Intervention de Laurent Fabius

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 14 octobre 2014 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2015 — Audition de M. Laurent Fabius ministre des affaires étrangères et du développement international

Laurent Fabius, ministre :

Même si la composition de la commission, elle, a changé ! Je suis naturellement à votre disposition, comme le sont mes équipes, y compris lors de vos déplacements à l'étranger. Je ne doute pas, Monsieur le Président, que nous poursuivrons ensemble l'excellent travail que nous avons effectué avec votre prédécesseur. Mme Girardin viendra s'exprimer devant vous, ainsi que, si vous le souhaitez, d'autres secrétaires d'Etat.

Compte tenu des contraintes budgétaires de la France, nous avons essayé de construire un budget avec efficacité et intelligence. Tout en prenant sa part au redressement économique, le Quai d'Orsay doit préserver sa capacité d'action et de gestion des crises, malgré son lot d'économies, qui ne sont jamais agréables. J'ai donc souhaité un budget économe.

Les crédits de paiement pour 2015 s'élèvent à 4,719 milliards d'euros, ce qui représente, à périmètre constant, une baisse de 97 millions d'euros, soit 2,06 % par rapport à 2014. Nous devons rendre 220 emplois, ce qui fixe notre plafond à 14 235 emplois, pour contribuer à la stratégie générale de redressement des finances publiques. Ces suppressions d'emplois résulteront essentiellement de l'adaptation de notre réseau diplomatique : tout en préservant son universalité, nous procédons à une différenciation des postes en fonction des priorités. Des redéploiements sont en cours, surtout depuis l'Amérique du Nord et l'Europe vers des pays émergents ou en sortie de crise. J'ai demandé à mes équipes de privilégier la diplomatie économique : avec une économie affaiblie, une diplomatie forte est irréaliste.

Le principal levier des redéploiements est la transformation d'ambassades en postes de présence diplomatique (PPD), qui comportent un ambassadeur et quatre ou cinq agents, et remplissent essentiellement les missions de représentation diplomatique et de protection de nos compatriotes. Nous en avons créé 13 depuis 2013 et allons en ouvrir 13 autres d'ici à 2017. Bien sûr, cela requiert un effort d'explication en direction des pays concernés, qui n'accueillent pas toujours favorablement ce changement.

Nous avons obtenu une augmentation de 2 % de nos moyens de fonctionnement : la hausse des coûts de l'énergie, des loyers, l'évolution des taux de change l'imposaient. Nous avons tenu à préserver les crédits relatifs à la sécurité, ce que le contexte international explique aisément : une dotation de 44,3 millions d'euros est prévue pour financer des travaux renforçant la sécurité passive de nos implantations ainsi que leur sécurité active par la présence de gardes de sécurité expatriés et de vigiles. Comment, sinon, envoyer des ambassadeurs en Irak, en Libye ou en Syrie ?

10 millions d'euros supplémentaires pour améliorer la sécurité du réseau proviendront des cessions immobilières : à l'issue de négociations serrées avec le ministre des finances - et ma connaissance du poste, pour l'avoir occupé dans le passé, m'a été bien utile - nous avons obtenu de bénéficier de la totalité des produits de cessions. Nous construisons des ambassades nouvelles à Jakarta, à Bangkok, ou à Dacca, dans le cadre d'une co-localisation franco-allemande, et nous procédons à des rénovations lourdes à Washington, à Moscou ainsi qu'à New Dehli. L'objectif est que nos implantations soient mieux adaptées aux besoins d'une diplomatie moderne, mieux entretenues et moins coûteuses. Pour que ces cessions contribuent aussi au désendettement public, nous verserons, sur leur produit, 25 millions d'euros au budget général de l'Etat, pour solde de tout compte.

Le budget 2015 est le premier construit avec le nouveau périmètre du Quai d'Orsay, pour lequel je me suis battu. Le Premier Ministre et le Président de la République ont accepté mes propositions : loin d'être marginal, le tourisme est une activité économique majeure qui a beaucoup à apporter à la France, qui jouit en ce domaine d'avantages comparatifs importants. M. Raffarin, qui connaît bien la Chine, sait qu'actuellement, 150 millions de Chinois voyagent, mais que dans 15 ans, ils seront 500 millions ! Si nous savons les attirer, notre balance extérieure s'en ressentira.

Le changement de périmètre a pour conséquence le transfert de la subvention à Atout France, d'un montant d'environ 30 millions d'euros, sur le programme 185, dans le cadre de la nouvelle action « développement international - tourisme ». C'est la première fois que le ministère des affaires étrangères dispose de l'ensemble des moyens d'influence : diplomatiques, commerciaux, culturels, consulaires. Il devient un véritable ministère de l'action extérieure de l'Etat. Le but ? Faire travailler ensemble ces différents réseaux pour améliorer notre attractivité. Bien sûr, cela prendra du temps, et nous ne nous substituons évidemment pas aux entreprises. Relevons tout de même que recevoir à la fois un prix Nobel de littérature et un prix Nobel d'économie n'est pas la marque d'une nation à bout de souffle !

Les moyens d'influence culturelle sont intégralement préservés, qu'il s'agisse des dotations aux instituts français et aux alliances françaises ou des bourses de mobilité étudiante ou d'échanges scientifiques et d'expertise. Je tiens à rendre hommage au travail effectué par Xavier Darcos à la tête de l'Institut français. Son successeur, M. Baudry, jeune et dynamique, n'a pas pour seul talent d'écrire des bandes dessinées, notamment sur le Quai d'Orsay (Sourires) : il a accompli un excellent travail à New York et à Madrid, et bénéficie de toute ma confiance.

Nous poursuivons le renforcement des services des visas, qui doivent être délivrés plus vite et dans de meilleures conditions si nous voulons attirer les touristes. Les résultats sont au rendez-vous : depuis janvier, en Chine, nous délivrons les visas en moins de 48 heures ; le nombre de demandes a augmenté de 40 % à 150 % selon les endroits, à telle enseigne que mon collègue allemand m'a demandé mon secret ! Je lui ai demandé de me poser la question par écrit ... (Sourires) Cela n'a pas été simple à cause de la biométrie, qui impose à chaque demandeur de se rendre dans nos locaux. Il faut donc déployer de nombreuses stations biométriques. J'ai signalé à mon collègue du budget que pour avoir plus de visiteurs, il faut accroître le nombre de visas délivrés, alors que nous avons un plafond d'emplois. Pourtant, la délivrance de visas est l'un des rares emplois publics qui rapportent de l'argent ! J'ai donc fait des propositions originales au ministère des finances sur ce point. Le nombre de visas délivrés a augmenté, au premier semestre 2014, de 30 % en Inde, de 44 % en Chine, et même de 126 % dans certains pays du Golfe ! Je souhaite que le nombre total de visas passe de 2,5 millions à 5 millions en 2020, puisque le nombre de touristes devrait doubler dans les 15 prochaines années.

L'attractivité de la France dépend également de l'efficacité de nos opérateurs. Selon la même règle que pour le ministère, les subventions pour charges de service public qui leur seront versées diminueront de 2 %. Quand c'est possible, les crédits qui portent sur le coeur de leur activité sont maintenus, voire augmentés. Ainsi, les bourses universitaires de Campus France sont préservées et les bourses scolaires données par l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) augmentent. Le PLF 2015 marque une étape importante dans la réforme des aides à la scolarité. Le Président de la République a souhaité un système plus juste et s'était engagé à rétablir les montants de crédits de 2012 : ces objectifs ont été atteints. Après une année de mise en oeuvre du nouveau système d'octroi des bourses, la ventilation des crédits semble plus équitable : la progressivité des bourses s'est accrue, et les inégalités entre familles vivant dans des pays différents sont mieux corrigées. Le PLF 2015 prévoit une enveloppe de 125, 5 millions d'euros, ce qui correspond au montant programmé pour 2012. L'effort budgétaire et le même mais la répartition diffère.

Dans le cadre de l'effort de simplification mené par le Gouvernement, le Quai d'Orsay a pris plusieurs mesures simplifiant les rapports des usagers avec l'administration. Les dispositifs mobiles de recueil de demande de passeports biométriques, utilisés dans le cadre de tournées consulaires, en sont un bon exemple. Nous cherchons aussi à alléger et à dématérialiser les procédures lorsque c'est possible.

Le programme 105, qui concerne les contributions obligatoires aux organisations internationales et les opérations de maintien de la paix, représente 17 % du budget du Quai d'Orsay. En 2015, ce sont quelques 416 millions d'euros qui seront versés aux organisations internationales, soit 10,8 millions d'euros, ou 2,5 %, de moins que cette année, malgré la hausse de certaines contributions, notamment à la Cour pénale internationale (CPI). Comment maîtriser l'évolution de ces montants ? Au sein des organisations internationales, nous nous efforçons de stabiliser les budgets. Nous évaluons aussi l'intérêt de notre contribution à certaines organisations. C'est ainsi que j'ai décidé de quitter l'Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI).

Pour les opérations de maintien de la paix, 378, 5 millions d'euros sont prévus en 2015. Deux incertitudes pèsent sur ces prévisions : le calendrier budgétaire de ces opérations chevauche le nôtre et, surtout, de nouvelles décisions peuvent intervenir à tout moment. Nous-mêmes, nous réclamons que l'ONU prenne une part plus active dans certaines de nos opérations.

Bref, le Quai d'Orsay participe à l'effort collectif sans mettre en péril l'essentiel de ses missions, grâce un effort de sélection fonctionnelle et géographique de ses tâches. Les organisations syndicales comprennent parfaitement la situation. Nous les consultons régulièrement, et l'atmosphère est globalement bonne dans mon ministère : tous sont fiers des résultats que nous obtenons et du rayonnement de notre diplomatie. La baisse de nos crédits est un peu compensée par des produits de cessions immobilières, elle pourra l'être encore quelque temps, mais pas indéfiniment !

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