Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, tout d’abord, Évelyne Didier et moi-même remercions le rapporteur, Michel Teston, d’avoir très bien travaillé. Nous regrettons cependant un grand nombre de nos amendements, qui ont dû être abandonnés.
Monsieur le secrétaire d’État, les symboles portés par ce projet de loi sont encourageants. Vous nous parlez de groupe public ferroviaire, de réunification de la famille cheminote, de retour de l’État stratège, d’intégration, d’unification du réseau dont vous êtes le champion. Je reconnais que ce changement de langage est important et nous l’apprécions.
Toutefois, nous vous avons alerté sur la nécessité pour votre gouvernement d’assurer sa propre cohérence, de ne pas brouiller le message envoyé aux élus, aux citoyens et aux cheminots.
Soyons clairs, la concurrence et le service public ne font pas bon ménage. Nous en avons l’expérience. L’ouverture à la concurrence du transport de marchandises a certainement conduit à sa dégradation, au détriment de l’intérêt général en matière d’aménagement du territoire et de la transition écologique.
Nous craignons que ce projet de loi ne solidifie pas suffisamment le groupe public ferroviaire, pas assez, en tout état de cause, pour permettre à celui-ci de faire face aux conditions de la concurrence annoncée par le quatrième paquet ferroviaire, que nous voyons déjà arriver au loin.
Nous regrettons que vous n’ayez pas entendu nos propositions d’aller au bout de la réunification de la famille ferroviaire, en créant un seul EPIC. Certes, l’« eurocompatibilité » n’était pas assurée, mais nous avions là, au contraire, l’occasion d’établir un rapport de force au niveau européen, et nous vous savons combatif !
Vous avez cru qu’une telle réforme ne soulèverait pas de vagues. Toutefois, c’est oublier que les cheminots ont été déstabilisés depuis quinze ans par la création de RFF. Leurs inquiétudes actuelles sont légitimes puisque, force est de le constater, cette séparation entre les différentes activités continuera sans doute d’exister avec les deux EPIC.
Par ailleurs, les agents du service public ont été échaudés par dix années de droite au pouvoir. Ils souhaitent fortement qu’un gouvernement de gauche leur parle service public, nécessaire réponse aux besoins, aménagement du territoire, transition énergétique…. Nous avons le devoir de rétablir ces priorités.
Les cheminots ont eu raison de vous interpeller, monsieur le secrétaire d’État, pour vous signifier qu’ils souhaitent que le gouvernement français opère une rupture avec le dogme idéologique de la concurrence libre et non faussée comme horizon indépassable pour leur outil de travail. Nous les comprenons et nous les soutenons.
Nous vous avons alerté il y a un an sur la nécessité de ne pas se contenter d’une simple réforme de la gouvernance du système et d’aller plus loin en ce qui concerne aussi bien le périmètre du service public que des financements.
Nous avons d’ailleurs proposé des amendements en ce sens concernant de nouveaux financements – et nous en avons trouvé un, qui est le versement transport, sans trop vous choquer. §–, l’unicité du réseau, le renforcement social de l’intégration du groupe ou encore l’évolution de la nature même de l’ARAF. Autant de points d’appui qui auraient permis de solidifier le futur groupe public ferroviaire. Nous déplorons par conséquent qu’aucun d’entre eux n’ait été adopté.
Dans ce cadre, nous sommes extrêmement surpris des revirements de cette majorité : lorsqu’elle était dans l’opposition, elle était d’accord avec nous pour dire qu’il était impératif de déclarer l’activité « wagon isolé » d’intérêt général ; aujourd’hui, elle avance des arguties juridiques pour expliquer que cela n’est plus possible. Une telle attitude n’est pas acceptable, car ne rien faire aujourd’hui encore – M. Teston le sait bien – c’est mettre des millions de camions supplémentaires sur les routes.
Cette loi constitue au fond une occasion manquée de replacer au cœur du système ferroviaire les questions d’intérêt général et de service public.
Ce projet de loi n’offre pas de perspective de reprise de la dette – un rapport nous sera peut-être présenté dans deux ans, mais, nous l’avons tous dit ici, ce délai est bien long – en condamnant simplement le nouvel EPIC SNCF Réseau à des gains de productivité. Qu’en sera-t-il demain de la sécurité des usagers quand il faudra leur expliquer que les travaux de rénovation n’ont pas été réalisés car ils étaient « hors trajectoire financière », pour reprendre la nouvelle formulation employée ? Combien d’accidents devront-ils se produire et combien de kilomètres de lignes devront-ils être fermés avant que la première place soit donnée aux besoins ?
Nous le disions lors de la discussion de notre proposition de loi sur la renationalisation des concessions d’autoroutes : il y a différent types de dettes. Il existe de bonnes dettes permettant à la collectivité de progresser. C’est le cas des infrastructures, qui sont le patrimoine de l’ensemble de nos concitoyens. La question de la dette est tout de même importante car, souvent, on bloque sur ce point.
Au cours de ces débats, si peu de réponses aux nombreuses questions que nous vous posons, si peu d’engagements en faveur de l’intérêt général, trop de silence pour les agents du service public, qui, loin de défendre leur pré carré, soutiennent au contraire une certaine conception du service public !
Dans le prolongement de l’acte III de la décentralisation, vous préparez, au fond, l’éclatement du système ferroviaire en organisant la régionalisation pour gérer les infrastructures, rompant ainsi l’égalité des citoyens devant le droit à la mobilité, ce qui nous inquiète également.
Pour toutes ces raisons, monsieur le secrétaire d’État, nous voterons contre ce projet de loi, mais nous suivrons comme des vigies et comme toujours avec beaucoup d’attention l’avenir de la SNCF.