Intervention de Robert Hertzog

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 27 novembre 2014 : 3ème réunion
Nouvelle organisation territoriale de la république — Auditions sous forme de table ronde d'universitaires spécialisés dans l'approche comparative des organisations territoriales au sein de l'union européenne

Robert Hertzog, professeur de droit public à l'Université de Strasbourg :

Je suis honoré de votre invitation, qui nous appelle à porter un regard comparatif sur les organisations territoriales en Europe. Je crois cependant qu'en ce domaine, comme en matière de finances publiques, nous avons plus à apprendre de nos erreurs que des exemples étrangers, et qu'une analyse sans concession des défauts ou des dysfonctionnements de notre système est susceptible de nous éclairer davantage que la recherche de modèles extérieurs. Pour avoir travaillé au Conseil de l'Europe, j'ai constaté que nos collectivités respectives diffèrent du tout au tout. Une commune danoise, par laquelle passe tout le welfare state, n'a rien à voir avec une commune française. Surtout, et c'est là le vrai problème, on peine à définir ce que serait le modèle français. La Constitution dispose que l'organisation de la République est décentralisée. Soit, mais si les Allemands savent fort bien ce qu'est un État fédéral, si les Italiens, les Espagnols, savent ce qu'est un État autonomique, nous serions bien en peine de dire ce qu'est un État décentralisé. Alors que la réforme des régions est en cours, nous n'avons pas de vraie vision de notre système. Au reste, si modèle il y a, on ne peut dire d'aucun qu'il soit la panacée, puisque partout, on cherche à réformer, que ce soit pour des raisons institutionnelles ou en vertu de contraintes économiques et financières. Le fait est que nous sommes engagés dans une mutation économique, géopolitique, financière irréversible. C'est une donnée qu'il convient, dans la réflexion, de garder présente à l'esprit.

Il peut être intéressant, en revanche, de se demander pourquoi certaines réformes sont entreprises, pourquoi certaines réussissent, pourquoi d'autres ne parviennent pas à prendre racine. Alors que bien des rapports ont été produits, qui décrivent parfaitement la situation, on peine, tant en matière d'organisation institutionnelle que de finances locales, à réformer. Or il est, à mon sens, un invariant. Pour qu'une réforme réussisse, il faut qu'elle s'appuie sur des études approfondies, de géographes, de démographes, d'historiens, sur le fondement desquelles se construit une négociation politique. Si l'on se contente, pour bâtir une réforme, du versant technocratique des experts, cela ne débouche pas, de même que si tout le champ est laissé à la seule négociation politique, le résultat n'est pas durable. Voyez l'exemple allemand : nous avons davantage à apprendre du fonctionnement politique du système que de son architecture.

Un système local doit trouver son équilibre en s'appuyant sur un territoire, des compétences, des ressources financières et humaines. À défaut d'être assis sur ce triangle, le système ne fonctionne pas. En France, cependant, nous devons travailler non seulement sur un triangle, mais sur des triangles superposés. Nous sommes pris entre la clause de compétence générale et l'interdiction de la tutelle. Pour en sortir, de deux choses l'une, soit on fait jouer le principe de subsidiarité, qui suppose un minimum de hiérarchie, soit on procède à une répartition rigoureuse des compétences.

Au demeurant, c'est souvent le législateur qui, en répartissant les compétences, a créé de la complexité. Le principe de spécialité exige, de fait, un difficile travail de rédaction. Quant à l'articulation verticale, elle ne saurait fonctionner qu'associée à de bons mécanismes de coopération. Le fédéralisme allemand n'est pas un fédéralisme de partage à l'américaine, mais un fédéralisme de coopération. Une telle coopération, engagée sur des bases volontaires, peut fonctionner. Mais il faut des moyens. Les régions ont pu jouer un rôle d'intermédiaire tant qu'elles avaient de l'argent ; ce n'est plus le cas à présent. On réforme, aujourd'hui, sans argent ; je dirais même plus, pour l'argent, pour trouver des économies. Or toute réforme a, dans un premier temps, un coût. Ce qu'il faut savoir, c'est si le coût que l'on expose aujourd'hui produira, à terme, une amélioration. Prenons l'exemple du projet de fusion départements-région en Alsace. Il est clair que le projet aurait eu, dans un premier temps, des surcoûts - ce qui n'est pas facile à expliquer au citoyen - mais pouvait générer, à terme, des bénéfices, certes difficiles à évaluer précisément, mais sur la survenue desquels tout le monde s'accordait. Cela suppose des études précises, qu'il serait important de mener.

Un mot sur les métropoles. La loi récente, en dépit des complications qu'elle introduit, représente une incontestable avancée. Si l'on se tourne vers les exemples étrangers, on constate les bénéfices d'un couplage entre région et métropole. Si l'on peine à se représenter le périmètre d'une région, chacun comprend bien de quoi on parle quand on évoque sa capitale. Il faut donc parvenir à une puissante synergie entre l'une et l'autre. Voyez la réussite d'une région comme le Bade-Wurtemberg, appuyée sur Stuttgart, métropole régionale. C'est pourquoi il faut, dans toute réforme, faire sans cesse l'aller-retour entre architecture institutionnelle et substrat économique et humain.

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