Intervention de Robert del Picchia

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 25 novembre 2014 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2015 — Mission « défense » - programme « soutien de la politique de défense » - examen du rapport pour avis

Photo de Robert del PicchiaRobert del Picchia, co-rapporteur :

Le programme 212 qui nous est soumis cette année est profondément modifié par rapport aux années antérieures. Il regroupe en effet, pour la première fois, l'ensemble des crédits de personnel du ministère de la défense, qui étaient jusqu'à présent éclatés entre les différents programmes de la mission « Défense » et de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ». Cette nouvelle architecture budgétaire vise à permettre une meilleure maîtrise de l'évolution des effectifs et de la masse salariale et s'inscrit dans une gouvernance rénovée des ressources humaines de la défense.

Je vous présenterai donc dans un premier temps les crédits de titre 2, qui représentent 18,7 milliards d'euros, sur les 21,3 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 20,7 milliards d'euros en crédits de paiement (CP) inscrits au programme 212 pour 2015. Puis mon collègue Gilbert Roger vous présentera, dans un deuxième temps, les différentes politiques mobilisant les crédits hors titre 2 de ce programme.

Comme je l'indiquai, un nouveau pilotage de la masse salariale est mis en place à compter du 1er janvier 2015. Désormais, au sein du programme 212, les crédits de personnel seront répartis entre treize budgets opérationnels de programme (BOP) confiés à des gestionnaires de personnel, et non plus aux organismes d'emplois que sont les chefs d'état-majors et les directions du ministère ; ces gestionnaires RH gèreront à la fois la masse salariale destinée à leurs personnels et tous les leviers leur permettant d'en contrôler l'évolution : recrutements, avancements, incitations au départ.... Pour prendre un exemple simple, les personnels civils, dont le recrutement et la carrière étaient déjà gérés par la direction des ressources humaines et de la formation du ministère de la défense (DRH-MD) mais qui, selon le poste qu'ils occupaient été rémunérés par l'armée de terre, la marine, la direction générale de l'armement..., seront désormais tous gérés et rémunérés dans le cadre d'un BOP « personnels civils » piloté par le chef de service des ressources humaines civiles à la DRH-MD. Il en sera de même pour les « terriens », qui dépendront tous du directeur des ressources humaines de l'armée de terre. Le principe d'auto-assurance, consacré par la loi de programmation militaire, s'appliquera d'abord au niveau de chaque BOP : ainsi, en cas de dérive en gestion sur ses dépenses de socle, le gestionnaire devra prendre les mesures de régulation qui s'imposent, par exemple, en étalant les recrutements sur l'année. L'instauration de ce pilotage rénové de la masse salariale s'accompagne d'un suivi de gestion infra-annuel rigoureux et d'un encadrement des processus RH fondé sur de nombreux instruments : arrêtés annuels de contingentement des effectifs militaires par grade et échelle de solde, directives d'avancement du personnel portant sur l'ensemble des tableaux d'avancement, prévisions annuelles des sorties distinguant départs naturels et départs incités...

Cette réforme, gage d'une gestion contrôlée des ressources humaines, est à mon sens une avancée. Néanmoins, il faudra veiller à une chose : que les employeurs désormais dépourvus d'effectifs se voient bien attribuer les ressources dont ils ont besoin, d'un point de vue quantitatif et qualitatif. D'où l'importance des contrats d'objectifs passés avec les gestionnaires, qui organisent la mise à disposition des moyens, sous l'autorité du DRH-MD.

En ce qui concerne les déflations d'effectifs, elles seront bien au rendez-vous en 2015. Le PLF pour 2015 reprend en effet l'objectif inscrit dans la Loi de Programmation Militaire (LPM), soit la suppression de 7 500 équivalents temps plein (ETP) en 2015, après 7 881 en 2014.

Cette déflation portera à 85% sur les effectifs militaires et à 15% sur les effectifs civils. Ainsi, l'effort devrait davantage peser sur les militaires que cela n'était initialement prévu, le ministère faisant ainsi usage d'une possibilité d'inflexion, prévue par la LPM, afin d'accentuer ce qu'il ne convient plus d'appeler la « civilianisation » car ce terme est parfois mal ressenti, mais le « rééquilibrage en faveur des personnels civils ». Un autre aspect de ce rééquilibrage civils/militaires en 2015 est la transformation de postes militaires en postes civils, doublée d'un reclassement des personnels militaires dans la fonction publique. Selon le DRH-MD, quelque 200 postes pourraient être concernés l'année prochaine. Si ces transformations ne sont pas toujours bien perçues par les personnels civils, elles visent aussi, il faut l'admettre, à remédier à l'insuffisance de personnels civils volontaires pour occuper des postes supérieurs dans les fonctions de soutien.

En 2015, les plus fortes baisses d'effectifs en quantité pèseront sur l'armée de terre (environ moins 4 000 équivalents temps plein, soit plus de la moitié du total des suppressions), puis sur les personnels civils de la défense et sur l'armée de l'air (respectivement -1 200 et -1 172 ETP), suivis par la marine (-875 ETP). Le service de santé des armées perdra 243 postes, le service du commissariat des armées 68 et le service des essences 14. Seules la DGA et la DGSE verront leurs effectifs augmenter (respectivement de 12 et de 53 postes).

Quels que soient l'armée ou le service, nous mesurons les difficultés et l'effort que ces déflations représentent, après celles réalisées depuis des années au titre de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) puis de la Modernisation de l'action publique (MAP) et alors que de nombreuses mesures de rationalisation et d'optimisation ont déjà été mises en oeuvre. Pour l'armée de l'air, cette nouvelle déflation intervient alors qu'elle a perdu 5 000 postes depuis deux ans et 16 000 depuis 2008. Pour l'armée de terre, le nombre de postes à supprimer augmente de 25% par rapport aux années antérieures, passant de 3 000 à 4 000 personnes.

Comme l'a rappelé le chef d'état-major des armées, le général Pierre de Villiers, lors de son audition, les effectifs de la défense auront diminué d'un quart entre 2009 et 2019, le ministère de la défense représentant à lui seul 60% des suppressions d'emplois de l'Etat en 2014 et même 66% en 2015. C'est un effort considérable !

Un des volets sensibles et particulièrement difficiles de la déflation est le « dépyramidage ». Comme vous le savez, la LPM a prévu de ramener la proportion d'officiers dans l'effectif militaire de 16,75 à 16% à l'horizon 2019, ce qui représente au total une diminution de 5 800 postes. Pour 2015, ce sont 1 000 postes d'officiers qui devront être supprimés. Or l'objectif fixé pour 2014 ne sera vraisemblablement pas tenu et pour 2015, les chefs d'état-majors d'armée ont émis des doutes sur leur capacité à y parvenir, le vivier des candidats à des départs incités (notamment dans le cadre du pécule) se réduisant d'année en année.

Ce point est préoccupant, il ne faudrait pas que, faute de sorties, le recrutement se tarisse, privant nos armées du rajeunissement et du renouvellement dont elles ont besoin.

Sur un plan budgétaire, les effets attendus de la déflation sont au rendez-vous, puisque les crédits de personnel diminuent en 2015 de 374 millions d'euros, dont près de 270 millions d'euros au titre des dépenses de rémunérations (dites du socle) et 106 millions d'euros au titre des pensions, ce qui, dans un cas comme dans l'autre, est la traduction mécanique des baisses d'effectifs. Après des années de dérives, l'objectif de maîtrise de la masse salariale est donc bien atteint. Le montant du plan catégoriel (42 millions d'euros) est limité en comparaison de ce qu'il représentait il y a encore quelques années. Les dépenses hors socle enregistrent, quant à elles, une progression maîtrisée (+2 millions d'euros), la baisse de certaines enveloppes permettant une augmentation des dotations consacrées aux restructurations et au chômage.

Des mesures d'accompagnement sont prévues. Le « plan d'accompagnement des restructurations » (PAR) - doté d'un volet civil et d'un volet militaire - représente environ 200 millions d'euros de crédits de titre 2. Les crédits destinés au chômage (qui concernent pour l'essentiel du personnel militaire) augmentent de près de 4 millions d'euros, soit au total une enveloppe de 139,5 millions d'euros qui pourrait s'avérer insuffisante, la progression des dépenses étant élevée depuis 2013. Le nombre de chômeurs indemnisés en décembre 2013 était ainsi supérieur de 9,8% à celui enregistré un an auparavant. Force est de constater que, dans un contexte économique défavorable, les reconversions sont difficiles.

Si les effets attendus en termes de maîtrise de la masse salariale sont donc bien au rendez-vous dans la présentation que nous livre le PAP, il faudra aussi compter avec le surcoût - non budgété - lié aux dysfonctionnements de Louvois. Pour 2014, ce surcoût, estimé selon le ministère à 220 millions d'euros, rend nécessaire une rallonge des crédits de titre 2 dans le cadre du dernier collectif budgétaire. La récupération des sommes indues est longue et difficile. Comment pourrait-il en être autrement en 2015, alors que le problème n'est toujours pas résolu? Louvois est une catastrophe dont les effets dévastateurs n'ont malheureusement pas fini de se faire sentir et ruinent les efforts réalisés. Faut-il le rappeler, les économies liées aux réductions d'effectifs réalisées en 2014 et en 2015 représenteront précisément 220 millions d'euros en 2015 ! Il faut que nous sortions de cette situation !

Enfin, avant de conclure, je souhaiterais revenir sur un point qui a été évoqué à maintes reprises cette année au cours de nos auditions budgétaires, qui est la manière dont sont conduites les restructurations. Les suppressions et regroupements d'unités, difficiles à annoncer et douloureuses à vivre, sont malheureusement nécessaires pour respecter le rythme programmé des déflations. La tentation existe de ne pas y procéder et de répartir les suppressions de postes un peu partout, ce qui est parfois qualifié « d'écheniller », avec le risque de dégrader l'efficacité sans permettre la densification et donc la réduction attendue des coûts de soutien. Cette année, après des mois d'attente, des annonces sont intervenues en octobre dernier, mais il y en aura d'autres. Cette méthode ne donne pas aux personnels, à leurs familles et aux territoires concernés la visibilité dont ils ont besoin ; elle est aussi un facteur de désorganisation pour les armées. Il faudrait annoncer un plan d'ensemble jusqu'à la fin de la programmation. A cet égard, nous devons être vigilants au moral des personnels, notamment des personnels militaires, qui subit d'année en année une lente érosion. Lassitude des réformes, inquiétudes, sentiment d'une dégradation des conditions d'exercice du métier expliquent cette détérioration du moral. Il importe de redonner motivation et perspectives à nos personnels, et, à tout le moins, une visibilité sur leur avenir.

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