Intervention de Gérard Mestrallet

Commission des affaires économiques — Réunion du 2 juillet 2014 : 1ère réunion
Transition énergétique — Audition de M. Gérard Mestrallet président-directeur général de gdf suez

Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF SUEZ :

Merci pour votre accueil.

Je vous présenterai d'abord brièvement GDF Suez, qui, dans sa configuration actuelle, est un acteur relativement récent dans le paysage énergétique international et procède de la décision du groupe bancaire Suez de se tourner vers les activités industrielles. Notre groupe est aujourd'hui concentré, à peu près à parts égales, sur trois activités : le gaz, l'électricité et les services à l'énergie. Le groupe rassemble 150 000 salariés dans l'énergie et 80 000 dans l'environnement avec un chiffre d'affaires qui avoisine 80 milliards d'euros. Premier mondial par sa capitalisation dans le secteur des « utilities » que sont l'électricité et le gaz, GDF Suez conserve une présence importante en France, avec 75 000 salariés dans l'énergie. Il est le premier recruteur du CAC 40 avec 10 000 embauches annuelles, et un plan de recrutement de 45 000 personnes au cours des cinq prochaines années, dont les deux tiers en CDI. Nos investissements en France s'établissent en moyenne à 3 milliards d'euros par an sur un total de 9 à 10 au niveau mondial. On peut noter, s'agissant du poids relatif des effectifs et des investissements localisés en France que nos services à l'énergie, assez peu capitalistiques mais riches en emplois et en croissance, sont très présents en France.

Notre stratégie se décompose en deux grands volets : être, d'une part, l'énergéticien de référence dans les pays émergents et, d'autre part, leader de la transition énergétique en Europe.

Le premier axe consiste à poursuivre une stratégie définie depuis 15 ans, en nous appuyant sur deux piliers. Le premier est la production indépendante d'électricité. Dans ce domaine, nous avons construit une position de leader mondial et sommes particulièrement présents au Brésil, au Chili ou au Pérou, au Moyen-Orient où nous occupons la première place, à Singapour, en Indonésie, en Thaïlande et en Chine. Nous avons construit en 15 ans des capacités qui avoisinent au total celle du parc nucléaire français.

Le second pilier est celui du gaz, en particulier naturel liquéfié : nous y occupons la troisième place mondiale, Gaz de France ayant été un pionnier dans ce domaine avec le gaz algérien. Le centre de gravité traditionnellement localisé dans le bassin atlantique est en train de se déplacer vers l'Asie où la demande est la plus forte. Nous construisons également aux Etats-Unis une entité de liquéfaction du gaz de schiste afin que celui-ci puisse être exporté.

Notre conseil d'administration vient de décider de compléter ce développement réussi en l'élargissant désormais aux infrastructures gazières et aux services d'efficacité énergétique sur lesquels nous avons des positions fortes, essentiellement en Europe.

En France et en Europe, notre ambition est d'être leader de la transition énergétique, ce qui implique de tenir compte des transformations majeures en cours. Le monde énergétique ancien, hérité des monopoles, était structuré techniquement autour de grandes centrales thermiques, nucléaires, à gaz ou au charbon, articulées avec de grosses lignes à haute tension. Ces installations subsistent mais nous sommes en train de migrer vers un monde énergétique nouveau, à la fois, décarbonné, décentralisé, connecté, digitalisé et miniaturisé. Les échelles de grandeur changent : l'unité de mesure, pour les centrales que j'évoquais est le millier de mégawatts ; pour les éoliennes c'est quelques mégawatts soit mille fois moins, et, pour les panneaux solaires, il faut encore diviser ces mégawatts par mille. On a donc diminué d'un facteur d'un million la dimension des unités de production d'électricité, ce qui les rend plus accessibles aux consommateurs, les rapproche des territoires et légitime la volonté des collectivités territoriales de s'impliquer dans les stratégies énergétiques.

Nous avons pris acte de ces changements, qui amènent plusieurs nouvelles orientations pour notre groupe. Tout d'abord, nous conservons les anciennes centrales qui représentent environ 40 000 mégawatts - ou 40 gigawatts (un gigawatt correspondant à la capacité d'une centrale nucléaire), dont un quart en France, un quart en Belgique, où nous gérons sept centrales nucléaires et le solde dans le reste de l'Europe. Je fais observer que les centrales classiques sont à présent marginalisées : GDF SUEZ a fermé plus de 10 gigawatts de centrales à gaz en Europe (sur un total de 50 fermés en Europe en prenant en compte tous les opérateurs) et ces entités ont été massivement dépréciées dans nos comptes à la fin de 2013.

Dans un contexte de décroissance de la consommation d'énergie, les services d'efficacité énergétique sont, en revanche, une activité en progression d'environ 2,5 %.

La transition énergétique comporte, pour GDF-Suez, trois principaux volets. Il s'agit, tout d'abord, de l'énergie renouvelable, qui ne se limite pas à l'électricité renouvelable, laquelle ne représente que moins de 20 % du total. Dans ce domaine, GDF Suez est cependant numéro un dans l'éolien terrestre, il investit dans des opérations d'éolien offshore, et est également présent dans le solaire photovoltaïque ainsi que dans le solaire à concentration. La chaleur renouvelable est ensuite un segment très important : nous sommes leader européen dans l'utilisation de la biomasse et très présents dans la géothermie à haute température, par exemple en Indonésie, ainsi que dans la géothermie dite douce, à Paris ou à Bruxelles. Je signale au passage que la chaleur se stocke plus facilement que l'électricité. Enfin, nous sommes très favorables au développement du gaz renouvelable - biogaz ou bio-méthane - et nous nous engageons très fortement dans la méthanisation en France ; nous avons d'ailleurs signé plusieurs accords avec les organisations et institutions agricoles sur ce point. En France, il nous semble qu'un seuil de 10 % - voire 20 % en étant très volontariste - de bio-méthane à l'horizon 2030 devrait figurer dans la loi sur la transition énergétique. Nous produirions ainsi 10 % du gaz que nous consommons.

GDF Suez est également leader en matière d'efficacité énergétique, qui est le deuxième pilier de notre stratégie de transition énergétique, et nous employons 90 000 personnes, essentiellement en Europe, avec une présence encore modeste aux Etats-Unis ainsi que dans les pays émergents qui constituent des marchés d'avenir.

Enfin, nous développons le volet digital. Nous allons, par exemple, installer des compteurs communicants chez tous les consommateurs d'ici une dizaine d'années. J'ajoute que les technologies numériques et énergétiques sont en train de converger et vont à terme transformer le paysage.

Nous avons ainsi une stratégie de leadership qui se réoriente vers la transition énergétique, particulièrement en Europe.

Je répondrai dès à présent aux questions posées par le Président Daniel Raoul.

S'agissant des appels d'offres sur les concessions hydroélectriques, nous sommes bien entendu favorables à l'ouverture de la concurrence car le marché français de la production d'électricité est aujourd'hui très concentré. Or nous estimons avoir un rôle à jouer dans le potentiel d'expansion en France de cette activité : nous construisons d'ores et déjà des grands barrages, par exemple au Brésil, et institutionnellement, nous avons expérimenté un schéma - similaire à celui de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) - dans lequel nous avons 49 % du capital, les autres 51 % étant détenus par la Caisse des dépôts et consignations et les collectivités publiques. Je souligne ici la nécessité de règles équitables. Or, aujourd'hui, elles ne le sont pas suffisamment puisque la CNR est la seule à payer une redevance sur son chiffre d'affaires (24 % sur chacun de ses 17 barrages). En revanche, les opérateurs, comme EDF, détenant d'autres barrages ne sont pas soumis à une telle charge. Cette distorsion de concurrence mérite, à notre sens, d'être corrigée. Il conviendrait, dans le même esprit, d'accorder à la CNR une durée de concession de 75 ans à partir de la mise en place des barrages.

En ce qui concerne votre deuxième question, l'intermittence des énergies renouvelables suscite effectivement de très grandes difficultés dont on ne mesure pas toute l'ampleur en France et en tous cas moins qu'en Allemagne où les ENR représentent 70 gigawatts, c'est-à-dire dix fois plus que dans notre pays.

Cette intermittence fait planer un grave risque de sécurité de l'approvisionnement en Europe. En effet, le meilleur complément aux ENR intermittentes est le gaz, en raison de sa flexibilité - le recours au charbon, certes utilisé en Allemagne, étant, pour sa part, moins conforme aux normes environnementales bien que son prix soit attractif - grâce aux exportations américaines. Or techniquement, un bon système énergétique est celui qui combine une production de base complétée par des énergies renouvelables, elles-mêmes complétées par des centrales fonctionnant de façon flexible et à la commande quand il n'y a ni vent, ni soleil.

Enfin le stockage, à l'heure actuelle, n'est pas en mesure de répondre au défi de l'intermittence. Nous travaillons cependant au développement de petites entités de batteries et surtout sur un mécanisme de « Power to gas», c'est-à-dire le stockage de l'électricité excédentaire grâce à sa transformation en hydrogène. Nous expérimentons ce procédé à Dunkerque en mélangeant l'hydrogène avec du gaz naturel pour faire fonctionner des autobus et distribuer de l'énergie dans un éco-quartier. L'étape suivante consiste à produire du méthane (CH4), ce qui est un système vertueux qui détruit du gaz carbonique, mais s'accompagne d'une certaine perte énergétique.

Le nucléaire a sa place dans le mix énergétique, à condition qu'il soit à un niveau maximal de sûreté. Il représente chez nous un peu moins de 10 % de la production totale, contre un peu moins de 15 % dans le monde. Nous avons sept centrales nucléaires, avec une capacité totale de 6 GW, c'est-à-dire entre 4 et 4,5 % de notre parc installé en puissance.

Sur nos sept centrales en Belgique, deux seront arrêtées l'année prochaine, conformément à la loi, car elles atteindront 40 ans d'existence. Mais par accord avec le gouvernement, une sera prolongée à 50 ans, après un investissement de 600 millions d'euros.

Nous avons de vrais savoir-faire d'exploitant, d'ingénieriste ... Nous avons participé à deux projets internationaux : l'un en Turquie, avec le Japon, où nous l'avons emporté sur les Coréens et les Chinois, pour quatre centrales de réacteurs de 1 100 MW chacun, d'un modèle que j'avais proposé - sans être suivi - d'implanter dans la vallée du Rhône ; l'autre en Grande-Bretagne, pour trois centrales.

La recherche sur les réacteurs de quatrième génération, qui permettent de mieux détruire les déchets, doit être poursuivie ; cela prendra du temps avant d'aboutir à la production d'électricité.

La crise russo-ukrainienne, s'agissant de nos approvisionnements énergétiques, ne nous préoccupe pas outre mesure, sauf en cas d'extension du conflit à l'Europe. La Russie a un intérêt vital à nous vendre son gaz : sa situation économique et financière n'est pas très bonne ; 70 % de ses exportations sont constituées d'hydrocarbure, notamment de gaz ; l'Europe est de très loin son premier acheteur ... Les Russes vendront du gaz aux Chinois, entend-on dire ; mais il leur faudrait d'abord faire 80 milliards d'investissements ! Et ce sont des productions situées dans l'Est de la Russie. Nous considérons donc cette dernière comme un partenaire très fiable depuis une trentaine d'années, avec une seule interruption de son fait, en 2009, lors du conflit avec l'Ukraine ; depuis, une deuxième canalisation a été construite, le Nord Stream, dont nous sommes actionnaires, qui relie directement la Russie à l'Allemagne par le fond de la mer Baltique.

En outre, des capacités alternatives voient le jour : le gaz d'Azerbaïdjan, qui passera par le Sud de l'Europe et la Turquie, qui représente d'énormes réserves ; le gaz liquéfié, qui pourra venir du monde entier ... Aujourd'hui, il est attiré par l'Asie, où les prix sont deux fois plus élevés qu'en Europe ; mais les productions supplémentaires attendues de par le monde - aux États-Unis notamment, par l'intermédiaire entre autres d'opérateurs européens - devraient venir rééquilibrer un marché particulièrement abondant.

Des solutions de diversification seront la base de la sécurité d'approvisionnement. J'ajoute qu'en 2009, lorsque l'approvisionnement en gaz russe a été interrompu, nous étions au coeur d'un hiver très rigoureux, et aucun consommateur français, ni belge, n'a manqué de gaz. Le gaz russe représente 17 % de nos contrats à long terme, et moins de 15 % de nos approvisionnements globaux ; grâce au stockage, au gaz venant de Norvège et au gaz liquéfié, nous avons su y faire face. Certains pays, comme l'Allemagne ou l'Italie, sont certes plus dépendants de la Russie ; mais encore une fois, il faut bien distinguer la crise actuelle entre la Russie et l'Ukraine d'une crise potentielle entre la Russie et l'Europe.

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