C'est la première fois que je participe à une réunion de cette nature, et suis très heureux d'être présent.
S'agissant de la déontologie des marchés financiers, j'utiliserai l'image du verre à moitié plein et du verre à moitié vide.
Du côté du verre à moitié plein, notamment concernant les paradis fiscaux, les places offshore, ou tout autre moyen d'échapper à la fiscalité et à la vigilance financière des Etats, un certain nombre de progrès ont été réalisés depuis un G 20 remontant à quelques années, et qui avait confié à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) la mission de mettre fin à un certain nombre de ces places offshore. Plus récemment, des mesures ont également été envisagées à Bruxelles par la Commission.
Ceci a conduit à une forte réduction du nombre de ces places offshore qui, selon certains commentateurs, ne sont plus qu'au nombre d'une dizaine. La liste noire de l'OCDE aurait disparu, et la liste grise s'est réduite.
Du point de vue des Etats mis en cause, des progrès certains ont été accomplis depuis quelques années. Les textes en préparation, les directives ou les mesures envisagées par le G 8, le G 20 et l'OCDE, vont encore accroître la pression, notamment en Europe, sur des pays comme l'Autriche et le Luxembourg...
C'est là un point positif, qui résulte de la conjonction d'une unité de vue des grands Etats de l'OCDE -États-Unis, Grande-Bretagne, France - sur ce thème. On n'aurait pas imaginé cette conjonction il y a un certain nombre d'années...
Sur d'autres plans, comme l'élaboration de fonds de gestion alternatifs par les banques ou, plus généralement, par le système financier -hedge funds- des progrès ont également été accomplis. Ces hedge funds sont mieux régulés que par le passé en termes de possibilités d'emprunts ou de liquidités.
Dans un autre domaine, celui des délits d'initiés -que je connais un peu moins mal que les autres, l'Autorité des marchés financiers (AMF) m'ayant confié une mission et demandé des propositions pour réduire ces délits - un certain nombre de mesures ont été prises il y a sept ou huit ans. Le délit d'initié est maintenant mieux codifié, et l'on peut donc plus facilement poursuivre ceux qui profitent de connaissances que n'a pas le grand public.
Pour ce qui est du verre à moitié vide, les paradis fiscaux renaissent à mesure que d'autres disparaissent. Le Botswana va ainsi créer un paradis fiscal. C'est aussi le cas du Panama, de Dubaï, et d'un autre Etat d'Afrique, dont le nom m'échappe. Il existe par ailleurs encore des Etats ou des îles non régulés. On a braqué les projecteurs sur un certain nombre d'îles proches des côtes européennes, mais on a négligé des îles plus lointaines. Le Vanuatu continue ainsi à profiter de la liberté qu'il s'est arrogé en ce domaine.
La chasse aux paradis fiscaux n'est donc pas terminée, et la pression sur les banques, qui en font profiter leurs clients, est à peine amorcée. Il existe bien des projets de loi dans ce domaine, mais ils demeurent dans les limbes.
Quant aux hedge funds, ils continuent à se développer et à utiliser les ventes à découvert, moyen diabolique pour faire perdre des quantités d'argent cataclysmiques dans certains cas...
Concernant les délits d'initiés, même si les choses ont été codifiées, les sanctions étaient, lorsque j'ai quitté l'AMF, il y a un certain nombre d'années, relativement faibles. J'avais préconisé de les renforcer sensiblement, en multipliant par dix le plafond des sanctions pécuniaires et par deux ou presque le nombre d'années d'emprisonnement. Je ne sais si mon rapport a été suivi d'effets.
Nous avons, en France, un problème général : nous appliquons des sanctions nettement plus faibles que dans les grands pays développés, notamment les Etats-Unis ou dans les pays anglo-saxons. Je n'en connais pas les raisons, même si je les devine...
En second lieu, l'application de ces sanctions n'a pas, en France, le même niveau que dans d'autres pays. Aux États-Unis, les sanctions pécuniaires sont très élevées. C'est un moyen de négociation pour les autorités américaines, afin de permettre à ceux qui ont enfreint la réglementation de ne pas être poursuivis pénalement. Ces sanctions sont donc sans commune mesure avec celles que nous connaissons en France.
J'ai fait partie de la commission des sanctions de la Commission des opérations de bourse (COB), avant la création de l'AMF. Ces sanctions étaient fort limitées, voire ridicules dans certains cas, par rapport à celles que permet le système anglo-saxon ! Cette sorte de tradition française est à revoir. Je crois d'ailleurs qu'il existe un texte de loi en préparation qui va en ce sens.
Les sanctions sont appliquées chez nous de façon très timide, sauf par la Commission de la concurrence, qui profite de façon spectaculaire des plafonds qui lui sont autorisés. Les autres organismes n'en profitent pas ou peu. C'est notamment le cas de l'AMF, maintenant dotée d'une commission des sanctions distincte de son collège.
Nous avons donc encore des progrès à faire. Je ne suis pas un adepte de la sanction, mais je ne pense pas que l'on puisse poursuivre sévèrement, dans des domaines mineurs, ceux qui ont volé une pomme à l'étalage si on n'applique pas aux financiers, qui ont volé l'équivalent de millions de pommes des sanctions adaptées et puissantes !
Plus généralement, au-delà des mesures qui sont enfin prises, au travers d'une sorte de consensus des grandes nations, il existe un problème de déontologie du libéralisme et du système du marché dans lequel nous vivons, sans foi ni loi, qui a conduit, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, à un enrichissement moyen général de la planète énorme, laissant toutefois subsister des poches importantes de pauvreté, et permettant des enrichissements insolents, à l'autre extrémité du spectre.
Il y a, dans ce libéralisme formidablement efficace, un manque d'éthique et de déontologie. Le libéralisme est devenu, depuis la mort du communisme, une sorte de religion qui oriente tous nos comportements économiques. Ceci conduit les exclus de l'enrichissement que j'évoquais à aller vers les sectes ou l'extrémisme islamique, le libéralisme n'offrant pas à leurs yeux cet idéal qu'ils poursuivent, dans les voies que l'on sait et avec les conséquences que l'on sait.
Mon idée est probablement simpliste, mais j'essaye de la mettre en oeuvre et de faire créer ce code éthique du libéralisme par une structure apolitique, que l'on peut imaginer composée de représentants de toutes les grandes spiritualités, parmi lesquelles je place, en priorité, l'agnosticisme, les droits de l'homme, et autres modes de pensée...
Ce groupe pourrait être composé de représentants de ces spiritualités, de présidents d'ONG, de prix Nobel de la paix, et de quelques prix Nobel scientifiques. Je n'ose y inclure des prix Nobel de l'économie, généralement farouches défenseurs d'une économie de marché dans toute sa rigueur, mais sans ses vertus -sauf certains, comme Amartya Sen ou quelques autres...
J'essaye de mettre en place, sous l'égide de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), une sorte de concile d'une trentaine ou d'une quarantaine d'hommes et de femmes de cette nature. Réunis, ils établiraient ensemble les tables de la loi du libéralisme, supprimeraient définitivement le travail des enfants jusqu'à ce qu'ils soient autonomes, instaureraient l'égalité entre les hommes et les femmes, banniraient les enrichissements insolents et sans cause, etc.
Trente à quarante personnes, chargées de l'écriture d'un tel message, très bref, seraient choisies de telle sorte que chacun des sept milliards d'habitants de cette planète se sente représenté par l'un d'entre eux. L'élaboration d'un tel concile n'est donc pas forcément une tâche facile...
Je vous livre ces idées quelque peu fantasques pour attirer votre attention sur le fait que le thème de l'éthique dépasse à mes yeux celui des marchés financiers, qui reste cependant un signal fort qui, si on arrivait à la régler, permettrait au libéralisme d'être un peu moins mal perçu par tous ceux qui en sont exclus !