Intervention de Jean-Yves Le Drian

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 14 octobre 2014 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2015 — Audition de M. Jean-Yves Le drian ministre de la défense

Jean-Yves Le Drian, ministre :

J'avais ciblé trois grands risques principaux : le terrorisme djihadiste, on sait ce qu'il en est advenu dans une large bande territoriale courant du Waziristan à la Mauritanie, où l'on peut craindre désormais que les différentes poches terroristes ne s'agrègent ; les menaces de la force, ensuite, qui se sont avérées en Ukraine, illustrant la montée des tensions territoriales aux portes même de l'Union européenne ; les risques de la faiblesse, enfin, celle d'Etats en faillite qui deviendraient le creuset de tous les trafics et de guerres : c'est désormais une réalité en Centrafrique, par exemple.

Cette année, nous avons fait évoluer notre dispositif militaire au vu des crises, tout particulièrement dans le Golfe et dans la zone sahélo-sahélienne : je ne ferai ici que mentionner l'opération « Barkhane », que j'ai lancée le 1er août dernier pour disposer de forces de réaction plus rapides contre le terrorisme ; nous avons poursuivi la mutation de nos forces pré-positionnées en Afrique, avec deux bases opérationnelles avancées, Abidjan et Djibouti, et des pôles opérationnels de coopération, à Dakar et Libreville.

S'agissant des programmes, je peux déjà vous dire que, d'ici à la fin de cette année, auront été lancés ou commandés le quatrième sous-marin nucléaire d'attaque Barracuda, le missile balistique M51 de nouvelle génération, ainsi qu'un avion ravitailleur MRTT ; de même, le programme Scorpion, qui renouvelle très largement l'équipement de notre armée de terre, sera effectivement commandé. L'an prochain, notre effort se concrétisera par des commandes supplémentaires, en particulier les satellites CERES - pour une entrée en activité prévue en 2020 -, les MRTT, un deuxième système de drones de type Reaper, ou les bâtiments de soutien et d'assistance hauturier (BSAH). Nous recevrons la livraison de quatre avions A400M, huit hélicoptères NH-90, onze avions Rafale, quatre hélicoptères Tigre, une frégate multimission (FREMM) et 25 véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI).

L'an prochain, nous poursuivrons également la réforme de la gouvernance du ministère, avec cinq axes principaux : la réorganisation de la gestion des ressources humaines ; l'organisation de la chaîne financière ; l'organisation des soutiens en bases de défense ; le maintien en condition opérationnelle ; enfin, les relations internationales et stratégiques. Nous progressons sur chacun de ces axes et j'ai mis en place 31 projets pour améliorer la gouvernance du ministère, qui concernent tous les domaines. Cette réforme importante est indispensable pour atteindre nos objectifs de déflation : nous devons supprimer quelque 25 000 postes supplémentaires, j'ai défini comme règle que ces suppressions ne portent que pour le tiers sur des postes opérationnels, les deux autres tiers devant être trouvés sur des postes de soutien et d'administration, grâce à une meilleure gouvernance.

Ce budget, conforme au triennal, respecte donc les orientations de la LPM : nous sommes sur la trajectoire des 94,3 milliards d'euros sur trois ans. Vous savez quelle a été, au printemps dernier, la teneur de ma négociation avec Bercy pour parvenir à ce budget conforme à la LPM. Le Président de la République en a garanti la pérennité du périmètre, s'engageant à ce que 31,4 milliards d'euros figurent au budget 2015, ce qui permet de tenir tous nos engagements, y compris le renouvellement capacitaire.

Une question se pose, cependant, sur les recettes exceptionnelles, les REX, dès lors qu'elles viennent abonder quelque 500 millions d'euros de dépenses en 2015 comme en 2016 et 2017 en lieu et place de crédits budgétaires : vous l'avez parfaitement souligné, Monsieur le Président.

Les recettes exceptionnelles sont réglées par l'article 3 de la LPM et par le point 5.1 de son rapport annexé ; y figurent des cessions immobilières - pour 200 millions d'euros -, des fonds du Programme d'investissement d'avenir, le PIA - pour 1,8 milliard d'euros cette année -, le produit de la vente de la bande des 700 mégahertz, le produit de la cession d'autres actifs, de toute nature, mais aussi une clause de sauvegarde, inscrite à votre initiative. Le produit de la vente de la bande des 700 mégahertz devait, dans la trajectoire budgétaire, intervenir dès 2015 : je sais que ce délai ne sera pas tenu, quoiqu'on m'en ait trop longtemps dit.

Reste, sachant qu'un nouveau PIA est fort peu probable, à regarder du côté de la cession d'actifs, mais aussi à innover financièrement : c'est la voie que j'ai choisie, avec le soutien explicite du président de la République, alors que cette solution avait été refusée à Mme Alliot-Marie. C'est inédit : il s'agit, à partir de la cession d'actifs, de constituer des sociétés de projet qui, en attendant l'arrivée, notamment, du produit de la vente de cette bande 700 mégahertz, achèteraient des capacités militaires et les loueraient au ministère de la défense ; nous travaillons sur cette solution, j'espère que les industriels français s'y joindront, nous pourrions parvenir à une solution pour l'automne 2015.

Dans ces conditions, fort de l'engagement présidentiel pour 31,4 milliards d'euros et pour cette innovation des sociétés de projet, je n'ai plus d'inquiétude sur les REX ; ce qui n'enlève rien à ma vigilance ni à ma détermination - et je sais pouvoir compter sur les vôtres.

Dans ce budget, ensuite, j'ai hissé au premier rang des priorités le maintien en condition opérationnelle (MCO), car nous constatons que le niveau baisse et que nos troupes doivent pouvoir s'entrainer davantage ; c'est pourquoi les crédits du MCO progresseront de 4,3% par an pendant le triennal, 4,5 en 2015, c'est nécessaire pour atteindre les normes OTAN. Les révélations récentes sur l'état de l'armée allemande ont montré combien ce problème de l'opérationnalité n'était pas propre à la France. Les améliorations passent également par des réorganisations : chacune de nos armées a son propre dispositif de MCO pour ses avions et hélicoptères, avec d'importantes pertes en ligne ; j'ai demandé que le chef d'état-major de l'armée de l'air soit responsable opérationnel de l'ensemble du MCO « Air » : ce changement est très utile et, comme vous l'imaginez, il a demandé un important travail de préparation.

Autre grande priorité, l'équipement de nos forces, la recherche et l'innovation technologique. Je sanctuarise ainsi les 740 millions de crédits consacrés à la recherche et aux études, et les crédits d'acquisition passent de 16,4 à 16,7 milliards d'euros.

Enfin, toujours parmi les grandes priorités, la cyber-défense et le renseignement : nous faisons porter l'effort sur le recrutement de spécialistes, le recueil et le traitement du renseignement, lequel est devenu indispensable à l'autonomie stratégique ; nous avons la capacité d'être au tout premier rang européen dans ce secteur, il nous faut accentuer nos investissements.

Un mot sur les opérations extérieures, les OPEX. La loi de finances initiale pour 2014 prévoyait 450 millions d'euros, les dépenses avoisinent le milliard ; est-ce à dire que le budget était insincère ? Non, parce qu'en septembre 2013, lorsque nous vous l'avons présenté, notre perspective était au repli en Afghanistan, au Kosovo, au Mali... puis les crises nous ont fait intervenir au Centrafrique, prolonger une présence dense au Mali, ou encore déployer une présence plus large dans la zone sahélo-sahélienne, avec l'opération Barkhane.

Quelques remarques, enfin, sur les restructurations et les questions de personnel. La LPM implique la suppression de 7500 postes en 2015, je vous ai dit ma décision de n'en prélever qu'un tiers, soit 2500, sur l'opérationnel, le reste devant être trouvé dans la réforme, les économies de gestion, les regroupements, y compris dans la réforme régimentaire que nous lançons et qui tient compte des enseignements en opérations. Je le répète à l'état-major et aux personnels : notre action consiste à appliquer « toute la LPM, rien que la LPM », en ce sens que les garanties apportées à notre budget ne sauraient se passer des économies auxquelles nous nous sommes engagés. Je ferai des annonces demain, avec une liste précise des restructurations décidées ; nous avons travaillé pour préserver au mieux l'opérationnel, mais il faut bien supprimer des postes, il y a quelques dossiers difficiles. Les outils d'accompagnement sont mobilisés pour les sites qui le nécessiteront, nous prévoyons d'y consacrer 150 millions d'euros l'an prochain.

Un mot particulier sur la restructuration du service de santé des armées, qui a fait parler d'elle, notamment la perspective de fermer l'hôpital du Val-de-Grâce. Il faut savoir que cet hôpital n'a pas fait l'objet de travaux d'infrastructures depuis 1976 et qu'il nécessite plusieurs centaines de millions d'euros d'ici 2020 pour être modernisé ; or, le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il n'est pas indispensable à l'offre de soins militaires, déjà assurée par les hôpitaux Bégin et Percy, ni à l'offre civile, dont le centre de Paris est en réalité déjà bien pourvu. Les chiffres sont éloquents, c'est pourquoi la fermeture est envisageable, ce qui n'interdirait pas de promettre les bâtiments historiques du Val-de-Grâce à une nouvelle vocation, par exemple la formation, la recherche ou d'autres fonctions tertiaires du service de santé des armées.

Dernière remarque, sur l'amélioration des conditions de vie quotidienne des unités. A la suite des constats que j'avais faits sur la détérioration matérielle de ces conditions de vie, j'ai initié un plan d'urgence de 30 millions d'euros et fait réaliser une étude complète sur les défauts majeurs d'infrastructures ; cette étude a identifié 700 « points noirs » dans les infrastructures, chiffrant leur résorption à 560 millions d'euros ; pour avancer, nous engagerons l'an prochain 310 opérations d'urgence, pour un montant de 70 millions, avec obligation pour les services de réparer dans l'année les équipements défectueux visés par la subvention.

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