Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 25 novembre 2014 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Mes chers collègues, Mme Catherine Morin-Dessailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication et moi-même, sommes heureux d'accueillir aujourd'hui M. Jacques Attali.

Monsieur Attali est l'auteur d'un rapport adressé au Président de la République intitulé : « La francophonie et la francophilie, moteurs de croissance durable ». Ce sujet est l'objet de la réflexion commune de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication et de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat. Il s'agit d'un secteur dans lequel M. Legendre, que je salue, détient depuis longtemps des responsabilités.

La francophonie est un domaine où les notions d'économie et de croissance durable sont assez peu évoquées. Tout cela donne le sentiment que nos méthodes de travail sont embourbées dans une forme de nostalgie et de « notabilisation » qui n'est plus dans l'air du temps.

Ce sont donc des sujets qui nous importent, et nous sommes très heureux de pouvoir en débattre avec M. Attali à partir de ses propositions, qui nous permettent d'alimenter nos réflexions, à la veille de notre débat budgétaire.

La parole est à Mme la présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Je remercie la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat de nous accueillir.

Vous avez rappelé, Monsieur le président, l'intérêt pour la francophonie que partagent nos deux commissions. La commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat s'est fortement investie sur ce sujet. Qu'il me soit permis, à cette occasion, de saluer M. Legendre, pilier de notre commission sur cette question pendant de longues années, et « aiguillon » pour l'ensemble de nos collègues.

Le sommet de la francophonie, ce mois-ci, à Dakar, est l'occasion de poursuivre notre réflexion sur la francophonie contemporaine, une francophonie du XXIe siècle, qui doit relever tous les défis liés au développement et à la croissance.

Notre commission s'intéresse également aux nouvelles technologies. Dans ce monde, dont la globalisation s'accélère grâce à la mutation numérique, quelle va être la place de la langue française ? Il ne faut pas être passéiste, ni nostalgique mais, au contraire, s'emparer des nouveaux outils qui existent, et se doter de politiques opportunes, afin de pouvoir entrer dans ce nouvel écosystème qui, pour l'instant, est plutôt sous domination anglo-saxonne.

Monsieur Attali pourra nous éclairer utilement sur cette préoccupation...

Debut de section - Permalien
Jacques Attali

Je ne suis pas rapporteur. Les rapporteures sont ici. Il s'agit de Mme Adrienne Brotons et de Mme Angélique Delorme, qui ont été les véritables chevilles ouvrières de ce rapport, qui nous a amené à entendre des centaines de personnes et d'institutions, tant en France qu'à travers le monde.

C'est un grand honneur pour moi de vous dire en quelques mots l'importance de ce sujet, d'autant plus que le prochain sommet de la francophonie, qui va se tenir la semaine prochaine, n'en parlera naturellement pas. Il ne parlera, selon moi, que d'Ebola, du climat, du successeur de M. Diouf, et du Burkina Faso, sujets fondamentaux, mais qui n'ont pas le moindre rapport avec la francophonie ! C'est dans la nature des choses. Ce sommet sera suivi par un forum privé sur l'économie et la francophonie, qui constituera une conférence parmi d'autres, et avant beaucoup d'autres. Oublions cette parenthèse, et essayons de voir si quelque chose de sérieux peut émerger de ce sujet...

Pour moi, la francophonie est un sujet doublement politique, qui renvoie au coeur de notre histoire. Pour beaucoup de Français, la francophonie est vécue comme une blessure, qui fait référence au monde colonial et à la défaite. C'est un thème que l'on n'apprécie guère.

La francophonie est également considérée comme un sujet anecdotique, marginal. Dans les ministères qui traitent de ces questions, on préfère s'intéresser - pardonnez-moi, Monsieur le président - à la Chine, aux Etats-Unis, et à d'autres questions à la mode, sujets qui ne sont d'ailleurs pas sans importance, plutôt qu'à la francophonie. Celle-ci passe donc au second plan.

Cependant, il est fondamental, dans cette période très particulière de l'histoire de France, de ne pas oublier l'amour de la France, de la culture française et de la langue et, ce faisant, de les laisser aux extrêmes. Le patriotisme linguistique est, selon moi, la meilleure réponse au Front national. Trop peu de gens le comprennent, trop peu de personnes le prennent en charge. Le Front national lui-même, très embarrassé à l'égard de la francophonie, qui pourrait amener quelques sympathies vis-à-vis des personnes avec lesquelles il n'a aucun atome crochu, laisse cette question en déshérence.

J'invite tous les véritables démocrates à considérer que la francophonie est une bataille politique majeure sur le territoire national.

J'ajoute que, pour ces raisons, parmi tous les pays francophones à travers le monde, la France est le pays le moins favorable à la francophonie ! Elle ne nous intéresse pas, au point que l'on peut imaginer que la francophonie, d'ici un certain temps, se développe sans la France - ce qui est en train de se produire de façon assez large.

Pourtant, la francophonie n'est pas un sujet parmi une longue série diplomatique, abordé entre la tragédie du Kurdistan et le problème des pingouins. Il s'agit d'un projet qui, selon moi, devrait être aussi structurant que le projet européen. Il y a place, d'ici trente ans, pour une Union francophone aussi intégrée que l'Union européenne. Cela montrerait que l'Union européenne n'est pas un carcan, mais un ensemble qui ne nous empêche pas d'être membres d'un autre ensemble, dans lequel la France aurait une influence plus grande que celle qu'elle est en train de perdre progressivement au sein de l'Union européenne, pourtant si nécessaire à notre avenir.

La francophonie représente aujourd'hui 4% de la population mondiale, mais 16% du PIB mondial, 14% des réserves naturelles mondiales, un taux de croissance moyen depuis quinze ans de 7% par an. Deux cent vingt millions de personnes parlent le français en première ou deuxième langue. Le continent africain, je le rappelle, va passer d'un à deux milliards d'habitants d'ici à 2050. J'ai toujours pensé et dit que le XXIe siècle ne serait pas le siècle de la Chine, mais le siècle de l'Afrique, pour le meilleur ou pour le pire. Potentiellement, la francophonie peut représenter environ 750 millions de locuteurs, sans compter tous ceux dont je vais parler par ailleurs...

La théorie des langues, qui constitue une dimension nouvelle, très moderne et très intéressante de la théorie économique, montre que l'on traite 70% d'affaires en plus entre personnes parlant la même langue. La francophonie présente donc un potentiel de croissance gigantesque.

La francophonie ne concerne pas que les pays francophones. Certains pays voisins ont également besoin de parler français. Le Nigeria, qui est entouré de pays francophones, a désespérément besoin de professeurs de français, de comprendre le français, de vivre en français ; il demande des moyens de développer notre langue. C'est également le cas d'autres pays africains, qui ont compris l'importance de notre langue, même s'ils sont moins enclavés dans des zones francophones, comme l'Ethiopie, pays dont on parle peu, qui sera l'une des trois plus grandes puissances africaines d'ici vingt ans. Il y existe une demande majeure de français. C'est pourtant un pays que l'on ignore, tout comme on ignore l'Indonésie, qui est l'une des grandes puissances de demain.

Certaines nations ont besoin de passer par le français pour s'implanter en Afrique. C'est le cas du Japon, qui l'a très bien compris ; beaucoup de Japonais viennent en France pour apprendre le français avant de se rendre en Afrique. C'est aussi le cas de la Chine qui, après avoir tenté de développer des instituts Confucius en Afrique, a compris qu'il valait mieux disposer de ressortissants parlant français pour commercer avec l'Afrique. On compte 30 000 étudiants chinois en France et, dit-on, dix millions de Chinois - ce qui n'est rien, par rapport à la population globale - qui apprennent le français en Chine.

D'autres populations, dans des pays qui ne sont pas francophones et qui n'ont pas de raisons de l'être, sont cependant francophiles et francophones. C'est une catégorie que l'on a désignée, dans le rapport, sous le nom de « francophilophone ». Si vous trouvez le temps de le feuilleter, vous découvrirez en annexe une centaine de témoignages de personnes puissantes, à travers le monde, qui parlent parfaitement français, et qui ont bien voulu apporter un message en français pour expliquer leur amour de la France. Cela va du ministre des finances allemand, M. Wolfgang Schäuble, à la présidente mondiale de PepsiCo, une indienne devenue américaine, en passant par des dizaines d'autres hauts fonctionnaires, ambassadeurs, hommes d'affaires du monde entier, dans des pays aussi invraisemblables que l'Arabie saoudite, le Kenya, la Bolivie, l'Argentine, le Brésil ou la Chine, où l'on trouve des francophones importants et puissants.

Il s'agit d'un réseau immense. Nous sommes potentiellement le second espace linguistique du monde, face à l'anglais, plus que l'espagnol à terme - bien que l'espagnol conquière les Etats-Unis. Ce n'est pas pour autant que cela se fera naturellement. Le plus vraisemblable n'est pas qu'il y ait 700 millions de locuteurs français dans trente ans, mais 120 millions, et que le français disparaisse, pour au moins deux raisons de fond.

En premier lieu, nous sommes de moins en moins capables de maintenir l'enseignement en français dans les pays francophones ; tout l'environnement scolaire et universitaire en français est en train de se délabrer, faute de moyens de notre part, faute de moyens de ces pays, et faute d'un accueil des étudiants étrangers. On ne dira jamais assez le tort terrible qu'a pu causer à la francophonie la circulaire Guéant relative aux étudiants étrangers ! Aujourd'hui encore, on croit que cette circulaire est applicable, ou que si un changement de majorité intervient en France, elle sera remise en vigueur. Pourquoi envoyer ses enfants étudier en France, si c'est pour qu'ils soient expulsés une fois leur diplôme acquis ?

Le sentiment que la France ne va chercher ni les élites, ni les jeunes, poussent ceux-ci à mener très tôt des études dans d'autres langues. Les autres pays l'ont très intelligemment compris, et envoient des chasseurs de talents dans les pays francophones, partout à travers le monde, trouver les meilleurs et les emmener chez eux pour qu'ils étudient dans leur langue. Ce n'est pas propre aux pays de langue anglaise, mais également le cas de l'Allemagne, qui a une politique extrêmement ambitieuse de ce point de vue, comme dans bien d'autres domaines européens.

Il existe une seconde raison pour laquelle on peut penser que le français est très menacé. Les technologies, dont vous avez dit à juste titre qu'elles représentaient un défi, jouent en effet contre nous.

Je me permettrais ici un bref rappel historique. Beaucoup ont pensé que l'imprimerie, quand elle est apparue, à la fin du XVe siècle, allait entraîner la généralisation du pouvoir de l'Eglise, en permettant de distribuer des bibles imprimées à bas prix, ainsi que la généralisation du latin, grâce à la vente à bas coût de livres imprimés en latin. On a en effet imprimé la Bible à bas prix, mais les gens se sont rendu compte que ce que racontaient les prêtres n'avait rien à voir avec ce qui était écrit dedans, et qu'on pouvait avoir accès, grâce à l'imprimerie, à d'autres textes. C'est ce qui a permis à la Renaissance et au mouvement protestant de voir le jour.

Par ailleurs, on a certes imprimé des livres en latin mais, vingt ans après l'imprimerie, on a édité des grammaires en langue vernaculaire, la première en espagnol, la deuxième en français. Comme vous le savez, le latin a disparu à partir de 1520. Les technologies ont donc conduit à la diversification, et non à l'unification.

C'est ce qui est en train de se passer aujourd'hui : les nouvelles technologies permettent de faire de la radio, de la télévision, de communiquer dans toutes les langues. Les technologies qui vont apparaître par la suite vont bouleverser la traduction simultanée et automatique, ainsi que la traduction orale. Elles vont offrir à chacun la possibilité de s'enfermer dans sa langue. Ni le français, ni l'anglais, n'ont plus de raisons d'être. Nous entrons dans une longue période de balkanisation humaine et d'autisme, avec tous les dangers que cela peut comporter !

Il ne faut donc pas croire que l'avenir du français soit garanti, ni que le royaume triomphant de la francophonie pourra se réaliser sans nous. C'est une grande bataille qui n'est pas commencée, qui n'est pas pensée. Nous avons voulu démontrer, dans ce rapport, que cela passe par le fait de continuer à essayer d'imposer de vivre en français en France. C'est la moindre des choses. Or, même si la France n'obéit pas au communautarisme britannique ou américain, et demeure le seul pays à avoir imposé le « melting pot » - mot britannique pour désigner la laïcité française -, on n'en a pas pour autant l'assurance.

Certains ici le savent mieux que personne : il arrive assez souvent que l'on vive dans d'autres langues que le français sur le territoire national. C'est une bataille majeure : on ne peut imposer le français, ou le faire rayonner, si on n'est pas capable de le faire respecter ici même. C'est dire l'importance de l'apprentissage du français aux immigrés, l'apprentissage du français aux familles de première et de deuxième génération. Or, on ne mène pas véritablement cette politique car on considère ce fait comme acquis.

En second lieu, ce rapport met en évidence le fait qu'il existe un véritable besoin de développer l'enseignement en français, de la maternelle à la terminale, dans tous les pays du monde.

Les magnifiques lycées français et les différents systèmes d'enseignement public des pays où l'on enseigne encore en français sont en situation difficile et on ne peut imaginer, au vu de la situation budgétaire, de créer les conditions de leur développement. Il existe donc une place pour un groupe privé d'écoles françaises, comme il existe des groupes privés de maisons de retraite, de cliniques, etc. C'est là une belle aventure, pour un groupe industriel français. La puissance publique « à la Colbert » pourrait en être à l'origine. Nous plaidons pour que la puissance publique se saisisse de ce projet et fasse naître un champion dans le secteur de l'éducation, tant réelle que virtuelle. Celle-ci va en effet devenir un des grands secteurs économiques de demain.

Il y a, dans ce rapport, beaucoup d'autres propositions. Celles-ci portent sur la culture, l'enseignement à distance, l'enseignement par Internet, le développement de chaînes de télévision virtuelle, sorte de Netflix en langue française. Il est nécessaire d'imposer ou de faire rayonner le droit continental, le droit français, par opposition au droit anglo-saxon qui, aujourd'hui, est au coeur de ce que pourrait être, dans le pire des cas, le traité transatlantique.

Voilà, trop rapidement esquissés, Madame la présidente, Monsieur le président, les grands axes de ce rapport. Je demeure cependant pour l'instant assez sceptique quant au fait que ces éléments soient pris en compte par qui que ce soit !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Merci pour cette analyse, qui rejoint un certain nombre de constats. Le président Diouf a notamment estimé, s'agissant de l'enseignement du français, que le problème ne provenait pas de la demande, mais de l'offre. Si l'on crée un second lycée français à Madrid, ou ailleurs, on attend toujours un autre lycée français à Tunis ! Il s'agit là d'une véritable responsabilité.

Je rejoins M. Attali : on a du mal à tenir compte de cette question, notamment au coeur même de notre diplomatie, chez les plus jeunes de nos diplomates. On a le sentiment que le sujet n'est pas moderne, qu'il n'est pas attractif, qu'il n'est pas à la mode, comme vous le disiez tout à l'heure.

La parole est aux commissaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Gilbert Roger

Merci, M. Attali, pour votre exposé. Quelle serait la première mesure qu'il faudrait prendre pour sortir de notre réflexion franco-française, où chaque ministre possède son morceau de francophonie ? Comment être offensif et imaginatif ?

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Goy-Chavent

Monsieur Attali, vous avez affirmé que les échanges commerciaux sont facilités par l'usage d'une même langue. Il est important de le répéter. Les pays francophones représentent, si je ne m'abuse, 16% de la population mondiale, 14% du revenu national brut mondial et 11% des échanges mondiaux de produits et de services culturels. Des études ont démontré qu'une augmentation de 10% des échanges de biens culturels accroît le commerce de près de 4%, ce qui est énorme.

J'ai le sentiment que les pays francophones ne savent pas se vendre, ni donner envie à la jeunesse mondiale d'apprendre notre langue. Certes, on a envie de transmettre une certaine érudition, mais est-ce ainsi que l'on donnera envie aux jeunes du monde entier d'apprendre le français ? Ne pourrait-on diffuser des programmes moins élitistes, moins « culturels » ? Ne fait-on pas rêver la jeunesse avec des séries télévisées tournées à Saint-Tropez, à Marseille, avec des émissions de téléréalité ou des radio-crochets ? Ce n'est pas notre tasse de thé, mais c'est bien ce que les jeunes regardent de nos jours !

Les pays anglo-saxons ont su se vendre et accrocher la jeunesse. Si l'on veut que les jeunes entrent dans les lycées français dans le monde, il faut leur en donner l'envie.

J'ai l'occasion d'aller de temps à autre en Roumanie et au Liban. Je suis atterrée de constater que personne ne parle plus français en Roumanie, dès lors qu'il s'agit de personnes de moins de quarante ans. C'est dramatique ! On ne peut plus converser qu'en anglais ! Moi qui suis francophone, j'ai très envie que l'on s'adresse à moi en français !

De temps en temps, un chauffeur de taxi lâche deux mots dans notre langue, mais il ne l'a manifestement jamais entendu parler. Il faut donc faire un effort en sens.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Comme l'a dit un grand intellectuel français : il faut donner l'envie d'avoir envie ! (Sourires).

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Conway-Mouret

On a certes tendance à se concentrer sur ce qui ne fonctionne pas, mais on constate une prise de conscience du rôle que joue notre enseignement du français à l'étranger. Il est bien plus diversifié que ne l'est celui qui est dispensé dans les écoles de notre territoire national, qui accueillent les enfants à la maternelle et les voient en sortir au baccalauréat. Nous disposons ainsi de toute une gamme d'outils. Vous avez évoqué l'enseignement à distance, mais il existe d'autres dispositifs - Français langue maternelle (FLAM), ou label « France éducation ».

Encore faut-il, pour rebondir sur ce qui vient d'être dit, avoir envie de parler français. Nous avons besoin de transmettre ce goût aux jeunes du monde entier. Je partage votre analyse quant aux 700 millions de locuteurs français qui sont annoncés. Il est vrai que, si l'on n'y prend garde, ces personnes vont se tourner vers l'anglais, comme en Afrique, où on apprend plus naturellement l'anglais que notre langue. Comment, selon vous, donner l'envie de parler le français ?

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Gillot

Monsieur Attali, vous avez établi une liste de pays où il existe une demande de français, notamment dans les pays francophiles d'Afrique, mais non encore francophones. J'ai eu l'occasion, au début du mois de septembre, de me rendre dans le Kazakhstan, qui veut développer la francophonie pour affirmer son attachement au bloc européen, et marquer son émancipation vis-à-vis du bloc soviétique. D'ici quelques semaines, le Président de la République va se rendre dans ce pays avec une délégation d'universitaires, pour signer des contrats de coopération avec les universités kazakhes, afin de répondre à leur appel.

Je n'avais pas perçu cet état de fait avant ce voyage. J'ai pu constater une demande et un engouement stratégique qui reposent sur une volonté politique. Avez-vous un commentaire à apporter à ce sujet ?

Debut de section - Permalien
Jacques Attali

Quelles réformes administratives mener ? De nos jours, tant de personnes sont responsables, que personne ne l'est plus ! La solution idéale serait que le Premier ministre et le Président de la République établissent un programme clair, qui pourrait être emprunté en partie ou en totalité à ce rapport, que l'on se donne deux ans pour le mettre en oeuvre, comme dans une entreprise, et que l'on décide que quelqu'un - si possible un ministre de haut niveau - en ait la charge, avec autorité sur les services pour mettre en oeuvre ces propositions.

Il faut une autorité responsable : aujourd'hui, elle n'existe pas, et n'existera jamais, chacun ayant intérêt à une certaine dilution, pour reprendre la phrase du cardinal de Retz, qui reste un des trois grands principes de la conduite de la vie publique dans ce pays : « Dans la vie publique, comme dans la vie privée, on ne sort de l'ambiguïté qu'à son propre détriment. », les deux autres principes étant : « Après moi, le déluge. », et : « Il n'est pas de problème qu'une absence de solution ne finisse par résoudre. »

Par ailleurs, comment apprendre le français ? Je demeure un grand amoureux de la « Princesse de Clèves », et j'espère que l'on continuera à l'enseigner, car c'est un grand roman que l'on ne doit pas oublier. Cependant, Mme Goy-Chavent a raison : l'enseignement peut être très différent. J'ai eu tort de ne pas citer l'Alliance française, qui joue un rôle très important.

Il m'arrive souvent de citer l'exemple de cette jeune indienne passionnée de français, qui décide un jour d'aller à l'Alliance française de sa ville natale, Chennai, l'ancienne Madras, rencontre un professeur de français qui n'a qu'une passion dans la vie, Enrico Macias, apprend par coeur ses cent cinquante chansons, et devient un peu plus tard américaine, présidente mondiale de PepsiCo, jusqu'à ce qu'elle vienne un soir chez moi, chanter avec Enrico Macias ! Voilà un détour pour apprendre le français qui n'est pas banal !

C'est pourquoi la production de séries françaises - meilleures, je l'espère, que celles que vous avez évoquées - commencent à apparaître. La chaîne, transfuge de Canal Plus, « A + », destinée à l'Afrique, qui va commencer à commander des programmes en français avec une scénographie et une histoire africaine, va sans doute jouer un rôle très important dans ce domaine. Il ne faut pas l'exclure.

Le Centre national d'enseignement à distance (CNED) est un désastre - ses responsables, qui sont des personnes sérieuses, en conviennent -, à la fois à cause de la façon dont on y travaille, et de la façon dont on y enseigne. Le CNED n'a pas franchi le cap de ce qu'on appelle en français la Formation en ligne ouverte à tous (FLOT) : les cours par Internet n'existent pas de façon sophistiquée en français, et mériteraient d'être développés !

Cette envie de français n'est pas le principal problème. Il m'arrive, comme vous, de me promener à travers le monde. La passion de la France, l'admiration pour la France, l'envie de France sont immenses. Cette envie pourrait décliner si nous ne sommes pas capables d'y répondre. Nous refusons aujourd'hui des visas à des étudiants étrangers, qui ne savent même pas où se loger en arrivant à Paris ! À Londres, ou aux Etats-Unis, un étudiant étranger qui arrive à l'aéroport dispose déjà de son logement, de sa carte d'étudiant, de sa carte de bibliothèque, de son assurance. Dans notre pays, alors qu'il maîtrise difficilement notre langue, il ne bénéficie de rien de tout cela, et doit s'adresser à des organismes différents, patienter dans des files d'attente interminables. C'est incroyablement rédhibitoire !

Nous sommes une nation rurale, non une nation portuaire. Nous ne sommes donc pas une nation accueillante. Seules les nations portuaires le sont. Ce n'est que par miracle que nous sommes - paraît-il - le premier pays touristique du monde, même si on sait que les chiffres sont faux. C'est ce qu'il faut changer.

Madame Gillot, vous avez évoqué le Kazakhstan. C'est un pays parmi d'autres où la demande de France est très importante, pour des raisons géostratégiques. Il est situé entre la Russie et la Chine, et ne souhaite pas dépendre de la Russie, comme l'Ukraine. Il ne désire pas non plus dépendre de la Chine, ou des seuls Etats-Unis. Nous arrivons donc à point nommé. C'est également une demande de l'Arménie ou d'autres pays du globe.

La demande de France s'explique par le désir d'aller vers une grande puissance, mais non vers une très grande puissance, qui peut créer les conditions d'une dépendance. Nous avons donc tout pour cela. L'envie de France existe ; ce qui n'existe pas, c'est la capacité à créer les conditions pour satisfaire cette envie !

Debut de section - PermalienPhoto de Gaëtan Gorce

Vous parlez d'une envie de France : la question est de savoir si la France portage cette envie ! Une langue, c'est évidemment le support d'une culture, d'une économie, mais c'est d'abord un message politique, une idée politique, une conception du monde. La francophonie s'est développée à une certaine époque, dans des conditions dont on pourrait discuter, mais ce message et cette volonté existaient alors.

La question que l'on peut se poser aujourd'hui est de savoir si la France, dans le monde tel qu'il se construit, considère qu'elle a une place et un rôle particulier à jouer. Si tel n'est pas le cas, comment peut-on faire revivre cette envie d'exister ? Pour le coup, c'est bien la question qui se pose.

Vous parliez des moyens de lutter contre certains extrémismes en faisant appel à la francophonie ; une façon de lutter contre ces extrémismes est aussi de redonner du sens à un engagement et à une ambition nationale. Pourquoi ne l'a-t-on plus ? Comment le recréer ?

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Duvernois

Monsieur Attali, vous venez de dire que la francophonie est un enjeu politique majeur du XXIe siècle. C'est une opinion que je partage totalement.

Cela étant, nous sommes à la veille de l'ouverture du quinzième sommet de la francophonie à Dakar, les 29 et 30 novembre prochains, qui va réunir les chefs d'Etat et de gouvernement, et au cours duquel on élira un successeur à M. Abdou Diouf. Traditionnellement, le poste de secrétaire général revenait à un Africain.

Cette année, l'Afrique, laissée un peu à elle-même, faute d'engagement de notre pays, il faut le dire, se présente en ordre dispersé, avec un risque majeur, celui de voir émerger une candidate venant d'un pays du Nord, le Canada, ancien gouverneur général, qui a représenté la reine d'Angleterre, en tant que chef du Commonwealth. On risque donc, dimanche, de se retrouver au secrétariat général de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) avec une candidate qui a été durant quelques années chef du Commonwealth, nonobstant les qualités de cette personne. J'aimerais connaître votre sentiment sur une situation qui risque d'avoir des conséquences majeures sur le plan institutionnel pour l'avenir et le développement de la francophonie.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Legendre

C'est avec grand plaisir que nous écoutons M. Attali nous dire qu'il n'entre pas dans ce présupposé merveilleux selon lequel nous serions en marche vers les 700 millions de francophones ! Certes, la population africaine se développe, mais si ses systèmes éducatifs demeurent en l'état, l'Afrique ne comptera jamais 700 millions de francophones ! Il faut le préciser, car notre responsabilité est pour partie engagée. Je vous remercie donc de le souligner.

Vous avez soulevé beaucoup de problèmes, et vous nous donnez d'ailleurs une sorte de leçon : on connaît l'éternelle légèreté française qui consiste à ne pas prendre au sérieux des sujets qui sont parmi les plus graves. Pour un homme politique, parler de francophonie est redoutable : on passe pour un « ringard », un colonialiste « attardé », et on n'a pas l'impression de se projeter dans l'avenir !

Vous avez insisté sur la nécessité de vivre en français en France : vous avez raison. Cela relève de l'enseignement du français et de la maîtrise par les jeunes de notre langue dans certains secteurs désavantagés ou difficiles. Il existe cependant également des Français qui ne peuvent plus utiliser leur langue, en France, sur leur lieu de travail. Cette situation se développe, certaines entreprises ayant décidé, en France, de faire de l'anglais la langue véhiculaire de leur société. Cela peut même être un moyen de sélection des dirigeants ! Trouvez-vous cela normal ? Que peut-on faire pour rappeler qu'en France, la langue nationale et la langue d'usage restent bien le français ?

Par ailleurs, vous avez appelé de vos voeux le développement de groupes privés d'écoles françaises. L'Etat ne peut tout faire, vous avez raison, et ce recours peut être utile. Certains de ces groupes se développent déjà : j'en ai un très bel exemple dans ma région, le Nord-Pas-de-Calais, où une très grande école de commerce privée est en train d'essaimer dans le monde entier. Bien qu'elle soit installée à Lille, elle a décidé que la langue d'enseignement serait l'anglais !

Je le conçois pour des étudiants étrangers, à qui il peut être utile de dispenser un enseignement sans barrière de langue, dans la langue qu'ils maîtrisent déjà - en espérant qu'ils maîtriseront aussi le français -, mais tout de même ! Cette tendance se développe de plus en plus.

Lors de l'examen de la loi relative à l'enseignement supérieur et à la recherche, dite loi Fioraso, on a essayé, vaille que vaille, d'encadrer le recours à une langue autre que le français dans l'enseignement supérieur.

Il faut être conscient des conséquences que cela peut avoir sur les étudiants africains. Je revois cette jeune étudiante nigérienne, particulièrement brillante, venue étudier dans une grande université française, qui s'est vue imposer des cours d'économie en langue anglaise ! Elle m'a confié qu'elle ignorait, lorsqu'elle a choisi de suivre sa scolarité en français au Niger, que sa difficulté, une fois à Paris, serait de maîtriser suffisamment l'anglais pour suivre les cours d'une université française.

Cela pose, pour les pays africains, le problème de savoir s'ils doivent continuer à garder le français comme langue d'accès à la modernité, ou s'ils doivent passer à une autre langue. Il est clair que la connaissance de deux langues, comme le français et l'anglais, est nécessaire dans un certain nombre de pays, mais que peut-on faire pour avoir, en France, une politique cohérente, et cesser de traiter trop légèrement un sujet qui engage l'avenir ?

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Merci pour ce rapport, M. Attali. Il est très important de mener cette étude de fond et de sensibiliser le public à la francophonie économique. La francophonie ne se développera en effet que dans un contexte économique. Dans ce monde globalisé où nous vivons, les jeunes se tournent d'abord vers les pays où ils ont une chance de trouver un emploi.

En Amérique latine, les alliances françaises fonctionnent remarquablement bien : beaucoup de personnes suivent en effet des cours de français pour se rendre au Québec, où ils pensent facilement trouver un emploi. Tout un travail économique est donc à mener dans notre propre pays.

Pour en revenir à votre rapport et à l'insuffisance de l'enseignement du français à l'étranger, je citerai l'exemple de Madagascar, qui est redevenu un pays de la francophonie, mais où l'on ne parle plus le français ! On ne peut surtout plus vraiment l'enseigner, faute de professeurs suffisamment compétents ! Nous avons donc des efforts très importants à réaliser pour former les personnes qui se destinent à l'enseignement de notre langue aux populations locales.

Dans les pays anglo-saxons, toute une classe d'âge de jeunes part un an à l'étranger et finance ses déplacements en enseignant l'anglais un peu partout dans le monde. Ce n'est pas dans notre culture mais, dans un contexte de crise économique, il serait bon d'encourager de jeunes chômeurs à aller enseigner le français à l'étranger, en leur enseignant bien sûr les techniques pédagogiques pour ce faire.

Vous parliez des écoles privées : nous disposons déjà des alliances françaises. Il nous faut donc les soutenir, car elles ont énormément de difficultés financières dans certains pays. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous sur le fait d'encourager le volontariat international en entreprise (VIE) dans les pays francophones. Au contraire, nous avons besoin de les encourager dans les pays non francophones, d'où l'idée de disposer de jeunes qui pourraient enseigner le français dans différentes écoles, à Madagascar ou en Afrique.

On ne parle plus français en dehors de Dakar, mais peul, faute d'enseignants capables, et c'est terrible...

Concernant la loi Fioraso, je souscris à ce qu'a dit M. Jacques Legendre. Je me suis beaucoup battue contre cette loi, qui constitue une hérésie et envoie un très mauvais signal. Nous passons notre temps à émettre des signaux négatifs. Nous parlons maintenant anglais dans certaines de nos réunions, et les parlementaires exclusivement francophones sont les premiers à expliquer qu'il ne faut surtout pas apprendre le français aux enfants, la France étant elle-même incapable de se battre en faveur de sa propre langue !

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Grosperrin

Je ne sais si j'ai « pris le pouvoir sur ma vie » - c'est un clin d'oeil en direction d'un livre qu'on m'a offert hier -, mais j'ai pris le temps de lire votre rapport, M. Attali. J'ai compris toute l'importance économique qui s'attache au renforcement de la francophonie et de la communauté francophone.

J'aimerais cependant que vous nous apportiez un éclaircissement sur l'offre d'enseignement du français et en français, partout dans le monde. Vous prônez l'émergence d'un nouveau groupe privé d'écoles françaises ; vous souhaitez également développer l'activité du CNED, et élargir les missions de « France Université Numérique » (FUN). Pourquoi vouloir développer des groupes d'écoles privées sous contrat pour enseigner le français ? Considérez-vous que notre système d'enseignement public soit trop faible ?

Par ailleurs, vous ne faites pas état des acteurs essentiels de la diffusion du savoir de haut niveau dans l'espace francophone que sont les universités thématiques, notamment l'université juridique francophone. Ces plateformes permettraient pourtant de mettre en ligne les cours des meilleurs universitaires français. Pourquoi ne les identifiez-vous pas comme un levier possible du développement de la francophonie ?

Debut de section - Permalien
Jacques Attali

La question de M. Gorce devrait être la question centrale du débat politique français : qu'est-ce qu'un projet français ? C'est une question à laquelle chacun d'entre nous a sa réponse. Votre assemblée doit, mieux que quiconque, savoir le définir. J'aimerais que le débat national entre vous porte sur cette question, et non sur d'autres. Je vous laisse le soin d'en discuter.

Je fais mienne la phrase de cet écrivain algérien, qui disait : « Ma patrie, c'est la langue française. » Il s'appelait Albert Camus... Le patriotisme linguistique est une vraie valeur, qu'il faut revendiquer en tant que telle, et décliner de façon systématique. Il existe une différence entre un homme politique et un homme d'Etat : l'homme d'Etat doit toujours penser à la grandeur de la France, employer ce mot sans emphase, mais de façon concrète, pratiquement dans chacun de ses discours, en trouvant une façon, sur quelque sujet que ce soit, de décliner cette ambition.

J'ai eu le privilège de travailler avec un Président de la République qui y pensait tous les jours, même si cela avait aussi une dimension personnelle mégalomaniaque, puisqu'il s'associait lui-même à cette grandeur - mais c'est un autre sujet...

Vous avez évoqué le choix du secrétaire général de l'OIF. C'est un enjeu majeur. On peut en effet reprocher à la France de se trouver dans la situation où nous sommes aujourd'hui. Je ne saurais le dire... Je pense que la France a très longtemps pensé que le choix devant se porter sur un Africain, il importait que cet Africain soit choisi par les Africains, et non que ce choix soit dicté par la France.

Même si je sais, pour en avoir été informé - pour parler simplement - que différentes tentatives ont été menées pour susciter des candidatures plus ou moins avortées d'Africains qui auraient pu être de grands candidats, il est vrai que c'est un délice pour les hommes d'Etat que de s'occuper des nominations. C'est le dernier pouvoir de droit de vie et de mort dont ils disposent !

Cette nomination va prendre du temps, et je partage votre point de vue : sans en faire une question de personne, le fait de nommer quelqu'un qui n'est pas Africain serait un désastre, ne serait-ce que parce que l'actuel numéro deux de l'organisation, un remarquable Canadien, devrait céder la place. Or, c'est lui qui « gère la boutique », et ce ne serait pas une solution idéale. Les conséquences en chaîne seraient désastreuses ! J'espère qu'on saura l'éviter. J'ai l'impression qu'une prise de conscience a eu lieu - mais je ne saurais dire ce qui se passera samedi ou dimanche à Dakar, où je n'irai d'ailleurs pas, n'y ayant pas ma place...

La question des entreprises qui ont choisi d'employer l'anglais sur notre sol national est une question importante et difficile. La question de la loi Fioraso est un sujet compliqué.

J'ai reçu hier soir un courrier électronique d'un ami français, président d'une très grande entreprise française, qui me mettait en copie d'un message qu'il échangeait avec l'un de ses collaborateurs français. Ce message était en anglais. Je lui ai demandé pourquoi. Il m'a expliqué qu'il avait mis ce courrier électronique en copie à l'un de ses autres collaborateurs, à New York. Je lui ai demandé quelle était sa nationalité. Il m'a répondu qu'il était également français !

L'ONG que je préside dispose de collaborateurs de toutes nationalités dans quarante pays, et je dois dire que notre langue de travail demeure pour l'essentiel le français mais, lorsqu'un Chinois qui dirige un bureau quelque part ne parle pas français, on est obligé de lui écrire en anglais. Il n'y a pas d'autre solution. Lorsqu'on met tout le monde en copie, la courtoisie consiste à rédiger également le message en anglais.

C'est un vrai risque. L'influence française est très importante. C'est une question de rapport de force, qu'il est important de maintenir.

Les universités qui enseignent en anglais sur le sol français sont très dangereuses. Il faut évidemment maintenir l'enseignement en français. Au début, j'étais totalement opposé à l'enseignement en anglais, que je trouvais une très mauvaise idée. Je me suis rendu compte, en observant les choses de plus près, qu'enseigner en anglais à des gens qui ne seraient pas venus sans cela est une façon de les amener à la francophonie.

Beaucoup de Chinois viennent étudier à Sciences Po ou dans d'autres universités et ne comprennent que l'anglais. On peut espérer qu'ils aient un petit ami français ou une petite amie française, ce qui est la meilleure façon d'apprendre une langue !

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Gillot

Il faut aussi tenir compte de l'obligation de l'apprentissage du français comme langue étrangère. On peut donc espérer que les étudiants anglophones repartiront francophones...

Debut de section - Permalien
Jacques Attali

J'ai évoqué cet argument : on m'a expliqué que si on impose cette obligation, on perdra les meilleurs étudiants, qui ne veulent pas de ce principe. Les étudiants en physique nucléaire, par exemple, choisiront Princeton.

Par ailleurs, la question de la formation des populations locales relève du problème de la poule et de l'oeuf. Madagascar est en effet un exemple de déshérence. C'est aussi le cas du Vietnam, où il existe une très forte demande.

Cependant, le Vietnam est en train de redevenir francophone grâce, d'une part, au fait que la santé est aux mains d'une influence française, d'autre part, au fait que les médecins sont formés en France. Les hôpitaux français entretiennent donc avec ce pays des rapports extrêmement suivis. Par ailleurs, par le hasard de la vie, beaucoup d'entreprises françaises du Vietnam sont dirigées par des Français très patriotes, qui imposent à leurs collaborateurs vietnamiens de parler français !

Pourquoi préconiser des écoles privées ? Tout simplement parce que les écoles publiques ne peuvent suffire.

Debut de section - Permalien
Jacques Attali

En effet, il n'y a pas non plus assez d'argent pour tout financer. Je sais qu'il est difficile, pour beaucoup d'entre nous, d'associer le commerce et l'éducation, mais il faut admettre que les écoles « libres » - que je n'ai personnellement jamais appelées ainsi, car elles ne sont pas plus libres que les autres - ont toutes leur place dans ce système, en particulier celles que M. Grosperrin a évoquées tout à l'heure.

Debut de section - PermalienPhoto de Jeanny Lorgeoux

Pardonnez le caractère « ringard » de ma question, mais je me la pose depuis longtemps : l'apprentissage du français n'est-il pas indissociable de l'apprentissage du latin, de l'histoire et de la géographie ?

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Monsieur Attali, vous avez cité Albert Camus. Je vous renvoie à Kateb Yacine, ce grand auteur algérien qui a dit, au moment de l'indépendance : « Le français est notre butin de guerre. » Quelques décennies plus tard, Kamel Daoud répond à « L'étranger », de Camus, dans « Meursault, contre-enquête ». Je regrette d'ailleurs qu'il n'ait pu, à une voix près, obtenir le prix Goncourt...

C'est dire combien le français, dans les pays du Maghreb, a atteint un niveau remarquable. Il demeure toutefois l'apanage d'une certaine nomenklatura et des enfants de celle-ci, ce qui n'est pas sans poser problème : du fait de leur connaissance en langues étrangères, ils monopolisent en effet un certain nombre d'emplois.

On ne pense pas assez à enseigner la langue française aux classes moyennes et aux classes populaires : cela permettait des rapprochements. On ne forme dans ces classes que ce que j'appelle des « analphabètes bilingues », que je rapproche de ce que vous avez dit lorsque vous avez parlé de « vivre en français », formule à laquelle j'ai été sensible.

Si les pays du Maghreb forment des « analphabètes bilingues », mon quartier aussi ! Un rapport de Jacques Berque, que vous avez dû lire, préconisait l'apprentissage des langues d'origine à l'école. Faut-il ou non savoir qui l'on est et d'où l'on vient pour pouvoir aborder une autre langue que sa langue maternelle ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

La note de synthèse de votre rapport évoque les opportunités économiques ; je pense que nous serons tous d'accord pour dire que la francophonie construit la paix, dans une diversité culturelle bien comprise, où la parole française a toute sa place.

Nous approuvons vos propositions sur le soutien des établissements scolaires, l'accueil décent des étudiants étrangers. Il est également nécessaire d'accueillir les enseignants étrangers en langue française, qui réclament une formation continue sur nos territoires. Les collectivités peuvent jouer leur rôle de ce point de vue.

S'agissant du Vietnam, certains étudiants en médecine deviennent francophones en venant étudier en France. On trouve à la bibliothèque du centre culturel français de Hué des livres sur toutes les maladies existantes, parfois même au détriment des romans. Or, aucun fabricant de matériel médical n'est installé sur place, alors que nous disposons de toute une culture médicale francophone !

Vous avez cité un exemple de courrier électronique rédigé en anglais. Il y a un an, la délégation du Sénat au Vietnam a assisté à une réunion avec de grands chefs d'entreprise français et des ingénieurs au sujet de la pose de rails pour une nouvelle voie ferrée, en présence de deux dirigeants vietnamiens francophones. Les seuls à parler anglais étaient les ingénieurs français ! Nous les avons rappelés deux fois à l'ordre, mais ils ont replongé spontanément, et ont recommencé à s'exprimer en anglais ! Je m'interroge donc : nos entreprises jouent-elles donc le jeu ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Monsieur Attali a fait référence au Président de la République avec lequel il a travaillé. Je vous rappelle que j'ai travaillé avec un Président de la République qui quittait la salle de réunion quand les chefs d'entreprise ne parlaient pas français ! On peut manifester son désaccord dans de tels cas...

Debut de section - PermalienPhoto de Claudine Lepage

Monsieur Attali, j'ai écouté avec une grande attention ce que vous avez dit. J'ai lu vos propositions, et j'adhère à certaines d'entre elles, tout en restant sceptique à propos de quelques autres.

Comme ma collègue Hélène Conway, je suis d'avis qu'il faut insister sur ce qui fonctionne. Notre réseau d'écoles françaises à l'étranger est victime de son succès, et nous disposons d'une offre diversifiée avec la Mission laïque française (MLF) et le label « France Education ».

On peut toujours améliorer les choses et certainement élargir encore cette offre. Vous parlez à ce propos de la création d'un réseau d'écoles privées. Il me semble que vous évoquez aussi une homologation ; dès lors que ces écoles seraient homologuées par le ministère de l'éducation nationale, en France, elles auraient automatiquement un coût qui pourrait être élevé pour nous. Il faut en effet, dans ce cas, envoyer des enseignants détachés. Il est aujourd'hui très difficile d'obtenir un détachement, puisqu'il n'y a pas assez d'enseignants en France.

Par ailleurs, les enfants binationaux ont également besoin de cette offre de français et ont droit à des bourses scolaires. Ces écoles privées, si elles sont homologuées, ne présentent pas un coût nul pour notre pays.

J'ai travaillé dans ce domaine avant d'être sénatrice, mais je me limiterai à une question. Dans son rapport sur la francophonie, le député Pouria Amirshahi a évoqué la création d'écoles francophones. En effet, la francophonie ne concerne pas que la France, mais aussi le Québec, la Suisse, la Belgique, ainsi que des pays d'Afrique. Pensez-vous qu'il soit possible de créer, à terme, des écoles francophones avec nos partenaires francophones ? Cela signifierait que nous nous mettions d'accord sur un financement et sur des programmes...

Debut de section - PermalienPhoto de Josette Durrieu

Monsieur Attali, je prolonge le propos de Mme Khiari. J'ai pu constater, comme d'autres, qu'au Maroc, le personnel des hôtels ne parlait plus ou parlait difficilement le français. Dimanche, j'étais en Tunisie, à l'occasion des élections : tous les bureaux de vote étaient installés dans les écoles. On y enseigne le français partout ! Dans votre rapport, vous préconisez d'accompagner l'enseignement dans les écoles maternelles et dans les écoles primaires pour ceux qui quittent assez vite le système scolaire : c'est important.

J'en viens à présent au tourisme, que vous évoquez assez rapidement, mais qui revêt cependant un aspect important, dont le ministère des affaires étrangères a aujourd'hui la gestion. Ne devons-nous pas mener une action pour que le tourisme devienne le véhicule de la francophonie, et travailler sur ces outils que constituent les agences de voyage, les guides touristiques des différents sites, ou le personnel d'accueil, dans les hôtels notamment ? Je pense qu'il convient d'exploiter cette filière.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Monsieur Attali, un certain nombre de nos collègues ont évoqué la situation au Vietnam. Or, nous essayons de réfléchir à ce qu'il conviendrait de faire pour améliorer la francophonie. Je pense que le Vietnam constitue l'exemple de l'échec de notre action en matière de francophonie.

Ce pays parlait merveilleusement le français. Quelques Vietnamiens, très âgés, sont encore capables de « réciter du Chateaubriand dans le texte » ! Actuellement, l'objectif des autorités vietnamiennes est de faire en sorte que 1% des Vietnamiens parlent français en 2020. Pourtant, c'est un pays qui a bénéficié de fonds importants. Vous avez pu le constater en tant qu'organisateur d'un certain nombre de forums de la francophonie : on a refait l'opéra de Hanoi, les collectivités territoriales et les régions ont apporté de très nombreux crédits en faveur des institutions scolaires, et de grandes écoles françaises ont créé des antennes d'enseignement dans ce pays. L'ancien lycée Albert-Sarraut de Hanoi a été entièrement financé par la région Ile-de-France. Or, on ne constate que très peu de résultats.

Je trouve très intéressant que des médecins ou quelques chefs d'entreprise portent haut les couleurs de la langue française, mais quel diagnostic portez-vous sur l'échec de l'action publique de la francophonie dans ce pays, qui a « pompé » des crédits invraisemblables en matière de coopération, notamment culturelle ? Pourquoi en est-on là dans une des régions du monde où il se passe le plus de choses en matière de développement économique ?

Par ailleurs, quel regard portez-vous sur TV5 Monde ? Tous ceux qui voyagent à l'étranger ou qui regardent TV5 Monde peuvent constater, avec étonnement, l'invraisemblance de la programmation, qu'il s'agisse de feuilletons canadiens insipides, de radio-crochets ou d'émissions du type « Qui veut gagner des millions ? », qui sont revendus à TV5 Monde, et qui donnent une assez piètre image de la culture. Je ne parle pas de France 24 - encore qu'il y aurait là un vrai sujet quant au fait de savoir s'il faut une chaîne de même nature que la BBC.

Cet instrument est un instrument très fort. Vous avez souvent rappelé la puissance de l'image dans les civilisations actuelles. Que pensez-vous de ces médias, financés par la France et les pays francophones ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Un certain nombre de choses ont été réalisées au Vietnam par la région Nord-Pas-de-Calais, du temps où elle était présidée par Mme Blandin. La coopération décentralisée y concerne également beaucoup d'autres collectivités locales.

Je rappelle qu'il existe, en Asie, de très belles filières professionnelles qui travaillent fort bien pour la francophonie, dont celle de la santé. C'est parce que Lyon, Nancy, Strasbourg accueillent chaque année des centaines de jeunes Chinois qu'il existe un hôpital à Wuhan, au coeur de la Chine, avec un service d'urgence bilingue sino-français, 30 000 Français vivant là-bas. Un Chinois, en neuf mois, à Strasbourg, apprend à la fois la médecine et le français !

On exclut du débat un certain nombre de filières, du fait d'une réflexion territorialisée, alors qu'il faudrait considérer le point de vue professionnel. Cela rejoint ce que l'on disait à propos des barrières absurdes que l'on met à l'entrée des étudiants en France, qui constitue pourtant une chance pour l'apprentissage de notre langue...

Debut de section - Permalien
Jacques Attali

Monsieur Lorgeoux a évoqué le latin. Je suis latiniste, et je garde une grande nostalgie à l'égard de cette langue. Pour ce qui est de l'avenir, les langues latines, dont j'ai dit que l'imprimerie avait contribué à leur affaiblissement, Napoléon III avait créé, non sans un certain génie, une Union latine. La francophonie, l'hispanité et la lusophonie auraient donc tout intérêt à oeuvrer de concert. Cela crée un ensemble qui dépasse de très loin le monde anglo-saxon.

En France, enseigner le français, l'espagnol, l'italien et le portugais de façon non pas cloisonnée, mais en recourant à l'interlocution, c'est-à-dire au fait que lorsqu'on parle une langue, on peut en comprendre deux autres, constituerait un outil majeur. Toutefois, les professeurs de langue estiment qu'on doit enseigner leur langue et non comprendre les autres. On pourrait pourtant conférer ainsi aux communautés latines une puissance considérable.

Je ne saurais que trop recommander la lecture du roman de Kamel Daoud, qui est admirable, et qui aurait mérité quelque prix. On ne peut malheureusement pas choisir à la place des jurys. C'est un exemple de francophonie magnifique, qui explique pourquoi la francophonie est ce qu'elle est. Il s'agit d'un roman sur le frère d'un mort « anonyme », qui renvoie à la dualité d'une Algérie anonyme aux yeux de la plupart des Français qui y vivaient à l'époque - dont moi-même.

Madame Blandin, vous avez évoqué l'importance de l'accueil des professeurs en langue française. C'est évidemment ainsi que nous pourrons mener l'essentiel des choses à bien.

Je ne pense cependant pas qu'il faille ouvrir la voie de l'apprentissage des langues d'origine à l'école. Qu'on puisse les apprendre comme seconde langue, oui, mais je reste partagé : toutes les neurosciences nous disent qu'on apprend mieux trois langues en même temps que trois langues successivement, contrairement à ce qu'on a cru pendant longtemps.

J'ai peur que si l'on apprenait trois langues simultanément à l'école, dont la langue d'origine, on place ensuite les trois dans une situation d'équivalence juridique, qui renverrait au communautarisme britannique, dont on sait combien il est mortel pour l'idée même de nation. Je préférais donc que l'on repousse l'apprentissage de la deuxième langue à plus tard, même si je peux comprendre son importance.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

Pardonnez-moi, mais dans les lycées français à l'étranger, les enfants apprennent deux langues en même temps !

Debut de section - Permalien
Jacques Attali

Je parlais des citoyens français, et non des élèves étrangers...

Debut de section - Permalien
Jacques Attali

Mes enfants ont étudié dans un collège français de Londres pendant des années : ils suivaient leur scolarité en français. Ils apprenaient l'anglais à côté, mais de façon mineure.

Debut de section - Permalien
Jacques Attali

Je pense que c'est possible lorsqu'on est dans un pays étranger, car cela amène la connaissance de ce pays, mais enseigner une seconde langue équivalente à la langue française en France serait très dangereux pour l'identité nationale. Je demeure très sceptique à ce sujet...

Quant aux écoles privées, pour moi, l'homologation ne signifie pas la prise en compte des coûts. Une école privée doit demeurer privée. Je me souviens très bien du grand débat qui a eu lieu sur l'école libre il y a trente ans : l'école était libre, mais financée par l'Etat ! Les écoles dont je parle doivent trouver leur modèle, et demeurer totalement privées.

Le Maroc est l'exemple typique des pays où existe une énorme demande. Vous avez par ailleurs insisté sur le tourisme. J'aurais dû l'évoquer. On aborde ce sujet dans le rapport. Le tourisme est un outil majeur, et il est bien qu'il soit rattaché au ministère des affaires étrangères. C'est un outil considérable de développement, mais aussi de relations avec le français. Nous rappelons dans le rapport l'importance d'utiliser les alliances françaises comme instrument de promotion touristique. On peut même imaginer y associer les agences de voyage.

Pourquoi cet échec au Vietnam ? Je ne suis pas spécialiste de cette question, mais j'ai cru comprendre que cela renvoie à une décolonisation mal vécue. On n'a pas su choyer les élites comme les Américains ont pu intelligemment le faire, très rapidement. Nous ne sommes pas retournés très vite au Vietnam, et nous n'avons pas accompli le même travail que les Américains.

Enfin, concernant TV5 Monde, il est vrai que j'enrage parfois de ce que j'y vois. Il s'agit malgré tout d'un accord international ; on ne peut empêcher nos partenaires d'y diffuser les programmes qu'ils souhaitent.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Nous allons prolonger l'étude de ce rapport. Un certain nombre de réflexions seront soumises aux uns et aux autres. Face à une responsabilité importante, on se laisse aller à un abandon qui apparaît assez insupportable.

- Présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, président -

La commission examine le rapport pour avis de MM. Gilbert Roger et Robert del Picchia sur le programme 212 - Soutien de la politique de défense - de la mission « Défense » du projet de loi de finances pour 2015.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

Le programme 212 qui nous est soumis cette année est profondément modifié par rapport aux années antérieures. Il regroupe en effet, pour la première fois, l'ensemble des crédits de personnel du ministère de la défense, qui étaient jusqu'à présent éclatés entre les différents programmes de la mission « Défense » et de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ». Cette nouvelle architecture budgétaire vise à permettre une meilleure maîtrise de l'évolution des effectifs et de la masse salariale et s'inscrit dans une gouvernance rénovée des ressources humaines de la défense.

Je vous présenterai donc dans un premier temps les crédits de titre 2, qui représentent 18,7 milliards d'euros, sur les 21,3 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 20,7 milliards d'euros en crédits de paiement (CP) inscrits au programme 212 pour 2015. Puis mon collègue Gilbert Roger vous présentera, dans un deuxième temps, les différentes politiques mobilisant les crédits hors titre 2 de ce programme.

Comme je l'indiquai, un nouveau pilotage de la masse salariale est mis en place à compter du 1er janvier 2015. Désormais, au sein du programme 212, les crédits de personnel seront répartis entre treize budgets opérationnels de programme (BOP) confiés à des gestionnaires de personnel, et non plus aux organismes d'emplois que sont les chefs d'état-majors et les directions du ministère ; ces gestionnaires RH gèreront à la fois la masse salariale destinée à leurs personnels et tous les leviers leur permettant d'en contrôler l'évolution : recrutements, avancements, incitations au départ.... Pour prendre un exemple simple, les personnels civils, dont le recrutement et la carrière étaient déjà gérés par la direction des ressources humaines et de la formation du ministère de la défense (DRH-MD) mais qui, selon le poste qu'ils occupaient été rémunérés par l'armée de terre, la marine, la direction générale de l'armement..., seront désormais tous gérés et rémunérés dans le cadre d'un BOP « personnels civils » piloté par le chef de service des ressources humaines civiles à la DRH-MD. Il en sera de même pour les « terriens », qui dépendront tous du directeur des ressources humaines de l'armée de terre. Le principe d'auto-assurance, consacré par la loi de programmation militaire, s'appliquera d'abord au niveau de chaque BOP : ainsi, en cas de dérive en gestion sur ses dépenses de socle, le gestionnaire devra prendre les mesures de régulation qui s'imposent, par exemple, en étalant les recrutements sur l'année. L'instauration de ce pilotage rénové de la masse salariale s'accompagne d'un suivi de gestion infra-annuel rigoureux et d'un encadrement des processus RH fondé sur de nombreux instruments : arrêtés annuels de contingentement des effectifs militaires par grade et échelle de solde, directives d'avancement du personnel portant sur l'ensemble des tableaux d'avancement, prévisions annuelles des sorties distinguant départs naturels et départs incités...

Cette réforme, gage d'une gestion contrôlée des ressources humaines, est à mon sens une avancée. Néanmoins, il faudra veiller à une chose : que les employeurs désormais dépourvus d'effectifs se voient bien attribuer les ressources dont ils ont besoin, d'un point de vue quantitatif et qualitatif. D'où l'importance des contrats d'objectifs passés avec les gestionnaires, qui organisent la mise à disposition des moyens, sous l'autorité du DRH-MD.

En ce qui concerne les déflations d'effectifs, elles seront bien au rendez-vous en 2015. Le PLF pour 2015 reprend en effet l'objectif inscrit dans la Loi de Programmation Militaire (LPM), soit la suppression de 7 500 équivalents temps plein (ETP) en 2015, après 7 881 en 2014.

Cette déflation portera à 85% sur les effectifs militaires et à 15% sur les effectifs civils. Ainsi, l'effort devrait davantage peser sur les militaires que cela n'était initialement prévu, le ministère faisant ainsi usage d'une possibilité d'inflexion, prévue par la LPM, afin d'accentuer ce qu'il ne convient plus d'appeler la « civilianisation » car ce terme est parfois mal ressenti, mais le « rééquilibrage en faveur des personnels civils ». Un autre aspect de ce rééquilibrage civils/militaires en 2015 est la transformation de postes militaires en postes civils, doublée d'un reclassement des personnels militaires dans la fonction publique. Selon le DRH-MD, quelque 200 postes pourraient être concernés l'année prochaine. Si ces transformations ne sont pas toujours bien perçues par les personnels civils, elles visent aussi, il faut l'admettre, à remédier à l'insuffisance de personnels civils volontaires pour occuper des postes supérieurs dans les fonctions de soutien.

En 2015, les plus fortes baisses d'effectifs en quantité pèseront sur l'armée de terre (environ moins 4 000 équivalents temps plein, soit plus de la moitié du total des suppressions), puis sur les personnels civils de la défense et sur l'armée de l'air (respectivement -1 200 et -1 172 ETP), suivis par la marine (-875 ETP). Le service de santé des armées perdra 243 postes, le service du commissariat des armées 68 et le service des essences 14. Seules la DGA et la DGSE verront leurs effectifs augmenter (respectivement de 12 et de 53 postes).

Quels que soient l'armée ou le service, nous mesurons les difficultés et l'effort que ces déflations représentent, après celles réalisées depuis des années au titre de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) puis de la Modernisation de l'action publique (MAP) et alors que de nombreuses mesures de rationalisation et d'optimisation ont déjà été mises en oeuvre. Pour l'armée de l'air, cette nouvelle déflation intervient alors qu'elle a perdu 5 000 postes depuis deux ans et 16 000 depuis 2008. Pour l'armée de terre, le nombre de postes à supprimer augmente de 25% par rapport aux années antérieures, passant de 3 000 à 4 000 personnes.

Comme l'a rappelé le chef d'état-major des armées, le général Pierre de Villiers, lors de son audition, les effectifs de la défense auront diminué d'un quart entre 2009 et 2019, le ministère de la défense représentant à lui seul 60% des suppressions d'emplois de l'Etat en 2014 et même 66% en 2015. C'est un effort considérable !

Un des volets sensibles et particulièrement difficiles de la déflation est le « dépyramidage ». Comme vous le savez, la LPM a prévu de ramener la proportion d'officiers dans l'effectif militaire de 16,75 à 16% à l'horizon 2019, ce qui représente au total une diminution de 5 800 postes. Pour 2015, ce sont 1 000 postes d'officiers qui devront être supprimés. Or l'objectif fixé pour 2014 ne sera vraisemblablement pas tenu et pour 2015, les chefs d'état-majors d'armée ont émis des doutes sur leur capacité à y parvenir, le vivier des candidats à des départs incités (notamment dans le cadre du pécule) se réduisant d'année en année.

Ce point est préoccupant, il ne faudrait pas que, faute de sorties, le recrutement se tarisse, privant nos armées du rajeunissement et du renouvellement dont elles ont besoin.

Sur un plan budgétaire, les effets attendus de la déflation sont au rendez-vous, puisque les crédits de personnel diminuent en 2015 de 374 millions d'euros, dont près de 270 millions d'euros au titre des dépenses de rémunérations (dites du socle) et 106 millions d'euros au titre des pensions, ce qui, dans un cas comme dans l'autre, est la traduction mécanique des baisses d'effectifs. Après des années de dérives, l'objectif de maîtrise de la masse salariale est donc bien atteint. Le montant du plan catégoriel (42 millions d'euros) est limité en comparaison de ce qu'il représentait il y a encore quelques années. Les dépenses hors socle enregistrent, quant à elles, une progression maîtrisée (+2 millions d'euros), la baisse de certaines enveloppes permettant une augmentation des dotations consacrées aux restructurations et au chômage.

Des mesures d'accompagnement sont prévues. Le « plan d'accompagnement des restructurations » (PAR) - doté d'un volet civil et d'un volet militaire - représente environ 200 millions d'euros de crédits de titre 2. Les crédits destinés au chômage (qui concernent pour l'essentiel du personnel militaire) augmentent de près de 4 millions d'euros, soit au total une enveloppe de 139,5 millions d'euros qui pourrait s'avérer insuffisante, la progression des dépenses étant élevée depuis 2013. Le nombre de chômeurs indemnisés en décembre 2013 était ainsi supérieur de 9,8% à celui enregistré un an auparavant. Force est de constater que, dans un contexte économique défavorable, les reconversions sont difficiles.

Si les effets attendus en termes de maîtrise de la masse salariale sont donc bien au rendez-vous dans la présentation que nous livre le PAP, il faudra aussi compter avec le surcoût - non budgété - lié aux dysfonctionnements de Louvois. Pour 2014, ce surcoût, estimé selon le ministère à 220 millions d'euros, rend nécessaire une rallonge des crédits de titre 2 dans le cadre du dernier collectif budgétaire. La récupération des sommes indues est longue et difficile. Comment pourrait-il en être autrement en 2015, alors que le problème n'est toujours pas résolu? Louvois est une catastrophe dont les effets dévastateurs n'ont malheureusement pas fini de se faire sentir et ruinent les efforts réalisés. Faut-il le rappeler, les économies liées aux réductions d'effectifs réalisées en 2014 et en 2015 représenteront précisément 220 millions d'euros en 2015 ! Il faut que nous sortions de cette situation !

Enfin, avant de conclure, je souhaiterais revenir sur un point qui a été évoqué à maintes reprises cette année au cours de nos auditions budgétaires, qui est la manière dont sont conduites les restructurations. Les suppressions et regroupements d'unités, difficiles à annoncer et douloureuses à vivre, sont malheureusement nécessaires pour respecter le rythme programmé des déflations. La tentation existe de ne pas y procéder et de répartir les suppressions de postes un peu partout, ce qui est parfois qualifié « d'écheniller », avec le risque de dégrader l'efficacité sans permettre la densification et donc la réduction attendue des coûts de soutien. Cette année, après des mois d'attente, des annonces sont intervenues en octobre dernier, mais il y en aura d'autres. Cette méthode ne donne pas aux personnels, à leurs familles et aux territoires concernés la visibilité dont ils ont besoin ; elle est aussi un facteur de désorganisation pour les armées. Il faudrait annoncer un plan d'ensemble jusqu'à la fin de la programmation. A cet égard, nous devons être vigilants au moral des personnels, notamment des personnels militaires, qui subit d'année en année une lente érosion. Lassitude des réformes, inquiétudes, sentiment d'une dégradation des conditions d'exercice du métier expliquent cette détérioration du moral. Il importe de redonner motivation et perspectives à nos personnels, et, à tout le moins, une visibilité sur leur avenir.

Debut de section - PermalienPhoto de Gilbert Roger

Outre l'ensemble des dépenses de titre 2, que Robert del Picchia vient de vous présenter, le programme 212 regroupe hors titre 2 les crédits affectés aux missions portées par le secrétariat général afin de permettre aux autres composantes du ministère de se consacrer à leur « coeur de métier ».

Ces missions variées, vont de la politique immobilière à la gestion des musées et des archives historiques de la défense, des systèmes d'information d'administration et de gestion à la reconversion de personnels, de la gestion du PPP Balard à l'aide sociale. Un inventaire à la Prévert, ...la poésie en moins.

Une présentation globale reviendrait à regrouper des crédits de nature très différente et serait dès lors insignifiante. Une présentation exhaustive serait nécessaire, que vous trouverez dans le rapport écrit mais j'aurais du mal à la réaliser dans le temps qui nous est imparti. J'ai donc choisi de focaliser votre attention sur quelques points saillants qui sont des points clefs pour l'exécution de la LPM et pour le bon fonctionnement de nos armées.

1ère observation : la lente remontée des crédits consacrés à la politique immobilière. Le niveau général des crédits est en hausse. Le budget 2015 consacré à l'infrastructure présente un montant d'autorisations d'engagements de 1,81 milliard d'euros (+10% par rapport à 2014) et un niveau de crédits de paiement de 1,18 milliard d'euros (+19,1%), intégrant 230 millions d'euros de ressources issues des cessions immobilières.

Les REX sont en effet au rendez-vous en 2015, puisque les ressources du compte d'affectation spéciale « gestion du patrimoine immobilier de l'Etat » le permettent. Pour les prochains exercices, l'essentiel des ressources devrait être réalisé par la cession d'immeubles parisiens dont l'îlot Saint-Germain à la suite du déménagement du ministère à Balard. Il y a bien sûr des incertitudes quant au montant des cessions, mais globalement, le montant attendu devrait pouvoir être atteint et en temps utile.

Les programmes d'infrastructure structurants destinés à l'accueil des nouveaux équipements ont été lancés qu'il s'agisse de l'accueil des sous-marins nucléaires d'attaque Barracuda, de l'accueil des MRTT, des infrastructures du programme SCORPION, nouveau système de combat de l'armée de terre ou du programme DESCARTES de modernisation de l'ensemble des réseaux informatiques et téléphoniques d'infrastructure de la défense. De même se poursuit la modernisation des installations électriques des ports de Brest et de Toulon.

Il est aussi réjouissant de voir progresser les crédits consacrés à l'adaptation des capacités d'infrastructures technico-opérationnelles, c'est-à-dire celle des camps d'entrainements, des ports, des aires aéronautiques, des hôpitaux, et non opérationnelles, c'est-à-dire celles qui sont liées à la condition de vie des personnels et aux conditions de travail, mais aussi les crédits de maintenance lourde consacrés aux réseaux des bases et régiments, des quais, des bassins..., et de maintien en condition qui sont gérées au niveau des bases de défense. Ces crédits progressent de 8 à 12% en moyenne en CP, de 9 à 20% en AE.

C'est une bonne nouvelle, car les ressources contraintes et le niveau élevé des besoins capacitaires à satisfaire en priorité n'ont pas permis jusqu'à maintenant de consacrer les moyens nécessaires aux infrastructures de vie et au maintien en condition de l'infrastructure générale et les crédits ont souvent été des variables d'ajustement en exécution des lois de finances. Confère l'étalement sur 20 ans du plan VIVIEN de construction d'hébergements de qualité au profit des militaires du rang et des sous-officiers célibataires de l'armée de terre. Plus graves, les locaux se sont fortement dégradés. En juin 2014, suite à un recensement effectué auprès des commandants de base de défense, ont été identifiés 700 ouvrages présentant, tout ou partie, des défauts significatifs d'entretien dont la résolution a été estimée à 560 millions d'euros.

Cette situation affecte le moral des militaires comme l'ont confirmé devant vous les généraux de Villiers, chef d'état-major des armées, et Bosser, chef d'état-major de l'armée de terre. Ceci a entraîné la mise en place d'un plan d'urgence dont on trouve la traduction dans la loi de finances.

Ces efforts budgétaires en matière immobilière sont considérables et nécessaires mais nous n'atteignons qu'un niveau juste suffisant. Les dépenses d'infrastructure vont peser dans l'exécution de la LPM : des dépenses importantes sont programmées avec l'arrivée de nouveaux équipements, et il est impossible de différer davantage les opérations nécessaires à l'amélioration de la condition de vie des personnels ainsi que les réorganisations.

Le montant retenu pour l'établissement de la LPM est de 6,1 milliards d'euros alors que les besoins estimés ont été évalués à plus de 7,2 milliards d'euros. Une solution serait de réduire le parc des bâtiments, mais les réorganisations elles-mêmes génèrent des coûts importants. On estime à 1,2 milliard d'euros le coût de l'accompagnement des restructurations sur la durée de la LPM 2009-2014. Dans un souci d'économies, il reste préférable de procéder par fermetures pures et simples et à la densification des emprises même si l'on peut comprendre certaines réticences notamment dans l'armée de terre attachée à ses implantations sur l'ensemble du territoire qui constituent autant de points de contact et d'appui à sa politique de recrutement. Il faudra donc trouver un juste équilibre. Il faudra également rechercher les voies et moyens d'une optimisation de la politique immobilière.

2ème observation : le regroupement de l'ensemble des états-majors, directions et services sur le site de Balard sera effectif en 2015. Les opérations de déménagement vont s'étaler tout au long de l'année à partir du mois de février.

Pour 2015 il est prévu 171 millions d'euros en AE et de 194 millions d'euros en CP. Ces dépenses correspondent aux redevances prévues par le contrat de PPP conclu avec le groupement OPALE Défense pour un montant de 156,44 millions d'euros en CP dont les montants ont été ajustés au regard des décalages calendaires - on rappellera que la redevance annuelle était initialement fixée à 154 millions d'euros TTC - et à divers avenants et charges d'exploitation (restauration provisoire, prestations de nettoyage, salle serveurs) pour une trentaine de millions d'euros.

Le projet a connu quelques perturbations, comme il est fréquent sur des projets de cette ampleur. Ils ont généré un surcoût d'investissements de l'ordre de 60 millions d'euros HT qui devrait être compensé grâce aux économies engendrées par la cristallisation partielle des taux intervenue en octobre 2013. Ces décalages ne devraient donc pas avoir d'effets sensibles sur le montant du contrat et de la redevance annuelle.

Une direction de site a été mise en place pour assurer la réception des travaux et constater tout au long du partenariat la conformité d'exécution des prestations. Vos rapporteurs l'avaient préconisé dans leur rapport en 2013.

3ème observation : dans leur rapport sur le PLF pour 2014, Michèle Demessine et Joël Guerriau avaient montré l'ampleur des conséquences du dysfonctionnement du logiciel LOUVOIS et constaté que cette situation était révélatrice de dysfonctionnements récurrents dans la gestion des systèmes d'information d'administration et de gestion (SIAG). Ils avaient constaté des retards importants et des dépassements de coûts sur tout un ensemble de projets structurants. Cette situation reflète encore les défauts chroniques dans la définition des projets, dans l'évaluation de leurs coûts et dans leur conduite qui ont appelé la réforme de la gouvernance à partir de 2013 et l'introduction de procédures plus rigoureuses de suivi des projets. Nous espérons que la réforme permettra d'améliorer une situation devenue difficilement acceptable sur le plan budgétaire, mais plus encore lorsqu'elle affecte le moral des personnels.

C'est évidemment le cas de LOUVOIS qui sera « un boulet à traîner » jusqu'en 2017 sans grand espoir d'amélioration. Le fonctionnement erratique du calculateur se traduit notamment par d'importants indus de paye et moins-versés aux administrés. Robert del Picchia vous a cité les montants ! En outre, ces dysfonctionnements obligent le ministère à consacrer des crédits à la mise au point de versions correctives destinées à améliorer les performances (5,5 millions d'euros en 2015) - mais aussi à prendre en charge un dispositif de vérification systématique et préalable des soldes avant le versement auquel sont affectés plusieurs dizaines d'agents, sans compter ceux affectés au recouvrement. Ils entraînent enfin le maintien en service d'applications anciennes dont les coûts de maintenance s'accroissent.

Cette situation perdurera jusqu'au déploiement de l'application SOURCE SOLDE. Le projet fait l'objet d'une procédure de dialogue compétitif devant déboucher sur la notification d'un marché de maitrise d'oeuvre au printemps 2015. La première bascule pourrait intervenir au premier semestre 2017.

4ème observation : la reconversion des militaires bute sur la situation globale de l'emploi, malgré les efforts mis en oeuvre par l'Agence de reconversion de la défense. Dans un contexte économique difficile, le nombre de reclassement des personnels militaires dans le privé est en baisse en 2013 de 11% ; dans les fonctions publiques de 5,7%. La durée moyenne de retour à l'emploi augmente, comme le nombre de chômeurs indemnisés et en conséquence la charge de l'indemnisation du chômage ainsi que l'a indiqué Robert del Picchia. La persistance de chiffres en berne aurait des conséquences sur le recrutement et sur le moral.

5ème observation : s'agissant de l'accompagnement économique des restructurations, les engagements pris dans la LPM sont respectés, à travers une démarche de contractualisation mais aussi grâce à un ensemble d'aides financières à destination des communes les plus sévèrement affectées et des entreprises. Une enveloppe de 150 millions d'euros sur la durée de la LPM est affectée à cet accompagnement via le Fonds pour les restructurations de la défense (FRED) et le Fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT). Le contrat de redynamisation de site de défense (CRSD) sera désormais intégré dans le volet territorial du contrat de plan état-région. Un dispositif de prêts participatifs au bénéfice des PME déjà situées dans les territoires affectés par les restructurations ou ayant le projet de s'y implanter est mis en place. Les collectivités les plus fortement affectées pourront bénéficier d'une cession à l'euro symbolique de tout ou partie des emprises devenues définitivement inutiles aux besoins de la défense. Une disposition est introduite en ce sens à l'article 22 bis du projet de loi de finances pour 2015.

Sur le plan budgétaire, les crédits concernent encore largement le financement de l'accompagnement des restructurations opérés au cours de la précédente LPM ce qui montre bien un décalage excessif entre la décision de restructuration et les décaissements des aides. Le raccourcissement de ces délais est l'un des moyens d'atténuer le traumatisme vécu par les collectivités et devrait constituer un objectif prioritaire.

Cela suppose, naturellement, que les restructurations soient annoncées suffisamment tôt. Je partage pleinement l'opinion de Robert del Picchia sur cette question. Les chefs d'état-major entendus par votre commission comme les collectivités territoriales ont besoin de visibilité. Nous souhaitons en conséquence que le ministre puisse annoncer d'ici la fin de l'année ou au tout début de 2015, l'ensemble des décisions de restructuration pour la durée restante d'exécution de la LPM.

Sur la base de cette analyse du programme 212, pour ce qui me concerne je recommanderai à la commission un avis favorable sur les crédits de la mission « défense ».

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

Pour ma part, mon analyse de ce programme ne me conduit pas à exprimer un votre favorable et je m'abstiendrai à titre personnel.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Reiner

Je voudrais faire trois remarques.

La première porte sur LOUVOIS. Il est vrai que les dysfonctionnements de ce système pèsent lourdement sur le budget de la défense, entre 150 et 200 millions d'euros par an et cela depuis plusieurs années. C'est une somme colossale. C'est une erreur monumentale dont on n'a pas voulu et pas pu déterminer les responsabilités tant elles étaient diluées. L'irresponsabilité était érigée en système. C'est une leçon dont tout le monde est héritier actuellement et la critique ne s'adresse pas nécessairement à ceux qui aujourd'hui gèrent les difficultés et ont pris la mesure de la chose. Je rappelle que le ministre en a fait très rapidement une affaire personnelle pour que les militaires soient le moins touché possible. C'est pourquoi on a recruté autant d'intérimaires pour reprendre les opérations « manuellement ». Impossible d'améliorer ce calculateur. Les techniciens n'ont pas réussi à le stabiliser. La décision a été prise de mettre en chantier une nouvelle application, ce qui est une opération très longue et complexe. Il faudra plusieurs années, on aura régler le problème avant 2016-2017. C'est une affaire qui aura duré six ans et qui aura coûté fort cher. On nous dit que l'on pourra récupérer les trop-versés mais cela n'est pas si simple, car certains militaires ont quittés l'armée. Certains se retrouvent au chômage et ne disposent pas de quoi rembourser. Il y aura donc des pertes sèches, même si tous les efforts sont faits pour essayer de recouvrer le plus possible. S'agissant du nouveau logiciel, le projet sera conduit comme un programme d'armement de la DGA. Le Secrétaire général de l'administration sera le chef de ce projet, il en sera responsable.

La déflation des effectifs, chacun le sait, est un exercice difficile. C'est pourquoi dans la loi de programmation militaire nous avons décidé de diminuer les effectifs de 24 000 hommes, contre 54 000 dans la loi de programmation précédente. Nous achevons encore des déflations de l'exercice précédent. L'exercice actuel est d'autant plus difficile que nous arrivons au bout du système. Il est conduit avec l'intelligence de méthode la plus complète. Malheureusement il y a des évènements imprévus qui peuvent conduire à revoir des plans déjà préconçus pour les déflations d'effectifs. Sur le papier, il est facile de dire que pour réaliser les déflations et réaliser des économies, il suffit de supprimer des régiments et désarmer des bâtiments, mais dans la réalité, l'exercice est plus compliqué. Et vous savez combien il est difficile d'annoncer une restructuration importante comme la suppression d'un régiment complet sur un territoire. En conséquence, les annonces ont pris un peu de retard et l'on a décidé de réaliser la moitié des déflations sur le soutien et le moins possible à l'opérationnel. L'engagement est pris de faire les choses plus clairement, mais il y a un débat et des choix à faire sur la méthode entre la suppression d'unités complètes et une répartition de l'effort sur l'ensemble des unités, ce que l'on appelle l'échenillage.

Enfin, politiquement nous devons saluer unanimement la décision de mettre entre les mains d'un seul responsable, la DRH-MD, la gestion de la masse salariale. La dilution de cette responsabilité n'était pas une bonne chose. Les déflations d'effectifs ne se traduisaient pas par des économies sur la masse salariale. La Cour des comptes l'a bien mis en évidence. Il fallait mettre en place des mesures comme le dépyramidage des effectifs d'officiers. Ce ne sont pas des choses faciles, chacun en est conscient, mais cela est nécessaire si l'on veut que les diminutions d'effectifs se traduisent par des économies sur la masse salariale. Au total, en 2015, on voit, sauf problème lié à LOUVOIS, une baisse de la masse salariale.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Gautier

Je confirme l'analyse de Daniel Reiner. Je voudrais simplement préciser les termes du débat. La suppression de régiments complets peut avoir pour conséquence des économies substantielles en matière de personnel comme en matière logistique, mais en même temps, outre les conséquences en matière d'aménagement du territoire, cela peut compliquer la capacité de remontée en puissance dans les régiments qui, je le rappelle, ne sont plus des unités opérationnelles mais des réservoirs et des préparateurs de forces. C'est ce qui explique les retards dans les annonces. Elles seront faites au plus tard au début de l'année 2015.

J'ajoute que l'on va, dès cette année, retirer les sections d'éclairage et de reconnaissance des régiments d'infanterie. A partir du moment, où en opération l'on travaille en groupement tactique interarmes (GTIA), il n'est pas nécessaire de dupliquer ces échelons dans tous les régiments.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Masseret

Il semble que le débat soit rouvert. Quelle sera la doctrine retenue et à quel moment connaîtra-t-on la liste des restructurations ?

Celles-ci ont toujours des conséquences sur les territoires et je reste dubitatif sur les mesures de compensations, qu'il s'agisse de transfert d'activités du type Ecomouv ou des cessions de terrain à l'euro symbolique.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

Nous n'avons pas de réponse à cette question. Sans doute pourrons-nous interroger le ministre sur ce point lors du débat en séance publique.

Debut de section - PermalienPhoto de Gilbert Roger

Sur LOUVOIS, on espérera d'abord que le nouveau logiciel sera opérationnel en temps utile et sans dysfonctionnement.

Sur les restructurations, je pense également qu'il faudra interroger le ministre à la prochaine occasion, car l'attente n'est bonne ni pour les personnels civils et militaires, ni pour l'environnement social et économique sur le territoire. On a besoin de lisibilité.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Reiner

Il faut aussi considérer que lorsqu'on crée un désert militaire, on perd un peu de l'esprit de défense et que l'on recrute moins qu'auparavant sur ce territoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Nous interrogerons le ministre.

Je souhaiterais également dans le courant de l'année que nous puissions apprécier comment cette réforme de la fonction RH est ressentie, en ayant un contact avec les militaires dans les unités. Il peut y avoir une satisfaction au niveau central, mais il faudra évaluer cette fonction importante désormais centralisée à tous les échelons. C'est une décision de stratégie, mais toute sa valeur sera dans l'application.

La réunion est levée à 17 h 20.