Intervention de Didier Migaud

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 18 juin 2014 : 1ère réunion
Situation et perspectives des finances publiques et avis du haut conseil relatif au projet de loi de finances rectificative pour 2014 et au projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014 — Audition de M. Didier Migaud premier président de la cour des comptes et président du haut conseil des finances publiques

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Je ne peux m'élever au-dessus de ma condition ! Notre juridiction est totalement indépendante quels que soient les gouvernements en place. Mais certaines des questions s'adressent au Parlement : c'est à vous de définir le périmètre de l'État et les objectifs à fixer. Nous n'avons pas de prisme de présentation : nous raisonnons par rapport aux objectifs définis par le pouvoir politique et les représentants du suffrage universel, et par les engagements internationaux. Nous mesurons les écarts entre les objectifs et les politiques suivies. Malheureusement, ce que nous disons se vérifie très souvent. Nous verrons ainsi dans quelques mois si le déficit public s'approche ou non des 4 %.

Quant aux dépenses des collectivités territoriales, les dispositions figurent dans le programme de stabilité que vous avez voté. Je n'ai pas d'opinion à avoir sur tel ou tel projet de loi.

Nous avons recommandé de revenir à la journée de carence. Résultat, la presse titre « la Cour des comptes en veut aux fonctionnaires ». Nous formulons seulement des recommandations pour atteindre l'objectif d'évolution des dépenses de personnel que vous avez voté, soit une progression de 250 millions d'euros par an. L'augmentation spontanée est de 1,4 milliard d'euros par an. Le gel du point d'indice et la réduction des mesures catégorielles devraient limiter la progression à 750 millions d'euros. Nous disons simplement que la politique aujourd'hui conduite ne permettra pas de respecter l'objectif fixé sans prendre de mesures supplémentaires. Nous suggérons donc plusieurs pistes, comme la restauration du jour de carence, la réduction du nombre de fonctionnaires, l'augmentation de la durée du travail et l'étalement des avancements. D'autant que le gel du point d'indice ne pourra durer éternellement, car la politique salariale se doit d'avoir un minimum de dynamisme. Pour retrouver des marges de manoeuvre, vous devrez utiliser d'autres leviers. Les objectifs sont définis par le pouvoir politique, et c'est dans ce cadre que la Cour des comptes fait ses recommandations.

Le retour à l'équilibre structurel a été reporté de 2016 à 2017 et il est désormais fixé à 0,25 % contre 0 % initialement, sachant que le traité européen autorise à aller jusqu'à 0,50 %. Un déficit effectif subsisterait en 2017, à 1,2 %.

Quant aux dépenses de santé, nous y reviendrons en septembre lors de la présentation de notre rapport sur l'exécution de la loi de financement de la sécurité sociale. Beaucoup d'entre vous ont reconnu que des économies étaient possibles. Nous estimons, à partir d'une étude de l'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé et de rapports du ministère de la santé, que des progrès peuvent être faits en matière de chirurgie ambulatoire. Les exemples étrangers montrent que cela est possible - bien sûr pas du jour au lendemain. Pour les médicaments, la consommation reste trop forte, même si elle diminue ; le générique peut encore progresser, sans remettre en cause la qualité des prestations ni l'accès aux soins.

Les politiques publiques en faveur du logement, de l'emploi, de la formation professionnelle peuvent s'améliorer : l'efficacité n'est pas toujours optimale et les effets d'aubaine sont nombreux.

Je n'ai pas de commentaire à faire sur les projets de réforme qui sont présentés et la Cour des comptes n'a pas expertisé les économies qui résulteraient d'une diminution du nombre de régions ou de la remise en cause du « mille-feuille territorial ». Nous souhaitons une clarification des compétences entre l'État et les collectivités afin de supprimer les doublons, et une clarification des compétences entre les collectivités : nous avons ainsi regretté le retour de la clause de compétence générale.

Nous estimons aussi qu'il faut abandonner la politique de rabot systématique au profit de réformes structurelles. Éric Bocquet m'a reproché d'avoir parlé de déficit des collectivités. Il a raison, mais je me suis corrigé et j'ai parlé ensuite de besoin de financement. Je n'ai pas oublié ma vie antérieure. Les collectivités ne peuvent emprunter pour leurs dépenses courantes, contrairement à l'État.

Aujourd'hui, les dépenses d'investissement sont sacrifiées, d'où l'intérêt de retrouver des marges de manoeuvre et de procéder à des investissements utiles pour l'avenir. Nous ne pouvons continuer à faire reposer sur les générations futures des dépenses faites pour aujourd'hui, par exemple des dépenses de santé. Nos enfants et petits-enfants nous reprocheront cet héritage, qui s'alourdit sans cesse. Nous ne nous en rendons guère compte puisque la dette sociale est enfermée dans la Cades et que sa charge diminue actuellement, ce qui est très anesthésiant. Le réveil peut être très douloureux et supprimer toute marge de manoeuvre. La confiance des investisseurs et des préteurs est encore là, mais elle n'est pas éternelle.

« L'Allemagne ne joue pas le jeu », a dit Francis Delattre. Nous avons comparé la dynamique de la dépense entre nos deux pays : la dépense publique française a sensiblement augmenté ces dix dernières années alors qu'en Allemagne, et dans plusieurs autres pays, elle diminuait. Comme je l'indiquais tout à l'heure, si l'augmentation de la dépense publique était une solution à tous les problèmes, cela se saurait depuis longtemps et la France serait championne du monde.

Les conflits en Irak et en Ukraine auront peut-être des conséquences sur le coût de l'énergie, mais du fait de l'exploitation du gaz de schiste et des énergies nouvelles, le problème ne se pose plus dans les mêmes termes que dans le passé.

Je ne suis pas en mesure de répondre aux questions de René-Paul Savary, même si la Cour a constaté les différences de situations qui existent entre collectivités. Nous n'avons pas étudié le coût du transfert des collèges aux régions, ni les répercussions de la généralisation du tiers-payant. Pour répondre à Fabienne Keller, oui, la réforme de l'État doit être menée en même temps que la réforme territoriale, afin d'améliorer l'action publique et de favoriser les économies. Quant à la question de Francis Delattre sur la déductibilité des intérêts d'emprunt, Bercy devrait être en mesure d'y répondre.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion