Intervention de Didier Migaud

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 18 juin 2014 : 1ère réunion
Situation et perspectives des finances publiques et avis du haut conseil relatif au projet de loi de finances rectificative pour 2014 et au projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014 — Audition de M. Didier Migaud premier président de la cour des comptes et président du haut conseil des finances publiques

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Oui. Si le Gouvernement a maintenu ce chiffre avant et après la prise en compte des nouvelles baisses de prélèvements obligatoires, cela signifie qu'il a révisé à la baisse, implicitement, son hypothèse de croissance spontanée des dépenses, qui passe de 1,6 % à 1,5 % en plus de l'inflation. Sans cette révision conventionnelle, le montant d'économies aurait représenté 58 milliards d'euros. Si de telles révisions ne sont pas illégitimes dans leur principe, les conventions et méthodes utilisées devraient être explicitées et rendues publiques.

La Cour a examiné le contenu du programme des 50 milliards d'euros d'économies annoncées. Une vingtaine de milliards d'euros correspond à des orientations déjà décidées, par exemple la poursuite du gel des traitements de base des fonctionnaires, ou constitue la prolongation d'efforts déjà réalisés, s'agissant par exemple des dépenses de santé. Les 30 autres milliards d'euros d'économies sont incertains car les économies sont peu documentées.

Les économies identifiées dans le cadre de la modernisation de l'action publique (MAP), de l'ordre de 5 à 7 milliards d'euros, ne sont pas à la hauteur de l'enjeu. Près de 15 milliards d'euros d'économies prévues reposent sur des administrations dont l'État ne maîtrise pas les dépenses : les régimes complémentaires de retraite pour 2 milliards d'euros, l'assurance chômage pour 1,5 milliard d'euros. Les collectivités territoriales contribueraient pour 11 milliards d'euros : le Gouvernement anticipe un ralentissement marqué de leurs dépenses sous l'effet de l'évolution des dotations de l'État et d'une baisse des investissements. Plus précisément, il anticipe qu'un euro de dotation en moins entrainera un euro de moindre dépense. Or rien n'empêche les collectivités de relever la fiscalité locale ou de recourir à l'endettement. En 2013, alors que les communes subissaient le gel des dotations de l'État, leurs dépenses de fonctionnement se sont accrues et leur déficit, ou plutôt leur besoin de financement, a progressé. Les dépenses de personnel ont progressé de 2,6 % dans les communes et de 7,2 % dans les intercommunalités.

Le choix d'un partage équilibré entre toutes les administrations publiques répond à une préconisation de la Cour des comptes. Mais pour assurer la réalisation de la trajectoire, un renforcement des outils de programmation et de suivi des finances publiques est indispensable. Les normes de dépenses concernant l'État et ses opérateurs pourraient être encore élargies, le champ des lois de finances et de financement pourrait être étendu à toute la protection sociale obligatoire, y compris les régimes d'assurance chômage et de retraite complémentaire. Des lois de finances locales pourraient être instaurées, fixant les objectifs en dépenses et recettes et les mesures pour y parvenir. L'effort demandé aux collectivités, dans le respect de leur libre administration, encadrée par les lois, serait précisé, et un suivi en cours d'exécution serait organisé. De son côté, l'État devrait clarifier ses engagements, s'agissant de ses décisions qui peuvent avoir un impact important sur les budgets locaux, qu'il s'agisse de la politique salariale ou de l'édiction de normes.

Le dépassement des objectifs de dépenses représente aujourd'hui le principal risque de déviation de la trajectoire. Cependant, la Cour identifie aussi un risque sensible sur le niveau de recettes pour les prochaines années. Le scénario macroéconomique retenu est fragile, particulièrement en matière de progression de la masse salariale et de reprise de l'emploi. Si le Haut Conseil des finances publiques n'a pas jugé hors d'atteinte la prévision de croissance de 1,7 % pour 2015, il a estimé néanmoins qu'elle reposait sur une conjonction d'hypothèses favorables. Il considère que les prévisions de croissance pour 2016 et 2017 sont optimistes.

J'en viens au dernier message : pour ambitieux qu'il soit, l'objectif de maîtrise des dépenses est réalisable. D'autres pays comparables sont parvenus à infléchir sensiblement la progression de leurs dépenses. Aux Pays-Bas, entre 1995 et 1999, la dépense publique a été réduite de 10,3 points de PIB. L'Allemagne est parvenue à assurer le retour à l'équilibre structurel de ses comptes en agissant principalement sur ses dépenses. Alors que le taux de dépenses publiques progressait de 5,4 points de PIB en France entre 2001 et 2013, il se réduisait de 2,9 points en Allemagne. L'évolution du poids des prestations sociales et des dépenses de fonctionnement explique l'essentiel de la divergence de trajectoire entre la France et l'Allemagne.

Des dépenses publiques élevées ne se justifient que si elles sont financées dans la durée et sont efficientes. La performance des politiques et des organismes publics peut être sensiblement améliorée sans remettre en cause la qualité du service rendu ni le modèle social français. Les résultats atteints par nombre de politiques publiques ne sont pas à la hauteur des moyens investis. Faire aussi bien, voire mieux, en dépensant moins, est possible. C'est d'autant plus nécessaire que des marges de manoeuvre manquent pour investir dans des projets d'avenir et redresser notre compétitivité.

La recherche d'économies doit être une opportunité pour initier des réformes plus profondes, touchant à l'adaptation et à la modernisation des politiques publiques. La Cour consacre des développements détaillés à trois champs de dépenses où les objectifs affichés sont réalisables, mais supposent des arbitrages clairs.

La maîtrise de la masse salariale publique est incontournable pour freiner les dépenses publiques, dont elle représente 23,2 %. Le programme de stabilité prévoit un ralentissement très sensible de la masse salariale, qui devrait croître désormais à un rythme inférieur à l'inflation. Pour l'État, à effectifs constants, les mesures utilisées dans la période récente - gel du traitement de base, baisse des mesures catégorielles - ne suffiront pas à atteindre ces objectifs. Si l'on souhaite conserver une fonction publique attractive, il convient également de préserver quelques marges de manoeuvre de politique salariale. Il convient donc d'envisager d'autres leviers, comme la baisse des effectifs, porteuse d'économies importante et durable. Une hausse du temps de travail effectif des fonctionnaires, qui se situe parfois en-deçà de la durée légale, pourrait rendre possible cette baisse des effectifs sans réduire la quantité et la qualité des services publics. Il serait utile à cet égard d'établir un état des lieux de la durée effective de travail dans les trois fonctions publiques.

L'État a déjà consenti beaucoup plus d'efforts que les autres administrations publiques en la matière. Depuis 2009, les effectifs des collectivités territoriales ont augmenté de 1,3 % par an en moyenne, alors qu'aucun transfert de compétence n'est intervenu. À l'hôpital, la tendance est comparable. Une forte inflexion des recrutements dans les collectivités territoriales et des réorganisations hospitalières seraient donc opportunes. Des économies sont possibles dans les dépenses de fonctionnement des communes et des intercommunalités, dans les dépenses d'intervention des régions et dans une plus grande sélectivité des investissements locaux. Enfin, l'assurance maladie constitue la principale source de déficit de la sécurité sociale. Or il existe de très importants gisements d'économies qui n'affecteraient pas la qualité des prestations ni l'accès aux soins. Le développement de la chirurgie ambulatoire, très en retard dans notre pays, pourrait permettre de réaliser jusqu'à 5 milliards d'euros d'économies ; la politique du médicament, pourrait également permettre de réaliser plusieurs milliards d'euros d'économies, à travers des baisses de prix ou un développement accru de l'usage des génériques. Certains postes de dépenses peuvent être mieux maîtrisés : transport des patients, analyses médicales, indemnités journalières en cas d'arrêt maladie, dépenses de gestion des caisses d'assurance maladie ...

Chaque année, rapport après rapport, la Cour des comptes s'efforce d'ouvrir des pistes et d'indiquer des solutions. Cette année, elle insiste sur le caractère préoccupant de la situation des finances publiques de notre pays, tout en montrant qu'il est possible d'y remédier.

L'avis du Haut Conseil aux finances publiques est complémentaire des analyses effectuées par la Cour des comptes.

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