Intervention de Mathilde Dupré

Commission d'enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l'évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques ainsi que sur l'efficacité du dispositif législatif, juridique et administratif destiné à la combattre — Réunion du 22 mai 2013 : 1ère réunion
Audition de Mme Mathilde duPré chargée de plaidoyer au comité catholique contre la faim et pour le développement ccfd-terre solidaire coordinatrice de la plate-forme paradis fiscaux et judiciaires ; de Mm. Gérard Gourguechon membre du conseil scientifique de l'association attac et jean merckaert membre du conseil d'administration de l'association sherpa

Mathilde Dupré, Chargée de plaidoyer au Comité catholique contre la faim et pour le développement, (CCFD) :

Terre solidaire, coordinatrice de la Plate-forme Paradis fiscaux et judiciaires. - Nous souhaitons proposer à nouveau une mesure déjà évoquée l'année dernière, et sur laquelle des progrès ont été accomplis. Nous estimons en effet que la transparence comptable exercée pays par pays permettra de définir précisément les motifs de concentration des filiales dans les paradis fiscaux. L'objectif est de déterminer si les niveaux d'activité, de chiffre d'affaires, de bénéfices déclarés et d'impôts versés paraissent cohérents par rapport à la répartition géographique des activités.

Nous espérons pour notre part que la réforme introduite dans la loi bancaire française passera lors de sa deuxième lecture. Quoi qu'il en soit, elle a été dupliquée immédiatement au niveau européen. Ainsi, un accord a été trouvé entre le Conseil et le Parlement européen dans le cadre de la directive CRD 4 qui transpose les règles de Bâle 3 en matière de ratio de fonds propres par rapport à ce que les banques peuvent prêter. La règle doit maintenant être appliquée afin que nous puissions nous servir des données et que ces dernières soient rendues publiques en annexe des rapports des banques.

Cette séquence a permis de montrer qu'en dépit des difficultés, un pays comme la France est capable d'enclencher une dynamique au niveau européen et d'engager des réformes européennes pourtant dont on nous avait souvent dit qu'elles étaient vouées à l'échec. C'est une belle leçon pour l'action politique ; elle affirme le poids que peut avoir notre pays dans des décisions européennes en matière de régulation financière.

Une deuxième mesure évoquée l'année dernière mais sur laquelle il reste des progrès à faire concerne la transparence et l'échange automatique de la part des banques. La loi FATCA, votée en 2010 par les Etats-Unis de façon unilatérale, a notamment une portée extraterritoriale importante. Elle prévoit ainsi que les institutions financières du monde entier présentes sur les marchés financiers américains sont obligées de donner au fisc américain des informations sur les détenteurs américains de comptes bancaires, qu'ils soient entreprises ou particuliers. La sanction prévue en cas de non-respect de cette mesure est d'un montant exorbitant et de nature à exclure les établissements financiers des marchés financiers américains. Elle se traduirait par une retenue de 30 % à la source pour tous les revenus issus des marchés financiers américains, que ce soit pour compte propre de la banque ou pour le compte de ses clients. La loi FATCA est donc une mesure forte pensée par l'administration américaine; elle lui permettra de récupérer les noms et les données des comptes bancaires des Américains partout dans le monde.

Dans la foulée de cette mesure, les USA se sont lancés dans des négociations d'accords bilatéraux sur l'échange automatique d'informations. En effet, un certain nombre de pays dont la France, l'Italie, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et l'Espagne ont demandé à l'OCDE de réfléchir à un modèle d'échange bilatéral automatique d'informations. L'objectif était d'encadrer la transmission d'informations relatives aux institutions financières en passant par leurs administrations fiscales et non plus que les données soient adressées directement au fisc américain.

Ces accords sont en cours de signature dans une cinquantaine d'Etats. La réciprocité est effective dans certains pays mais ne l'est pas en Suisse ou au Japon qui ne sont pas intéressés par une information sur leurs propres résidents. Mais le FATCA va continuer de s'appliquer aussi aux pour les banques situées dans les Etats qui n'auront pas signé d'accord bilatéral d'échange d'informations avec les USA. Toutes les institutions financières de ces pays seront ainsi tenues de transmettre leurs informations au fisc américain sous peine de retenues à la source très importantes.

Aujourd'hui, une règle Fatca à l'européenne est évoquée mais son objectif diffère en réalité. En effet, les pays qui signeront ces accords avec les Etats-Unis prévoient d'échanger entre eux les informations recueillies. Nous sommes cependant encore loin d'une règle qui stipulerait que toutes les institutions financières du monde entier doivent rapporter de façon automatique au fisc de tous les pays européens les informations relatives aux comptes bancaires basés à Singapour ou aux Iles Caïmans. Nous pensons que pour aller plus loin, et pour construire à terme un standard d'échange automatique d'informations entre tous les pays, il est fondamental que l'Union européenne - et au premier chef la France - annonce son intention de mettre en place une règle de type Fatca, avec obligation pour les banques de déclarer les informations dont elles disposent. Une proposition de loi allant dans ce sens et nous paraissant intéressante a notamment été présentée par le Groupe Europe écologie les verts à l'Assemblée nationale ; elle nous paraît de nature à déclencher des négociations prometteuses au niveau européen sur ce sujet. Les Etats-Unis ont réalisé la partie la plus difficile de ce programme ; nous devons maintenant réclamer les mêmes mesures pour nos propres résidents.

Les moyens permettant l'échange automatique d'informations ne suffiront pas néanmoins ; il convient en également de déterminer comment collecter efficacement les informations échangées, tant en France qu'à l'étranger. Nous avons effectué une étude sur les différents registres des comptes bancaires existants. A ce titre, le FICOBA - registre des comptes bancaires français - est réputé être un très bon outil. Pourtant, comparer les mécanismes similaires existant dans d'autres pays a permis de faire apparaître une incertitude relative aux détenteurs réels des comptes bancaires puisqu'il n'existe pas d'obligation explicite de chercher le bénéficiaire ultime du compte. A l'inverse, cette contrainte est spécifiée au Danemark par exemple.

M. Eric Bocquet, sénateur. - Le rapport de la commission d'enquête du Sénat sur l'évasion fiscale internationale a été voté à l'unanimité mais, de l'avis général, une suite doit lui être donnée. Notre très grande détermination nous amène notamment à lancer cette deuxième commission d'enquête sur le rôle plus particulier des banques et des acteurs financiers d'une part, sur la régulation d'autre part.

Le contexte est toutefois un peu différent par rapport à l'année dernière. Votre audition a en effet beaucoup marqué nos travaux et avait fait référence, tant par son contenu que par votre dynamisme dont vous témoignez encore aujourd'hui. Le chantier est immense et nous le savions. Il faudra y mettre beaucoup d'énergie, du temps, de la volonté et beaucoup de détermination, ce dont nous ne manquons pas.

Nous sommes d'accord sur le constat. Vous parliez de la présence des banques françaises dans les paradis fiscaux, dont le nombre est au mieux stabilisé, au pire en progression. J'ai en tête également une audition de Monsieur Saint Amans à la commission des finances il y a quelques semaines, qui faisait état de l'augmentation du nombre de schémas d'optimisation, estimé à 350 il y a un an et à 400 cette année. Le phénomène n'est donc pas du tout à l'arrêt, d'autant que dans le même temps, l'opinion publique a été sensibilisée et que le sujet est à l'ordre du jour des travaux menés à l'Assemblée nationale.

Pour ma part, je souhaite quelques précisions.

Tout d'abord, vous avez indiqué qu'une filiale sur quatre des banques dont vous avez examiné la structure était implantée dans un paradis fiscal. Pensez-vous à certaines banques en particulier ? Selon vous, quel est l'intérêt de cette présence dans les paradis fiscaux ?

Il existe par ailleurs dans les banques des moyens de contrôle et d'audit interne. Ces services jouent-ils leur rôle ou se rendent-ils complices de l'évasion fiscale ? Si oui, de quelle manière ?

Egalement, avez-vous pu identifier le rôle des banques et autres opérateurs financiers dans la diversion des ressources financières ? Je pense notamment aux holdings financiers et aux trusts, qui sont aussi des outils de l'opacité.

Enfin, dans vos recherches, quelles ont été les principales résistances et obstacles à l'avancée vers la transparence que vous et nous avons appelée de nos voeux ?

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