Intervention de Gabriel Zucman

Commission d'enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l'évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques ainsi que sur l'efficacité du dispositif législatif, juridique et administratif destiné à la combattre — Réunion du 22 mai 2013 : 1ère réunion
Audition de madame jézabel coupey-soubeyran maître de conférences en économie à l'université paris-i panthéon-sorbonne conseillère scientifique auprès du conseil d'analyse économique et de M. Gabriel Zucman doctorant à l'école d'économie de paris

Gabriel Zucman, Doctorant à l'École d'économie de Paris :

Je suis en train de finir ma thèse de doctorat consacrée aux paradis fiscaux. En effet, je m'intéresse notamment aux inégalités de patrimoine. J'estime ainsi que s'il est impossible de taxer le capital et le patrimoine, les fortunes risquent de se concentrer de manière importante. Aujourd'hui, les paradis fiscaux permettent aux entreprises et aux particuliers d'éviter ou de frauder les différents impôts qui existent sur le capital. J'ai donc voulu comprendre quelles actions permettraient de s'y opposer. Existe-t-il ainsi des politiques pour faire en sorte que la fraude à l'impôt sur le patrimoine soit plus difficile ? Au préalable, j'ai souhaité essayer de mesurer la fraude.

Nous manquons terriblement de littérature au sujet de la fraude, et ce manque devient caricatural en ce qui concerne les paradis fiscaux. Il est lié au manque de données, et, plus fondamentalement, au manque d'intérêt des économistes académiques pour les questions appliquées. Cet état d'esprit est toutefois en train de changer au sein de la profession.

J'ai voulu tout d'abord connaître le montant des fortunes détenues par les particuliers dans les paradis fiscaux, lesquelles sont méconnues. Des rapports existent toutefois, mentionnant des ordres de grandeur allant de 5 000 milliards de dollars à 35 000 milliards de dollars. Ensuite, je me suis demandé si les politiques utilisées actuellement pour lutter contre la fraude fiscale offshore fonctionnent.

Après recherche, j'estime qu'au niveau mondial, 8 % du patrimoine financier des ménages est détenu dans les paradis du monde entier, soit à peu près 6 000 milliards d'euros. Je parle ici d'argent détenu par des ménages fortunés, directement ou par le biais de sociétés-écrans. Un gros quart de cet argent serait en Suisse, soit 2 000 milliards d'euros. Ce chiffre est officiel et provient de la Banque Nationale Suisse. 4 000 milliards d'euros sont logés dans d'autres paradis fiscaux tels que Singapour, le Luxembourg, Hongkong, les îles Caïmans, et les Bermudes.

Les politiques mises en place actuellement pour lutter contre la fraude sont inefficaces. Pour l'instant, l'essentiel de la lutte contre la fraude se fait par l'intermédiaire de traités sur l'échange d'informations bancaires à la demande. Pendant de nombreuses années, l'OCDE a promu ce standard, et le G20 l'a repris à son compte en 2009 lors du Sommet de Londres. En 2009, les paradis fiscaux ont signé de nombreux traités sur l'échange d'informations à la demande avec les pays de l'OCDE. Quatre ans après, ces traités semblent n'avoir quasiment servi à rien. En effet, au total les sommes dans les comptes offshores des paradis fiscaux n'ont pas bougé. Des fortunes offshores ont quitté les paradis fiscaux ayant signé de nombreux traités d'échange d'informations et se sont dirigées vers des juridictions en ayant signé peu. Mais au niveau mondial, ce jeu est à somme nulle.

Que faudrait-il faire ? Il est important de comprendre que ce problème a une solution simple qui s'appelle l'échange automatique d'informations bancaires. Aujourd'hui, les banques françaises ont l'obligation de communiquer au fisc les listes de leurs clients, et les revenus perçus par ces derniers. Ces revenus apparaissant directement sur les feuilles d'impôts, de telle sorte qu'aucune fraude n'est possible. Cette mesure doit être étendue aux banques domiciliées dans les paradis fiscaux. Techniquement, cette mesure est très simple. L'échange automatique d'information fonctionne déjà à l'intérieur des grands pays. Etendu aux paradis fiscaux, il mettrait un terme à la fraude puisque les montants apparaîtraient directement dans les feuilles d'impôts pré-remplie.

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