La commission entend une communication de M. Michel Berson, rapporteur spécial, sur le financement de la sûreté nucléaire.
Nous allons maintenant entendre une communication du rapporteur spécial Michel Berson portant sur le financement de la sûreté nucléaire.
La commission des finances m'a confié le soin de réaliser un contrôle budgétaire portant sur le financement de la sûreté nucléaire. Je vais vous livrer les résultats de cet exercice, dans la perspective de la publication d'un rapport d'information. La question du nucléaire a fortement marqué l'actualité récente. Après que le Gouvernement a annoncé son souhait d'allonger la durée de vie des centrales nucléaires, l'Assemblée nationale a constitué une commission d'enquête sur le coût de la filière nucléaire, dont les travaux viennent de s'achever. De même, à la demande de cette commission d'enquête, la Cour des comptes a produit, à la fin du mois de mai, une estimation du coût de production de l'électricité nucléaire, actualisant les données déjà publiées en 2012 sur ce sujet.
Je me suis intéressé, quant à moi, à un sujet beaucoup plus spécifique - marginalement traité dans les travaux précités -, à savoir le financement public de la sûreté nucléaire, de la radioprotection et de la transparence nucléaire. Toutefois, je n'ai traité ni la protection contre les actes de malveillance, ni le nucléaire militaire - qui constituent des problématiques particulières.
Avant toute chose, je voudrais rappeler que la sûreté nucléaire constitue un enjeu sociétal majeur. Même si l'on s'oriente, dans les années à venir, vers une diminution de la part de l'énergie nucléaire dans le bouquet énergétique, il sera toujours nécessaire de s'assurer que le parc d'installations existant, ainsi que la gestion des déchets nucléaires, répondent bien à des normes rigoureuses de sûreté. En outre, au lendemain de l'accident de Fukushima, la demande sociale de sûreté et de transparence s'agissant de l'énergie nucléaire est croissante.
Je rappellerai également que la sûreté nucléaire doit être assurée en premier lieu par les exploitants des installations nucléaires, qui réalisent les investissements en ce domaine. Pour autant, il revient à l'État de définir la réglementation en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection, de mettre en oeuvre les contrôles nécessaires à son application et de garantir, en toute transparence, une information fiable et accessible au public.
Ceci implique donc une intervention des services du ministère de l'écologie, mais également de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Ces deux organismes forment le « dispositif dual » sur lequel repose le système français de sûreté nucléaire et de radioprotection, système dont l'efficacité n'est plus à démontrer.
L'ASN - qui constitue, depuis 2006, une autorité administrative indépendante (AAI) - assure le contrôle des activités nucléaires, la délivrance de certaines autorisations ayant trait aux installations nucléaires et l'édiction de prescriptions techniques. L'IRSN - établissement public industrielle et commercial (EPIC) de l'État - est en charge des activités d'expertise et de recherche en matière d'évaluation des risques. Aussi, il assure un appui technique à l'ASN de façon autonome.
Avant de présenter mes conclusions et propositions, je voudrais formuler quelques observations.
Tout d'abord, le financement du dispositif de sûreté nucléaire et de radioprotection est particulièrement complexe. La loi de finances pour 2000 a institué une taxe sur les installations nucléaires de base - dite « taxe INB » - dont le rendement a atteint près de 580 millions d'euros en 2013. Pour autant, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) ne sont pas directement financés par cette taxe : leurs ressources proviennent de dotations inscrites au budget général de l'État, notamment au sein des missions « Écologie, développement et aménagement durables » et « Recherche et enseignement supérieur ». L'enveloppe budgétaire de ces deux entités est évaluée, dans la loi de finances pour 2014, à 261 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 266 millions d'euros en crédits de paiement (CP), soit un montant - il faut le souligner - inférieur à 50 % du produit de la « taxe INB » perçue par l'État. Les crédits dédiés à l'ASN et à l'IRSN sont portés par un total de cinq programmes relevant de quatre missions distinctes. En outre, l'IRSN est l'affectataire d'une contribution spécifique versée par les exploitants d'installations nucléaires dont le rendement a atteint 53 millions d'euros en 2013. La consolidation des moyens budgétaires et extrabudgétaires alloués au dispositif de sûreté nucléaire et de radioprotection est donc potentiellement difficile.
Ensuite, le financement de la transparence nucléaire souffre de défauts similaires. Ainsi, le Haut Comité pour la transparence et l'information pour la sûreté nucléaire (HCTISN) bénéficie d'une dotation de la mission « Écologie, développement et aménagements durables » ; cependant, les commissions locales d'information (CLI) - constituées auprès de chaque installation nucléaire - sont financées par les collectivités territoriales et à partir du budget de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). La loi a également prévu que certaines commissions puissent bénéficier d'une partie du produit de la « taxe INB », mais cette possibilité n'a jamais été utilisée par l'État.
Un effort de clarification dans le financement du dispositif de la sûreté nucléaire, de la radioprotection et de la transparence nucléaire s'impose donc, ne serait-ce que pour des raisons de pilotage efficace de ce dispositif et d'accessibilité démocratique.
Cette clarification est d'autant plus nécessaire que les enjeux auxquels seront confrontés l'ASN et l'IRSN dans les années à venir sont de taille et qu'ils vont nécessiter la mobilisation de moyens conséquents. Parmi ces enjeux figurent le contrôle des travaux consécutifs à l'accident de Fukushima, le contrôle de l'entrée en fonctionnement vers 2016 du réacteur pressurisé européen (EPR) de Flamanville, l'encadrement et le contrôle du vieillissement, comme du démantèlement, des réacteurs électronucléaires, l'encadrement et l'analyse du réexamen de sûreté des installations exploitées par Areva et le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) et l'instruction des dossiers réglementaires des nouvelles installations, comme le centre de stockage géologique CIGÉO, le réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER), ou encore le réacteur Jules Horowitz. Par ailleurs, il sera nécessaire de maintenir une recherche de niveau mondial et de tenir compte d'une demande accrue de transparence aussi bien en France qu'au niveau international.
Ainsi, à terme, eu égard aux enjeux qui viennent d'être cités, les besoins supplémentaires de l'ASN et de l'IRSN approcheraient environ 36 millions d'euros, intégrant la création d'un peu moins de 200 postes budgétaires.
Cet état des lieux étant dressé, j'en viens à mes propositions.
Face à la double nécessité de dégager des moyens de financement supplémentaires au profit de l'ASN et de l'IRSN et de clarifier le système de financement de la sûreté nucléaire, de la radioprotection et de la transparence nucléaire, je me suis attaché à formuler cinq propositions principales tendant à refonder ce dernier sur la base de trois principes : l'indépendance du contrôle, la rationalisation du financement et la transparence démocratique. Cette refondation vise à conforter le « dispositif dual » de sûreté nucléaire et de radioprotection, à renforcer les crédits finançant ce dispositif et à placer le système de financement sous le contrôle du Parlement.
Tout d'abord, il me semble nécessaire de faire reposer une partie du financement de l'ASN sur une taxe affectée - que l'on pourrait appeler contribution de sûreté et de transparence nucléaires (CSTN) -, acquittée par les exploitants d'installations nucléaires, sur le modèle de la contribution actuellement perçue par l'IRSN. Il conviendrait, néanmoins, de prendre garde de ne pas accroître les charges des organismes financés à l'aide de crédits budgétaires, à l'instar du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables (CEA).
Il paraît, en effet, justifié que les entreprises exploitant commercialement des installations nucléaires - soit EDF et Areva - puissent apporter une contribution complémentaire au dispositif de sûreté nucléaire dès lors qu'un renforcement des moyens de celui-ci se ferait également à leur profit et éviterait qu'elles ne soient confrontées aux coûts qui pourraient résulter d'un engorgement de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). À ce titre, je rappelle que l'arrêt d'un réacteur nucléaire représente un coût de plus d'un million d'euros par jour pour EDF... L'affectation d'une telle taxe nécessiterait, pour des raisons juridiques, de doter l'Autorité de la personnalité morale.
Il s'agit, de cette manière, de renforcer l'indépendance de l'ASN. En effet, cette dernière est, aujourd'hui, exclusivement financée par des dotations budgétaires dont le montant est arrêté, chaque année, sur proposition du Gouvernement. Aussi, du fait de l'article 40 de la Constitution, le Parlement ne dispose que de marges de manoeuvre réduites pour s'opposer, le cas échéant, à une baisse non justifiée de ces dotations. C'est pourquoi, je propose que le Parlement soit chargé de « piloter » le produit de cette taxe - à la différence de la contribution versée à l'IRSN dont le montant est fixé par arrêté ministériel.
Cette taxe garantirait la pérennité des ressources de l'Autorité. Toutefois, parce qu'il ne saurait être question d'affecter une ressource sans contrôle à un organisme, cette taxe devrait être plafonnée, l'excédent de recettes étant reversé au budget général de l'État. Ainsi l'indépendance de l'Autorité de sûreté nucléaire serait-elle garantie sous le contrôle vigilant du Parlement.
Ensuite, cette nouvelle contribution aurait également vocation à financer les commissions locales d'information (CLI). Elle se substituerait, par conséquent, à l'attribution d'une part du produit de la « taxe INB », qui constitue un mécanisme si complexe qu'il n'a jamais été mis en oeuvre. Les dotations de ces commissions continueraient à être versées par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), selon une logique de projet, permettant une allocation raisonnée des moyens.
Il me semble, par ailleurs, que la contribution perçue par l'IRSN devrait être modifiée selon les mêmes principes que cette taxe affectée à l'Autorisé de sûreté nucléaire, qu'il s'agisse de la fixation du montant par le Parlement, du plafonnement, etc.
Dans un souci de simplification et de cohérence, le financement de l'ASN et de l'IRSN reposerait, dès lors, sur une dotation de l'État et une contribution payée par les exploitants d'installations nucléaires.
Au total, ces nouvelles modalités de financement renforceraient l'indépendance du dispositif de sûreté nucléaire et de radioprotection, ainsi que les pouvoirs du Parlement, tout en tirant les enseignements utiles des travaux réalisés par le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) sur les taxes affectées.
Afin de permettre au Parlement d'exercer efficacement son droit de regard sur le financement de la sûreté nucléaire, je propose également, d'une part, la création d'une délégation parlementaire à la sûreté et à la transparence nucléaires, commune à l'Assemblée nationale et au Sénat, qui aurait vocation à rendre un avis, chaque année, sur le financement du dispositif de sûreté nucléaire et, d'autre part, la création d'un « jaune budgétaire » consolidant l'ensemble des ressources attribuées à la sûreté nucléaire et à la radioprotection. Ce nouveau document renforcerait la lisibilité politique du financement de la sûreté nucléaire.
Enfin, plus en marge de mon sujet, je souhaiterais que le « choc de simplification » puisse être étendu à la réglementation de la sûreté nucléaire. Dans un contexte où d'importants investissements de sûreté sont demandés aux exploitants d'installations nucléaires, un effort de rationalisation doit être consenti. Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité nucléaire (TSN), la règlementation se complexifie et produit des coûts supplémentaires. Les prescriptions de plus en plus élevées et les exigences de détail ne sont pas toujours en rapport avec le surcroît de sûreté qu'elles devraient engendrer. La réglementation semble se constituer selon un processus incrémental, parfois au mépris de son applicabilité technique : trop de sûreté nucléaire tuerait-elle la sûreté ?
Merci, Monsieur le rapporteur, pour ce très intéressant exposé, qui m'a rappelé de vieux souvenirs...
Vous avez indiqué que le produit de la « taxe INB » était de l'ordre de 580 millions d'euros par an tandis que le budget de l'IRSN et de l'ASN s'élevait à environ 260 millions d'euros. Pourriez-vous préciser où va la différence entre ces deux sommes ?
Vous avez formulé des propositions claires et constructives sur le rôle du Parlement et les conditions d'affectation d'une taxe à ces deux organismes. Mais, dans le passé, un tel système d'affectation directe existait ; on s'est quelque peu écarté depuis lors, semble-t-il, de la clarté et de la transparence...
Enfin, dans votre esprit, le produit de 580 millions d'euros de la « taxe INB » a-t-il vocation à rester constant ou bien les exigences supplémentaires en termes de sûreté nucléaire devront-elles se traduire en coûts supplémentaires - qui se répercuteront, d'une manière ou d'une autre, sur le coût de l'électricité nucléaire ?
La « taxe INB » n'est, à ce jour, pas affectée, conformément au principe d'universalité budgétaire. Elle alimente le budget général à hauteur de 580 millions d'euros.
Pour l'avenir, on pourrait, en théorie, envisager une diminution du produit de cette taxe alimentant les caisses de l'État, par exemple pour compenser l'instauration d'une taxe affectée aux deux opérateurs de la sureté nucléaire. Mais cela ne correspond guère à l'air du temps. La stabilité de ce produit est, à mes yeux, l'hypothèse la plus probable. Au total, les charges reposant sur les exploitants sont donc appelées à augmenter, en liaison avec les sept grands défis dont je vous ai parlé précédemment.
Ma proposition va simplement dans le sens du maintien d'une dotation d'État, à laquelle s'ajouterait l'affectation d'une taxe sous le contrôle du Parlement afin de renforcer l'indépendance de l'ASN et de l'IRSN.
Ce serait, en quelque sorte, un régime mixte entre le régime passé et le régime actuel.
Par le passé, le financement passait par des redevances et non par des taxes, ce qui pouvait poser un problème d'indépendance des opérateurs de sûreté à l'égard des acteurs de la filière nucléaire.
C'est exact. Nous nous rapprocherions plutôt des anciennes taxes parafiscales que « sainte LOLF » est censée avoir abolies mais qui prolifèrent néanmoins...
Oui, mais l'affectation serait plafonnée dans un souci de responsabilité.
Si la commission des finances abandonnait cette logique, ce serait à désespérer de tout.
Michel Berson a parlé de rationalisation, de transparence, d'équilibre ou encore de contrôle en matière de sureté nucléaire. Mais, au-delà, l'ASN est-elle réformable ? Doit-elle être conservée ou bien est-ce l'ensemble du système actuel qu'il convient de changer ? Pour ma part, j'ai le sentiment que tout n'est pas sous contrôle.
Je voudrais pour ma part souligner le rôle des commissions locales d'information (CLI) dans notre dispositif. Il est nécessaire de veiller à la qualité de leurs conditions de travail.
Par ailleurs, notre rapporteur nous a proposé la création d'une délégation parlementaire à la sûreté nucléaire. Les instances actuelles de contrôle seraient-elles insuffisantes ? Pour ma part, je me méfie de la multiplication de tels organismes car il est préférable de pas « énerver » les contrôlés.
En l'occurrence, cette expression pourrait être prise au sens propre, « vidé de son système nerveux central »...
En définitive, les Français aimeraient savoir si l'ASN a effectivement les moyens d'exercer ses missions. Concrètement, a-t-elle les capacités de vérifier sur le terrain si tout est mis en oeuvre pour que les installations nucléaires fonctionnent dans les meilleures conditions ? Récemment, des militants associatifs ont réussi à s'introduire dans des installations, ce qui peut nous inquiéter : ils n'avaient que des banderoles, mais qu'en serait-il si, un jour, quelqu'un s'approchait aussi près en étant armé d'explosifs ? Certes, un certain nombre de mesures sont d'ores et déjà prises, comme la mise en place de clôtures et de barbelés. L'ASN dispose-t-elle donc bien des moyens de ses contrôles, y compris au plan budgétaire ?
En réponse à Roger Karoutchi, j'indiquerais que l'ASN est réformable et doit être réformée pour lui permettre d'exercer les nouvelles missions qui lui incombent. Mais le système de financement actuel ne lui permettra plus de faire face aux défis qui s'imposent à elle, dans un horizon proche - peut-être de deux ou trois ans. Il faut en tout cas garder le caractère dual qui est propre à la France, et s'articule autour de l'ASN, qui joue un rôle de pilote, et de l'IRSN en tant qu'outil d'expertise et de recherche. Il convient néanmoins de proposer une articulation plus fluide permettant à l'ASN et à l'IRSN de fonctionner dans de meilleures conditions, sur le plan de l'organisation et du financement. Notre système dual est reconnu internationalement comme étant particulièrement performant, et a permis de hisser la France aux premiers rangs mondiaux : nous devons conserver la compétitivité de notre filière nucléaire qui est particulièrement élevée. Il n'est pas question de révolutionner un dispositif qui a fait ses preuves.
Edmond Hervé a appelé notre attention sur le caractère essentiel des commissions locales d'information. Je me suis efforcé de réfléchir dans trois domaines : la sûreté nucléaire, la radioprotection et la transparence nucléaire. La transparence n'est pas à négliger et elle constitue aujourd'hui un enjeu sociétal majeur. Il est de la responsabilité du Parlement de traiter cette question. Par conséquent, la création d'une délégation parlementaire exerçant une mission de contrôle permettrait de donner beaucoup plus de lisibilité à un système qui, s'il n'est pas opaque, n'en est pas moins très complexe, le financement étant réparti entre cinq programmes relevant de quatre missions pour des montants qui, somme toute, ne sont pas considérables. Les enjeux budgétaires s'élèvent à 580 millions d'euros si on prend en compte le produit de la « taxe INB », plus de 260 millions d'euros au titre des dotations de l'État et une cinquantaine de millions d'euros pour la taxe spécifique dont bénéficie l'IRSN. C'est pourquoi je propose la mise en place d'une délégation parlementaire couplée à la création d'un « jaune budgétaire ». Une solution, un temps envisagée, aurait été de créer un programme unique, mais cette proposition ne nous est pas apparue viable dans l'immédiat.
Enfin, Philippe Dallier a parlé non de sûreté nucléaire mais de sécurité nucléaire, en faisant mention de tous les actes de malveillance, que ceux-ci soient de nature terroriste ou de simples manifestations intempestives. La sécurité nucléaire relève de la responsabilité des exploitants, qui doivent réaliser les travaux nécessaires, ainsi que de celle de l'État au titre des services de renseignements et des forces de police en charge de l'ordre public autour des installations nucléaires. Il s'agit d'une autre problématique. Concernant la sûreté nucléaire, je peux garantir que l'ASN dispose des moyens intellectuels et techniques nécessaires, notamment via l'IRSN, pour assurer ses missions de pilotage et de contrôle.
Enfin, pour finir, je souhaiterais ajouter qu'alors que la phase préalable au débat sur la transition énergétique arrive à son terme et que les contraintes budgétaires de l'État se renforcent, le moment semble venu de faire franchir une étape au système de financement de la sûreté nucléaire dans notre pays. Si l'ASN et l'IRSN n'enregistrent pas, au cours de trois prochaines années, un accroissement substantiel de leurs ressources pour faire face à leurs missions dont le poids est croissant, des choix devront être faits. Le risque est que les moyens soient concentrés sur la sûreté des installations existantes au détriment des projets nouveaux ; de même, les activités de recherche pourraient être réduites pour compenser une insuffisance de ressources pour abonder les tâches d'expertise.
À l'issue de ce débat, la commission a donné acte de sa communication à M. Michel Berson, rapporteur spécial, et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.
La réunion reprend à 10 h 20
Puis la commission procède à l'audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes et président du Haut Conseil des finances publiques, sur le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques et sur l'avis du Haut Conseil des finances publiques relatif au projet de loi de finances rectificative pour 2014 et au projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014, conjointement avec la commission des affaires sociales.
Je salue la présence exceptionnelle des deux rapporteurs généraux, celui des finances et celui des affaires sociales, dans le cadre de cette séance conjointe de nos deux commissions. Monsieur Migaud, nous vous entendons sous les qualités distinctes de Premier président de la Cour des comptes et de président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP). Vous nous présentez le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, qui incluent l'État, ses opérateurs, la protection sociale et les collectivités territoriales ; et ce, en vue du débat d'orientation des finances publiques en séance publique, le 15 juillet. Vous nous présenterez ensuite l'avis du Haut Conseil à la fois sur la loi de finances rectificative et sur la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014. Nous disposerons ainsi des jalons indispensables pour comprendre la situation des finances publiques de notre pays et pour apprécier la situation macro-économique et la croissance potentielle de notre pays, pour mieux opérer la distinction délicate entre ce qui est conjoncturel et ce qui est structurel. Tout comme notre commission, le Haut Conseil est très attaché à l'importance méthodologique de cette distinction. Ses travaux ne pourront qu'être utiles à notre réflexion. Nous regrettons l'absence de Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales, retenue par des obligations impératives.
Le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, destiné à assister le Parlement avant son débat sur l'orientation des finances publiques, est devenu un classique. Je suis accompagné de MM. Raoul Briet, président de la formation interchambre qui a préparé ce rapport, Henri Paul, président de chambre et rapporteur général de la Cour des comptes, François Ecalle, conseiller maître, qui est le rapporteur de synthèse de ce rapport, Christian Charpy, conseiller maître, président de section et contre-rapporteur, Vianney Bourquard et Anne Marquant. Le rapport s'organise autour de cinq messages. Premièrement, un effort d'ampleur a été engagé mais n'a conduit en 2013 qu'à une réduction limitée des déficits, très en-deçà des objectifs visés. Deuxièmement, la situation actuelle des finances publiques demeure préoccupante. Les déficits sont toujours importants et la dette continue d'augmenter. Les comptes publics restent plus dégradés que la moyenne européenne. Troisièmement, l'objectif de déficit pour 2014, déjà révisé à la hausse en mai, risque d'être dépassé. La trajectoire des finances publiques pour les années qui viennent s'en trouverait fragilisée. Quatrièmement, pour respecter la nouvelle trajectoire, tout en baissant les prélèvements obligatoires, un niveau élevé d'économies sur les dépenses devra être réalisé dès 2015. Or l'effort devrait reposer en bonne partie sur des acteurs dont l'État ne maîtrise pas les dépenses. Les hypothèses de recettes sont également optimistes. Enfin, dernier message, un tel effort, ambitieux, n'a pourtant rien d'inaccessible. D'autres pays comparables l'ont fait et les marges de manoeuvre existent pour réduire les dépenses publiques. La Cour en donne des exemples concernant les dépenses d'assurance maladie, des collectivités territoriales et de masse salariale.
Revenons sur le premier message. Les mesures prises depuis 2011 pour redresser les comptes publics ont produit des résultats tangibles. De 7,5 % du PIB en 2009, le déficit public s'est réduit pour atteindre 4,3 % en 2013. Malgré une croissance quasi nulle et avec une inflation faible, l'année 2013 a permis une réduction de 0,6 point de PIB du déficit, après 0,3 point en 2012. Le déficit structurel s'est lui aussi réduit en 2013, passant de 4,2 à 3,1 points de PIB. Ces résultats restent décevants au regard de l'ampleur des mesures prises, hausses de recettes ou maîtrise des dépenses : elles ont représenté 1,5 point de PIB d'effort structurel, soit un niveau plus important que les années passées et sans précédent depuis 1998.
La croissance des dépenses publiques a été ralentie : celles-ci ont augmenté de 1,3 % en plus de l'inflation, contre 1,4 % en moyenne entre 2009 et 2013 et 2,3 % entre 2000 et 2008. Les normes d'évolution des dépenses de l'État ou de l'assurance maladie, fixées à des niveaux plus exigeants qu'auparavant, ont été respectées. Le faible niveau de l'inflation et la baisse de la charge d'intérêts de la dette ont facilité une évolution modérée des dépenses. Au total, l'effort en dépense n'a apporté qu'une contribution limitée au redressement des comptes, à savoir 0,1 point de PIB.
La quasi-totalité de la réduction du déficit a résulté d'un effort en recettes, de 1,4 point de PIB. Si les mesures nouvelles ont eu le rendement espéré, les recettes publiques, à législation constante, n'ont augmenté que de 0,2 %, soit un rythme bien plus lent que le PIB, qui a augmenté de 1,1 % en euros courants. Les moins-values constatées sur l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés soulèvent la question de la qualité voire de la sincérité des prévisions de recettes fiscales, comme l'a relevé le rapport de la Cour du mois dernier sur le budget de l'État en 2013.
À la différence de beaucoup d'autres pays, l'effort réalisé en France depuis 2011 a très majoritairement reposé sur une augmentation continue et forte des prélèvements obligatoires ; ces hausses ont représenté 18 milliards d'euros en 2011, 22 milliards d'euros en 2012 et 29 milliards d'euros en 2013. L'année 2013 illustre les limites d'une stratégie concentrée trop exclusivement sur l'augmentation des recettes, avec un affaiblissement sensible et demeurant en partie mal expliqué du volume des impôts collectés par l'État à législation constante, notamment les impôts sur le revenu et sur les sociétés en 2013 après la TVA en 2012.
Le secteur public local n'a pas apporté la contribution attendue au redressement des comptes publics. Le déficit des collectivités territoriales a augmenté, passant de 3,7 milliards d'euros en 2012 à 9,2 milliards d'euros en 2013. La progression des dépenses de fonctionnement se maintient à un niveau soutenu, de 2,8 %. Le déficit de la sécurité sociale ne se réduit quasiment plus depuis 2011, compte tenu du faible dynamisme des recettes. Alors que les comptes des branches retraite et accidents du travail du régime général se redressent, les déficits de l'assurance maladie et de la branche famille se sont creusés. En raison de l'atonie des recettes, à législation constante, la réduction du déficit en 2013 a été sensiblement plus lente que prévu.
J'en viens au deuxième message. La dette a progressé en 2013 de 84 milliards d'euros, soit 1 300 euros supplémentaires par Français en une année. La dette n'est pas encore stabilisée et a atteint 1 925 milliards d'euros, soit 94,1 % du PIB. Près d'un mois de dépenses publiques est financé par l'emprunt.
La faiblesse des taux d'intérêts contribue à nous rendre insensibles à ce poison lent qu'est la dette, puisqu'alors même qu'elle progresse, son coût immédiat se réduit. La charge d'intérêts est passée de 52,2 à 46,7 milliards d'euros. Le retour de la croissance s'accompagnera tôt ou tard d'une remontée des taux. Notre pays doit donc se préparer à payer à l'avenir un prix nettement plus élevé pour le service de la dette, alors même qu'au niveau actuel, il absorbe déjà l'équivalent des dépenses d'enseignement scolaire. Rompre la spirale de l'endettement est indispensable pour redonner au pays les marges de manoeuvre nécessaires pour stimuler sa croissance et améliorer sa compétitivité. D'autant que la dette, dans sa quasi-totalité, a servi à financer des dépenses courantes, ce qui pose un problème d'équité entre les générations car ces dépenses n'auront pas servi à préparer l'avenir. D'autres arguments s'ajoutent, notamment le respect des engagements pris par la France vis-à-vis de ses partenaires européens, le recul de sa situation par rapport à ses voisins européens, en un mot la nécessité de mieux asseoir la crédibilité de notre signature.
En effet, la France ne se situe plus sur la trajectoire qu'elle s'est fixée elle-même par la loi de programmation des finances publiques adoptée fin 2012. Cette trajectoire prévoyait un déficit public réduit à 3 % en 2013. L'écart est de 1,3 point en termes de déficit effectif et de 1,5 point en déficit structurel. Une telle situation a conduit le Haut Conseil des finances publiques à constater un « écart important », rendant nécessaire le déclenchement du mécanisme de correction, ainsi que le prévoit la loi organique du 17 décembre 2012. La situation de nos finances publiques, bien qu'en voie d'amélioration, demeure plus dégradée que dans les autres pays européens. Le déficit public, de 4,3 % du PIB en 2013, est supérieur à la moyenne de l'Union européenne (3,3 %) et à celle de la zone euro (3 %). Avec un niveau de croissance légèrement supérieur à la moyenne de la zone euro, la France a réduit son déficit dans des proportions semblables à ses partenaires, et sa dette publique a augmenté un peu plus vite que la moyenne. Pour la première fois, le niveau de dette français se situe au-dessus des deux moyennes de l'Union européenne et de la zone euro. Bien que ralenti, le rythme de croissance des dépenses publiques en France a été encore sensiblement plus rapide que chez nos voisins en 2013.
La lenteur du rééquilibrage ne doit pas faire douter de son bien-fondé, ni de son absolue nécessité. On n'efface pas les conséquences de quarante années de gestion déséquilibrée des finances publiques en quatre années et au lendemain de la crise économique la plus grave qu'ait connue notre pays depuis l'entre-deux guerres. Un effort de cette nature doit être poursuivi dans la durée.
Le troisième message concerne la réalisation des objectifs pour l'année en cours. L'objectif de 3,6 % de déficit public a été révisé à 3,8 % dans le programme de stabilité de mai. La Cour a identifié des risques importants de moindres recettes. Des moins-values possibles peuvent être associées à une surestimation de l'élasticité des recettes publiques à la croissance du PIB. Déjà, l'importante surestimation de cette hypothèse en 2013, qui constitue d'ailleurs un défaut récurrent dans la construction des budgets, a entrainé 8 milliards de moindres recettes pour l'ensemble des administrations publiques. Pour 2014, la Cour estime à 2 à 3 milliards d'euros les risques liés à ses hypothèses d'élasticité, et à un degré moindre, ceux tenant au chiffrage des mesures nouvelles. Il existe aussi un risque concernant l'estimation de croissance de 1 % sur laquelle reposent les prévisions de recettes, compte tenu des informations les plus récentes. Le Haut Conseil des finances publiques a d'ailleurs estimé que cette prévision, sans être hors d'atteinte, apparaissait désormais élevée.
S'agissant des dépenses en 2014, la Cour a constaté que les risques de dépassement des crédits étaient un peu plus importants que les années précédentes. Ils concernent par exemple le ministère de la défense et celui de l'agriculture. La Cour estime que les objectifs de dépenses pourraient être atteints, notamment grâce à l'annulation des crédits mis en réserve. Les objectifs de dépenses de sécurité sociale devraient également être tenus. Les prévisions concernant l'assurance chômage risquent en revanche d'être dépassées. Surtout, les dépenses des collectivités territoriales, même révisées à la hausse, sont encore sous-estimées. Au total, le déficit des administrations publiques pourrait dépasser l'objectif de 3,8 % et être proche de 4 %, voire légèrement supérieur si la prévision de croissance du Gouvernement ne se réalisait pas, et ce risque est avéré. Le respect de la trajectoire des finances publiques pour les années 2015 à 2017 s'en trouverait fragilisé.
Le quatrième message concerne les perspectives des finances publiques pour les années à venir. Une nouvelle trajectoire a été fixée, et devrait être formalisée par le vote d'une nouvelle loi de programmation des finances publiques. Elle intègre les baisses de prélèvements obligatoires annoncées en faveur de la compétitivité des entreprises et du pouvoir d'achat des ménages. La Cour a estimé à 14 milliards d'euros leur coût net. En effet, la montée en charge du CICE et les mesures du pacte de responsabilité et de solidarité représentent un allégement de 35 milliards d'euros, mais le programme de stabilité prévoit une augmentation d'autres prélèvements, pour 21 milliards d'euros, soit une baisse nette de 14 milliards d'euros d'ici 2017, celle-ci intervenant pour l'essentiel en 2015 et 2016.
Pour tenir les objectifs de réduction des déficits, tout en finançant ces baisses d'impôts, l'évolution des dépenses publiques devra être davantage ralentie. La croissance annuelle moyenne des dépenses publiques devra être limitée à 0,1 % en plus de l'inflation, alors que ce taux était en moyenne de 2,3 % entre 2000 et 2008 et de 1,4 % entre 2009 et 2012. Il est d'usage d'évoquer des niveaux « d'économies » à réaliser, que le Gouvernement chiffre à 50 milliards d'euros sur trois ans. Ce chiffrage repose sur une comparaison avec une tendance d'accroissement des dépenses à politique constante. La fixation de cette tendance relève de conventions diverses et fragiles, notamment la prolongation de tendances historiques sur une période de référence. Si le Gouvernement a pu maintenir le chiffre de 50 milliards d'euros d'économies...
Vous avez bien qualifié les conventions de calcul de « diverses et fragiles » ?
Oui. Si le Gouvernement a maintenu ce chiffre avant et après la prise en compte des nouvelles baisses de prélèvements obligatoires, cela signifie qu'il a révisé à la baisse, implicitement, son hypothèse de croissance spontanée des dépenses, qui passe de 1,6 % à 1,5 % en plus de l'inflation. Sans cette révision conventionnelle, le montant d'économies aurait représenté 58 milliards d'euros. Si de telles révisions ne sont pas illégitimes dans leur principe, les conventions et méthodes utilisées devraient être explicitées et rendues publiques.
La Cour a examiné le contenu du programme des 50 milliards d'euros d'économies annoncées. Une vingtaine de milliards d'euros correspond à des orientations déjà décidées, par exemple la poursuite du gel des traitements de base des fonctionnaires, ou constitue la prolongation d'efforts déjà réalisés, s'agissant par exemple des dépenses de santé. Les 30 autres milliards d'euros d'économies sont incertains car les économies sont peu documentées.
Les économies identifiées dans le cadre de la modernisation de l'action publique (MAP), de l'ordre de 5 à 7 milliards d'euros, ne sont pas à la hauteur de l'enjeu. Près de 15 milliards d'euros d'économies prévues reposent sur des administrations dont l'État ne maîtrise pas les dépenses : les régimes complémentaires de retraite pour 2 milliards d'euros, l'assurance chômage pour 1,5 milliard d'euros. Les collectivités territoriales contribueraient pour 11 milliards d'euros : le Gouvernement anticipe un ralentissement marqué de leurs dépenses sous l'effet de l'évolution des dotations de l'État et d'une baisse des investissements. Plus précisément, il anticipe qu'un euro de dotation en moins entrainera un euro de moindre dépense. Or rien n'empêche les collectivités de relever la fiscalité locale ou de recourir à l'endettement. En 2013, alors que les communes subissaient le gel des dotations de l'État, leurs dépenses de fonctionnement se sont accrues et leur déficit, ou plutôt leur besoin de financement, a progressé. Les dépenses de personnel ont progressé de 2,6 % dans les communes et de 7,2 % dans les intercommunalités.
Le choix d'un partage équilibré entre toutes les administrations publiques répond à une préconisation de la Cour des comptes. Mais pour assurer la réalisation de la trajectoire, un renforcement des outils de programmation et de suivi des finances publiques est indispensable. Les normes de dépenses concernant l'État et ses opérateurs pourraient être encore élargies, le champ des lois de finances et de financement pourrait être étendu à toute la protection sociale obligatoire, y compris les régimes d'assurance chômage et de retraite complémentaire. Des lois de finances locales pourraient être instaurées, fixant les objectifs en dépenses et recettes et les mesures pour y parvenir. L'effort demandé aux collectivités, dans le respect de leur libre administration, encadrée par les lois, serait précisé, et un suivi en cours d'exécution serait organisé. De son côté, l'État devrait clarifier ses engagements, s'agissant de ses décisions qui peuvent avoir un impact important sur les budgets locaux, qu'il s'agisse de la politique salariale ou de l'édiction de normes.
Le dépassement des objectifs de dépenses représente aujourd'hui le principal risque de déviation de la trajectoire. Cependant, la Cour identifie aussi un risque sensible sur le niveau de recettes pour les prochaines années. Le scénario macroéconomique retenu est fragile, particulièrement en matière de progression de la masse salariale et de reprise de l'emploi. Si le Haut Conseil des finances publiques n'a pas jugé hors d'atteinte la prévision de croissance de 1,7 % pour 2015, il a estimé néanmoins qu'elle reposait sur une conjonction d'hypothèses favorables. Il considère que les prévisions de croissance pour 2016 et 2017 sont optimistes.
J'en viens au dernier message : pour ambitieux qu'il soit, l'objectif de maîtrise des dépenses est réalisable. D'autres pays comparables sont parvenus à infléchir sensiblement la progression de leurs dépenses. Aux Pays-Bas, entre 1995 et 1999, la dépense publique a été réduite de 10,3 points de PIB. L'Allemagne est parvenue à assurer le retour à l'équilibre structurel de ses comptes en agissant principalement sur ses dépenses. Alors que le taux de dépenses publiques progressait de 5,4 points de PIB en France entre 2001 et 2013, il se réduisait de 2,9 points en Allemagne. L'évolution du poids des prestations sociales et des dépenses de fonctionnement explique l'essentiel de la divergence de trajectoire entre la France et l'Allemagne.
Des dépenses publiques élevées ne se justifient que si elles sont financées dans la durée et sont efficientes. La performance des politiques et des organismes publics peut être sensiblement améliorée sans remettre en cause la qualité du service rendu ni le modèle social français. Les résultats atteints par nombre de politiques publiques ne sont pas à la hauteur des moyens investis. Faire aussi bien, voire mieux, en dépensant moins, est possible. C'est d'autant plus nécessaire que des marges de manoeuvre manquent pour investir dans des projets d'avenir et redresser notre compétitivité.
La recherche d'économies doit être une opportunité pour initier des réformes plus profondes, touchant à l'adaptation et à la modernisation des politiques publiques. La Cour consacre des développements détaillés à trois champs de dépenses où les objectifs affichés sont réalisables, mais supposent des arbitrages clairs.
La maîtrise de la masse salariale publique est incontournable pour freiner les dépenses publiques, dont elle représente 23,2 %. Le programme de stabilité prévoit un ralentissement très sensible de la masse salariale, qui devrait croître désormais à un rythme inférieur à l'inflation. Pour l'État, à effectifs constants, les mesures utilisées dans la période récente - gel du traitement de base, baisse des mesures catégorielles - ne suffiront pas à atteindre ces objectifs. Si l'on souhaite conserver une fonction publique attractive, il convient également de préserver quelques marges de manoeuvre de politique salariale. Il convient donc d'envisager d'autres leviers, comme la baisse des effectifs, porteuse d'économies importante et durable. Une hausse du temps de travail effectif des fonctionnaires, qui se situe parfois en-deçà de la durée légale, pourrait rendre possible cette baisse des effectifs sans réduire la quantité et la qualité des services publics. Il serait utile à cet égard d'établir un état des lieux de la durée effective de travail dans les trois fonctions publiques.
L'État a déjà consenti beaucoup plus d'efforts que les autres administrations publiques en la matière. Depuis 2009, les effectifs des collectivités territoriales ont augmenté de 1,3 % par an en moyenne, alors qu'aucun transfert de compétence n'est intervenu. À l'hôpital, la tendance est comparable. Une forte inflexion des recrutements dans les collectivités territoriales et des réorganisations hospitalières seraient donc opportunes. Des économies sont possibles dans les dépenses de fonctionnement des communes et des intercommunalités, dans les dépenses d'intervention des régions et dans une plus grande sélectivité des investissements locaux. Enfin, l'assurance maladie constitue la principale source de déficit de la sécurité sociale. Or il existe de très importants gisements d'économies qui n'affecteraient pas la qualité des prestations ni l'accès aux soins. Le développement de la chirurgie ambulatoire, très en retard dans notre pays, pourrait permettre de réaliser jusqu'à 5 milliards d'euros d'économies ; la politique du médicament, pourrait également permettre de réaliser plusieurs milliards d'euros d'économies, à travers des baisses de prix ou un développement accru de l'usage des génériques. Certains postes de dépenses peuvent être mieux maîtrisés : transport des patients, analyses médicales, indemnités journalières en cas d'arrêt maladie, dépenses de gestion des caisses d'assurance maladie ...
Chaque année, rapport après rapport, la Cour des comptes s'efforce d'ouvrir des pistes et d'indiquer des solutions. Cette année, elle insiste sur le caractère préoccupant de la situation des finances publiques de notre pays, tout en montrant qu'il est possible d'y remédier.
L'avis du Haut Conseil aux finances publiques est complémentaire des analyses effectuées par la Cour des comptes.
Certes pas. Cet avis du Haut Conseil traite des prévisions macroéconomiques ; concernant les finances publiques, il ne porte que sur la prévision du solde structurel pour 2014. Le Haut Conseil a considéré que, sans être hors d'atteinte, la prévision de croissance du Gouvernement pour 2014 était élevée. Avec une croissance nulle au premier trimestre et un acquis de croissance de 0,3 %, la prévision de 1 % suppose, en effet, une forte accélération de l'activité à partir du deuxième trimestre. Or, elle n'apparaît pas dans les indicateurs conjoncturels les plus récents. Depuis la présentation du programme de stabilité au mois d'avril, les aléas baissiers se sont accrus. La reprise de l'économie mondiale est plus lente qu'escompté et les effets positifs attendus des décisions de la Banque centrale européenne annoncées le 5 juin ne pourront se faire sentir que progressivement.
Le Haut Conseil estime que certaines fragilités du scénario du Gouvernement se sont accentuées. La prévision d'inflation de 1,2 % en moyenne sur l'année 2014 est manifestement trop élevée au vu de celle constatée depuis l'automne 2013 (0,7 % sur un an en mai 2014, selon l'INSEE). Les créations d'emplois marchands et l'évolution de la masse salariale paraissent surestimées par le Gouvernement au vu des informations disponibles.
J'en viens à présent aux finances publiques. La loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques demande au Haut Conseil des finances publiques d'examiner la cohérence entre l'article liminaire commun aux projets de loi de finances rectificative et de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014 et les orientations pluriannuelles de solde structurel arrêtées par la dernière loi de programmation des finances publiques (LPFP). Aussi, le Haut Conseil a constaté que le solde structurel prévu pour 2014 s'écartait sensiblement - soit de 1,2 point de PIB - de ces orientations. Cet écart provient de l'« écart important », de 1,5 point de PIB, constaté pour l'année 2013 par le Haut Conseil, qui se reporte en 2014, corrigé, toutefois, à hauteur de 0,2 point par l'ajustement supplémentaire porté par le présent collectif. Toutefois, cette correction reste de faible ampleur. En outre, il y a lieu de constater que l'amélioration du solde structurel est inférieure à celle qui était prévue dans le projet de loi de finances initiale pour 2014. Ceci résulte de la révision à la baisse de la croissance spontanée des recettes ainsi que du rendement de certaines mesures nouvelles, et ce, dans un contexte où l'effort en dépenses reste inchangé.
Si l'article liminaire du projet de loi de finances rectificative fait apparaître une prévision plus réaliste de solde structurel pour 2014, de - 2,3 % du PIB, que le projet de loi de finances pour 2014, cet objectif pourrait toutefois être dépassé. Des risques d'aggravation du solde structurel subsistent à ce stade de l'exercice. L'évolution à législation constante des recettes fiscales, et notamment de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur les sociétés, pourrait être moins dynamique, à l'instar des prélèvements sociaux, en raison d'une faible progression de la masse salariale. En outre, le ralentissement des dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales et des prestations sociales servies par ces dernières est loin d'être acquis.
Je vous remercie pour cet exposé liminaire clair et synthétique. Vous avez dit que les économies annoncées par le Gouvernement pour la période 2015-2017 n'étaient pas toutes documentées. Cette opacité ne relève-t-elle pas d'une question de méthode, le solde structurel étant le seul élément qui détermine le pilotage des finances publiques ? Il serait de bonne pédagogie d'approfondir notre gouvernance budgétaire. Une trajectoire pluriannuelle qui serait accompagnée du détail des mesures en recettes et en dépenses, année après année, ne permettrait-elle pas d'améliorer la lisibilité, de mobiliser davantage les gestionnaires publics et d'être une base plus compréhensible pour les débats au Parlement et pour l'opinion publique, alors que la méthodologie du solde structurel conduit à tout globaliser ?
Le secrétaire d'État au budget a annoncé récemment que la diminution des dotations des collectivités territoriales à hauteur de 11 milliards d'euros en trois ans serait accompagnée de réformes importantes. Dans les 20 milliards d'euros d'économies identifiées, vous ne prenez en compte cette réduction ni pour l'État, ni pour les collectivités locales. Certes, ces dernières s'administrent librement et les baisses de dotations ne se répercutent pas forcément sur leurs dépenses, mais un « ticket modérateur » peut sans doute être calculé. Ces moindres dotations sont tout de même une diminution des dépenses dans le budget de l'État. Je ne conteste pas vos propos, mais c'est une question de méthode, inévitable, dès lors que l'on raisonne dans le cadre de l'article 72 de la Constitution, qui définit le principe de libre administration des collectivités locales. Cette remarque s'applique aussi à la notion de loi de finances locales que vous avez esquissée.
Je vous remercie pour la qualité de votre exposé et la précision de vos analyses. Souvent abordée par le FMI ou encore L'OCDE, la question des incidences des ajustements budgétaires sur la croissance économique et sur la trajectoire des finances publiques est peu traitée en France. La Cour des comptes a-t-elle engagé une réflexion sur l'effet récessif des mesures évoquées ? Elle porte un regard critique sur les résultats de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Elle note une « déperdition » entre les économies proposées initialement et leur réalisation, notamment en ce qui concerne la masse salariale, et souligne que la RGPP a surtout servi à réduire les dépenses d'intervention. Est-ce à dire que les économies réalisées dans le cadre de la RGPP ont principalement porté sur les dépenses les plus aisément mobilisables ?
Pouvez-vous détailler les méthodes qui vous conduisent à identifier un risque de dépassement des dépenses de 1 à 3 milliards d'euros en 2014 sur le champ de la norme « zéro valeur » ? Les ajustements de crédits prévus par la loi de finances rectificative sont-ils de nature à limiter ces risques ?
Vous consacrez d'importants développements à la maîtrise des dépenses des administrations publiques locales. Quels leviers préconisez-vous ? Que pensez-vous des propositions formulées dernièrement par Alain Lambert et Martin Malvy ou par la Commission européenne, qui préconisait de plafonner l'augmentation des recettes fiscales des collectivités ? Enfin, vous considérez que l'estimation de l'élasticité des recettes fiscales au PIB en 2014 est trop élevée. Pouvez-vous nous indiquer ce qui constituerait, selon vous, une prévision d'élasticité raisonnable ?
J'ai pris connaissance de votre rapport avec la plus grande attention. Le chapitre V et sa partie consacrée aux dépenses d'assurance maladie alimentera les travaux de la commission des affaires sociales. Les autres administrations de sécurité sociale - Unedic et l'Agirc-Arrco - contribuent à hauteur de 4 milliards d'euros (20 %) aux objectifs d'économies définis dans le pacte de responsabilité. Ce type de prévision repose forcément sur des conventions. De quels outils pourrions-nous disposer pour que les normes de dépenses soient respectées ? Est-il possible d'obtenir dans le rapport de la Cour une décomposition des soldes isolant et détaillant les administrations de sécurité sociale, tant pour les besoins de financement que pour la dette ?
Nous raisonnons à partir des règles fixées par le législateur national ou européen. Les analyses concernant le solde structurel retiennent notre attention, mais c'est la loi organique qui nous invite à tenir compte de ce critère. Approfondir notre gouvernance budgétaire pour favoriser la transparence de l'information publiée dans la loi de programmation : je suis sensible à cet argument et cela est déjà en partie fait, pour les grandes masses.
C'est pour cela que nous reprochons au Gouvernement de ne pas avoir documenté toutes ses mesures d'économie, ce sont les lois de finances pour 2015, 2016 et 2017 qui apporteront ces précisions.
Le Gouvernement n'est pas si critiquable. C'est la méthode du solde structurel qui le conduit à procéder ainsi, et entretient un flou toujours précieux pour tout Gouvernement. La gouvernance budgétaire, se rapportant à la tendance, a un caractère abstrait qui la rend difficilement compréhensible pour nos concitoyens.
Le Gouvernement raisonne aussi en termes de déficit effectif. Je reconnais néanmoins que la définition des concepts économiques reste délicate. C'est notamment pour cela que le Haut Conseil a organisé récemment un séminaire.
Concernant les collectivités locales, vous avez évoqué l'article 72 de la Constitution, citez-le en entier : « Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement ». La question est de savoir jusqu'où le législateur peut aller. Peut-il, comme Martin Malvy et Alain Lambert le préconisent, encadrer la fiscalité des collectivités locales ? La question peut être posée. L'État peut-il encadrer l'évolution de leurs dépenses ou fixer des règles plus contraignantes en matière d'emprunt ? Je pense que cela est tout à fait possible. Le Parlement pourrait adopter une loi de financement des collectivités territoriales car la Constitution ne lui interdit pas de renforcer les moyens de gouvernance de l'État. Réciproquement, je le répète, l'État doit prendre en compte les effets de ses décisions sur les collectivités. Qu'il revalorise le traitement des agents de la catégorie C et les collectivités sont les premières touchées. Les normes ont également sur elles des conséquences financières.
Ni la Cour des comptes ni le Haut Conseil des finances publiques n'ont engagé des travaux spécifiques sur les incidences des ajustements budgétaires sur la croissance économique et sur la trajectoire des finances publiques. Nous travaillons à partir des objectifs de déficit public fixés par le Gouvernement et par le Parlement, sans examiner particulièrement leurs effets sur la croissance. Personne ne nie les effets négatifs que peut avoir telle ou telle mesure de réduction des dépenses publiques. Mais a-t-on étudié les conséquences, sur la dette et sur le financement par les marchés financiers, d'une politique budgétaire française qui s'écarterait sensiblement de celle de ses partenaires européens ?
La France n'est pas seule. La date d'aujourd'hui, 18 juin, nous le rappelle !
Notre dette nous oblige à être attentifs aux taux d'intérêt. Ne pas agir sur la dépense publique pourrait avoir des conséquences plus redoutables encore que les effets négatifs attendus de sa réduction. D'autant qu'avec un niveau de dépenses publiques record, 57,4 % du PIB, notre action publique n'est pas toujours efficace au regard des crédits utilisés. S'il y avait une corrélation entre dépenses publiques et croissance, cela se verrait, et la France serait championne du monde de la croissance ! Hélas, tel n'est pas le cas. Notre pays souffre d'un problème de compétitivité ; il espère profiter de la reprise mondiale, mais ses concurrents s'y préparent aussi.
Nous nous sommes appuyés sur le rapport conjoint de l'inspection générale des finances (IGF), de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'inspection générale de l'administration (IGA) pour évaluer les déperditions de la RGPP, notamment concernant les suppressions d'emplois et les économies hors titre II. La RGPP a produit 11,9 milliards d'euros d'économies, mais les économies sur les dépenses de personnel ont été moins élevées qu'attendues, car les retours catégoriels ont été plus importants qu'annoncé.
La modernisation de l'action publique (MAP) fixe des objectifs, mais les économies attendues des premiers comités interministériels, de l'ordre de 5 à 7 milliards d'euros, annoncées sans calendrier précis, restent très en-deçà des 50 milliards d'économies voulues par le Gouvernement, même si tel n'est pas l'objectif de la MAP.
Nous avons identifié un risque de dépassement des dépenses de l'État de 1 à 3 milliards d'euros, en croisant les informations fournies par la direction du budget, par les contrôleurs budgétaires et comptables ministériels et par les secrétaires généraux des ministères. Sont en première ligne le ministère de l'agriculture, du fait de plusieurs refus d'apurement d'aides à l'agriculture par la Commission européenne ; le ministère de la défense, à cause des opérations extérieures et des dysfonctionnements du logiciel Louvois ; et le ministère de l'éducation nationale, en raison d'une budgétisation probablement insuffisante du glissement vieillesse technicité (GVT) positif. Ce risque est un peu plus élevé qu'en 2012 et 2013, mais il reste gérable grâce aux crédits mis en réserve, pour peu qu'il n'y ait pas de nouvelles dépenses imprévues d'ici la fin de l'année. Les objectifs de dépense de l'État devraient être tenus. Il n'en va pas de même pour l'Unedic, ni pour les collectivités territoriales.
Les dépenses de fonctionnement des collectivités ont augmenté en 2013, notamment les dépenses de personnel des intercommunalités - de 7,2 % - et les achats de biens et de services. La Cour des comptes publie désormais un rapport annuel sur la situation financière des collectivités locales.
Nous reviendrons sur plusieurs questions posées par le rapporteur général de la commission des affaires sociales dans notre rapport de septembre sur l'exécution de la loi de financement de la sécurité sociale. Effectivement, l'État ne maîtrise pas les dépenses de l'Unedic ni celles de l'Agirc-Arrco. C'est pourquoi la Cour des comptes avait proposé une loi de financement de la protection sociale obligatoire. Dès lors que notre pays s'engage à maîtriser les dépenses de toutes les administrations publiques et à respecter les objectifs qu'il définit, il est légitime qu'il se dote d'outils de pilotage adéquats.
Nous estimons que 20 milliards d'euros sur les 50 milliards annoncés sont identifiés : retraites, politique familiale, Ondam. En revanche, les trois-cinquième restent à identifier...
Les 11 milliards d'euros de diminution des dotations de l'État correspondent à un transfert entre administrations publiques. Dans le programme de stabilité, une baisse de dépenses des collectivités locales de 11 milliards a été inscrite. Nous nous interrogeons sur le caractère automatique de cette diminution de un pour un, puisque les collectivités peuvent financer leurs dépenses autrement.
Présumez-vous que la baisse des dotations ne sera pas répercutée du tout sur les dépenses des collectivités et qu'elles seront donc absorbées par des hausses de fiscalité ?
Nous nous interrogeons simplement sur la répercussion des baisses de dotations. Nous ne savons pas où se feront les économies dans les collectivités. Nous avons présumé que le gel du point sur la fonction publique territoriale avait un effet mécanique de 2,5 milliards d'euros. Restent 8,5 milliards d'euros pour lesquels une interrogation demeure.
Le Gouvernement a revu l'élasticité à 0,9 dans le projet de loi de finances rectificative contre 1 dans la loi de finances initiale pour 2014. Le risque de moins-value est encore de 2 milliards d'euros, car en matière d'impôt sur le revenu, par exemple, la progression prévue du produit est de 2,1 %, alors que la masse salariale en 2013 n'a augmenté que de 1,3 %. Cela correspond à une élasticité de 0,8 et non pas de 0,9.
Enfin, la remarque du rapporteur général de la commission des affaires sociales à propos de la décomposition de l'article liminaire, alors que tout est actuellement agrégé, rejoint une recommandation de notre rapport sur le budget de l'État en 2013.
Vous préconisez de restaurer la journée de carence supprimée le 1er janvier dernier. En 2012, une étude avait démontré que le nombre des arrêts de travail avait diminué de 43 % dans la fonction publique et de 40 % dans la fonction publique hospitalière. Marylise Lebranchu nous avait dit que ces pourcentages étaient faux. Connaissez-vous les chiffres exacts ? Quel est le poids de cet absentéisme dans le budget des trois fonctions publiques ?
Merci pour cet exposé courageux qui démontre l'indépendance de la Cour des comptes et qui rejoint les analyses de notre groupe.
L'engagement pris par le candidat François Hollande de ramener le déficit à 0 % en 2017 n'était-il pas - au minimum - imprudent ? Ne faudrait-il pas étaler le retour à l'équilibre afin que nos prévisions soient crédibles... et pour pouvoir tenir nos engagements ?
L'hôpital coûte cher, dit-on, mais ce qui coûte le plus cher, c'est la médecine de ville, qu'il conviendrait plutôt d'appeler la médecine extrahospitalière par égard pour nos campagnes. Je suis étonné par le silence de la Cour des comptes sur la médecine libérale, qui ne remplit pas son rôle de service public en refusant les gardes. Il faudrait aborder cette question cruciale avec les médecins, afin qu'ils quittent leur attitude corporatiste et comprennent où est leur mission.
Un mot des économies attendues de la réforme territoriale. Lorsque André Vallini a été nommé au Gouvernement, il a annoncé 25 milliards d'euros d'économies, chiffre qui tombait quelques jours après à 10 milliards. Puis le 5 juin, il a déclaré à Nevers qu'il y aurait peut-être, « au début, non pas des économies mais des dépenses supplémentaires ». Quelle est votre analyse ?
Les collectivités locales n'ont pas contribué à la baisse du déficit, elles ont eu recours à des emprunts supplémentaires en 2012 et 2013. Or une récente analyse de Moody's évoque une augmentation considérable des emprunts des collectivités entre 2014 et 2017 : entre 125 et 175 milliards d'euros de plus. Qu'en pensez-vous ?
Vous estimez que le gel du traitement de base des fonctionnaires est de nature à contenir la progression de la masse salariale, dans la fonction publique d'État et dans les collectivités. Or, le rapprochement des différents niveaux de collectivités va tirer par le haut les indices des fonctionnaires. Chez moi, nous allons regrouper seize collectivités en une seule : il y aura immanquablement des effets d'échelle de perroquet.
Les communautés de communes, les départements, voire les régions, s'interrogent sur leur avenir et vont donc réduire leurs investissements, ce qui aura un impact certain sur l'activité économique.
Dans ma collectivité, la suppression du jour de carence a entraîné 36 % d'absentéisme en plus. Les rythmes scolaires coûtent cher et le revenu de solidarité active (RSA) poursuit sa croissance. Il va donc être difficile de faire des économies. Lorsque vous avez parlé des efforts que devront réaliser des collectivités, vous n'avez pas prononcé le mot « départements » : leur sort est-il déjà scellé dans votre esprit ? La Cour des comptes a-t-elle chiffré les économies possibles du fait des fusions de régions et de la disparition des départements ?
La Cour des comptes nous dit qu'il faut réaliser 5 milliards d'économies sur la chirurgie ambulatoire. Avec mon collègue Alain Milon, nous avons commis deux rapports, l'un sur les dépenses des établissements de santé et la tarification à l'activité et l'autre sur les agences régionales de santé : l'économie que vous annoncez semble largement surestimée. Il ne faut pas entretenir des illusions. Aujourd'hui, les malades sont très tôt renvoyés chez eux, ce qui suppose du reste de réorganiser la médecine de ville et les parcours de soins, avec un coût certain. En revanche, vous ne parlez pas des 15 à 20 % d'actes inutiles dont le coût est considérable, qui sont effectués le plus souvent pour des considérations médico-légales.
Dans le cadre des établissements hospitaliers publics, les règles changent sans cesse depuis 2009. Une pause est indispensable. Certes, les dépenses de personnel s'élèvent à 72 % du total, mais on ne saurait supprimer les emplois aveuglément, sans étudier les incidences sur les soins dispensés. En revanche, pourquoi les médicaments sont-ils parfois quatre fois moins chers dans d'autres pays qu'en France, à service rendu identique ?
Des économies sont souhaitables, mais elles doivent être définies précisément.
Aujourd'hui, le conseil des ministres délibère sur le projet de loi qui divise par deux le nombre de régions. Y aura-t-il là une réelle source d'économies ? Philippe Dallier et moi-même, en tant que rapporteurs spéciaux de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » nous sommes penchés sur la fusion des administrations du Trésor et des impôts : elle s'est traduite par une diminution des effectifs, mais la masse salariale a augmenté, car les régimes indemnitaires ont été alignés par le haut. Ne risquons-nous pas des effets identiques ici ?
Le président Migaud a parlé de « déficit » des collectivités, mais les budgets locaux sont forcément équilibrés. La dette qui finance l'investissement est largement maîtrisée depuis une trentaine d'année, puisqu'elle s'élevait à 7,7 % du PIB en 1983 et 8,8 % aujourd'hui, tandis que celle de l'État est passée durant la même période de 14 à 77 %. S'agissait-il d'un lapsus ou d'une utilisation à dessein du mot « déficit » qui tendrait à justifier les futures économies ?
Vous suggérez de réduire les effectifs et d'augmenter la durée du travail et vous soulignez que la masse salariale représente 23 % de la dépense publique. Quelle doit être la baisse des effectifs et l'augmentation de la durée de travail ?
Autres sujet, ne pensez-vous pas que les conflits actuels en Irak et en Ukraine vont avoir une incidence sur les prix de l'énergie, et donc sur l'inflation ?
Si les collectivités n'investissent plus, qui le fera ? Tout semble conduire à un impôt prélevé au niveau national qui sera redistribué aux collectivités. C'est un vieux rêve des administrations. Or, les collectivités sont d'une grande hétérogénéité : riches, pauvres, grandes, petites...
J'ai vécu les collèges Pailleron, les lycées dégradés, des directions départementales de l'équipement mises à bas. Dans les collectivités, il a fallu investir, il a fallu embaucher. Et aujourd'hui, on nous dit que nous dépensons trop. Quelle injustice ! Et puis, que l'on arrête de nous imposer toutes ces nouvelles normes qui sont le moyen pour les administrations centrales de garder la main sur les dossiers des collectivités.
La non-déductibilité des intérêts d'emprunts des entreprises, mesure la plus absurde prise depuis deux ans, aurait dû améliorer le rendement de l'impôt sur les sociétés. Avez-vous estimé l'impact de cette mesure ?
Les économies de l'Allemagne et de la France sont imbriquées, mais l'Allemagne ne joue pas le jeu en matière de compétitivité : dans les anciens pays de l'Est, de grandes entreprises, comme Volkswagen payent leurs salariés 900 euros par mois en moyenne, contre 2 000 euros à Aulnay-sous-Bois. Mêmes remarques pour l'agriculture en Allemagne qui emploie beaucoup d'étrangers. Le résultat en est que le fromage allemand concurrence les nôtres dans les rayons des supermarchés. Une haute autorité comme la vôtre ne pourrait-elle dénoncer ces réalités ? Attaquez-vous aux vraies questions !
Enfin, si l'on veut casser les collectivités, le non-cumul est l'arme absolue, car des députés et des sénateurs sans plus aucun lien avec elles pourront voter sans états d'âme des lois restreignant leur liberté.
Les départements subissent des dépenses de fonctionnement qu'ils ne maîtrisent pas. En outre, l'État ne compense pas intégralement, c'est le moins que l'on puisse dire, les allocations de solidarité versées par les départements : 6 milliards d'euros d'écart ! Qui financera demain le RSA ?
Pouvez-vous estimer le coût du transfert des compétences collèges et routes aux grandes régions ? Quel est l'intérêt de transformer des routes départementales en routes régionales ? Que pensez-vous de la généralisation du tiers payant pour la médecine de ville et quelles seront les répercussions de cette mesure sur les dépenses de santé ?
Votre rapport porte essentiellement sur la réduction de la dépense publique : à aucun moment, vous ne tentez d'évaluer l'impact de la réduction des recettes de l'État sur la croissance. Ni les conséquences de la suppression de la taxe professionnelle et ni celles des allègements d'impôt sur les sociétés ou de cotisations sociales n'ont été mesurées. Quel est leur impact sur le solde budgétaire ? Mystère. Enfin, la baisse du produit de l'impôt sur le revenu provient à la fois de la baisse du pouvoir d'achat et de l'augmentation du chômage. Il serait bon d'aborder aussi les questions sous cet angle.
Merci pour la qualité de votre rapport, pour la précision des chiffres et le choix des mots. Les économies ne sont pas suffisamment détaillées, dites-vous, et vous comparez la situation française à celle de l'Allemagne et des Pays-Bas. La réorganisation des ministères qui a eu lieu aux Pays-Bas il y a une dizaine d'années est intéressante : l'action publique a été repensée, ce que la MAP peine à faire. Le rapprochement des missions et la transversalité conduisent à une redéfinition des missions : ne faudrait-il pas engager un processus en ce sens ?
L'économie de 11 milliards d'euros est incertaine, dites-vous, car nous ne connaissons pas l'effet de cette économie sur l'investissement. Aujourd'hui, les collectivités locales réalisent les deux-tiers des investissements publics en France : quel sera l'effet de la baisse de l'autofinancement du fait de la réduction des dotations : endettement accru ou report des investissements ? Dans les deux cas, il y aura un effet retour sur le budget de l'État... et un effet récessif sur l'économie française.
La dégradation de nos finances ne va-t-elle pas entraîner une diminution de notre notation et donc une augmentation des taux d'intérêt qui nous sont demandés ?
L'État va supprimer 11 milliards de dotations aux collectivités : elles devront trouver d'autres sources de financement, mais sans augmenter les impôts. C'est la seule vraie économie !
L'État va faire 11 milliards d'euros d'économies en réduisant ses dotations aux collectivités, mais il n'y aura pas 11 milliards d'euros d'économies. Le gel du point d'indice permettra d'économiser 2,5 milliards d'euros, dites-vous. Mais il ne faut pas oublier le milliard que va coûter la réforme des rythmes scolaires, essentiellement en personnel. En outre, il est impossible de réduire rapidement le nombre des fonctionnaires territoriaux. Il va donc y avoir une hausse des impôts locaux, une augmentation de l'endettement - Moody's l'a évaluée à une trentaine de milliards supplémentaires pour les trois prochaines années - et une réduction de l'investissement public. Ces mesures auront un effet récessif car le bâtiment et les travaux publics, gros pourvoyeurs d'emplois, vont être touchés.
Je ne dis pas que les collectivités ne doivent pas faire d'économies. Mais lorsque l'on annonce des chiffres, encore faut-il être certain des bénéfices à en attendre.
Après la Commission européenne en mars, l'Eurogroupe en avril, le FMI en mai, la Cour des comptes montre l'importance de la réactivité si l'on ne veut pas devoir réviser tous les six mois les objectifs de déficit.
À aucun moment vous n'avez parlé du périmètre de l'État : la France compte 90 fonctionnaires pour 1 000 habitants contre 50 en Allemagne. Mais pour quelles missions ? Quels seraient les domaines desquels l'État pourrait se désengager en premier ?
Des questions fondamentales ont été posées, qui ne s'adressent pas nécessairement à la juridiction financière.
Je ne peux m'élever au-dessus de ma condition ! Notre juridiction est totalement indépendante quels que soient les gouvernements en place. Mais certaines des questions s'adressent au Parlement : c'est à vous de définir le périmètre de l'État et les objectifs à fixer. Nous n'avons pas de prisme de présentation : nous raisonnons par rapport aux objectifs définis par le pouvoir politique et les représentants du suffrage universel, et par les engagements internationaux. Nous mesurons les écarts entre les objectifs et les politiques suivies. Malheureusement, ce que nous disons se vérifie très souvent. Nous verrons ainsi dans quelques mois si le déficit public s'approche ou non des 4 %.
Quant aux dépenses des collectivités territoriales, les dispositions figurent dans le programme de stabilité que vous avez voté. Je n'ai pas d'opinion à avoir sur tel ou tel projet de loi.
Nous avons recommandé de revenir à la journée de carence. Résultat, la presse titre « la Cour des comptes en veut aux fonctionnaires ». Nous formulons seulement des recommandations pour atteindre l'objectif d'évolution des dépenses de personnel que vous avez voté, soit une progression de 250 millions d'euros par an. L'augmentation spontanée est de 1,4 milliard d'euros par an. Le gel du point d'indice et la réduction des mesures catégorielles devraient limiter la progression à 750 millions d'euros. Nous disons simplement que la politique aujourd'hui conduite ne permettra pas de respecter l'objectif fixé sans prendre de mesures supplémentaires. Nous suggérons donc plusieurs pistes, comme la restauration du jour de carence, la réduction du nombre de fonctionnaires, l'augmentation de la durée du travail et l'étalement des avancements. D'autant que le gel du point d'indice ne pourra durer éternellement, car la politique salariale se doit d'avoir un minimum de dynamisme. Pour retrouver des marges de manoeuvre, vous devrez utiliser d'autres leviers. Les objectifs sont définis par le pouvoir politique, et c'est dans ce cadre que la Cour des comptes fait ses recommandations.
Le retour à l'équilibre structurel a été reporté de 2016 à 2017 et il est désormais fixé à 0,25 % contre 0 % initialement, sachant que le traité européen autorise à aller jusqu'à 0,50 %. Un déficit effectif subsisterait en 2017, à 1,2 %.
Quant aux dépenses de santé, nous y reviendrons en septembre lors de la présentation de notre rapport sur l'exécution de la loi de financement de la sécurité sociale. Beaucoup d'entre vous ont reconnu que des économies étaient possibles. Nous estimons, à partir d'une étude de l'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé et de rapports du ministère de la santé, que des progrès peuvent être faits en matière de chirurgie ambulatoire. Les exemples étrangers montrent que cela est possible - bien sûr pas du jour au lendemain. Pour les médicaments, la consommation reste trop forte, même si elle diminue ; le générique peut encore progresser, sans remettre en cause la qualité des prestations ni l'accès aux soins.
Les politiques publiques en faveur du logement, de l'emploi, de la formation professionnelle peuvent s'améliorer : l'efficacité n'est pas toujours optimale et les effets d'aubaine sont nombreux.
Je n'ai pas de commentaire à faire sur les projets de réforme qui sont présentés et la Cour des comptes n'a pas expertisé les économies qui résulteraient d'une diminution du nombre de régions ou de la remise en cause du « mille-feuille territorial ». Nous souhaitons une clarification des compétences entre l'État et les collectivités afin de supprimer les doublons, et une clarification des compétences entre les collectivités : nous avons ainsi regretté le retour de la clause de compétence générale.
Nous estimons aussi qu'il faut abandonner la politique de rabot systématique au profit de réformes structurelles. Éric Bocquet m'a reproché d'avoir parlé de déficit des collectivités. Il a raison, mais je me suis corrigé et j'ai parlé ensuite de besoin de financement. Je n'ai pas oublié ma vie antérieure. Les collectivités ne peuvent emprunter pour leurs dépenses courantes, contrairement à l'État.
Aujourd'hui, les dépenses d'investissement sont sacrifiées, d'où l'intérêt de retrouver des marges de manoeuvre et de procéder à des investissements utiles pour l'avenir. Nous ne pouvons continuer à faire reposer sur les générations futures des dépenses faites pour aujourd'hui, par exemple des dépenses de santé. Nos enfants et petits-enfants nous reprocheront cet héritage, qui s'alourdit sans cesse. Nous ne nous en rendons guère compte puisque la dette sociale est enfermée dans la Cades et que sa charge diminue actuellement, ce qui est très anesthésiant. Le réveil peut être très douloureux et supprimer toute marge de manoeuvre. La confiance des investisseurs et des préteurs est encore là, mais elle n'est pas éternelle.
« L'Allemagne ne joue pas le jeu », a dit Francis Delattre. Nous avons comparé la dynamique de la dépense entre nos deux pays : la dépense publique française a sensiblement augmenté ces dix dernières années alors qu'en Allemagne, et dans plusieurs autres pays, elle diminuait. Comme je l'indiquais tout à l'heure, si l'augmentation de la dépense publique était une solution à tous les problèmes, cela se saurait depuis longtemps et la France serait championne du monde.
Les conflits en Irak et en Ukraine auront peut-être des conséquences sur le coût de l'énergie, mais du fait de l'exploitation du gaz de schiste et des énergies nouvelles, le problème ne se pose plus dans les mêmes termes que dans le passé.
Je ne suis pas en mesure de répondre aux questions de René-Paul Savary, même si la Cour a constaté les différences de situations qui existent entre collectivités. Nous n'avons pas étudié le coût du transfert des collèges aux régions, ni les répercussions de la généralisation du tiers-payant. Pour répondre à Fabienne Keller, oui, la réforme de l'État doit être menée en même temps que la réforme territoriale, afin d'améliorer l'action publique et de favoriser les économies. Quant à la question de Francis Delattre sur la déductibilité des intérêts d'emprunt, Bercy devrait être en mesure d'y répondre.
Je vous remercie, monsieur le président, d'avoir complété notre information. J'indique à la commission que notre collègue rapporteure générale du budget à l'Assemblée nationale, Valérie Rabault, s'est rendue à Bercy dans le cadre de son pouvoir d'enquête sur pièces et sur place, pour obtenir communication de documents dont elle avait besoin pour aborder la discussion du projet de loi de finances rectificative qui aura lieu dans les prochains jours. C'est une heureuse utilisation de nos prérogatives.
Nous ne sommes pas revenus sur l'avis du Haut Conseil dont vous avez rendu compte. Vous nous avez dit qu'il considérait la prévision d'inflation du Gouvernement, 1,2 %, comme trop élevée. Cette analyse tient-elle compte des mesures de politique monétaire récemment adoptées par la banque centrale européenne (BCE) dont l'ambition est de faire monter le taux d'inflation jusqu'à environ 2 % ? Nous nous étions battus pour qu'il y ait des économistes performants au sein du Haut Conseil. Quelle est leur opinion sur le sujet ?
Le Haut Conseil a rendu son avis le soir où la BCE a pris sa décision, laquelle a donc été prise en compte. La dépréciation de l'euro devrait entraîner un regain d'inflation, c'est exact, mais pas avant plusieurs mois. Toutes les données récentes suggèrent que 1,2 % sera difficile à atteindre. Nous sommes plutôt autour de 0,7 % en glissement annuel.
Nous devrions prévoir une réunion spécifique avec le Haut Conseil pour mieux comprendre de l'intérieur le fonctionnement de cette institution, son pluralisme, son caractère collégial. Nous voulons percer vos secrets et savoir comment vous forgez votre avis.
Vous avez inscrit dans la loi organique le secret de nos délibérations.
On nous a forcé la main ! Monsieur le Premier président, je vous remercie.
La réunion est levée à 12 heures 40