait l'objet de renégociations avec les industriels ?

Notre commission salue l'augmentation des crédits de recherche et l'engagement à les porter à 730 millions d'euros par an. Comment seront-ils ventilés ? En vertu de la loi de programmation, les crédits de recherche relatifs à la dissuasion nucléaire risquent d'augmenter dans les années à venir : il y a là un risque d'éviction des autres crédits.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Gautier

Cette loi de programmation n'est certes pas parfaite, mais je veux saluer, au nom du groupe UMP, l'engagement du ministre dans son élaboration.

Le rapport annexé indique que « dans l'hypothèse où le montant de ces recettes exceptionnelles, ou le calendrier selon lequel les crédits correspondants pourraient être affectés au budget de la défense feraient l'objet d'une modification substantielle, ayant une conséquence significative sur le respect de la programmation, d'autres recettes exceptionnelles seront mobilisées ». Il serait plus sûr de transférer cette précision dans le corps de la loi.

Le texte prévoit en outre l'adaptation des deux derniers sous-marins nucléaires lanceurs d'engin (SNLE) aux missiles M 51 : les quatre que nous possédons auront ainsi été rénovés et adaptés à ce missile plus performant. Mais vous engagez déjà les travaux d'élaboration des SNLE de troisième génération et le développement des M 51.3. Or les discussions sur la limitation de l'armement nucléaire pourraient reprendre. En outre, l'évolution des technologies et de la connaissance du champ électromagnétique peuvent freiner la sécurisation des SNLE. Enfin, des effets d'éviction sont en effet à craindre. Ne vaudrait-il pas mieux maintenir des crédits de recherche et repousser les décisions en 2020, puisque les SNLE de deuxième génération et les M 51, nous sommes tranquilles pour une quinzaine d'années ?

Le principe de différenciation des forces armées découle du Livre blanc sur la défense. Son application pour l'armée de l'air et la marine se comprend. Mais dans l'armée de terre, il ne faudrait pas aboutir à une armée à deux vitesses, qui distinguerait les guerriers - envoyés dans les opérations extérieures, les entrées en premier et la stabilisation des situations dans les moments de haute intensité - et les métros chargés de la protection du territoire dans le cadre du plan Vigipirate : ce serait une catastrophe.

La LPM n'évoque pas la légalisation des sociétés militaires privées. Le ministère y réfléchit depuis longtemps. Nous savons que le dépavillonnement des navires n'est pas rare. Nous sommes prêts à déposer une proposition de loi pour y remédier : est-ce nécessaire ?

Debut de section - PermalienPhoto de André Vallini

La LPM procède à évolution juridique en matière judiciaire. Comment pensez-vous que cette évolution sera perçue par les familles de militaires victimes, qui réclament davantage de transparence - souvenez-vous de l'affaire d'Uzbin ? En particulier, confier le monopole de l'action publique au parquet ne risque-t-il pas d'être mal perçu par l'opinion ?

Enfin, que pensez-vous de la proposition de loi du député Jacques Myard pénalisant la participation de Français à des conflits armés hors du territoire de la République sans accord de la France ?

Debut de section - PermalienPhoto de Gilbert Roger

La préparation opérationnelle, inférieure de 15% aux normes en vigueur, devrait augmenter vers 2016. Pour les pilotes d'hélicoptère, nous sommes 25% en dessous des normes fixées par l'OTAN. Comment conserver notre crédibilité dans ce contexte ?

La gouvernance du ministère sera réformée ; pourtant, cela ne marche pas si mal...

Enfin, les élus savent que de nouvelles fermetures de bases sont envisagées. Quelles sont les fermetures prévues pour 2014 ? Sont-elles vraiment indispensables ?

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Pozzo di Borgo

Les sociétés militaires privées représentent un marché estimé entre 200 et 400 milliards de dollars. En la matière, notre pays a des atouts à faire valoir, notamment par rapport à la concurrence anglo-saxonne, mais nous souffrons de l'absence de réglementation claire. À terre, notre réticence s'explique par le monopole public de l'emploi de la force armée, mais si nous n'avançons pas dans le domaine de la protection en haute mer par exemple, les armateurs français risquent de dépavillonner leurs navires.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense

Je suis favorable à la reconnaissance des sociétés militaires privées dans le domaine du transport maritime, car la marine nationale ne peut pas tout faire. Je l'ai fait savoir aux acteurs du secteur. Nous sommes proches d'aboutir. J'y suis défavorable en revanche pour les activités terrestres, car cela s'apparenterait à du mercenariat, ce qui est contraire à notre tradition républicaine et à nos convictions. Vous pouvez d'ores et déjà rassurer nos armateurs : un projet de loi pourrait être bientôt déposé par Frédéric Cuvillier.

Le rapport annexé à la LPM n'a pas valeur normative. Je ne suis pas opposé à ce que les points sensibles soient transférés, par vos amendements, dans le corps de la loi.

Au sein du renseignement, le spatial est un volet essentiel de cette loi de programmation, car c'est une composante majeure de notre souveraineté et de notre autonomie stratégique. Nous allons renouveler nos capacités dans tous les domaines. Dans l'observation spatiale d'abord, notamment l'imagerie haute résolution : nos satellites Helios 2 et le système Pléiades seront complétés par la nouvelle génération de satellites Musis, plus performants. Dans les capacités de renseignement spatial ensuite, avec le programme d'écoute électromagnétique Ceres, entièrement financé par la loi de programmation. Celui-ci ne sera opérationnel qu'en 2020 : c'est le délai incompressible de développement technique. Nous nous dotons en outre d'une nouvelle génération de satellites de télécommunications spatiales Sicral 2 et Athena-Fidus, développés avec nos partenaires italiens, puis en fin de période des satellites Comsat nouvelle génération en remplacement des Syracuse III. Une dizaine de satellites seront ainsi lancés d'ici 2020.

En matière de surveillance de l'espace, nous avons besoin d'une approche européenne pour pérenniser l'outil existant - radar Graves - et développer de nouveaux moyens. S'agissant des lanceurs spatiaux, en particulier d'Ariane 6, des décisions restent à prendre qui seront mises en oeuvre avec le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. C'est un sujet peu débattu, mais de première importance.

Les grands équipements qui répondent aux enjeux de notre autonomie stratégique sont, outre ceux relatif à la dissuasion, au renseignement, et à l'espace, ceux qui renforcent nos outils de lutte contre la cybermenace et nos capacités de frappe de précision à distance - missiles Scalp et missiles de croisière navals.

Les drones, cheval de bataille du Sénat, sont une priorité de notre politique de renseignement. La LPM prévoit l'acquisition de douze drones Reaper de moyenne altitude longue endurance (Male). Nous avons dû les acheter sur étagère - ce qui n'était pas initialement prévu. Les deux premiers seront en fonction dès cette année à Niamey. Il faudra européaniser les dix autres, c'est-à-dire adapter les capteurs et charges utiles au ciel européen. Nous attendons les industriels européens sur cette question, qui peut être réglée rapidement. Italiens et Britanniques sont confrontés au même problème d'insertion de leurs drones Reaper dans leur ciel. C'est pourquoi j'ai proposé de créer un club d'utilisateurs de Reaper, dont la porte reste ouverte à ceux qui n'ont pas encore choisi, comme les Allemands.

Ces acquisitions ont vocation à être dépassées par la prochaine génération de drones, qu'il faut anticiper pour être prêts, d'ici 2023-2025. Lors du salon du Bourget, trois grands groupes industriels ont manifesté leur intention de travailler de concert : je m'en félicite.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

et Finmeccanica.

Les 730 millions d'euros de crédits de recherche sont garantis annuellement. Ils seront ventilés en fonction de la montée en puissance des différents projets.

Les programmes pour lesquels les négociations avec les industriels ont repris sont Barracuda et les hélicoptères NH 90. Nous les abordons tout juste pour les frégates multi-missions (Fremm), les hélicoptères Tigre et les avions de transport A 400M. Il restera à ouvrir les discussions sur le Felin et le Rafale. Elles devraient prendre fin avant la fin de l'année.

Lors de l'université d'été de la défense à Pau, sept grands groupes industriels ont pris une position publique forte. Je l'approuve.

Cette loi de programmation est cohérente et équilibrée, et n'a de sens que si elle est réalisée totalement : enlevez une pierre de l'édifice et vous le ferez s'écrouler. Je suis conscient de cette fragilité. Certains beaux esprits me disent qu'aucune loi de programmation n'a été entièrement réalisée : je le sais, mais j'espère être le premier à réussir !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Je rejoins Jacques Gautier sur le risque d'éviction des crédits de dissuasion. Attention aussi à la péremption. Avez-vous un calendrier pour le développement du nouveau SNLE de nouvelle génération, celui de troisième génération, et le M 51.3 ? Bref, comment envisagez-vous la dissuasion à l'horizon 2020 ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Les crédits de dissuasion s'élèvent à 23,3 milliards d'euros d'ici 2020, soit 12% du total des crédits de la LPM.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

L'élaboration du SNLE de troisième génération et la mutation des têtes nucléaires font partie des décisions prises par le président de la République lors du dernier conseil des armements nucléaires. Je pourrais vous communiquer les détails pour les futurs M 51.2 et M 51.3, mais l'agenda des travaux du prochain SNLE n'est pas encore arrêté. Une partie des 730 millions d'euros de crédits de recherche seront affectés à ces programmes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Cela renforce mes craintes relatives aux propos de Jacques Gautier.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Non : 23 milliards d'euros sont d'ores et déjà affectés à la dissuasion. Ne restent que les études en amont sur le SNLE de troisième génération.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Gautier

Jean-Pierre Chevènement veut être sûr qu'ils feront partie de la programmation, moi je ne veux pas que le SNLE de troisième génération concentre tous les crédits d'étude.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Je rassure Jean-Pierre Chevènement : nous garantirons la dissuasion sur la longue durée. Les décisions de principe concernant l'évolution du M 51 et les têtes nucléaires ont été prises. La mise en service du nouveau SNLE est prévue pour les années 2030. La rénovation à mi-vie du missile air-sol moyenne portée améliorée (Asmpa) sera pour sa part effectuée grâce à la ligne de 23,2 milliards d'euros et non grâce aux crédits d'étude.

Monsieur Gautier, je suis favorable à ce que les engagements de révision des crédits soient placés dans le corps de la loi.

Le risque de différenciation des brigades que vous soulignez n'est pas fictif, mais je le crois secondaire. La maquette de la future armée de terre prévoit deux brigades adaptées à l'entrée en premier et au combat de coercition, trois brigades multi rôles, équipées et entraînées pour la gestion de crise, et deux brigades légères, susceptibles d'intervenir rapidement dans des milieux difficiles. Chacune ont leur mission. Il n'y a pas de brigade plus valorisante qu'une autre. Que les militaires affectés dans les bases de défense se sentent dévalorisés par rapport aux autres, et que les dispositifs s'ignorent mutuellement, voilà le véritable risque.

Sur la judiciarisation, ce texte témoigne d'un souci d'équilibre entre les dispositions pénales adaptées à l'action de combat et les réponses à apporter aux attentes des familles de victimes. Pour l'instant, il n'y a pas eu d'événement de judiciarisation autres que symboliques. La LPM ne fait que renforcer certaines mesures procédurales. Le parquet détenait déjà le monopole de l'action publique pour les Français commettant des délits à l'étranger, à l'exclusion des militaires : cette exception est supprimée. Ce n'était en revanche pas le cas pour les crimes, il nous a semblé nécessaire de le faire dès lors qu'il s'agissait de militaires dans l'accomplissement de leurs missions opérationnelles. Nous avons clarifié la situation afin que les possibilités d'action en justice ne mettent pas en cause le fonctionnement de nos opérations extérieures.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

En effet. L'affaire d'Uzbin a montré que le droit n'était pas adapté. Confier le monopole de l'action publique au parquet n'empêche nullement les familles de porter plainte, ni le parquet de s'autosaisir : les responsables des armées ne sont en aucun cas en position d'immunité. Les armées ont mis en place des dispositifs d'accompagnement des blessés et des familles de militaires victimes. J'en ai rencontré de nombreuses. Elles doivent avoir le droit de saisir la justice, mais il ne faut pas tomber dans le travers d'une judiciarisation excessive.

Debut de section - PermalienPhoto de André Vallini

Il est vrai que la voie entre ces deux exigences est très étroite. Je suis élu d'un département qui a vu disparaître plusieurs soldats en Afghanistan. Toutes les familles m'ont assuré de l'efficacité des dispositifs de soutien psychologique et moral que dispense l'armée. Celle-ci est véritablement, toutes le disent, une grande famille.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Bockel

Pouvez-vous préciser votre méthode en matière de restructurations ? L'est de la France a subi les conséquences de la première révision générale des politiques publiques, et devrait souffrir à nouveau : nous aimerions être associés aux décisions prises. Quelle incidence faut-il en attendre sur les 1 100 personnes qui composent les forces pré-positionnées ? Ne sommes-nous pas allés au bout de la logique d'économies dans le soutien ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Je ferai connaître le premier train de restructurations à la fin du mois, pour ce qui concerne les restructurations mises en oeuvre en 2014 : il faut prévenir les services et les unités suffisamment tôt. Je prendrai le temps nécessaire pour mesurer les conséquences de chaque mesure. Les décisions qui concernent la période 2015-2019 seront prises à l'été ou l'automne 2014.Une analyse fonctionnelle, plus longue et plus délicate, est nécessaire, afin de partager les efforts entre services centraux et services de soutien.

La déflation des forces pré-positionnées s'élève en effet au nombre de 1 100 si l'on inclut les forces outre-mer. La carte des forces pré-positionnées proprement dites sera surtout revue en Afrique. Elles se trouvent pour l'heure à Dakar, Libreville, Djibouti. Il faut y ajouter les opérations extérieures qui se prolongent : à N'Djamena, Niamey, Ouagadougou, Abidjan, Bamako, Bangui. La priorité est de conserver une réactivité, celle sans laquelle nous n'aurions pu intervenir au Mali, en République centrafricaine pour protéger l'aéroport de Bangui ou au Niger pour aider le président Issoufou contre les attaques terroristes dont Niamey a fait l'objet. Une réorganisation intelligente consiste à diminuer nos effectifs en augmentant notre présence.

Nous ne sommes pas hostiles à la proposition de loi de Jacques Myard, à condition qu'elle ne soit pas redondante avec l'arsenal législatif existant.

Monsieur Roger, les indicateurs dont nous disposons ne sont pas ceux que vous avez indiqués. Alors que la préparation opérationnelle est un enjeu fondamental, elle a souvent servi, par facilité, de variable d'ajustement pour financer des programmes d'investissement. Je m'y refuse. La LPM a vocation à arrêter la baisse tendancielle de ses crédits, et même à les augmenter pour nous faire rentrer dans les normes réactualisées. Les chefs d'état-major des armées y sont, à juste titre, très attentifs.

Vous estimez que la situation du ministère n'était pas si mauvaise et ne justifiait pas une réorganisation. Dois-je rappeler que j'ai trouvé en arrivant un report de charges de 3 milliards d'euros, le désastre du système Louvois, une baisse d'effectifs engagée par le précédent gouvernement qui se traduisait par une hausse du nombre d'officiers et une dérive salariale permanente ? C'était la faute de tout le monde et ce n'était celle de personne : le système était ainsi fait. Il fallait y remédier, faute de quoi l'équilibre de la LPM aurait été impossible à atteindre.

J'ai donc voulu un système de gouvernance plus clair, plus simple, où chacun - le chef d'état-major des armées, le directeur général de l'armement, le secrétaire général pour l'administration - est doté de compétences bien définies. Les crédits de personnel ont été unifiés, l'autorité fonctionnelle des directions des affaires financières et des ressources humaines renforcée, l'organisation territoriale des soutiens simplifiée.

Vous n'ignorez pas quelles étaient auparavant les redondances et l'absence de communication entre réseaux verticaux, les dysfonctionnements des bases de défense que j'ai constatés personnellement... Pour changer une ampoule à la caserne de Sarrebourg, il fallait remonter jusqu'à Paris !

Debut de section - PermalienPhoto de Gilbert Roger

Le rapport que j'ai écrit avec M. Dulait mentionnait d'autres exemples similaires à Charleville et Toulouse...

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Il fallait donc simplifier l'organisation du ministère, y compris l'attribution des compétences : c'est l'objet d'un décret adopté hier en conseil des ministres.

Quant aux bases de défenses, certaines seront peut-être regroupées, mais je ne peux encore vous dire lesquelles : il me faut du temps.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

Comment la nouvelle LPM compte-t-elle renforcer l'accompagnement économique des restructurations ? Vous avez dit à Pau vouloir tirer les leçons des expériences précédentes. Un calendrier a-t-il été fixé ? Comment associerez-vous les élus locaux à ce travail ? Et quel avis portez-vous sur la restructuration des bases aériennes, par exemple celle de Cambrai ?

On parle beaucoup des recettes exceptionnelles. À combien évaluez-vous le produit des ventes immobilières ?

L'entretien des surfaces d'entraînement, indispensable au maintien en condition opérationnelle des troupes, a souvent servi de variable d'ajustement lors de l'exécution des précédentes lois de programmation. Qu'est-ce qui garantit que ce ne sera plus le cas à l'avenir ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jeanny Lorgeoux

À Djibouti ne devraient plus rester que 600 soldats. Ne faudrait-il pas réaménager le collier de perles de nos bases africaines ? Et qu'en est-il de la « pérennité temporaire », si j'ose cet oxymore, de nos soldats au Mali ?

Pouvez-vous en dire plus sur le nouveau décret relatif à la répartition des attributions au sein du ministère ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

La judiciarisation que nous constatons est-elle, selon vous, la conséquence de la disparition des tribunaux des forces armées ou de l'évolution de la société ?

Quel bénéfice escomptez-vous du regroupement des pôles compétents pour instruire et juger les affaires liées aux opérations extérieures ? La spécialisation des magistrats compensera-t-elle l'éloignement des lieux où les faits sont commis ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Berthou

La cyberdéfense joue un rôle grandissant. Comment entendez-vous coordonner l'action du ministère, des industriels et des autres acteurs économiques, afin d'éviter la dispersion des réflexions et des moyens ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Pour assurer le respect de la programmation, le projet de loi contient des clauses de sauvegarde pour les ressources exceptionnelles, les opérations extérieures et le coût des carburants, mais aussi une clause de revoyure et un rapport annuel d'exécution. Nous nous en félicitons. Mais peut-être faut-il renforcer encore ces garanties, pour que l'exécution de la loi y soit aussi fidèle que possible : je sais que vous y êtes attaché. La clause de sauvegarde des ressources exceptionnelles pourrait ainsi être incluse dans la partie normative du texte, et il pourrait être prévu - car j'ai entendu le Président de la République parler de crédits budgétaires - que si les recettes escomptées ne sont pas au rendez-vous, d'autres ressources seront dégagées sur la base d'un financement interministériel. Je ne veux pas vous attirer les foudres de vos collègues, monsieur le ministre. Nous prendrions nous-mêmes les devants.

En outre, pourquoi ne pas prévoir au Parlement un débat annuel sans vote sur l'exécution de la loi de programmation, au moment du dépôt du rapport ? Cela renforcerait le contrôle de l'exécution budgétaire, mais cela nous donnerait aussi l'occasion de vous aider. Peut-être direz-vous que cela alourdirait excessivement la procédure, mais je reste très attaché à cette idée.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Je suis tout à fait favorable à ce que le Parlement exerce régulièrement son contrôle sur l'exécution de la loi de programmation, sans doute parce que j'ai longtemps été moi-même parlementaire. Tout ce qui garantit la bonne exécution du texte - rapport annuel, clauses de sauvegarde, révision en 2015 - me satisfait pleinement, mais tout ne dépend pas de moi. De même, j'appuierai tout ce qui peut conforter l'équilibre et la cohérence du texte. Cette loi sera difficile à mettre en oeuvre, mais les efforts demandés sont indispensables pour que les avancées prévues par ailleurs se traduisent dans les faits.

Madame Demessine, je ne suis pas encore tout à fait prêt à vous répondre sur l'accompagnement des restructurations. Je constate seulement que les sommes prévues lors des précédentes programmations n'ont pas toujours été bien utilisées. Il faut trouver les voies d'un accompagnement efficaces.

Nous escomptons environ 200 millions d'euros par an de ressources immobilières.

Sur la base aérienne de Cambrai, comme sur les autres sites, je ne prendrai pas d'engagement que je ne pourrai pas tenir.

Quant aux sites d'entraînement, je vais en visiter un cet après-midi, pour marquer l'importance que j'y attache. Ils sont indispensables à la préparation opérationnelle de nos troupes.

Monsieur Lorgeoux, il n'est pas question de renoncer à nos implantations en Afrique mais de les organiser différemment. Je n'ai pas tranché sur le périmètre, mais sur un chiffre global. Compte tenu du contexte international, la base de Djibouti conservera évidemment un rôle très important.

Au Mali, nous avons maintenu un peu plus longtemps que prévu des troupes nombreuses pour assurer une présence visible de nos soldats lors des élections présidentielles récentes, puis des prochaines législatives. La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) ne sera pas encore complètement installée à cette date. Mais en fin de compte, il ne devrait plus y avoir que 1 000 soldats français environ au Mali en 2014.

La judiciarisation est-elle liée à la disparition des tribunaux des forces armées ? Je la crois plutôt due aux évolutions sociales. Quoi qu'il en soit, je ne pouvais pas rester sans réagir, car cette tendance risquait de désorganiser profondément l'action militaire : un officier doit pouvoir donner un ordre sans craindre que celui-ci soit invalidé par un tribunal. Le regroupement des pôles compétents et la spécialisation des magistrats auront pour effet, j'en suis sûr, que les affaires seront mieux jugées.

En ce qui concerne la cyberdéfense, je crois que M. Montebourg annonce en ce moment même que la cybersécurité a été retenue parmi les filières industrielles éligibles au soutien de l'État. La cyberdéfense en fait partie. Il s'agit bien de créer une culture partagée. Je me suis saisi très tôt de cette question, et vous avez pu constater les avancées très importantes du projet de LPM dans ce domaine, qu'il s'agisse de l'évolution du droit ou de l'augmentation des effectifs.

Le décret adopté hier sur les attributions ne fait que revenir au statu quo ante 2009 pour éviter une double chaîne hiérarchique. Le Président de la République, le Premier ministre, le ministre de la défense, le chef d'état-major des armées ont chacun leurs compétences. Ce dernier est placé sous l'autorité du ministre, sans préjudice des attributions particulières du Président de la République dans le domaine nucléaire. Le ministre de la défense doit jouer son rôle dans l'emploi des forces. Pour ma part, j'entretiens des relations très fluides avec le Président de la République, mais je pense surtout à mes successeurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Amiral, nous vous souhaitons la bienvenue.

Nous sommes désireux d'entendre vos analyses sur le projet de loi de programmation militaire (LPM), dont le Sénat est saisi, ce qui devrait permettre, je l'espère, son adoption rapide.

Je serai donc bref, en vous livrant cependant quelques questions...

Le nouveau format permettra-t-il de sauvegarder la cohérence de notre modèle d'armée, de préserver nos compétences, et de remonter en puissance quand le retour à bonne fortune économique le permettra ? Il y a là une forte interrogation...

La trajectoire financière est-elle en ligne avec les ambitions affichées ? Est-elle soutenable, avec 6 milliards de ressources exceptionnelles ? Nous avons fait savoir au ministre, peu de temps avant votre venue que, quel que soit l'avis du Gouvernement, nous pensions protéger ces 6 milliards dans la partie normative, et que nous avions l'ambition de mettre en oeuvre un système de contrôle et d'accompagnement des plus précis, au plus près de son exécution.

Un tiers des déflations d'effectif portera sur les unités opérationnelles : c'est considérable. Nous sommes très attachés au moral et à la manière dont on traite les hommes. Quelle répartition entre armées, civils et militaires, et quand sera annoncée la prochaine carte militaire ? Je rappelle que nous devrions perdre une brigade interarmes...

La « différenciation » n'est-elle pas l'appellation pudique d'une armée à deux vitesses, tant en matière d'entraînement que d'équipement ? Comment la mettre en oeuvre dans les différents milieux ? Nous ne sommes guère favorables à ce type d'armée et aimerions être rassurés...

Enfin, comment les personnels de la défense vivent-ils cette période ? Nous avons quelques idées pour les rassurer. Nous allons essayer de les mettre en oeuvre au moment du vote de la loi, mais si vous avez une demande à formuler auprès de nous, elle sera écoutée avec beaucoup d'attention.

Je vous cède à présent la parole...

Debut de section - Permalien
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées

Je vous remercie de me recevoir et mesure toute la difficulté que présente l'exercice. J'espère, après l'audition du ministre de la défense, pouvoir vous apporter quelques compléments.

Une partie de vos questions trouvera ses réponses dans le corps de mon exposé. Je les compléterai directement, si vous en êtes d'accord, avant que l'on ne passe aux questions.

J'ai bien noté vos interrogations ; elles ne me surprennent pas. Je les partage pour tout dire en grande partie, car il existe toujours des risques dans ce que nous faisons.

Comme vous le savez, la LPM 2014-2019 constitue la première étape vers la réalisation du modèle d'armée défini par le Livre blanc. Avant de rentrer dans le vif du sujet, je voudrais vous faire part de trois remarques.

Tout d'abord, la réalisation d'un modèle d'armée constitue toujours un défi ; ce défi repose sur deux paris.

Le premier est parier que d'ici à 2025, c'est-à-dire dans douze ans, le monde évoluera comme nous l'imaginons aujourd'hui. Or, il y a douze ans, presque jour pour jour, les attentats de New York et Washington bousculaient un monde que nous pensions recomposé. L'Europe de la défense était encore pleine de promesses, et le retour de la France dans la structure intégrée de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) n'était pas à l'ordre du jour.

Le second pari est celui du volontarisme budgétaire, au regard de nos besoins et du contexte économique. Or, les besoins des armées évoluent et, souvent, la réalité économique diverge des prévisions. Ici également, l'histoire récente invite à la prudence.

Pourtant, la France doit relever ce défi de la réalisation du modèle d'armée. C'est une responsabilité de la Nation. Nos forces engagées sur le terrain doivent avoir les moyens de remplir leurs missions et, pour cela, disposer d'équipements adaptés, d'un entraînement suffisant, de conditions de vie et de travail satisfaisantes. Ce sera encore vrai en 2025. C'est dire l'importance que revêt la LPM.

Deuxième remarque : nous disposons aujourd'hui d'une armée immédiatement employable, efficace mais fragilisée.

A l'heure où je vous parle, un peu plus de 8 000 soldats, aviateurs et marins français sont en opération extérieure (OPEX), sur un peu plus de 20 000, déployés hors du territoire métropolitain -Afrique, Moyen-Orient, Asie, Balkans. D'autres sont mobilisés sept jours sur sept, que ce soit dans les missions de dissuasion ou pour la protection de nos concitoyens. D'autres encore sont en alerte, prêts à intervenir où et quand il le faudra. Cette diversité des postures correspond à la réalité du monde et à celle de nos missions : des théâtres variés, des menaces diversifiées, des conditions d'emploi allant de l'action ponctuelle à l'engagement durable, en national ou en coalition.

Les récents succès de nos armées ne doivent rien au hasard. Ils reposent sur quatre paramètres : la cohésion des femmes et des hommes de la défense, la préparation opérationnelle, la disponibilité d'un matériel de qualité, et enfin la réactivité. Ces quatre facteurs et une organisation adaptée donnent à nos autorités politiques une véritable liberté d'action. C'est un capital qui doit être préservé : toute fragilisation de l'un ou l'autre de ces paramètres affecterait la liberté d'action politique.

Or, avec des marges de manoeuvre financières de plus en plus limitées, la gestion passée a rendu délicat l'arbitrage permanent entre les capacités dont nous avons besoin aujourd'hui et celles dont nous aurons besoin demain. Aujourd'hui, celles qui concourent à la protection de nos concitoyens et du territoire national sont précarisées. Deux exemples : la couverture radar de notre espace aérien n'est pas optimisée ; les capacités nécessaires à l'action de l'État en mer sont déficitaires, notamment en patrouilleurs. La posture de dissuasion est tenue, mais sous forte contrainte. Les opérations extérieures soulignent à chaque fois nos principales insuffisances dans des capacités indispensables au renseignement et à la projection de nos forces : drones, transport aérien, ravitaillement en vol, hélicoptères de manoeuvre et hélicoptères lourds. Enfin, la préparation opérationnelle est grevée par l'augmentation des coûts du soutien. La situation actuelle est rendue plus instable par l'empilement des réformes conduites sur fond d'engagement permanent.

Troisième remarque : le Président de la République a choisi de conserver un niveau d'ambition stratégique élevé pour la France. Dans le contexte économique que nous connaissons, cette décision n'allait pas de soi. Je voudrais à cette occasion souligner la détermination du ministre de la défense.

Le Livre blanc 2013 exprime une ambition nationale inchangée dans ses grands objectifs, avec une stratégie militaire articulée autour de trois grandes missions : la protection des Français et du territoire national, la dissuasion nucléaire, la capacité d'intervention à l'extérieur du territoire national. Il définit le modèle d'une armée encore réduite dans son format, mais qui se veut « complet » et financièrement soutenable.

J'en arrive à la LPM. Mon analyse s'articule autour de trois idées. Premièrement, le projet de LPM prend en compte les priorités de nos armées pour le court et le moyen terme. En conséquence, et deuxièmement, des domaines jugés moins prioritaires à court terme sont mis sous tension. Troisièmement, je voudrais attirer votre attention sur certains aspects de la programmation qui, au-delà même de la cohérence du modèle, déterminent sa viabilité dès maintenant.

Les ressources budgétaires inscrites au projet de LPM s'élèvent à 183,9 milliards d'euros courants sur la période. Ces crédits sont complétés par d'importantes ressources exceptionnelles concentrées sur les quatre premières années : 6,1 milliards d'euros courants au total. Nous devrions donc compter sur 190 milliards d'euros courants pour l'ensemble de la législature. Cela représente un engagement fort de l'État. Nous en sommes pleinement conscients.

Au regard des priorités de nos armées, la LPM permet de conjuguer engagement opérationnel et préparation de l'avenir. Elle marque un effort au profit de la préparation opérationnelle, socle de l'efficacité d'une armée. Cet effort, qui porte principalement sur l'entretien programmé des matériels, permettra dans un premier temps de disposer d'un niveau de préparation opérationnelle globalement comparable aux prévisions de 2013, niveau toutefois inférieur de 15 à 20 % aux normes communément admises. Il devrait, à partir de 2016, tendre vers ceux-ci.

Cet effort est malgré tout indispensable. Ces dernières années, les indicateurs d'activité opérationnelle ont connu une érosion continue, qui s'est accentuée en 2012. Elle s'explique par des crédits d'entretien programmé du matériel (EPM) insuffisants, alors que les coûts augmentaient. Ni la diminution des parcs, ni le prélèvement de pièces détachées dans les stocks n'ont permis de les compenser. Les tensions créées sur de nombreux stocks ont fini par affecter la disponibilité des matériels, notamment des plus anciens. Cette année, la prévision de la disponibilité est de 40 % pour les véhicules de l'avant-blindé (VAB), 48 % pour les frégates, et 60 % pour les avions de combat de l'armée de l'air.

Pourtant, les crédits consacrés à l'EPM dans le cadre de ce projet de loi progresseront en valeur de 4 % par an en moyenne sur la période 2014-2019, et de 5,5 % dès 2014. C'est donc un point de satisfaction.

Les effets de ces efforts financiers devraient être renforcés par l'application du principe de différenciation, qui commande d'équiper et d'entraîner nos forces au juste besoin, des forces que l'on distinguerait plus finement en fonction de leurs missions les plus probables. Nous n'en mesurons pas encore tous les bénéfices en termes de coût et d'organisation, mais c'est l'un des fondements du nouveau modèle, et chaque armée travaille à sa mise en oeuvre. J'aurais du mal à être plus précis pour le moment. D'une certaine façon, la différenciation existait déjà. Nous l'identifions mieux et allons voir si nous pouvons en tirer plus de bénéfices.

Un exemple de différenciation réside dans le fait que tous les pilotes n'ont pas toutes les qualifications pour certaines missions. On ne demande pas à tous les navires d'être simultanément au maximum de leur savoir-faire....

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Tous les pilotes n'ont pas non plus toutes les qualifications sur tous les appareils.

Debut de section - Permalien
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées

Il s'agit donc de bien l'identifier en termes de savoir-faire opérationnel...

Le projet de LPM prend donc en compte l'une de nos principales difficultés mais permet par ailleurs d'investir dans les équipements, en cohérence avec les priorités du Livre blanc. L'agrégat « équipements » sera doté de 102 milliards d'euros courants sur la période, soit 54 % des ressources totales. A ce propos, je voudrais souligner quelques points.

Premièrement, en euros 2013, la trajectoire des crédits d'équipement est quasiment stable à 16,1 milliards d'euros annuels en moyenne sur la période 2014-2019, c'est-à-dire au niveau de la loi de finances initiale (LFI) 2013. Or, le coût des facteurs -qui englobe le prix des matières premières, de la technologie ainsi que les coûts de production industrielle- est toujours supérieur à l'inflation. Dans le monde occidental, il est, sur les trente dernières années, en moyenne, supérieur à l'inflation de 1 %. Conséquence immédiate, nous serons tenus, sur la période de la LPM, de poursuivre les efforts de productivité au sein de l'ensemble du ministère de la défense, pour compenser les effets de l'érosion inéluctable du pouvoir d'achat dans ce domaine.

Deuxièmement, l'effort d'équipement porte prioritairement sur les programmes dits « à effet majeur ». Ils représentent 34 milliards d'euros entre 2014 et 2019, soit 5,7 milliards d'euros par an en moyenne. Point positif, il n'y aura ni abandon, ni renoncement. En revanche, tous les programmes seront touchés : cadences de livraison revues à la baisse, échéances de lancement de programme ou de livraison de matériel décalées.

L'exemple emblématique est le Rafale. Nous en réceptionnerons vingt-six sur l'ensemble de la période, au lieu de onze par an.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

N'était-ce pas plus que ce que le prévoyait la LPM précédente ?

Debut de section - Permalien
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées

En effet. Celle-ci avait été construite sous un certain nombre de contraintes, mais c'était le minimum pour éviter de passer de l'industrialisation à l'artisanat d'art !

Ce ralentissement de cadence représente cependant 47 %. Il se répercute évidemment directement sur la montée en puissance des unités. Au lieu de transformer un escadron en deux ans, il en faudra cinq ! Cela signifie inévitablement des réductions temporaires de capacités. J'espère qu'elles ne deviendront pas définitives. C'est l'un de mes sujets de préoccupation...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

La commission estime que si Dassault réussit à exporter et signe son contrat, tout se passera conformément à nos souhaits, mais la clause de revoyure nous permet de reconsidérer le rythme en cas de mauvaise fortune !

Debut de section - Permalien
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées

Je terminerai sur la clause de revoyure et sur son importance...

Troisièmement, le reste de l'agrégat « équipements » se répartit principalement sur trois domaines. Il s'agit de l'EPM, dont j'ai déjà parlé -21 milliards d'euros- la dissuasion -23 milliards d'euros, soit une progression de près de 30 % sur la période pour assurer le renouvellement des deux composantes. A l'origine, elle devait augmenter davantage...

Le troisième domaine, d'un montant de 25 milliards d'euros, concerne des programmes d'armement moins emblématiques, mais gages de la cohérence organique et capacitaire des forces, des opérations d'infrastructure et des études -même s'il a été rappelé, à l'occasion de l'université d'été de la défense, que nous conservions un niveau important d'études. Dans le contexte de vieillissement des parcs et de l'infrastructure, la dotation de ce domaine est donc, si l'on est optimiste, juste suffisante et, si l'on est pessimiste, juste insuffisante.

Ce budget doit permettre de financer les priorités du Livre blanc : connaissance et anticipation, cyberdéfense et préparation de l'avenir. Le renforcement de la fonction connaissance et anticipation sera poursuivi, en particulier dans le domaine du renseignement spatial, avec les programmes MUSIS pour l'imagerie et CERES pour le renseignement d'origine électromagnétique. Au titre de la montée en puissance de la cyberdéfense, plusieurs centaines de postes seront créés sur la période 2014-2019 dans le domaine de la lutte informatique et de la sécurité des systèmes d'information.

Enfin, l'effort est marqué pour la préparation de l'avenir, soit 748 millions d'euros au titre du projet de loi de finances pour 2014, et une moyenne de 730 millions d'euros sur la période sur la période 2014-2019. Le Délégué général pour l'armement vous en parlera plus savamment que moi en détail. C'est un point de satisfaction. Il n'était pas évident de continuer à pouvoir prendre en compte le court et moyen terme, et préparer l'avenir sans obérer le présent.

Deuxième idée directrice : le financement des priorités que je viens d'évoquer créera d'inévitables tensions sur les armées, dans deux domaines en particulier, le fonctionnement et la masse salariale.

S'agissant du fonctionnement, dont une part significative contribue directement à l'activité opérationnelle des forces -crédits d'entraînement et carburants opérationnels par exemple- de nouvelles économies très volontaristes sont programmées à hauteur de plus de 600 millions d'euros sur la période 2014-2019, soit près de 100 millions dans le projet de loi de finances 2014. Ces mesures d'économie s'appliqueront alors que le fonctionnement est déjà marqué par une très forte rigidité des dépenses. Au bilan, l'objectif est de contenir les coûts de structure hors OPEX à environ 3,5 milliards d'euros par an en moyenne sur la période 2014-2019.

Cette très forte contrainte sur le fonctionnement se répercutera sur les conditions de vie et de travail du personnel, d'autant que, dans le domaine de l'infrastructure, les ressources ne permettront plus de satisfaire nos objectifs de maintenance préventive. Le ratio de maintenance par mètre carré restera ainsi très inférieur au ratio considéré comme satisfaisant : 4 euros par mètre carré alors qu'on estime qu'il en faut 11 !

Concernant les dépenses de personnel, la programmation du titre II prend en compte une économie de l'ordre de 4,5 milliards d'euros sur la période, au titre de la déflation des effectifs et des mesures de « dépyramidage ». Ainsi, les crédits budgétaires programmés passent de 11,2 milliards d'euros en loi de finances initiale 2013 à 10,4 milliards d'euros en 2019, soit 64 milliards d'euros, hors OPEX et pensions, sur la LPM, représentant 34 % des ressources totales.

De plus, la programmation du titre II prend en compte une enveloppe de mesures catégorielles plafonnée à 45 millions d'euros par an, c'est-à-dire diminuée de moitié par rapport à la précédente LPM, alors que de nouveaux efforts sont demandés au personnel.

Cette réduction des dépenses de la masse salariale est un défi pour le ministère de la défense et donc pour les armées, ministère qui devra supprimer 34 000 postes entre 2014 et 2019, et dépyramider. Il est notamment prévu de supprimer de 1 000 à 1 100 postes d'officiers par an, soit trois fois et demie la déflation moyenne réalisée sur la période 2008-2013, dans un contexte de réforme des retraites, et alors même que les reconversions dans le secteur privé sont de plus en plus difficiles en raison de la crise économique. J'observe à cet égard que le taux d'encadrement des armées mesuré ou pris stricto sensu est déjà inférieur à l'objectif moyen annoncé de 16 %.

Enfin, concernant le budget des OPEX, le projet de LPM prévoit une provision à hauteur de 2,7 milliards d'euros sur la période 2014-2019, soit 450 millions d'euros par an, contre 630 millions d'euros en loi de finances initiale 2013. Cette provision est adaptée aux nouveaux contrats opérationnels et à une reconfiguration du dispositif en Afrique et des forces prépositionnées. La maîtrise de cette enveloppe relève en partie de décisions politiques, faute de quoi le financement des dépenses liées aux OPEX pèserait sur les équipements.

Ma troisième idée directrice est que l'équilibre physico-financier de la programmation est fragile. La construction de la LPM intègre des hypothèses volontaristes, sur lesquelles il convient d'être particulièrement attentif. C'est pour moi un point de vigilance.

Les ressources ont en effet été programmées dans un contexte de forte contrainte budgétaire, ce qui fait évidemment peser des risques significatifs sur son exécution, si les principales hypothèses de construction ne se vérifient pas. Ces risques concernent en particulier les ressources, la masse salariale, les dépenses d'équipement, et le fonctionnement.

Les risques financiers liés aux ressources sont de deux types.

D'abord, les conditions d'entrée en LPM : tout abattement de ressources en 2013 -annulation partielle de la réserve de précaution initiale, ou autofinancement des surcoûts OPEX- amplifierait le report de charges que nous prévoyons pour la fin 2013, déjà proche de 3 milliards d'euros. Une dégradation déstabiliserait de facto l'entrée en LPM.

Le deuxième risque est lié aux ressources exceptionnelles. La stabilité en valeur des ressources totales de la « mission défense », les trois premières années de la LPM, telle qu'elle a été rappelée par le Président de la République et demandée avec force par le ministre de la défense, est conditionnée par la mise à disposition effective des ressources exceptionnelles, dont le montant prévisionnel représente près du double de la précédente loi. Or, la mise à disposition de ces ressources doit encore être consolidée sur l'ensemble de la période.

Dans l'hypothèse d'une non-réalisation partielle de ces ressources, le projet de loi comprend une clause de sauvegarde de nature à rassurer, pour autant que les notions de « modification substantielle » ou « de conséquence significative sur le respect de la programmation » ne fassent pas l'objet d'une lecture exagérément restrictive par les services financiers de l'État. Il est par conséquent important que le texte garantisse explicitement l'obtention de l'intégralité des ressources, telles qu'elles ont été programmées dans le projet de LPM.

Le second risque financier réside évidemment dans la masse salariale, enjeu essentiel.

La déflation des effectifs et le dépyramidage des effectifs militaires sont conditionnés par l'application des mesures d'aide financières au départ et le reclassement du personnel militaire dans les fonctions publiques. A défaut, les dépenses de masse salariale risquent de ne pas être tenues, en particulier l'objectif d'un glissement-vieillesse-technicité (GVT) quasiment nul -( +5 M€ par an). Le troisième risque financier concerne les dépenses d'équipement.

Dans l'attente de la renégociation des grands contrats avec les groupes industriels, différentes hypothèses ont été retenues pour établir un référentiel de programmation des programmes à effet majeur. Ces hypothèses sont très naturellement optimistes avec, pour l'exportation du Rafale, deux contrats d'exportation à moyen terme et un à plus long terme ; s'ils ne se concrétisaient pas, la programmation serait gravement affectée.

De même, les besoins de l'infrastructure ont été fortement contraints, en prenant en compte le décalage des livraisons et les réductions de cible des grands programmes d'armement, réduisant de facto les besoins pour les grandes opérations. Pour autant, l'impact financier des restructurations dans ce domaine devra être consolidé lorsque les décisions politiques sur les sites concernés auront été prises. Les décisions ne sont pas encore prises...

Pour finir, il existe des risques associés aux autres dépenses. J'en retiens deux...

Les carburants opérationnels : une clause de sauvegarde est prévue par le projet de rapport annexé pour couvrir les éventuels surcoûts liés à une hausse du prix des produits pétroliers et ainsi garantir les volumes de carburants nécessaires à la réalisation de l'activité opérationnelle des forces. Cette clause de sauvegarde existait déjà dans la loi de programmation militaire 09-14 et a effectivement été utilisée. Par contre, d'autres, comme celle relative à la masse salariale, n'ont pas été acceptées par Bercy. Second risque, celui du fonctionnement : la réalisation d'importantes économies nécessitera un effort de rationalisation supplémentaire et donc de réorganisation, alors que les réformes liées à la précédente LPM ne sont pas encore achevées, y compris les déflations prévues, 10 000 sur 34 000 restant à mettre en oeuvre...

Enfin, le projet de LPM prévoit l'élaboration d'un plan ministériel d'amélioration de la condition du personnel (PACP). Ce plan répond à une forte attente de la communauté militaire, tout comme le chantier de la réforme du régime de rémunération des militaires. Je me réjouis tout particulièrement des mesures visant à protéger les militaires en opérations des risques de judiciarisation de leurs actions -énorme avancée selon moi- et également de celles destinées à améliorer la protection des familles de soldats blessés en opérations. Elles sont une avancée très positive.

La préservation du moral est en effet l'une des premières conditions du succès des réorganisations qui s'annoncent. L'accumulation des réformes de structure et la nécessité de maîtriser les dépenses courantes de fonctionnement ont un impact évident sur l'état d'esprit de la collectivité militaire et de tous ceux qui servent la défense. Ces mesures manifestent la reconnaissance de l'engagement de nos militaires, ainsi que des spécificités de leurs missions : ce sont des points essentiels pour le moral et l'efficacité des armées.

Pour conclure, en raison du contexte géostratégique, économique et financier, cette nouvelle LPM sera particulièrement complexe à mettre en oeuvre. Il importera d'en mesurer les premiers résultats dès 2015, pour être en mesure d'instruire de façon efficace la clause de revoyure prévue. Il faudra donc s'assurer de la cohérence des choix opérés. Vous avez dit, Monsieur le Président, que vous porteriez une attention particulière à leur réalisation : cela rejoint tout à fait ma préoccupation.

Le chef des armées -le Président de la République- a pris des engagements forts. Le ministre de la défense les porte avec détermination. Votre vigilance, Mesdames et Messieurs les parlementaires, sur les conditions d'exécution du budget et les ressources exceptionnelles sera cruciale. C'est un combat collectif que nous devons mener ensemble. C'est un combat que nous devons gagner, pour la défense de nos concitoyens, de notre pays et de ses intérêts.

Vous m'avez demandé si le format resterait cohérent, permettrait de préserver nos compétences et d'envisager une remontée en puissance. J'ai dit qu'il s'agissait bien, selon moi, de pouvoir remonter en puissance après retour à meilleure fortune. C'est toujours un exercice difficile, mais ceci implique la préservation d'un certain nombre de compétences. Certains avaient par exemple envisagé de supprimer notre savoir-faire en termes de capacités de largage à très grande hauteur. Nous sommes à peu près les seuls, avec les Etats-Unis, à savoir encore le faire. Ceci a été utilisé en Afghanistan, dans des régions montagneuses, mais également au Mali, où il fallait que les avions volent très haut pour ne pas être entendus au sol. C'est une petite niche, que nous essayons de préserver. Nous sommes les seuls en Europe à savoir le faire.

La cohérence découle de tout ceci. Il s'agit pour nous de ne pas nous reposer sur d'autres, dont nous ne pourrions garantir la disponibilité en cas de besoin. C'est là tout le débat sur la mutualisation capacitaire -le « pooling and sharing ».

Quant aux trajectoires financières, on est juste suffisant si l'on est optimiste, juste insuffisant si l'on est pessimiste. Je souligne qu'il est important que les ressources exceptionnelles soient au rendez-vous à la date prévue. Cela n'a pas été le cas lors de la précédente LPM. En outre, il faut que les lois de finances exécutées ressemblent un peu plus que ce n'est aujourd'hui le cas aux lois de finances initiales et que, 15 jours après qu'elles soient entrées en vigueur, on ne nous supprime plusieurs centaines de million d'euros !

Debut de section - Permalien
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées

Cela remonte à quelques dizaines d'années...

Je ne puis malheureusement vous donner l'impact des déflations sur la carte militaire. Le ministre prévoit de faire les premières annonces à la fin du mois. Par ailleurs, s'agissant de la répartition, lors des précédentes LPM, on était partis sur 75 % pour les militaires, 25 % pour les civils. On est arrivé à 78-22. Il est intéressant de voir pourquoi. On prétend augmenter le taux de civils. Mais la réduction des effectifs vise principalement le soutien, là où les civils sont les plus nombreux. Difficile alors de la réaliser sans toucher aux opérationnels. Jusqu'à présent, ce ne sont pas les civils qui partent en opération !

Savez-vous combien l'opération Serval comptait de civils ?... Deux ! Il s'agissait d'anciens militaires, agents sous contrat de l'économat des armées -de quasi-agents de l'Etat. Mes homologues britanniques et américains m'ont demandé comment je m'y étais pris au Mali avec tous les civils. Je leur ai expliqué que je n'en avais pas. Ce sont des gens qui sont en uniforme, et qui sont régulièrement obligés de tenir un fusil pour se défendre, à Gao ou à Tombouctou.

La répartition entre civils et militaires n'est donc pas simple. Elle ne l'est pas non plus lorsqu'un certain nombre de postes sont ouverts aux civils dans les bases de défense et qu'on ne trouve pas de candidat ! Or, ces postes doivent être tenus. N'arrivant pas à trouver de civils, je nomme donc des militaires ! Cela augmente artificiellement leur proportion. Commençons par fournir tous les postes ouverts aux civils -ce qui est loin d'être le cas !

Il y a quelques années, on avait prévu des chefs de groupement de soutien de bases de défense civils. Il y en a eu, mais parfois, faute de candidats, on a été obligés de nommer des militaires.

Il ne s'agit pas simplement de catégories C, mais également de catégories B et A !

Cela n'aide pas au changement de répartition ou au rééquilibrage -appelons-le comme on veut ! C'est une réalité vécue chaque jour, et un vrai souci. On en arrive à conseiller à certains militaires de devenir civils pour pouvoir les engager ! C'est ce qui s'est passé à Cherbourg, où la même personne, sur le même poste, est passée instantanément de cinq galons panachés au statut d'administrateur civil !

Ce n'est pas plus simple dans les autres ministères, où les commissions mixtes paritaires (CAP) émettent un veto quasiment systématique à l'intégration de militaires !

Tous les cinq ou six ans, on nous dit que nous allons pouvoir partir dans les autres administrations. Ce n'est pas vrai ! J'ai même vu un officier recruté comme inspecteur des finances. Au bout d'un an, le corps des inspecteurs des finances a décidé qu'il ne pouvait intégrer un officier ayant fait une grande école militaire.

Vous avez également évoqué la différenciation. Le risque réside évidemment dans une armée à deux vitesses -et les trois chefs d'état-major sont d'accord avec moi. C'est évidemment ce que nous voulons éviter. Cela aurait des influences énormes sur le moral et sur le recrutement. Ce serait extrêmement discriminant. Nous y faisons très attention...

Je n'ai pas de recette miracle, mais on apprend en marchant !

Debut de section - Permalien
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées

C'est bien ce que nous voulons établir.

Enfin, le moral, comme dans toute période de restrictions, est évidemment un sujet de préoccupation majeure, d'autant qu'il s'agit de réformes incessantes. La dernière LPM a eu lieu en même temps que la révision générale des politiques publiques (RGPP), qui s'est déroulée à la hache. Il nous faut donc des outils de communication interne, d'aide à la reconversion, et d'aide au départ.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Nous réfléchissons à un débat sur le suivi de l'exécution de la LPM devant le Parlement, à la suite d'un rapport annuel. Nous suggérerons sans doute que le plancher de ressources prévu puisse être le point de départ d'une amélioration que nous souhaitons tous. Ceci fera certainement l'objet d'amendements que l'on inclura dans la partie normative. Nous y sommes très attentifs !

La garantie sur les ressources exceptionnelles (REX) -à moins que nous soyons mis en minorité ?- devrait figurer dans la partie normative. Nous avons tous en tête les paroles du Président de la République, lorsqu'il a parlé de crédits budgétaires. Avec Bercy et d'autres, c'est compliqué, mais nous irons aux arbitrages !

S'agissant du Rafale, je ne sais ce que décidera la commission, mais la clause de revoyure doit nous permettre de réexaminer le sujet le moment venu. Si Dassault réussit à remporter un certain nombre de contrats à l'exportation, nous en serons ravis pour elle, pour la France et pour la LPM. Sinon, nous n'allons pas prendre le risque de mettre à mal ses chaînes de fabrication !

Si nous réfléchissons à un retour à bonne fortune, si nous avons cette clause de revoyure, et si nous insistons sur le mécanisme d'exécution annuelle, ainsi que sur le débat au Parlement, c'est parce que nous sommes particulièrement vigilants.

Par ailleurs, les clauses de sauvegarde des REX, des OPEX et des carburants sont ce qu'elles sont, mais il n'est pas question de laisser s'amorcer un risque de dérive.

Que personne ne compte sur moi pour engager une polémique entre une LPM et une autre. Ce n'est, selon moi, pas une bonne méthode politique. Nous pouvons cependant retenir les bonnes solutions et essayer de corriger les moins bonnes.

De votre côté, il faut que vous nous teniez informés des risques de lissages budgétaires auxquels vous faisiez référence. Nous suivrons également avec grande attention le démarrage de la LPM pour éviter qu'elle ne soit différée.

Je suis néanmoins en désaccord avec vous au sujet de la masse salariale. Il s'agit d'un désaccord mineur, qui touche la formulation. Je ne me suis jamais prononcé contre les réductions à la hache prévues par la LPM précédente et la RGPP. J'en ai suivi l'évolution, mais j'ai constaté un accroissement du nombre d'officiers peu compatible avec une réduction de la masse salariale. Je n'ai rien contre les officiers -au contraire- et je pense qu'une armée bien dirigée est plus efficiente encore. Toutefois, le système de rémunération des armées, qui était totalement loufoque, pose encore quelques problèmes auxquels il faut remédier...

La parole est maintenant aux commissaires...

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Gautier

Nous avons évoqué avec le ministre l'achat de drones Reaper, leur arrivée progressive et la création d'un club avec les Britanniques et les Italiens. Nous estimons qu'il s'agit d'une excellente idée. Si les Allemands finissent par nous suivre, ce sera intéressant.

Le ministre nous a indiqué qu'il s'agissait pour lui de la base d'un groupement futur pour le drone de troisième génération. Les industriels de ces pays disent qu'ils sont prêts à travailler ensemble. Le ministre nous a rassurés en disant qu'il peut financer les recherches en cas de besoin véritable. Il me semble qu'il appartient aux états-majors de ces pays de définir les besoins opérationnels. Qu'attendez-vous d'un drone de troisième génération, à échéance de 2002-2025 ? Doit-il être interthéâtre ? Si vous ne définissez pas ensemble ces besoins, il n'y en aura jamais et, si nous en avons besoin, nous finirons par acheter le Predator 3 C Avenger !

Vous avez par ailleurs évoqué la faiblesse des forces navales en patrouilleurs océaniques. Le remplacement, à coût constant, de la dixième FREMM par six ou sept patrouilleurs Adroit vous choque-t-il ?

Concernant les forces spéciales, deux écoles s'opposent. Certains ont réclamé la création d'une unité supplémentaire. Tous les retours que l'on peut avoir du terrain indiquent qu'il conviendrait plutôt d'étoffer les équipes, en passant de dix à treize. Quel est votre point de vue sur ce dossier ?

Enfin, on parle depuis longtemps du remplacement du fusil d'assaut de la manufacture d'armes de Saint-Étienne (FAMAS). Il figure dans l'armement individuel du futur (AIF). Il n'existe plus d'industrie en France, mais les Belges, les Allemands, les Espagnols, les Italiens -et peut-être même les Coréens- fabriquent ce type de matériel. On sait que les Allemands vont remplacer le leur. Les états-majors peuvent-ils définir ensemble une commande, quitte à ce qu'elle soit décalée d'un an ou deux, selon les pays ?

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Les mesures précédentes, qui ont été particulièrement sévères pour les armées puisqu'elles ont quasiment supprimé 40 000 postes, n'ont pas véritablement permis d'enrayer la progression de la masse salariale. Quels éléments vous permettent-ils de penser que la LPM va vous permettre de tenir vos engagements ?

D'autre part, en matière d'effectifs, vous avez longuement parlé du moral du personnel. J'ai interpellé le ministre à plusieurs reprises au sujet de la situation du système Louvois. Malgré les affirmations répétées, les graves désagréments que subit ce système n'entretiennent pas le moral des armées !

Je voudrais également recueillir votre avis sur un sujet plus large. On ne peut dire que les menaces s'éloignent, bien au contraire. Par ailleurs -et l'on peut appuyer ou non cette prise de position- le chef de l'Etat souhaite que la France exerce ses responsabilités en tant que membre du Conseil de sécurité. Pensez-vous que le modèle d'armée réduit que cette LPM met en place va nous permettre de nous adapter aux nouvelles menaces qui ne cessent de surgir, que ce soit en Méditerranée, en Afrique ou au Moyen-Orient ? On a vu, depuis dix-huit mois, fleurir de nouveaux conflits. La France doit être en mesure d'y répondre. Va-t-elle pouvoir le faire compte tenu de cette LPM ?

Debut de section - Permalien
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées

S'agissant du Reaper, le principe du club est agréé par les Allemands, les Britanniques, et les Italiens.

Debut de section - Permalien
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées

Nous pourrions relancer avec les Allemands l'idée d'une brigade aérienne franco-allemande, que j'avais exposée ici, il y a deux ans. Cela signifie des entraînements, une maintenance et éventuellement un stationnement communs. La cocarde ne sera pas la même, et les déploiements seront différents, mais c'est mieux que rien !

Grâce à ce club, on saura un peu mieux ce que l'on veut. On a déjà parlé ici du développement incrémental par des charges utiles européennes. C'est un des points que le ministre négocie actuellement avec les Etats-Unis, le plus important, dans un drone, étant la charge utile.

Nous avons donc bien l'intention de travailler en commun. Nous avons montré que nous en étions capables. Actuellement, les essais du Watchkeeper, qui n'est toujours pas déclaré opérationnel, se poursuivent au Royaume-Uni et en France. La version définitive n'est toujours pas acquise. Les résultats ne sont pas encore ceux que nous espérions. C'est un vecteur israélien, avec une charge utile Thales-UK. Nous sommes montés dans le train sans ajouter de sur-spécifications, qui auraient rendu la coopération impossible, retardé le système, et rendu le projet financièrement bien plus difficile. Notre volonté dans ce domaine est très nette.

La troisième génération serait certes un bel objectif, mais peut-être ne faut-il pas afficher trop vite nos ambitions,

Pour ce qui est des forces navales, remplacer une FREMM par six ou sept Adroit a certainement du sens. A ma connaissance, la marine ne tient toutefois pas son contrat avec onze FREMM...

Debut de section - Permalien
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées

Voire quatorze, le contrat pouvant être inférieur aux besoins.

L'une de nos préoccupations est le retour des sous-marins, notamment en Asie. L'Adroit est un formidable patrouilleur, et constitue une belle coopération entre le l'industrie et le ministère de la défense, mais il ne s'agit pas d'un bâtiment de lutte anti-sous-marine.

A l'origine, on était à 11 FREM-ASM et 6 bâtiments d'action vers la terre, soit 17 au total, qui en remplaçaient déjà 34 bateaux. On peut souvent compenser la quantité par la qualité, mais pas tout le temps !

Quant aux forces spéciales, l'augmentation de plus 1 000 hommes mérite réflexion. En tout état de cause, je suis pour renforcer les structures existantes. La dernière unité à avoir été créée est le commando Kieffer, unité dite technologique, actuellement la plus utilisée. Il faut huit ans de travail pour créer un tel commando de marine...

Les forces spéciales jouissent d'une aura, mais leur vocation n'est pas de tenir le terrain. Si l'on veut que les forces spéciales françaises conservent leur niveau exceptionnel, mondialement reconnu, il faut un vivier suffisant au sein de nos armées dont les effectifs baissent. On peut sans doute augmenter un peu le volume des forces spéciales, mais je préfère renforcer les structures existantes, plutôt que de créer une nouvelle unité.

Vous avez évoqué le successeur du FAMAS. J'ai consulté mes homologues. Je suis demain à Budapest. Sur les 28 membres de l'OTAN, 26 sont en Europe, et 22 dans l'Union européenne. Les calendriers sont quelquefois relativement divergents. Le choix sera fait entre les Allemands, les Belges et les Italiens. Nous n'irons pas nous fournir en Corée. Je ne le veux pas, de même que je souhaite un drone de troisième génération européen. Je n'ai rien contre les Etats-Unis, mais l'autonomie stratégique que notre pays veut conserver passe par la maîtrise de ses approvisionnements. J'étais favorable au Reaper pour « boucher un trou », mais cela ne peut constituer une solution durable. Si nous pouvons le faire ensemble, nous le ferons bien évidemment.

Comment faire au sujet de la progression de la masse salariale et des effectifs ? Nous avons été accusés de ne pas tenir notre masse salariale. On a oublié qu'on nous a demandé de prendre sous enveloppe les retraites, l'augmentation des cotisations et les effets de guichet, ce qui n'était pas prévu. C'est nous qui payons l'allocation-chômage et non le budget de l'Etat ! On nous a en outre imposé des GVT à 0, voire négatifs.

Enfin, nous sommes entrés dans la dernière LPM avec une avance de déflation de 1 500 hommes !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Et on a réintégré le commandement intégré de l'OTAN !

Debut de section - Permalien
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées

On était là dans l'épure...

Si on nous impose la même chose, le résultat sera identique.

Certes, nous avons péché dans certains domaines, en particulier en matière de gestion des officiers supérieurs. J'y ai mis un terme il y a plus de deux ans. Cela n'a pas amélioré la situation, mais c'est marginal.

Suite à la réforme de la gouvernance, c'est désormais la direction des ressources humaines du ministère de la défense qui va devoir affronter les difficultés de gestion du T2.

Cela m'amène à Louvois. Il y a un an, je disais qu'il fallait changer de calculateur. J'ai une certaine expérience en informatique et en matière de grands systèmes. Cela a été une partie de ma formation et de ma pratique d'officier. Fin août, on a dépassé 50 % d'erreurs ! Nous sommes sûrs que le calculateur lui-même -coeur du système- est déficient. Il y en un an, c'était encore une querelle d'experts. Maintenant, tout le monde est d'accord. Il faut donc faire quelque chose. Louvois coûte cher : on dépasse largement les 100 millions d'euros d'indus !

Un nouveau calculateur coûte plusieurs dizaines de millions d'euros, non budgétés. Ce sera donc sous enveloppe. Trois ans sont nécessaires. Je ne suis donc vraiment pas enthousiaste !

Debut de section - Permalien
Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées

Enfin, comme souvent, même un Livre blanc fait l'objet de compromis entre diverses forces. Le Président de la République a parlé de trois missions : protection des Français et du territoire, dissuasion nucléaire comme assurance ultime, force d'intervention.

Vous avez fait référence à notre positionnement au sein du Conseil de sécurité, que personne ne remet en cause pour l'instant, alors que nous ne sommes que 65 millions. Nous devons être capables d'intervenir rapidement, puissamment, là où c'est nécessaire. Cela ne veut pas dire que nous devions forcément rester. On utilise souvent l'expression « hit and run ». Pour nous, historiquement cela a parfois été « hit and stay ». Je pense que nous montrons, avec la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), que nous pouvons changer de paradigme et faire du « hit and transfer ».

Oui, le modèle d'armée est réduit, mais une frappe suivie d'un transfert à d'autres peut fonctionner. La communauté internationale attend que les membres permanents donnent l'exemple ! C'est ce qu'on est en train de faire au Mali. La MINUSMA ne fonctionne pas si mal ! Elle avance même plus vite que prévu. Hier, pour la première fois, la MINUSMA a mené une opération où elle a arrêté elle-même des djihadistes et a trouvé des caches d'armes. Nous n'étions pas avec elle... Certes, une hirondelle ne fait pas le printemps, mais cela fait trois ou quatre semaines qu'elle semble prendre son autonomie. Je suis un incurable optimiste !