Intervention de Henri-Philippe Bailly

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 17 septembre 2013 : 1ère réunion
Loi de programmation militaire — Audition des représentants des syndicats des personnels civils de la défense

Henri-Philippe Bailly, pour la Fédération CGC-Défense et l'UNSA Défense :

Merci de recevoir les organisations syndicales dans le cadre du débat sur le projet de loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019. Cette loi sur laquelle vous allez avoir à vous prononcer engagera la nation sur une durée bien plus longue que les six années à venir.

En préambule, UNSA Défense et Défense CGC veulent exprimer leur attachement à préserver une capacité de défense et de sécurité nationale assurant la souveraineté de la France. Elles sont néanmoins conscientes de la nécessité de préserver les finances publiques. Trouver un équilibre entre ces deux enjeux pour la nation nécessite la mise en place de modèles de gestion modernisés et efficients. Des enjeux qui nécessitent de la représentation nationale, comme de toutes les parties prenantes, une réelle volonté de changement traduite par des décisions courageuses, des actions volontaristes validées dans leur opportunité et leur faisabilité, un accompagnement à visage humain et une évaluation objective.

UNSA Défense et Défense CGC veulent aussi affirmer l'intérêt qu'elles portent à un dialogue responsable, innovant, toujours constructif mais sans faiblesse. Dialogue qui cherchera toujours à concilier développement économique, service public, progrès social et développement durable. Sans parti pris et sans corporatisme.

Fidèles à leurs engagements, nos organisations, dans le cadre de l'élaboration du Livre blanc 2013 sur la défense et la sécurité nationale et de la loi de programmation militaire 2014-2019, ont porté à tous les niveaux de décision leur analyse de la situation et leurs contributions positives principalement articulées autour de quatre axes :

- la Défense a déjà payé un lourd tribut aux restructurations perdant une grande partie de sa capacité industrielle et réduisant à un seuil critique son niveau de compétence technique. Dans le même temps, de nombreuses emprises et établissements ont été fermés ou restructurés, engendrant localement des situations sociales difficiles, très difficiles même. Dans les choix à venir, la compétence technique doit être préservée, les efforts devant porter principalement sur la réduction des coûts de structures.

L'armée française doit être dimensionnée, entraînée et dotée d'équipements et d'un soutien logistique opérationnel performants, adaptés à ses missions de défense et de sécurité nationale. Elle doit être respectée et reconnue dans son rôle ;

- les emplois à caractère non opérationnel (ceux qui ne nécessitent pas l'emploi des armes) doivent être civilianisés et valorisés au travers de parcours professionnels attractifs. Ces derniers, par le biais d'une gestion unique des ressources humaines, devront assurer une complémentarité entre personnels militaires et civils. La civilianisation sera porteuse de gains significatifs sur la masse salariale du ministère que nos organisations estiment de l'ordre de 3 Md€ par an au terme de la démarche de rééquilibrage, hors gains induits sur les autres dépenses (habillement, restauration, logement, mobilité, formation, équipement des forces,...) ;

- le dialogue social doit être réellement modernisé et s'ouvrir sans tabou à l'organisation et au fonctionnement des services conformément à la loi sur la modernisation du dialogue social. Les comités techniques doivent avoir compétences pour traiter de ces aspects. Pour cela, il conviendra d'abandonner la dérogation propre à la Défense interdisant le dialogue à ce niveau (loi 84-16 - article 15).

UNSA Défense et Défense CGC ont retrouvé dans le Livre blanc et dans le projet de LPM des lignes d'actions qu'elles ont défendues. Elles sont néanmoins conscientes, compte tenu des forts enjeux de modernisation du ministère dans sa culture, son organisation et son fonctionnement, du manque d'ambition de certaines et des risques d'affaiblissement, voire de dénaturation d'autres.

Parmi les mesures qui manquent d'ambition, citons :

- la cible 2019 en matière d'effectifs qui, au-delà d'un simple repyramidage, ne consacre en rien une civilianisation des emplois, tout juste une stagnation du ratio entre personnels militaires et personnels civils (3 militaires pour 1 civil). Une cible qui n'optimise donc pas les gains sur la masse salariale ;

- des dispositions en faveur des départs volontaires (IDV) des personnels civils fonctionnaires qui restent insuffisantes et surtout continuent de marquer une iniquité de traitement avec les personnels militaires et civils à statut ouvrier. Comme pour ces derniers, l'IDV des fonctionnaires doit être défiscalisée ;

- des dispositions très insuffisantes en matière d'encouragement et d'accompagnement de la mobilité des personnels civils. Ces dispositions sont essentielles pour mettre en oeuvre une politique dynamique de parcours et d'évolutions professionnels.

Parmi les mesures qui présentent des risques d'affaiblissement, voire de dénaturation, figurent les ressources exceptionnelles (6,1 Md€ pour la période 2014-2019), certes détaillées dans le projet de LPM mais qui demeurent incertaines, voire hypothétiques ou basées sur l'abandon par l'Etat de certaines de ses participations industrielles. Le budget n'est pas encore voté, mais c'est malheureusement déjà une quasi-certitude : il ne sera pas tenu. Or l'expérience du passé démontre que les personnels sont les premières victimes des dépassements. Pour nos organisations, c'est totalement inenvisageable tant la contribution des personnels avec 34 000 suppressions de poste est hors norme. La LPM doit sanctuariser le fait que ces ressources exceptionnelles seront obligatoirement compensées chaque année par un abondement équivalent des crédits budgétaires si elles venaient à ne pas être réalisées en totalité ou en partie.

De la même façon, il nous paraît important d'évoquer ici la conduite des opérations industrielles, souvent envisagées sous l'angle du « faire faire » plutôt que du « faire ». Ainsi, nombre de mesures d'externalisations semblent conduites de façon dogmatique, occultant les compétences internes et privilégiant des économies à court terme. Les opérations de maintien en conditions opérationnelles (MCO) des matériels, pour ne citer qu'elles, sont de celles-ci. Les établissements du ministère qui concourent à ce dernier doivent être au contraire soutenus et avoir la confiance des armées. De trop nombreux exemples récents démontrent que, parfois, tout semble fait pour éviter de recourir aux prestations internes au bénéfice de l'externalisation.

Ceci n'est pas acceptable pour nos organisations et nous sommes prêts à débattre de façon particulière sur ce thème à la lumière d'exemples concrets.

L'analyse fonctionnelle des emplois du ministère demandée par le ministre au directeur des ressources humaines : ce mandat ministériel qui ne fait l'objet que de quelques lignes laconiques dans le rapport annexé du projet de LPM (page 41) doit dresser l'état des postes opérationnels (ceux qui nécessitent l'emploi des armes) et non opérationnels. Pour ce faire, il est absolument nécessaire que le projet de LPM chiffre et planifie le rééquilibrage entre personnels militaires et personnels civils. Nos organisations estiment l'équilibre à 120 000 militaires et 120 000 civils dont une partie pourra être composée des anciens militaires poursuivant leur carrière en tant que civils (donc réservistes potentiels) ou des militaires dans un emploi dit « de respiration » (donc non projetables durant cette période sauf absolue nécessité). Cette mission, essentielle pour la réforme de l'organisation et de la gouvernance du ministère, devra rouvrir la porte aux recrutements externes pour pouvoir faire face au renouvellement des compétences et au rajeunissement de la communauté des personnels civils. Elle doit donc être mieux décrite en termes d'organisation, de calendrier, d'objectifs, ainsi que d'engagement à donner suite dans les domaines tels que la caractérisation de parcours professionnels, l'accompagnement de la mobilité, les évolutions statutaires et règles de gestion associées. Une mission hautement sensible où il n'est pas question de « jouer aux apprentis sorciers » comme de la laisser dénaturer par corporatisme, d'un côté comme de l'autre.

UNSA Défense et Défense CGC concluront sur une contribution qui n'a pas formellement trouvé échos dans le projet de LPM malgré l'écoute qu'elle a reçue du ministre de la défense : un dialogue social qui se doit d'être ouvert sur les questions d'organisation et de fonctionnement du ministère. La lourdeur de la modification du Code de la défense a été évoquée. A la lecture du projet de LPM force est de constater le nombre important d'articles de ce dernier qui vont faire l'objet de modifications. Le frein est donc ailleurs. Pour répondre aux enjeux de la modernisation du ministère et se mettre aussi dans l'esprit de la loi sur la modernisation du dialogue social, les questions d'organisation et de fonctionnement du ministère doivent pouvoir être librement débattues avec les organisations syndicales du ministère afin de leur permettre de tenir leur rôle.

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