Pourquoi en est-on arrivé là en matière d'application du libéralisme ? C'est la nature humaine qui est ici en cause ! Elle est ainsi faite qu'elle est très imaginative. C'est pourquoi j'évoquais l'idée de forte régulation, d'une part, et l'usage de la coercition d'autre part. Je ne suis pas partisan du bâton mais, dans le domaine financier, je ne vois pas pourquoi on ne l'emploierait pas à l'échelle des profits indus suscités par des comportements immoraux. C'est pourquoi je ne suis pas de ceux qui condamnent la création d'un parquet financier, s'il permet d'éviter la répétition de fraudes que l'on constate tous les jours !
Il n'y a pas un mois, dans le monde, où il n'y ait pas une affaire Enron, Goldman Sachs, Morgan Stanley, Chase, ou Libor ! C'est donc qu'il existe un problème de comportements de ceux qui travaillent dans le secteur financier. Il faut que ceux-ci aient la même morale que ceux qui ne s'y trouvent pas.
Les solutions sont celles que les Etats mettent en oeuvre en régulant, après avoir dérégulé, là où il le faut. Il ne s'agit pas de réguler partout, bien au contraire, mais de savoir réguler avec efficacité, là où c'est vraiment nécessaire, en appliquant des peines sévères, en recourant peut-être un jour au code éthique du libéralisme que je souhaite voir mis en oeuvre.
J'avais écrit, en exergue de mon rapport sur le délit d'initié, que plus on s'élève dans la hiérarchie des hommes, plus on doit être exemplaire. Ceux qui profitent du délit d'initié doivent l'être en conséquence, occupant le plus souvent un échelon élevé de la hiérarchie. Malheureusement, on n'apprend plus la morale à l'école, comme c'était le cas dans mon enfance. J'ai appris sur les bancs de l'école que, plus on s'élève, plus on doit être insoupçonnable et irréprochable. Le code éthique peut ranimer cette morale, comme je le souhaite ardemment.
Pour ce qui est de l'amnistie fiscale, je suis favorable au fait que ceux qui ont fait sortir des capitaux les fassent revenir et travailler en France, afin de stimuler l'investissement mais, si amnistie il doit y avoir, je plaide plutôt pour une amnistie pénale. Je verrais bien un système -qui, je crois, est d'ailleurs en préparation - où les pénalités seraient fortement accrues, la rentrée de ces capitaux permettant en même temps à ceux qui y recourent de ne pas être poursuivis pénalement. Le tout, bien sûr, devrait être fait dans la plus grande transparence, en laissant aux seuls fonctionnaires le soin d'appliquer les nouveaux textes.
Pour ce qui est de la crise financière, et pour être bref, le départ, vous le savez tous, réside dans la fameuse crise immobilière américaine des subprimes et dans le fait que les banques américaines, pour faire davantage de crédits hypothécaires, ont titrisé leurs crédits et libéré le ventre de leurs banques. Elles se sont mises à créer une sorte de bulle gigantesque, bien au-delà de leurs ratios. Tout ce qui était dans le ventre des banques, au travers des crédits consentis, a été sorti et vendu à des financiers qui, eux-mêmes, l'ont revendu partout à travers le monde, les incorporant dans différents produits.
Je le sais d'autant mieux que, m'occupant de nombreuses fondations et associations charitables ou médicales, dont je gère la trésorerie, j'ai failli incorporer ces produits financiers venant des États-Unis. Cela n'aurait pas obéré complètement le maigre pactole des fondations dont je m'occupe, mais aurait néanmoins réduit une partie des dons que je reçois chaque année, ce qui aurait été fâcheux !
La suspicion entre banques a commencé ; celles-ci ne se sont plus prêté d'argent. Les banques centrales ont dû faire l'appoint, puis on s'est aperçu que les Etats étaient très endettés, à la fois en pourcentage de leur PIB et en matière de dette extérieure. La crise immobilière a dégénéré en crise mondiale de l'endettement pour un certain nombre d'Etats.
Comment l'empêcher ? Aurait-on pu l'éviter ? Oui, si on n'avait pas créé cette bulle immobilière aux États-Unis, qui a consisté à financer des achats de maisons sans apport des souscripteurs, lesquels étaient généralement endettés à 120 %.
L'excès a atteint son comble en permettant d'emprunter à ceux qui, de toute évidence, n'aurait jamais les moyens de rembourser. Les banques pensaient détenir un gage dans les valeurs immobilières, qui leur paraissaient devoir continuer à monter, alors qu'elles se sont au contraire effondrées. Il aurait fallu faire en sorte de ne pas créer cette bulle à l'origine de tous nos problèmes.
On ne va certes pas titriser à nouveau des créances immobilières, mais la prochaine bulle est en train de se constituer quelque part. Il y en a eu une tous les sept ans, depuis quarante ans, en moyenne, la première remontant à la crise pétrolière de 1973. Cette bulle éclatera ; si elle est modérée, les conséquences en seront très limitées. Si elle met en lumière l'endettement d'un certain nombre de nations, comme la crise de 2009, on risque d'avoir à nouveau des problèmes.
L'un d'eux est d'ailleurs devant nous, et ce depuis trente ou quarante ans : il s'agit de l'endettement des États-Unis, dont il faudra un jour se préoccuper. C'est le plus élevé de tous les pays développés mais, les États-Unis battant monnaie, avec un dollar qui tient le haut du pavé, cela n'a pour le moment pas de conséquences. Il faudra bien un jour que les nations développées disent leur vérité aux États-Unis et fassent en sorte que ceux-ci prennent eux-mêmes à leur tour les mesures que nous nous imposons tous en Europe, avec la sévérité, les excès et les problèmes auxquels cela conduit. Cela peut arriver dans dix, quinze, vingt ans -voire même plus tôt.
Comment empêcher la montée de la bulle ? Je n'ai pas de solution miracle ! En revanche, il faut dès maintenant faire pression sur les Etats-Unis pour les amener à quitter leur statut d'observateur en Europe, et prendre les mesures qui conviennent chez eux, afin de réduire leur endettement et faire en sorte que, le jour où la bulle éclatera, elle ne se traduise pas par un cataclysme américain !
Ai-je réalisé des montages offshore lorsque j'étais banquier ? Non. A l'époque, il y en avait très peu. J'ai fait mes classes au Crédit lyonnais de 1973 à 1977, puis j'ai été banquier, de 1977 à 1993. Il y avait probablement des montages offshore dans d'autres banques, mais j'avais ma conception de la banque.
J'ai été le conseiller industriel et scientifique de Georges Pompidou. J'étais vraiment un industrialiste saint-simonien, au sens fort du terme. Je suis arrivé dans la banque en considérant qu'elles devaient appuyer l'industrie. J'ai fait en sorte que la Compagnie financière aide les industriels à se développer, à s'implanter à l'étranger, à exporter davantage. Je l'ai fait de différentes façons, en particulier en améliorant leur trésorerie. J'avais développé un produit de trésorerie, copié par les Américains et les autres banques françaises. J'ai également développé des produits à l'exportation. Je considérais que les banques devaient jouer le rôle de pompes qui aspiraient les dépôts des particuliers pour les prêter aux entreprises, notamment industrielles. Ce faisant, elles aidaient au développement de leur pays, ce qu'elles faisaient d'ailleurs pour l'essentiel à l'époque.
Il existait d'autres façons de les aider. J'ai passé plusieurs semaines à observer ce qui se déroulait dans la Silicon Valley. J'avais créé un observatoire des valeurs de haute technologie, ce qui était nouveau en 1979. Je rapportais aux cinq premiers groupes français -Aérospatiale, Renault, Alcatel, EDF et un cinquième dont le nom m'échappe- toutes les affaires qui se créaient dans leur domaine, de façon à ce qu'ils puissent éventuellement les racheter et avoir une avance technologique dans leur secteur.
Je n'ai, en quoi que ce soit, utilisé de montages offshore, n'en ayant pas eu l'occasion. L'aurais-je fait si j'en avais eu la possibilité ? Je ne sais... A priori, je pense que non -mais on n'est jamais à l'abri de la tentation !