Le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, destiné à assister le Parlement avant son débat sur l'orientation des finances publiques, est devenu un classique. Je suis accompagné de MM. Raoul Briet, président de la formation interchambre qui a préparé ce rapport, Henri Paul, président de chambre et rapporteur général de la Cour des comptes, François Ecalle, conseiller maître, qui est le rapporteur de synthèse de ce rapport, Christian Charpy, conseiller maître, président de section et contre-rapporteur, Vianney Bourquard et Anne Marquant. Le rapport s'organise autour de cinq messages. Premièrement, un effort d'ampleur a été engagé mais n'a conduit en 2013 qu'à une réduction limitée des déficits, très en-deçà des objectifs visés. Deuxièmement, la situation actuelle des finances publiques demeure préoccupante. Les déficits sont toujours importants et la dette continue d'augmenter. Les comptes publics restent plus dégradés que la moyenne européenne. Troisièmement, l'objectif de déficit pour 2014, déjà révisé à la hausse en mai, risque d'être dépassé. La trajectoire des finances publiques pour les années qui viennent s'en trouverait fragilisée. Quatrièmement, pour respecter la nouvelle trajectoire, tout en baissant les prélèvements obligatoires, un niveau élevé d'économies sur les dépenses devra être réalisé dès 2015. Or l'effort devrait reposer en bonne partie sur des acteurs dont l'État ne maîtrise pas les dépenses. Les hypothèses de recettes sont également optimistes. Enfin, dernier message, un tel effort, ambitieux, n'a pourtant rien d'inaccessible. D'autres pays comparables l'ont fait et les marges de manoeuvre existent pour réduire les dépenses publiques. La Cour en donne des exemples concernant les dépenses d'assurance maladie, des collectivités territoriales et de masse salariale.
Revenons sur le premier message. Les mesures prises depuis 2011 pour redresser les comptes publics ont produit des résultats tangibles. De 7,5 % du PIB en 2009, le déficit public s'est réduit pour atteindre 4,3 % en 2013. Malgré une croissance quasi nulle et avec une inflation faible, l'année 2013 a permis une réduction de 0,6 point de PIB du déficit, après 0,3 point en 2012. Le déficit structurel s'est lui aussi réduit en 2013, passant de 4,2 à 3,1 points de PIB. Ces résultats restent décevants au regard de l'ampleur des mesures prises, hausses de recettes ou maîtrise des dépenses : elles ont représenté 1,5 point de PIB d'effort structurel, soit un niveau plus important que les années passées et sans précédent depuis 1998.
La croissance des dépenses publiques a été ralentie : celles-ci ont augmenté de 1,3 % en plus de l'inflation, contre 1,4 % en moyenne entre 2009 et 2013 et 2,3 % entre 2000 et 2008. Les normes d'évolution des dépenses de l'État ou de l'assurance maladie, fixées à des niveaux plus exigeants qu'auparavant, ont été respectées. Le faible niveau de l'inflation et la baisse de la charge d'intérêts de la dette ont facilité une évolution modérée des dépenses. Au total, l'effort en dépense n'a apporté qu'une contribution limitée au redressement des comptes, à savoir 0,1 point de PIB.
La quasi-totalité de la réduction du déficit a résulté d'un effort en recettes, de 1,4 point de PIB. Si les mesures nouvelles ont eu le rendement espéré, les recettes publiques, à législation constante, n'ont augmenté que de 0,2 %, soit un rythme bien plus lent que le PIB, qui a augmenté de 1,1 % en euros courants. Les moins-values constatées sur l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés soulèvent la question de la qualité voire de la sincérité des prévisions de recettes fiscales, comme l'a relevé le rapport de la Cour du mois dernier sur le budget de l'État en 2013.
À la différence de beaucoup d'autres pays, l'effort réalisé en France depuis 2011 a très majoritairement reposé sur une augmentation continue et forte des prélèvements obligatoires ; ces hausses ont représenté 18 milliards d'euros en 2011, 22 milliards d'euros en 2012 et 29 milliards d'euros en 2013. L'année 2013 illustre les limites d'une stratégie concentrée trop exclusivement sur l'augmentation des recettes, avec un affaiblissement sensible et demeurant en partie mal expliqué du volume des impôts collectés par l'État à législation constante, notamment les impôts sur le revenu et sur les sociétés en 2013 après la TVA en 2012.
Le secteur public local n'a pas apporté la contribution attendue au redressement des comptes publics. Le déficit des collectivités territoriales a augmenté, passant de 3,7 milliards d'euros en 2012 à 9,2 milliards d'euros en 2013. La progression des dépenses de fonctionnement se maintient à un niveau soutenu, de 2,8 %. Le déficit de la sécurité sociale ne se réduit quasiment plus depuis 2011, compte tenu du faible dynamisme des recettes. Alors que les comptes des branches retraite et accidents du travail du régime général se redressent, les déficits de l'assurance maladie et de la branche famille se sont creusés. En raison de l'atonie des recettes, à législation constante, la réduction du déficit en 2013 a été sensiblement plus lente que prévu.
J'en viens au deuxième message. La dette a progressé en 2013 de 84 milliards d'euros, soit 1 300 euros supplémentaires par Français en une année. La dette n'est pas encore stabilisée et a atteint 1 925 milliards d'euros, soit 94,1 % du PIB. Près d'un mois de dépenses publiques est financé par l'emprunt.
La faiblesse des taux d'intérêts contribue à nous rendre insensibles à ce poison lent qu'est la dette, puisqu'alors même qu'elle progresse, son coût immédiat se réduit. La charge d'intérêts est passée de 52,2 à 46,7 milliards d'euros. Le retour de la croissance s'accompagnera tôt ou tard d'une remontée des taux. Notre pays doit donc se préparer à payer à l'avenir un prix nettement plus élevé pour le service de la dette, alors même qu'au niveau actuel, il absorbe déjà l'équivalent des dépenses d'enseignement scolaire. Rompre la spirale de l'endettement est indispensable pour redonner au pays les marges de manoeuvre nécessaires pour stimuler sa croissance et améliorer sa compétitivité. D'autant que la dette, dans sa quasi-totalité, a servi à financer des dépenses courantes, ce qui pose un problème d'équité entre les générations car ces dépenses n'auront pas servi à préparer l'avenir. D'autres arguments s'ajoutent, notamment le respect des engagements pris par la France vis-à-vis de ses partenaires européens, le recul de sa situation par rapport à ses voisins européens, en un mot la nécessité de mieux asseoir la crédibilité de notre signature.
En effet, la France ne se situe plus sur la trajectoire qu'elle s'est fixée elle-même par la loi de programmation des finances publiques adoptée fin 2012. Cette trajectoire prévoyait un déficit public réduit à 3 % en 2013. L'écart est de 1,3 point en termes de déficit effectif et de 1,5 point en déficit structurel. Une telle situation a conduit le Haut Conseil des finances publiques à constater un « écart important », rendant nécessaire le déclenchement du mécanisme de correction, ainsi que le prévoit la loi organique du 17 décembre 2012. La situation de nos finances publiques, bien qu'en voie d'amélioration, demeure plus dégradée que dans les autres pays européens. Le déficit public, de 4,3 % du PIB en 2013, est supérieur à la moyenne de l'Union européenne (3,3 %) et à celle de la zone euro (3 %). Avec un niveau de croissance légèrement supérieur à la moyenne de la zone euro, la France a réduit son déficit dans des proportions semblables à ses partenaires, et sa dette publique a augmenté un peu plus vite que la moyenne. Pour la première fois, le niveau de dette français se situe au-dessus des deux moyennes de l'Union européenne et de la zone euro. Bien que ralenti, le rythme de croissance des dépenses publiques en France a été encore sensiblement plus rapide que chez nos voisins en 2013.
La lenteur du rééquilibrage ne doit pas faire douter de son bien-fondé, ni de son absolue nécessité. On n'efface pas les conséquences de quarante années de gestion déséquilibrée des finances publiques en quatre années et au lendemain de la crise économique la plus grave qu'ait connue notre pays depuis l'entre-deux guerres. Un effort de cette nature doit être poursuivi dans la durée.
Le troisième message concerne la réalisation des objectifs pour l'année en cours. L'objectif de 3,6 % de déficit public a été révisé à 3,8 % dans le programme de stabilité de mai. La Cour a identifié des risques importants de moindres recettes. Des moins-values possibles peuvent être associées à une surestimation de l'élasticité des recettes publiques à la croissance du PIB. Déjà, l'importante surestimation de cette hypothèse en 2013, qui constitue d'ailleurs un défaut récurrent dans la construction des budgets, a entrainé 8 milliards de moindres recettes pour l'ensemble des administrations publiques. Pour 2014, la Cour estime à 2 à 3 milliards d'euros les risques liés à ses hypothèses d'élasticité, et à un degré moindre, ceux tenant au chiffrage des mesures nouvelles. Il existe aussi un risque concernant l'estimation de croissance de 1 % sur laquelle reposent les prévisions de recettes, compte tenu des informations les plus récentes. Le Haut Conseil des finances publiques a d'ailleurs estimé que cette prévision, sans être hors d'atteinte, apparaissait désormais élevée.
S'agissant des dépenses en 2014, la Cour a constaté que les risques de dépassement des crédits étaient un peu plus importants que les années précédentes. Ils concernent par exemple le ministère de la défense et celui de l'agriculture. La Cour estime que les objectifs de dépenses pourraient être atteints, notamment grâce à l'annulation des crédits mis en réserve. Les objectifs de dépenses de sécurité sociale devraient également être tenus. Les prévisions concernant l'assurance chômage risquent en revanche d'être dépassées. Surtout, les dépenses des collectivités territoriales, même révisées à la hausse, sont encore sous-estimées. Au total, le déficit des administrations publiques pourrait dépasser l'objectif de 3,8 % et être proche de 4 %, voire légèrement supérieur si la prévision de croissance du Gouvernement ne se réalisait pas, et ce risque est avéré. Le respect de la trajectoire des finances publiques pour les années 2015 à 2017 s'en trouverait fragilisé.
Le quatrième message concerne les perspectives des finances publiques pour les années à venir. Une nouvelle trajectoire a été fixée, et devrait être formalisée par le vote d'une nouvelle loi de programmation des finances publiques. Elle intègre les baisses de prélèvements obligatoires annoncées en faveur de la compétitivité des entreprises et du pouvoir d'achat des ménages. La Cour a estimé à 14 milliards d'euros leur coût net. En effet, la montée en charge du CICE et les mesures du pacte de responsabilité et de solidarité représentent un allégement de 35 milliards d'euros, mais le programme de stabilité prévoit une augmentation d'autres prélèvements, pour 21 milliards d'euros, soit une baisse nette de 14 milliards d'euros d'ici 2017, celle-ci intervenant pour l'essentiel en 2015 et 2016.
Pour tenir les objectifs de réduction des déficits, tout en finançant ces baisses d'impôts, l'évolution des dépenses publiques devra être davantage ralentie. La croissance annuelle moyenne des dépenses publiques devra être limitée à 0,1 % en plus de l'inflation, alors que ce taux était en moyenne de 2,3 % entre 2000 et 2008 et de 1,4 % entre 2009 et 2012. Il est d'usage d'évoquer des niveaux « d'économies » à réaliser, que le Gouvernement chiffre à 50 milliards d'euros sur trois ans. Ce chiffrage repose sur une comparaison avec une tendance d'accroissement des dépenses à politique constante. La fixation de cette tendance relève de conventions diverses et fragiles, notamment la prolongation de tendances historiques sur une période de référence. Si le Gouvernement a pu maintenir le chiffre de 50 milliards d'euros d'économies...