Je voudrais partir d'un exemple simple. Monsieur X a un patrimoine qu'il souhaite optimiser et donc sortir de son pays pour aller dans un pays L. La banque crée forcément des filiales pour optimiser ce portefeuille. L'optimisation fiscale ne sera en effet possible que si la banque suit son client.
Je reviens sur le nombre de personnes que les banques ont dans ces paradis. Il faut des gens pour gérer ces patrimoines dans le pays L. Plus les banques auront des clients dans le pays L, plus il lui faudra des gens pour y gérer ce patrimoine. Cela signifie que les banques accompagnent le client dans son optimisation, afin de le fidéliser. Comment le client qui optimise peut-il utiliser ce patrimoine optimisé en France ? Quels schémas peuvent-ils être créés ? J'essaye de comprendre comment ces capitaux reviennent.
Gabriel Zucman. - C'est une question importante et intéressante. Je pense qu'il n'y a aucune raison pour qu'un patrimoine détenu par l'intermédiaire d'une banque suisse soit moins taxé que s'il était détenu par l'intermédiaire d'une banque française. Les gens ont peut-être le droit d'avoir des comptes où ils veulent, mais ces comptes doivent être déclarés. En pratique une fraction (inconnue) des comptes offshore n'et pas déclarée. Les banques françaises présentes dans les paradis fiscaux spécialisés dans la gestion de fortune (Suisse, Singapour) ont donc en particulier des clients qui ne respectent pas la législation fiscale.
Concernant l'échange d'information, l'OCDE s'occupe de ces questions depuis 1998. Les proclamations de succès ont été permanentes mais, de mon point de vue, ce succès n'est pas du tout avéré. En effet, des dizaines de milliers de particuliers français détiennent des comptes étrangers non déclarés. Pour autant, Bercy ne reçoit que quelques dizaines d'informations sur ces comptes chaque année, et souvent par le fait du hasard. Dans ce contexte, les progrès réalisés depuis quinze ans, voire trois ans ou même au cours des derniers mois, sont loin de me paraître considérables. Les personnes qui ont des comptes en Suisse, à Singapour ou à Hongkong n'ont ainsi aucun risque d'être détectées. Cela peut changer s'il y a une forme d'échange d'informations beaucoup plus contraignante qu'actuellement.
Aujourd'hui, Bercy ne peut obtenir des informations que si elle a des soupçons préalables qu'un contribuable français fraude par le biais d'une banque précise. Dès lors, il est impératif de remplacer le système d'échange d'informations à la demande par un système d'échange automatique. Par ce procédé, les banques suisses ou singapouriennes enverraient automatiquement annuellement la liste complète de leurs clients français avec le montant des patrimoines, et les revenus perçus par ces ressortissants A l'heure actuelle, ce système n'existe pas. Aucun paradis fiscal spécialisé dans la gestion de fortune n'a clairement indiqué vouloir mettre en place ce système. Je m'inscris donc en porte-à-faux avec les déclarations de victoire de l'OCDE.