Une vingtaine d'années, je crois...
Les départements ? J'ai été le seul, au sein de la commission Attali, à prendre leur défense, ce qui m'a donné droit à une petite annexe au rapport. Le département français, et c'est là sa qualité, est la division du territoire qui réalise le mieux la mixité sociale. Si l'on dresse une carte des revenus ou des niveaux d'éducation, par exemple, on voit, comme en négatif, se dessiner les départements. La teinture est la plus forte autour de la préfecture, et pâlit decrescendo jusqu'aux frontières du département, où l'on trouve les populations les moins bien loties. Le département, qui saisit la diversité sociale, est la division la plus apte à traiter les problèmes sociaux. Au cours de l'Histoire, ils ont meublé l'espace qui les entoure. Il serait regrettable de les mettre en cause. Sauf à privilégier, pour mettre en oeuvre des politiques sociales, la logique de l'homogénéité - comme dans le redécoupage, au reste remarquable, qu'a opéré François Lamy pour les quartiers prioritaires -, auquel cas les intercommunalités, plus homogènes, sont sans doute un instrument mieux adapté.
Les communes enfin, pour lesquelles j'ai un faible, ont évolué au cours de l'Histoire. En 1791, elles étaient 43 000. On a gagné un peu de terrain dans la première moitié du XIXème siècle, mais on patine depuis. La dernière loi en date, la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, n'a donné lieu qu'à onze fusions. Sur 36 700 communes, ce n'est pas lourd...
Si les communes sont des réalités humaines incontournables, la question se pose, néanmoins, de leurs compétences, notamment en matière d'urbanisme. J'observe qu'au Danemark, où il ne reste certes qu'une soixantaine de communes, on n'en continue pas moins à prendre en compte, y compris dans les recensements, les paroisses, qui ont conservé certaines prérogatives.
J'en viens à la question des métropoles. La loi votée est intéressante, elle va dans le sens des évolutions de la société et de l'économie, mais je suis surpris de constater que lorsqu'on en vient à modifier, par fusions, la carte des régions, il n'en est plus question. Si bien que dans la nouvelle carte, certaines régions ont deux métropoles, certaines une seule, certaines aucune. Il y a là un manque d'articulation criant. J'abonde totalement dans le sens de Robert Hertzog : ce sont les métropoles qui sont visibles sur les territoires. L'idée de frontière en devient obsolète. D'ailleurs, ce n'est pas en ces termes que l'on raisonnait dans les temps anciens : voyez la carte de Cassini.
Ces évolutions appellent de nouvelles formes de gestion, articulant fermement les régions aux métropoles. J'ai dressé un atlas des pays de la Loire, que j'ai intitulé La forme d'une région, par un clin d'oeil à Julien Gracq qui évoque Nantes dans La forme d'une ville. La région Pays de la Loire, faite de lambeaux de régions historiques - Vendée, Anjou, Maine, Bretagne du sud - n'en est pas moins très cohérente. Disant cela, je me suis mis à dos les bonnets rouges, qui revendiquent Nantes pour la Bretagne... C'est d'ailleurs une caractéristique de ce redécoupage des régions que de réveiller des tendances très passéistes... La région Pays de la Loire, pourtant, forme une entité économique solide autour de Nantes et les responsables régionaux sont très satisfaits, quelle que soit leur couleur politique, de la puissance de la métropole nantaise, flanquée de relais régionaux - Angers, Le Mans, Saint-Nazaire, La Roche-sur-Yon - bien articulés entre eux.
Telles sont les quelques réflexions que m'inspire votre invitation. Il faut certes mener la réforme, mais s'est-on attaqué aux vrais problèmes ? Fusionner me semble moins urgent que régler le problème des doublons, de l'émergence des métropoles. Je suis sensible à l'idée émise par Jean-Bernard Auby de donner davantage de pouvoir réglementaire aux régions. Quand on dresse des cartes du chômage, de la sous-éducation, on voit se teinter de grands noyaux de territoire. Il serait bon que les régions puissent prendre en charge, à cette échelle, les problèmes spécifiques qui sont les leurs.