Martin Bouygues l'a dit à maintes reprises, nous n'étions pas hostiles par principe à l'arrivée d'un quatrième opérateur, mais contestions les conditions financières d'attribution de la licence avec un rabais sur le prix et les conditions d'introduction du quatrième opérateur sur le marché. Nous annoncions que beaucoup d'emplois seraient détruits : nous n'en sommes aujourd'hui qu'au début. M. Arnaud Montebourg a pris la mesure de la situation : nous l'avons rencontré en juin 2012, soit six mois après l'arrivée du quatrième opérateur, pour lui rappeler les obligations des trois acteurs installés en matière de couverture nationale et les frais induits très importants, tandis que Free bénéficiait de l'itinérance, et que personne ne vérifiait réellement ses investissements de réseau. Ses prix d'abonnement très bas nous ont obligés à nous aligner, détruisant par là même nos capacités d'investissement. Il y avait une violation manifeste de la concurrence.
Le ministre a demandé à l'Autorité de la concurrence en novembre 2012 de constater d'éventuels dysfonctionnements. Celle-ci présidée par Bruno Lasserre a publié un avis très détaillé en mars 2013 dans lequel il était expliqué que l'itinérance, si elle perdurait, déstabiliserait le marché, et qu'il fallait la faire disparaître progressivement, afin que tous les opérateurs soient obligés d'investir. L'avis décrit concrètement ce qui doit être fait en ce sens, notamment par l'Arcep.
Mais depuis, rien ne s'est passé. J'ai moi-même écrit à l'Arcep à plusieurs reprises, sans obtenir de réponse. Estimant anormal que l'autorité de régulation ne fasse pas appliquer les règles de la concurrence, j'ai fini par saisir le Conseil d'État il y a trois semaines. Curieusement, j'ai fini par recevoir une réponse il y a trois jours. Dans cette lettre, l'Arcep m'indique que l'itinérance relève d'un contrat de droit privé. Elle s'estime incompétente et elle m'encourage à saisir... l'Autorité de la concurrence ! Des milliers d'emplois sont en jeu. Si l'itinérance n'est pas remise en cause, le marché ne s'en relèvera pas. Orange, qui perçoit 700 millions d'euros versés par Free pour l'utilisation de son réseau, refuse de dénoncer le contrat qui les lie, en invoquant le risque que SFR prenne sa place.
Dans cette situation totalement ubuesque, nous estimons que le bon sens ne va pas l'emporter, et que nous ne pouvons plus guère espérer une intervention des pouvoirs publics. Nous avons donc décidé, chez Bouygues Telecom, de nous organiser par nous-mêmes pour survivre avec moins de revenus, en réduisant sensiblement la taille de l'entreprise, ce qui aura donc des conséquences sur l'emploi, hélas.
Certes, nous nous sommes engagés à réduire les zones blanches en 2009 et 2010 mais, depuis, le secteur a perdu 3 milliards de capacité d'investissement par an ! Or, pour résorber les zones blanches, il faut planter des pylônes et installer des relais, ce qui coûte cher. M. Arnaud Montebourg a récemment déclaré que 105 communes n'étaient pas encore couvertes par la 2G. Mais savez-vous que le dernier opérateur mobile ne paie pas pour les zones blanches ? Alors, pour quelles raisons un Bouygues Telecom appauvri devrait-il couvrir un tiers des dépenses pour installer la 3G sur tout le territoire alors que celui qui a déstabilisé le secteur et qui s'est enrichi n'a rien à payer ? C'est bien sûr scandaleux ! Il faut réviser la convention et s'assurer que les quatre opérateurs investissent. Nous sommes exsangues et devons faire face à une règle du jeu faussée. Nous faire ainsi rouler dans la farine nous tue !
L'Arcep a lancé hier cinq enquêtes, sur les zones blanches, sur Orange, sur la 3G de SFR, et une enfin pour vérifier que Free respecte bien ses engagements d'investissements. Pour développer un réseau, il faut négocier un bail, demander des autorisations administratives pour poser des antennes, installer un système électronique pour diffuser le signal et enfin, le mettre en service. Free explique qu'il a beaucoup de mal à déployer son réseau parce qu'il est devenu très difficile de trouver des sites. On sent bien que du côté du régulateur, on a très envie de le croire. Mais je pose la question : Orange vient d'installer 5 000 sites 4G en moins de 20 mois pour rattraper le retard qu'il avait sur Bouygues Telecom, pourquoi Free ne serait pas capable d'installer plus de 2800 sites en cinq ans ? Quand on veut, on peut !
Avec des abonnements à 20 euros, il est impossible de couvrir les dépenses d'investissement, sauf à dégrader ses comptes, ce que Free ne veut bien sûr pas faire. Elle est là, l'explication. Mais l'autorité de régulation ne faisant rien, ne réagissant pas, la situation économique des trois opérateurs continue de se dégrader.