Intervention de Amiral Edouard Guillaud

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 12 septembre 2013 : 1ère réunion
Loi de programmation militaire — Audition de l'amiral edouard guillaud chef d'état-major des armées

Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées :

Je terminerai sur la clause de revoyure et sur son importance...

Troisièmement, le reste de l'agrégat « équipements » se répartit principalement sur trois domaines. Il s'agit de l'EPM, dont j'ai déjà parlé -21 milliards d'euros- la dissuasion -23 milliards d'euros, soit une progression de près de 30 % sur la période pour assurer le renouvellement des deux composantes. A l'origine, elle devait augmenter davantage...

Le troisième domaine, d'un montant de 25 milliards d'euros, concerne des programmes d'armement moins emblématiques, mais gages de la cohérence organique et capacitaire des forces, des opérations d'infrastructure et des études -même s'il a été rappelé, à l'occasion de l'université d'été de la défense, que nous conservions un niveau important d'études. Dans le contexte de vieillissement des parcs et de l'infrastructure, la dotation de ce domaine est donc, si l'on est optimiste, juste suffisante et, si l'on est pessimiste, juste insuffisante.

Ce budget doit permettre de financer les priorités du Livre blanc : connaissance et anticipation, cyberdéfense et préparation de l'avenir. Le renforcement de la fonction connaissance et anticipation sera poursuivi, en particulier dans le domaine du renseignement spatial, avec les programmes MUSIS pour l'imagerie et CERES pour le renseignement d'origine électromagnétique. Au titre de la montée en puissance de la cyberdéfense, plusieurs centaines de postes seront créés sur la période 2014-2019 dans le domaine de la lutte informatique et de la sécurité des systèmes d'information.

Enfin, l'effort est marqué pour la préparation de l'avenir, soit 748 millions d'euros au titre du projet de loi de finances pour 2014, et une moyenne de 730 millions d'euros sur la période sur la période 2014-2019. Le Délégué général pour l'armement vous en parlera plus savamment que moi en détail. C'est un point de satisfaction. Il n'était pas évident de continuer à pouvoir prendre en compte le court et moyen terme, et préparer l'avenir sans obérer le présent.

Deuxième idée directrice : le financement des priorités que je viens d'évoquer créera d'inévitables tensions sur les armées, dans deux domaines en particulier, le fonctionnement et la masse salariale.

S'agissant du fonctionnement, dont une part significative contribue directement à l'activité opérationnelle des forces -crédits d'entraînement et carburants opérationnels par exemple- de nouvelles économies très volontaristes sont programmées à hauteur de plus de 600 millions d'euros sur la période 2014-2019, soit près de 100 millions dans le projet de loi de finances 2014. Ces mesures d'économie s'appliqueront alors que le fonctionnement est déjà marqué par une très forte rigidité des dépenses. Au bilan, l'objectif est de contenir les coûts de structure hors OPEX à environ 3,5 milliards d'euros par an en moyenne sur la période 2014-2019.

Cette très forte contrainte sur le fonctionnement se répercutera sur les conditions de vie et de travail du personnel, d'autant que, dans le domaine de l'infrastructure, les ressources ne permettront plus de satisfaire nos objectifs de maintenance préventive. Le ratio de maintenance par mètre carré restera ainsi très inférieur au ratio considéré comme satisfaisant : 4 euros par mètre carré alors qu'on estime qu'il en faut 11 !

Concernant les dépenses de personnel, la programmation du titre II prend en compte une économie de l'ordre de 4,5 milliards d'euros sur la période, au titre de la déflation des effectifs et des mesures de « dépyramidage ». Ainsi, les crédits budgétaires programmés passent de 11,2 milliards d'euros en loi de finances initiale 2013 à 10,4 milliards d'euros en 2019, soit 64 milliards d'euros, hors OPEX et pensions, sur la LPM, représentant 34 % des ressources totales.

De plus, la programmation du titre II prend en compte une enveloppe de mesures catégorielles plafonnée à 45 millions d'euros par an, c'est-à-dire diminuée de moitié par rapport à la précédente LPM, alors que de nouveaux efforts sont demandés au personnel.

Cette réduction des dépenses de la masse salariale est un défi pour le ministère de la défense et donc pour les armées, ministère qui devra supprimer 34 000 postes entre 2014 et 2019, et dépyramider. Il est notamment prévu de supprimer de 1 000 à 1 100 postes d'officiers par an, soit trois fois et demie la déflation moyenne réalisée sur la période 2008-2013, dans un contexte de réforme des retraites, et alors même que les reconversions dans le secteur privé sont de plus en plus difficiles en raison de la crise économique. J'observe à cet égard que le taux d'encadrement des armées mesuré ou pris stricto sensu est déjà inférieur à l'objectif moyen annoncé de 16 %.

Enfin, concernant le budget des OPEX, le projet de LPM prévoit une provision à hauteur de 2,7 milliards d'euros sur la période 2014-2019, soit 450 millions d'euros par an, contre 630 millions d'euros en loi de finances initiale 2013. Cette provision est adaptée aux nouveaux contrats opérationnels et à une reconfiguration du dispositif en Afrique et des forces prépositionnées. La maîtrise de cette enveloppe relève en partie de décisions politiques, faute de quoi le financement des dépenses liées aux OPEX pèserait sur les équipements.

Ma troisième idée directrice est que l'équilibre physico-financier de la programmation est fragile. La construction de la LPM intègre des hypothèses volontaristes, sur lesquelles il convient d'être particulièrement attentif. C'est pour moi un point de vigilance.

Les ressources ont en effet été programmées dans un contexte de forte contrainte budgétaire, ce qui fait évidemment peser des risques significatifs sur son exécution, si les principales hypothèses de construction ne se vérifient pas. Ces risques concernent en particulier les ressources, la masse salariale, les dépenses d'équipement, et le fonctionnement.

Les risques financiers liés aux ressources sont de deux types.

D'abord, les conditions d'entrée en LPM : tout abattement de ressources en 2013 -annulation partielle de la réserve de précaution initiale, ou autofinancement des surcoûts OPEX- amplifierait le report de charges que nous prévoyons pour la fin 2013, déjà proche de 3 milliards d'euros. Une dégradation déstabiliserait de facto l'entrée en LPM.

Le deuxième risque est lié aux ressources exceptionnelles. La stabilité en valeur des ressources totales de la « mission défense », les trois premières années de la LPM, telle qu'elle a été rappelée par le Président de la République et demandée avec force par le ministre de la défense, est conditionnée par la mise à disposition effective des ressources exceptionnelles, dont le montant prévisionnel représente près du double de la précédente loi. Or, la mise à disposition de ces ressources doit encore être consolidée sur l'ensemble de la période.

Dans l'hypothèse d'une non-réalisation partielle de ces ressources, le projet de loi comprend une clause de sauvegarde de nature à rassurer, pour autant que les notions de « modification substantielle » ou « de conséquence significative sur le respect de la programmation » ne fassent pas l'objet d'une lecture exagérément restrictive par les services financiers de l'État. Il est par conséquent important que le texte garantisse explicitement l'obtention de l'intégralité des ressources, telles qu'elles ont été programmées dans le projet de LPM.

Le second risque financier réside évidemment dans la masse salariale, enjeu essentiel.

La déflation des effectifs et le dépyramidage des effectifs militaires sont conditionnés par l'application des mesures d'aide financières au départ et le reclassement du personnel militaire dans les fonctions publiques. A défaut, les dépenses de masse salariale risquent de ne pas être tenues, en particulier l'objectif d'un glissement-vieillesse-technicité (GVT) quasiment nul -( +5 M€ par an). Le troisième risque financier concerne les dépenses d'équipement.

Dans l'attente de la renégociation des grands contrats avec les groupes industriels, différentes hypothèses ont été retenues pour établir un référentiel de programmation des programmes à effet majeur. Ces hypothèses sont très naturellement optimistes avec, pour l'exportation du Rafale, deux contrats d'exportation à moyen terme et un à plus long terme ; s'ils ne se concrétisaient pas, la programmation serait gravement affectée.

De même, les besoins de l'infrastructure ont été fortement contraints, en prenant en compte le décalage des livraisons et les réductions de cible des grands programmes d'armement, réduisant de facto les besoins pour les grandes opérations. Pour autant, l'impact financier des restructurations dans ce domaine devra être consolidé lorsque les décisions politiques sur les sites concernés auront été prises. Les décisions ne sont pas encore prises...

Pour finir, il existe des risques associés aux autres dépenses. J'en retiens deux...

Les carburants opérationnels : une clause de sauvegarde est prévue par le projet de rapport annexé pour couvrir les éventuels surcoûts liés à une hausse du prix des produits pétroliers et ainsi garantir les volumes de carburants nécessaires à la réalisation de l'activité opérationnelle des forces. Cette clause de sauvegarde existait déjà dans la loi de programmation militaire 09-14 et a effectivement été utilisée. Par contre, d'autres, comme celle relative à la masse salariale, n'ont pas été acceptées par Bercy. Second risque, celui du fonctionnement : la réalisation d'importantes économies nécessitera un effort de rationalisation supplémentaire et donc de réorganisation, alors que les réformes liées à la précédente LPM ne sont pas encore achevées, y compris les déflations prévues, 10 000 sur 34 000 restant à mettre en oeuvre...

Enfin, le projet de LPM prévoit l'élaboration d'un plan ministériel d'amélioration de la condition du personnel (PACP). Ce plan répond à une forte attente de la communauté militaire, tout comme le chantier de la réforme du régime de rémunération des militaires. Je me réjouis tout particulièrement des mesures visant à protéger les militaires en opérations des risques de judiciarisation de leurs actions -énorme avancée selon moi- et également de celles destinées à améliorer la protection des familles de soldats blessés en opérations. Elles sont une avancée très positive.

La préservation du moral est en effet l'une des premières conditions du succès des réorganisations qui s'annoncent. L'accumulation des réformes de structure et la nécessité de maîtriser les dépenses courantes de fonctionnement ont un impact évident sur l'état d'esprit de la collectivité militaire et de tous ceux qui servent la défense. Ces mesures manifestent la reconnaissance de l'engagement de nos militaires, ainsi que des spécificités de leurs missions : ce sont des points essentiels pour le moral et l'efficacité des armées.

Pour conclure, en raison du contexte géostratégique, économique et financier, cette nouvelle LPM sera particulièrement complexe à mettre en oeuvre. Il importera d'en mesurer les premiers résultats dès 2015, pour être en mesure d'instruire de façon efficace la clause de revoyure prévue. Il faudra donc s'assurer de la cohérence des choix opérés. Vous avez dit, Monsieur le Président, que vous porteriez une attention particulière à leur réalisation : cela rejoint tout à fait ma préoccupation.

Le chef des armées -le Président de la République- a pris des engagements forts. Le ministre de la défense les porte avec détermination. Votre vigilance, Mesdames et Messieurs les parlementaires, sur les conditions d'exécution du budget et les ressources exceptionnelles sera cruciale. C'est un combat collectif que nous devons mener ensemble. C'est un combat que nous devons gagner, pour la défense de nos concitoyens, de notre pays et de ses intérêts.

Vous m'avez demandé si le format resterait cohérent, permettrait de préserver nos compétences et d'envisager une remontée en puissance. J'ai dit qu'il s'agissait bien, selon moi, de pouvoir remonter en puissance après retour à meilleure fortune. C'est toujours un exercice difficile, mais ceci implique la préservation d'un certain nombre de compétences. Certains avaient par exemple envisagé de supprimer notre savoir-faire en termes de capacités de largage à très grande hauteur. Nous sommes à peu près les seuls, avec les Etats-Unis, à savoir encore le faire. Ceci a été utilisé en Afghanistan, dans des régions montagneuses, mais également au Mali, où il fallait que les avions volent très haut pour ne pas être entendus au sol. C'est une petite niche, que nous essayons de préserver. Nous sommes les seuls en Europe à savoir le faire.

La cohérence découle de tout ceci. Il s'agit pour nous de ne pas nous reposer sur d'autres, dont nous ne pourrions garantir la disponibilité en cas de besoin. C'est là tout le débat sur la mutualisation capacitaire -le « pooling and sharing ».

Quant aux trajectoires financières, on est juste suffisant si l'on est optimiste, juste insuffisant si l'on est pessimiste. Je souligne qu'il est important que les ressources exceptionnelles soient au rendez-vous à la date prévue. Cela n'a pas été le cas lors de la précédente LPM. En outre, il faut que les lois de finances exécutées ressemblent un peu plus que ce n'est aujourd'hui le cas aux lois de finances initiales et que, 15 jours après qu'elles soient entrées en vigueur, on ne nous supprime plusieurs centaines de million d'euros !

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