Je vous présenterai le budget de la recherche pour 2015 à travers trois analyses : une analyse de l'évolution des crédits par programme, une analyse des crédits alloués aux opérateurs et une analyse des différents types de financements que recouvre la politique publique de la recherche.
L'évolution des crédits par programme est stable mais contrastée. Le budget pour 2015 des programmes « Recherche » est stable. Hors programme d'investissement d'avenir, il s'élèverait à 10,6 milliards d'euros en autorisations d'engagement et à 10,7 milliards d'euros en crédits de paiement, c'est-à-dire un très léger recul de 0,8 % en autorisations d'engagement et de 0,5 % en crédits de paiement. Par conséquent, nous devons nous féliciter que la recherche, l'investissement d'avenir par excellence, a été préservée cette année. Dans la période de fortes contraintes budgétaires que nous connaissons, cet effort de sanctuarisation des crédits de la recherche doit être salué et montre que la recherche demeure l'une des priorités de l'action du Gouvernement.
Cependant, l'évolution est plus contrastée selon les programmes, qui sont au nombre de sept et correspondent chacun à des enjeux différents. Trois programmes concentrent l'essentiel des crédits. Le programme 190 « Recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de la mobilité durables » et le programme 193 « Recherche spatiale » bénéficient chacun d'environ 1,4 milliard d'euros. Le troisième programme qui est essentiel, le programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » mobilise, pour l'année 2015, 6,3 milliards d'euros. Il regroupe l'ensemble des opérateurs de la recherche, à l'exception du secteur spatial.
Quatre autres programmes bénéficient, si on les considère tous ensemble, d'environ 1,4 milliard d'euros : le programme 142 « Enseignement et recherche agricoles », le programme 186 « Recherche culturelle et culture scientifique », le programme 191 « Recherche duale (civile et militaire) » et enfin le programme 192 « Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle ».
Sur ces sept programmes, un programme est stabilisé et quatre programmes sont en augmentation. La plus notable est celle relative à l'enseignement supérieur et à la recherche agricoles (programme 142) qui connaît une hausse de 6 % de ses crédits de paiement, tout en notant que cette hausse porte cependant sur l'action « Enseignement supérieur » du programme, et non sur l'action « Recherche ».
Deux programmes voient leurs crédits diminuer. Les crédits du programme 192 « Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle » diminuent ainsi de près de 10 %. Cette réduction d'apparence drastique n'est en réalité liée qu'à la création d'un fonds de concours en 2015 destiné à financer le soutien à la nanotechnologie. Si l'on intègre les crédits attendus de ce fonds de concours, le programme 192 « Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle » bénéficie d'une dotation stable. Le programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » voit ses crédits diminuer de 0,2 %. Cette diminution est si faible qu'elle s'assimile à une stabilisation. Elle principalement portée par l'action relative aux recherches scientifiques et technologiques en sciences humaines et sciences sociales, dont les crédits diminuent de plus de 15 millions d'euros.
J'en viens à l'évolution des crédits alloués aux opérateurs de recherche. Le budget des programmes de recherche est fléché à 87 % vers les opérateurs. Il serait par conséquent souhaitable de disposer de données synthétiques sur l'évolution des crédits alloués aux opérateurs, l'actuelle présentation budgétaire étant caractérisée par le morcellement des informations qui leur sont relatives, dans chacun des programmes. J'ai tenté de pallier cette carence en produisant un tableau récapitulatif de l'ensemble des opérateurs de chaque programme de recherche, ainsi que des crédits qui leur sont alloués. Cette présentation agrégée permet de percevoir qu'en dépit de la stabilité des crédits, la situation budgétaire est très contrastée d'un opérateur à l'autre. Si le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) voit ses ressources augmenter, certes dans une faible proportion de l'ordre de 0,4 %, après une augmentation de 7,4 % entre 2013 et 2014, ce n'est pas le cas de la plupart des autres opérateurs qui connaissent une baisse plus ou moins marquée de leurs ressources. Certains opérateurs font face à des budgets assez contraints. Je n'en citerai qu'un, l'Institut national de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) qui voit ses crédits réduits dans des proportions de l'ordre de 10 % entre 2013 et 2015. C'est pourquoi je propose, dans la continuité de mes travaux portant sur la sûreté nucléaire, la création d'un « Jaune » budgétaire relatif aux thématiques de la sûreté nucléaire. Ce rapport permettra de mieux comprendre l'évolution, en coûts complets, des budgets prévisionnels de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et de l'IRSN, ces deux organismes devant bénéficier de ressources nouvelles, comme je l'ai proposé dans mon rapport, par la création d'une taxe financée par les établissements nucléaires.
La recherche connaît différents types de financements, marqués par la multiplicité des dispositifs et des acteurs. Une première typologie consiste à opposer financement récurrent et financement par projet. Dans la continuité de 2014, il semble qu'en 2015 le financement de la recherche par projet ne connaisse pas une hausse marquée, alors que la France est caractérisée par la faiblesse de ce type de financements au regard d'autres pays développés. Pour l'ensemble des organismes de recherche, le financement par projet constitue environ 20 % du total des financements, contre 80 % de financements récurrents. Le rétablissement d'un indicateur de performance mesurant les parts respectives de financement par projet et de financement récurrent permettrait un suivi plus aisé de cette question. J'ai déjà soulevé ce point l'année dernière, sans pour autant que l'indicateur ne figure dans les documents budgétaires pour 2015. Je le déplore et je réitère cette recommandation.
Il faut également distinguer, de façon classique, entre ressources propres et crédits alloués par l'État. De ce point de vue, je note que le développement des ressources propres pourrait être davantage encouragé par l'État que ce n'est le cas présentement. Il s'agit notamment d'éviter que les gains en ressources propres n'aboutissent automatiquement à une réduction pour un montant similaire de la subvention de l'État. Je propose que les réductions de la dotation de l'État ne soit pas supérieure à la moitié de l'accroissement des ressources propres de l'opérateur.
Le financement de la recherche fait également intervenir le programme d'investissements d'avenir (PIA 2). Plus de 5 milliards d'euros ont été engagés en 2014 à ce titre. Si ces financements constituent évidemment des ressources très utiles au développement de projets, je tiens à souligner que ces financements ne doivent financer que des projets d'avenir, et non pas se substituer aux subventions budgétaires allouées par l'État. Or, au cours de mes auditions, j'ai eu l'occasion de constater que certains financements avaient tendance à glisser parfois vers des dépenses de nature budgétaire. Je serai particulièrement vigilant sur ce point lors de l'analyse de l'exécution 2014.
En 2014, s'est engagé le nouveau programme-cadre pour la recherche et le développement technologique (PCRD) de l'Union européenne, « Horizon 2020 », qui comprend un budget de 80 millions d'euros pour l'ensemble de la période 2014-2020. Je constate, de nouveau, que nous obtenons moins de projets parce que nous ne candidatons pas suffisamment. Nous finançons le programme à hauteur de 16 % et ne captons que 11 % des crédits. La participation aux appels d'offres doit donc être encouragée et le Gouvernement a décidé d'accompagner les chercheurs dans leurs candidatures européennes de façon à améliorer notre taux de participation.
La France est la championne du monde de l'aide indirecte aux entreprises qui font de la recherche et développement. Les programmes « Recherche » de la présente mission comprennent en effet 14 dépenses fiscales dont le coût total s'élèverait à environ 6 milliards d'euros en 2015. L'essentiel de ce coût relève du crédit d'impôt recherche (CIR), soit 5,4 milliards d'euros - auxquels on peut ajouter 200 millions d'euros liés au crédit d'impôt innovation (CII). Ce dispositif est particulièrement utile aux entreprises puisque malgré la crise, les dépenses de recherche ne faiblissent pas dans notre pays. Il est cependant perfectible. Un amendement sera d'ailleurs examiné aujourd'hui à l'Assemblée nationale pour que le plafond de 100 millions d'euros du CIR (au-delà duquel le taux passe à 5 %) soit calculé au niveau des groupes, et non au niveau de chaque filiale. Je ne proposerai pas, comme j'ai eu l'occasion de le faire l'an dernier, d'amendement sur le CIR, dans la mesure où le crédit d'impôt recherche est, selon l'expression en vigueur que je ne partage pas tout à fait, « sanctuarisé ».
J'ai cependant identifié une autre dépense fiscale dont le coût élevé n'apparaît pas nécessairement justifié au regard de son efficacité : il s'agit de la taxation au taux réduit des produits de cessions de brevets. Les entreprises bénéficient en effet, au titre de leur impôt sur les sociétés, d'une taxation à taux réduit (15 % au lieu de 33,33 %) pour les plus-values à long terme provenant des produits de cessions et de concessions de brevets. Je propose sa suppression. En effet, ce dispositif a un coût élevé de 400 millions d'euros, son efficacité n'est pas démontrée et sa suppression permettrait de réallouer les crédits ainsi dégagés aux opérateurs de recherche dans le cadre d'un plan de relance de l'emploi scientifique. Notre pays a grandement besoin d'un plan de renforcement de l'emploi scientifique. Dans les années qui viennent, les départs à la retraite vont fortement fléchir pour des raisons démographiques, ce qui diminuera de façon mécanique les recrutements de jeunes chercheurs. Je suis parfaitement conscient qu'il n'existe pas de « tuyauterie » budgétaire permettant un fléchage direct des marges de manoeuvre ainsi dégagées, mais je fais cette proposition puisque c'est un sujet qui est aujourd'hui en débat, à juste titre il me semble. Je tiens également à souligner que la mise en oeuvre d'un plan de recrutement de jeunes chercheurs est d'autant plus nécessaire que ce secteur connaît quelques difficultés qui se traduisent dans le nombre, élevé, d'emplois précaires (près de 20 %). Je voudrais conclure en soulignant que le doctorat dans notre pays n'est pas reconnu au même titre qu'un diplôme d'ingénieur ou qu'une formation en management dans les grandes écoles. Ainsi les entreprises, et même la haute fonction publique, ne sont pas très enclines à recruter des docteurs. Il y a là un chantier sur lequel il convient d'avancer. Notre pays doit conserver un emploi scientifique de qualité, ce qui passe par la sanctuarisation des financements dédiés aux chercheurs et un accompagnement des jeunes doctorants sur le marché du travail. Des dispositifs existent comme les contrats CIFRE, la majoration des dépenses de personnel destinées à payer un jeune docteur dans le calcul de l'assiette du CIR. Il y a là matière à renforcer notre système de recherche et développement.
Sous le bénéfice de ces observations, je vous propose d'adopter sans modifications les crédits liés à la recherche pour l'année 2015.