Monsieur le président, mes chers collègues, nous examinons cet après-midi le projet de loi n° 403 (2013-2014) autorisant l'adhésion de la France à l'accord portant création de la Facilité africaine de soutien juridique.
Je suis particulièrement heureuse de rapporter sur ce texte car, en tant que membre du groupe France-Afrique de l'Ouest au Sénat et ancienne ministre déléguée chargée des Français de l'étranger, mes nombreux déplacements m'ont permis de constater les difficultés d'accès de certains pays africains à l'expertise juridique, nécessaire à la défense de leurs intérêts, lors de transactions commerciales.
C'est pourquoi ce texte est si important. Il vise à procurer aux pays africains une assistance juridique, indépendante et appropriée.
Cet accord est issu d'un double constat.
1) En effet, cette initiative provient d'une longue réflexion entreprise dès 2003. La réunion des ministres africains des Finances d'alors avait appelé de ses voeux la création d'un mécanisme d'intervention rapide dans le domaine juridique afin d'aider les Etats, lors des contentieux les opposant à leurs créanciers, détenteurs de leur dette.
Je fais ici référence aux « fonds vautours » qui réalisent un profit en rachetant les dettes des pays africains à bas prix. Ils obtiennent ensuite le remboursement de ces créances à leur valeur initiale, lors de litiges devant les tribunaux.
Or, la plupart des pays ainsi attaqués ne disposent pas des moyens de défense suffisants pour faire valoir leurs intérêts. Le nombre parfois insuffisant d'avocats, le caractère complexe du droit en cause, le coût de ces procédures les désavantagent.
L'enjeu est important car l'intervention de ces fonds empêche les pays africains de bénéficier pleinement de l'impact de l'allégement de leur dette.
2) Ce souhait de créer une structure d'aide juridique a été réitéré à la Conférence ministérielle africaine de 2007, à la suite du constat de l'asymétrie d'information entre Etats producteurs et sociétés internationales, lors de la conclusion des contrats d'extraction des ressources naturelles.
En effet, les ressources naturelles africaines, pétrolières, gazières et minières, abondantes ne peuvent constituer un moteur de la croissance que lorsqu'elles sont convenablement exploitées.
Or en dépit d'une hausse des investissements sur le continent, de l'explosion du prix de ces ressources alimentée par leur rareté mondiale, le retour sur les bénéfices attendus de l'exploitation des richesses est insuffisant.
A titre d'illustration, le Revenue Watch Institute a souligné que la Norvège conserve 78 centimes pour chaque dollar de pétrole qu'elle produit, alors que ce chiffre n'est, en moyenne, que de 10 à 15 centimes pour les pays d'Afrique.
Les causes de ces rapports asymétriques entre Etats producteurs et sociétés exploitantes sont nombreuses. Tout d'abord, certains pays peinent à accéder à l'expertise juridique nécessaire pour mener des négociations équitables avec les sociétés internationales. Celles-ci sont le plus souvent « armées » de prestigieux cabinets d'avocats qui ont élaboré des contrats particulièrement complexes.
La nécessité de renforcer la compétence juridique va au-delà du cadre de la négociation ou de la résolution des contrats, elle doit également remédier à la faible capacité de certains Etats à s'engager dans des régimes fiscaux et juridiques qui optimisent les avantages socioéconomiques de l'exploitation de leurs ressources naturelles.
Elle doit permettre la mise en place d'un cadre juridique complet, favorable à l'établissement d'une gouvernance efficiente, dépourvue de corruption.
C'est pourquoi l'accord poursuit un triple objectif.
L'institution de la Facilité vise à développer la capacité juridique des pays africains pour :
- anticiper ou améliorer le taux de réussite des procès contre leurs créanciers, détenteurs de leur dette ;
- négocier et conclure des accords équitables pour la gestion de leurs ressources naturelles ;
- et, enfin, d'une manière plus générale, pour les aider à utiliser les moyens juridiques nécessaires à leur processus de développement.
En d'autres termes, les objectifs de la Facilité reposent sur trois piliers stratégiques : les services concernant les contentieux, les services de conseil et le renforcement des capacités juridiques.
Au nombre de ses activités figurent notamment :
- l'investissement dans la formation d'avocats dans les Etats membres ;
- la création et la mise à jour d'une liste de cabinets juridiques et d'experts disponibles, pour représenter les Etats membres dans les litiges et la négociation de transactions commerciales complexes ;
- le développement d'une base de données et d'un système permettant d'identifier les décisions précédentes ;
- la promotion, au sein des pays africains, d'une « meilleure compréhension » de la culture juridique ;
- l'allocation de ressources financières aux Etats en vue de les soutenir soit dans leurs litiges, soit lors de leurs négociations.
Les modalités d'organisation de la Facilité garantissent sa transparence et son indépendance.
Tout d'abord, son indépendance est garantie par son statut d'organisation internationale. Celui-ci est accompagné des privilèges et immunités traditionnels qui la protègent contre toute action juridique potentielle de rétorsion.
S'agissant de sa gouvernance, elle est souple, réduite, tout en étant plurielle. Elle est assurée par trois organes qui sont le Conseil de gouvernance, le Conseil de gestion et un Directeur.
En charge de diriger l'ensemble de l'organisation, le conseil de gouvernance de la Facilité comporte douze membres représentant différentes circonscriptions :
- cinq membres régionaux de la Banque Africaine de Développement (Gambie, Gabon, Malawi, Ethiopie, Tunisie) ;
- quatre pays représentant les Etats membres de l'OCDE (Belgique, Royaume-Uni, Pays-Bas et la France, en anticipation de la ratification) ;
- un membre représentant les Etats n'adhérant pas à l'OCDE, le Brésil ;
- la Banque africaine de développement ;
- et la Banque ouest-africaine de développement.
La conduite des opérations générales de la Facilité est assurée par un Conseil de gestion. Composé de cinq membres nommés par le Conseil de gouvernance, il exerce l'ensemble des pouvoirs qui lui sont délégués par ce dernier. Il est important de souligner que l'Accord stipule que ses membres sont « des personnes de bonne moralité possédant des compétences dans les domaines juridique et financier ainsi qu'en matière de développement. ». Le directeur assure la présidence de l'organisation.
Le financement de la Facilité est totalement transparent. Il provient de contributions volontaires tant des États et des organisations internationales participants, que des non-participants ainsi que des entités privées qui ont été approuvées par le Conseil de gouvernance.
Au départ, la Banque Africaine de développement a octroyé à la Facilité le montant nécessaire à son établissement. Par la suite, cette dernière a reçu des financements de nombreuses organisations et Etats, dont la France, pour un montant de cinq millions de dollars. Près de 22 millions d'euros ont été versés jusqu'ici.
La mise en oeuvre de l'accord témoigne déjà d'un bilan prometteur
Il est, en effet, entré en vigueur en juin 2009, après avoir été signé par vingt-neuf Etats et une organisation internationale. A ce jour, quarante-neuf Etats et six organisations internationales sont membres de la Facilité. Son bilan est déjà très positif.
Le travail stratégique de la Facilité a d'ores et déjà contribué à la création d'une chaîne de valeur concourant au développement d'un environnement des affaires propice à l'intégration durable des pays africains à l'économie mondiale.
La Facilité a appuyé jusqu'à ce jour trente-deux projets dont près des trois quarts se rapportent à la fourniture de services de conseil. Ils concernent notamment le Rwanda, le Burkina Faso, le Zimbabwe, le Ghana, le Tchad, l'Ethiopie ...
A titre d'illustration, la Zambie a demandé l'aide de la Facilité en 2012 afin de développer les capacités de son nouveau département dédié aux partenariats public-privé, créé au sein du ministère des Finances. Un conseiller juridique doit assister les autorités sur les différents aspects des négociations et la définition d'un cadre de négociation des PPP. Il doit se rendre en Zambie quatre fois par an, pendant une durée d'une à deux semaines. Il peut être joint par téléphone pour toute assistance sur les questions juridiques complexes.
Vous l'aurez compris, la ratification de cet accord est cohérente avec les engagements politiques de la France. Elle favorisera une plus grande transparence des échanges économique, ce qui bénéficiera aux sociétés extractives françaises implantées en Afrique.
Alors, pourquoi une ratification si tardive ?
Je vous rappelle que l'accord est entré en vigueur, il y a cinq ans, en juin 2009. La ratification par la France était empêchée par une stipulation qui était susceptible de porter atteinte aux conditions essentielles d'exercice de notre souveraineté nationale.
L'Accord prévoyait, en effet, que seul le Conseil de gouvernance pouvait décider unilatéralement de l'adoption d'amendements à l'acte constitutif de l'organisation, sans que les Etats membres les aient préalablement acceptés.
En réponse à la réserve française, le Conseil de gouvernance de la Facilité a adopté la résolution le 29 mai 2012, prévoyant que, désormais, tout amendement à cet acte doit être soumis à l'approbation des Etats membres. La réserve est donc levée.
C'est pourquoi, afin d'aider les pays africains à se défendre juridiquement de manière efficiente, dans le cadre de la gestion de leur dette, et à obtenir des termes équitables et équilibrés lors de la conclusion d'un contrat, je vous propose d'adopter le projet de loi visant à ratifier l'accord, et de prévoir son examen en séance publique en forme simplifiée, le 24 juin à 14h30.
À l'issue de la présentation de la rapporteure, la commission a adopté le rapport ainsi que le projet de loi précité.
Elle a proposé que ce texte fasse l'objet d'une procédure d'examen simplifié en séance publique, en application des dispositions de l'article 47 decies du règlement du Sénat.
La séance est levée à 17 h 50