Intervention de Jean-Pierre Raffarin

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 4 novembre 2014 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2015 — Audition du général denis mercier chef d'état-major de l'armée de l'air

Photo de Jean-Pierre RaffarinJean-Pierre Raffarin, président :

Notre cycle d'auditions sur le projet de loi de finances pour 2015 se poursuit. Nous accueillons le Général Denis Mercier, chef d'état-major de l'armée de l'air.

Mon Général, soyez le bienvenu au sein de notre commission, que vous connaissez déjà, même si vous la retrouvez aujourd'hui dans une composition renouvelée. Ses membres, croyez-le, ont été profondément émus à l'annonce de la mort du sergent-chef Thomas Dupuy, la semaine dernière, dans l'exercice de la mission qu'il effectuait dans le cadre de l'opération Barkhane. Nous nous associons aux souffrances de ses proches, et nous connaissons la solidarité que savent témoigner, dans ces occasions tragiques, les forces armées. Notre commission et, au-delà, l'ensemble du Sénat s'y associent de tout coeur.

C'est aussi en pensant aux sacrifices des hommes qui composent les armées que nous menons nos travaux. Outre les aspects budgétaires qui justifient cette audition, nous serons bien sûr attentifs à ce que vous pourrez nous dire des opérations extérieures (OPEX) pour lesquelles l'armée de l'air se trouve actuellement mobilisée.

L'année 2015, chacun en est désormais bien conscient, sera une année difficile pour la mise en oeuvre de la loi de programmation militaire. Comment apprécier-vous cet horizon, dans un contexte marqué par les restructurations ? Par avance, je vous remercie pour les éclairages que vous allez nous donner.

Général Denis Mercier, chef d'état-major de l'armée de l'air. - Je suis heureux, en tant que chef d'état-major de l'armée de l'air, de pouvoir partager devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, une fois de plus, certes, mais toujours avec la même fierté, une vision du travail accompli par les aviateurs et des enjeux auxquels ils doivent faire face, particulièrement pour cette année 2015, année charnière pour la mise en oeuvre du plan stratégique de l'armée de l'air.

L'armée de l'air est engagée en permanence et avec une grande réactivité dans les trois missions qui lui sont assignées dans le livre blanc sur la défense et la sécurité nationale: dissuader, protéger, intervenir. Sa réactivité se mesure en minutes pour la permanence opérationnelle. Elle se compte en heures pour intervenir n'importe où, n'importe quand, sur un large spectre d'opérations allant de la mission humanitaire à la haute intensité, y compris pour la composante aéroportée de la dissuasion. Et ce, avec la possibilité de conduire et d'exécuter depuis la métropole toutes les missions de la troisième dimension sur, hors, et à partir du territoire national pour atteindre l'ensemble des zones d'intérêt définies par le LBDSN.

Elle parvient à réaliser ses engagements car ses capacités, ses structures, et ses ressources humaines forment un ensemble cohérent, centré sur des compétences éprouvées au quotidien.

Fort de ce modèle, et pour garantir le maintien de la cohérence générale dans un contexte de réformes successives, l'armée de l'air a construit un plan stratégique visant l'horizon 2020 et qui s'inscrit dans les principes du projet CAP 2020 du chef d'état-major des armées. Cette vision s'appuie sur quatre piliers synergiques : la modernisation des capacités de combat, la simplification des structures, le développement des partenariats et la valorisation de l'aviateur. La démarche est volontariste, alors que l'armée de l'air a rarement été autant engagée sur de nombreux théâtres selon des modes d'action très divers, tout en assurant les missions permanentes sur le territoire national. Elle place au premier chef le volet humain, primordial dans cette période dense combinant engagements opérationnels multiples et restructurations profondes.

C'est la cohérence d'ensemble de cette architecture qui permet à l'armée de l'air de prendre des mesures innovantes et de renforcer l'adhésion du personnel pour continuer sa transformation, tout en assurant les engagements opérationnels qui lui sont fixés.

1. Une armée de l'air opérationnelle

L'armée de l'air continue d'honorer ses contrats opérationnels, couvrant un très large spectre de missions, coïncidant avec la maîtrise de l'ensemble des opérations dans la troisième dimension.

L'actualité vous le montre une fois de plus. Les missions intérieures ou extérieures sont toujours déclenchées sous très faible préavis. La zone d'opérations s'étend sur des surfaces considérables du Mali à l'Irak en passant par la République centrafricaine (RCA), alors même que de nombreux aviateurs continuent d'assurer des fonctions essentielles sur la base de Kaboul. Le spectre d'actions est toujours plus large.

Le 10 août dernier, seulement 24 heures après l'ordre présidentiel, le premier avion transportant de l'aide humanitaire se posait à Erbil, en Irak. Le 15 septembre, nos Rafale basés au Moyen Orient débutaient les missions de reconnaissance au-dessus de l'Irak et le 19 septembre, sur ordre présidentiel, les frappes sur les troupes de Daech débutaient. Depuis, notre mission en Irak visant à assurer la liberté de mouvement des forces irakiennes et garder la maîtrise des espaces terrestres sans occupation du terrain se poursuit sans discontinuer. Les efforts de renseignement de la coalition auxquels contribuent quotidiennement les avions français portent leurs fruits. Par ailleurs, la situation complexe sur le terrain voit alterner les phases de basse et haute intensité. J'en veux pour preuve les frappes successives des 23 et 24 octobre derniers au cours desquelles nous avons détruit de nombreuses installations utilisées par Daech pour préparer notamment des engins explosifs ou neutralisé des combattants sur le terrain.

Au cours du mois d'octobre dernier, plusieurs opérations interarmées combinées avec les forces spéciales mettant en oeuvre nos drones Reaper et des avions de chasse Rafale ou Mirage 2000D ont permis de poursuivre l'action contre AQMI. Je tiens à ce titre à rendre hommage à l'adjudant Thomas Dupuy, sous-officier du Commando Parachutiste Air numéro 10 d'Orléans, décédé la semaine dernière dans des combats au nord Mali.

De la mission humanitaire à l'opération aéroportée, du soutien aux opérations spéciales au renseignement, ces quelques exemples illustrent la diversité et le niveau d'engagement de l'armée de l'air actuellement.

En parallèle, l'armée de l'air assure sans discontinuer les missions permanentes sur le territoire national. En 2014, l'activité de sûreté aérienne (chasseurs et hélicoptères confondus) a été augmentée de 80% de par rapport à 2013, une recrudescence expliquée en partie par l'implication de l'armée de l'air dans les dispositifs particuliers de sûreté aérienne qui ont jalonné les commémorations du débarquement et du 14 juillet (640 HDV, 290 sorties). Dans le cadre des missions de sauvegarde, 43 opérations héliportées ont été conduites pour sauver 47 victimes. C'est par exemple le triplé du 27 mars avec une évacuation sanitaire et deux sauvetages en mer par nos hélicoptères de Solenzara. Et je vous rappelle que l'alerte de sûreté aérienne concerne aujourd'hui 8 avions de chasse répartis sur 4 plots, 5 hélicoptères, 4 centres de détection et de contrôle et 9 bases aériennes, un AWACS, un avion ravitailleur, sans oublier les systèmes de défense sol-air, et les systèmes de détection et de contrôle tactique.

En ce qui concerne la dissuasion, des opérations de montée en puissance intégrant un vol de réaction simulant un raid nucléaire, mettent en oeuvre quatre fois par an l'ensemble des forces aériennes stratégiques, des moyens offensifs et défensifs de l'armée de l'air dans un contexte de haute intensité atteignant un niveau de réalisme quasiment unique. Je porte une grande admiration à l'égard des aviateurs engagés dans cette mission si complexe et si vitale. C'est une admiration que j'ai vue partagée par le chef d'état-major des armées, et qu'il a signifiée lors de la cérémonie du cinquantenaire des FAS à Istres le 3 octobre. Il a pu constater l'abnégation, la maîtrise et la fierté du personnel de l'armée de l'air au service de la dissuasion aéroportée, engagés par ailleurs sur tous les fronts conventionnels, car je le souligne, les contrats opérationnels intègrent maintenant les moyens des forces aériennes stratégiques.

Mais les aviateurs sont également en alerte pour d'autres missions que les deux volets de la posture permanente de sûreté. Des avions de transport tactiques sont en alerte en permanence pour les plans nationaux, mais aussi pour se projeter n'importe où en Europe, ou en zone Afrique. L'armée de l'air est également prête à évacuer des ressortissants depuis la métropole ou depuis les détachements outre-mer ou prépositionnés. D'autres avions médicalisés sont en alerte 24h/24 et assurent à n'importe quel militaire en opération qu'il sera rapatrié vers la France pour être pris en charge dans un hôpital spécialisé dans les plus brefs délais.

L'excellence développée au quotidien pendant cinquante années d'alerte ininterrompue de défense aérienne et de dissuasion a façonné nos structures de commandement, nos bases aériennes, l'activité d'entrainement, les compétences de nos aviateurs et enfin nos capacités. Et c'est bien parce que cette culture opérationnelle est partagée par tout le personnel de soutien des bases aériennes, et des bases de défense, avec le même niveau de réactivité que l'armée de l'air est en mesure de répondre dans un tempo de plus en plus rapide à tous ses engagements.

2. Le C2, clé de voûte de nos engagements

La première clef du succès des engagements sous commandement français dans leur diversité, qu'ils soient intérieurs ou extérieurs, je ne le dirai jamais assez, c'est la capacité de commandement et de conduite des opérations aériennes. La réactivité, la réversibilité et l'adaptabilité caractéristiques des dernières opérations résultent d'une chaîne de commandement claire dont les moyens matériels et humains ont été rassemblés. Le commandement et la conduite des opérations aériennes en Afrique ont été regroupés avec les structures permanentes du CDAOA sur la base aérienne de Lyon Mont-Verdun. Ce dispositif est pleinement opérationnel depuis cette année qui a vu l'installation du commandement du CDAOA sur ce site.

Sous les ordres du CEMA, cette structure réalise la mutualisation des aéronefs au profit de plusieurs opérations extérieures. Un exemple : le 5 août dernier, nos Rafale déployés dans le cadre de l'opération Barkhane sont intervenus en RCA au profit de troupes de l'opération Sangaris qui étaient prises à partie par des groupes armés en très grand nombre. La mutualisation, ce sont également nos Transall et nos Hercules - une ressource toujours plus comptée mais grandement sollicitée - qui interviennent indifféremment à la fois au profit de différentes opérations nationales - Sangaris, Barkhane, Sabre - ou d'une opération menée au profit de l'Union Européenne, EUFOR RCA.

Simultanément, le CNOA conduit au quotidien un éventail très large d'opérations dans la troisième dimension sur le territoire national : permanentes (missions de sauvegarde : sauvetage en mer, PO), ou ponctuelles (DPSA, mais aussi HEPHAISTOS, participant à la lutte interministérielle contre les feux de forêts).

Cette densification participe aussi et surtout à l'optimisation de la ressource humaine rare en expertise C2. C'est cette expertise qui permet à la France d'être nation-cadre comme ce sera le cas en janvier 2015 pour la NATO Response Force (l'exercice Noble Arrow qui s'est déroulé du 13 au 29 et a vu la participation de 14 nations a permis de qualifier notre structure de commandement), ou de s'intégrer immédiatement dans les structures de commandement de la coalition évoluant au-dessus de l'Irak. Je souligne enfin qu'à Lyon, le personnel impliqué dans la conduite des opérations n'est pas permanent et intègre un fort pourcentage d'aviateurs prélevé sur nos unités qui sont engagées par ailleurs sur les théâtres intérieurs ou extérieurs.

3. La base aérienne, au coeur du système de combat

La base aérienne représente la deuxième clef du succès des opérations aériennes. C'est le système élémentaire de combat de l'armée de l'air qui permet l'exécution des opérations depuis les bases métropolitaines ou les bases prépositionnées.

Après la guerre froide, la détente à nos frontières et la multiplicité des engagements lointains avaient réorienté l'organisation des bases aériennes vers des tâches plus organiques. Aujourd'hui, la nouvelle donne stratégique en Europe, mais aussi l'allonge des nouveaux vecteurs nous incitent à replacer la base aérienne au centre de l'action opérationnelle. Je veux d'abord rappeler que les missions permanentes dévolues à l'armée de l'air s'effectuent sans relâche sur et à partir de nos bases aériennes. Mais nos bases sont aussi le point de départ des opérations extérieures interarmées. La Libye, puis le Mali et l'Irak ont démontré toute la pertinence qu'il y a à positionner nos bases en systèmes de combat toujours prêts à projeter de la puissance sous très court préavis pour un large spectre de missions. De même, les missions de réassurance conduites dans le cadre de l'OTAN suite à la crise ukrainienne ont mobilisé un système de commandement et de conduite aéroportés AWACS opérant depuis sa base aérienne de stationnement à Avord.

Le système « base aérienne » se trouve ainsi au coeur d'un réseau activable 24h/24 et 7 jours/7, 365 jours par an. Ses ramifications sont interarmées, mais aussi interministérielles et interalliées. L'interaction avec ce réseau s'étend ainsi à la mise à disposition des installations et du personnel des bases aériennes pour accueillir des missions urgentes de transport d'organes, par exemple, d'assistance aux populations en cas de catastrophe naturelle, ou de stationnement d'aéronefs étrangers. Hors de nos bases aériennes, aucun aérodrome n'est activé H24 en France.

La structure des bases aériennes est en cours d'adaptation pour assurer l'intégration optimale des soutiens interarmées dans cette quête perpétuelle de réactivité et des missions opérationnelles sous l'autorité du commandant de base. Cette réorganisation doit aboutir à un nouveau modèle, dit Base Aérienne XXI. Cette réorganisation permet aux bases aériennes de se recentrer sur leur activité opérationnelle dans un esprit de subsidiarité alors même que les structures de commandement de l'armée de l'air diminuent leurs effectifs. En 2015, la quasi-totalité de nos bases aériennes adoptera un format type BA XXI.

4. L'activité, moteur et condition de la performance

Sur les bases aériennes s'exerce l'activité, essentielle à la réalisation de nos missions et à l'entraînement de nos forces. C'est la troisième clef du succès des opérations aériennes, mais aussi la condition pour qu'elles s'effectuent en toute sécurité.

Les efforts financiers consentis par la LPM sur l'entretien programmé du matériel avec une augmentation en volume de +4,3% en moyenne par an sur 2013-2015 vont participer à l'arrêt de la chute de l'activité constatée depuis 2012, et causée en partie par la sous-dotation chronique du MCO. Dans cette enveloppe, nous avons déterminé 3 leviers permettant de remonter l'activité au niveau requis.

Premier levier, la réduction des formats.

Voulue par le Livre Blanc, elle conduit à diminuer le nombre d'heures de vol effectuées sur avion de combat. Par exemple en 2014, l'escadron 2/33 « Savoie » a fermé, coïncidant avec le retrait définitif du service de la flotte des Mirage F1.

Second levier, l'amélioration des performances du MCO aéronautique.

Nous sommes engagés aujourd'hui dans une approche nouvelle. Je veux saluer ici le travail remarquable de la SIMMAD dans la mise en oeuvre du projet CAP 16 visant à structurer les contrats du MCO autour de l'activité en lieu et place de la notion très relative de disponibilité, en créant notamment des partenariats innovants avec les industriels. Les résultats sont déjà là, avec par exemple pour le Rafale, un gain acquis pour 2015 de près de 14% sur le coût à l'heure de vol. Ce projet a conduit le ministre à confier à l'armée de l'air, par délégation du CEMA, la performance du MCO aéronautique pour l'ensemble des armées. Sous mon autorité directe, un secrétariat permanent auquel participent les autres armées et la DGA a été créé cet été pour me permettre d'exercer cette responsabilité. En parallèle de ce premier chantier, l'armée de l'air s'engage aussi dans le projet interarmées visant à optimiser la fonction logistique au travers de la réorganisation de la supply chain.

Troisième levier, l'entrainement différencié.

Remonter l'activité aérienne est nécessaire pour maintenir les unités de première ligne au plus haut niveau de polyvalence capable d'entrer en premier quelles que soient la nature et les menaces du théâtre. Pour les équipages de chasse, cela passe par un entrainement complet et de haut niveau qui nécessite une activité de 250 heures par an, dont 70 heures peuvent être réalisées sur simulateur. La réalisation des contrats de l'aviation de chasse fixés par le LBDSN requiert 290 équipages.

Mon objectif est d'assurer l'aptitude de l'armée de l'air à réagir immédiatement dans un large spectre d'environnements et de missions, tout en préservant la capacité à durer. Sur les 290, nous constituerons un réservoir de 50 équipages dédié aux phases moins complexes d'une opération. Leurs compétences seront entretenues à un niveau différent, notamment en volume d'heures de vol sur avion de chasse, mais seront réactivées en tant que de besoin pour assurer la continuité des opérations. Le projet COGNAC 2016, tout en répondant à ces exigences, permet par ailleurs de moderniser la formation des équipages chasse. Sa mise en oeuvre conditionne la fin de la réduction du format de l'aviation de combat.

Si ces trois leviers sont actionnés dans les faits et si la LPM est respectée, la reprise d'activité pourrait intervenir progressivement dès 2016. Le glissement du projet COGNAC 2016 à 2017 pourrait réduire la portée des efforts engagés, qui dépendent par ailleurs des résultats du chantier supply chain.

Concernant l'activité de nos équipages, en 2014, nous en sommes à 150 heures pour les équipages de chasse pour une norme de 180, 260 pour une norme de 400 pour les équipages de transport et 170 pour une norme de 200 pour les hélicoptéristes. Nous visons le maintien de cette activité en 2015. Si ce déficit venait à durer, c'est la capacité de l'armée de l'air à remplir ses contrats opérationnels qui se verrait dégradée, ainsi que la sécurité aérienne. Afin de ne pas aggraver cette situation, les surcoûts OPEX doivent bénéficier d'une couverture budgétaire complète.

5. Les aviateurs, au centre des opérations et du projet

Si l'activité est structurante pour assurer la performance de l'armée de l'air à l'entraînement comme en opérations, le facteur humain demeure au centre de mes préoccupations. La richesse, la force, la réactivité, les compétences, l'esprit et le coeur de l'armée de l'air, ce sont les aviateurs. Nos efforts d'organisation, s'ils ont permis de maîtriser la masse salariale allouée à l'armée de l'air, doivent aussi les aider à faire face aux défis opérationnels.

Mais aujourd'hui, la gestion des ressources humaines peut constituer notre vulnérabilité. Je mesure les conséquences des réductions fonctionnelles déjà engagées lors de la précédente LPM et celles à venir plus en termes de cohérence que de volume. La difficulté n'est donc pas tant la déflation que le rythme qui lui est imprimé. Entre 2008 et 2014, je vous rappelle que l'armée de l'air a diminué ses effectifs de 16 000 personnes, fermé 12 bases aériennes et 15 unités majeures. Dans les deux dernières années, c'est près de 5 000 postes qui ont été supprimés.

Pour 2014, la déflation représente sur une seule année 5% des effectifs du BOP AIR. Ceci est un défi car cette réduction se fait parfois au détriment du maintien de certaines compétences et de la préparation de l'avenir. Ce qui nous attend en 2015, c'est une réduction supplémentaire de plus d'un millier de personnel, dont 200 officiers.

Les rationalisations fonctionnelles ayant été réalisées lors des précédentes LPM, les déflations d'effectifs sur la période 2014-2018 nécessitent des restructurations, qui se traduisent par des fermetures de bases aériennes ou l'arrêt de l'activité de certaines plateformes aéronautiques. Le plan de l'armée de l'air approuvé par le ministre de la défense est décliné autour de plusieurs objectifs : réalisation des missions opérationnelles, création de pôles fonctionnels, et densification quand c'est possible. Son exécution est indispensable à la réalisation des objectifs de déflation sur la période. Les restructurations annoncées le 15 octobre s'inscrivent dans ce cadre.

Toujours en termes de gestion, je reste attentif au personnel de l'air intégré dans les services et directions interarmées en pleine période, eux aussi, de restructurations.

Enfin, des risques pèsent sur la population des officiers. La contrainte sur cette catégorie de personnel vise à s'aligner sur un taux d'officiers similaire à celui de la période précédant la RGPP. La forte rationalisation conduite depuis, la structure de l'armée de l'air (1500 personnels navigants), et les priorités affichées en matière de cyber défense, de renseignement et de C2, ne permettront probablement pas de tenir les objectifs de déflation actuellement envisagés de cette catégorie de personnel.

C'est pour toutes ces raisons que le plan stratégique de l'armée de l'air place l'humain au coeur de notre action :

- par une gestion des compétences plus dynamique, personnalisée et accompagnée. Nous avons engagé, par exemple, un projet permettant à tout aviateur de sortir avec un diplôme supérieur par rapport à celui avec lequel il est entré ;

- par une refonte de la mobilité, prenant mieux en compte les aspirations du personnel, et leur donnant plus de visibilité sur l'avenir ;

- par un travail sur l'identité, importante dans un format où de plus en plus d'aviateurs arment des structures interarmées, et la reconnaissance. Je porte une attention particulière à la reconnaissance de la valeur et de l'engagement de tout le personnel de l'armée de l'air ;

- par le dialogue entre toutes les catégories de personnel en dynamisant les structures de concertation ;

- par, enfin, le maintien d'un recrutement de qualité car malgré les diminutions d'effectifs, nous devons continuer de recruter des aviateurs pour près de cinquante métiers. Une campagne de recrutement a d'ailleurs été lancée fin septembre.

6. Une démarche capacitaire globale et cohérente

Après avoir évoqué les opérations, les structures de commandement, les bases aériennes, l'activité et les ressources humaines, je termine volontairement par les capacités qui sont indispensables pour moderniser notre aptitude à réaliser nos missions. Je veux vous montrer que la démarche capacitaire menée par l'armée de l'air est tout sauf une liste de courses mais repose sur un socle de cinq domaines majeurs issus du retour d'expérience et intégrant une vision de l'avenir : le commandement et la conduite, le renseignement, l'intervention immédiate, la projection et enfin la formation et l'entrainement. Chaque capacité regroupe des équipements qui ont tous un impact sur nos structures, nos doctrines d'emploi et les compétences de nos aviateurs.

L'année 2015 est une année charnière pour les capacités de l'armée de l'air. Sans être exhaustif, je souhaite attirer votre attention sur les points suivants:

La poursuite du programme système de commandement et de conduite des opérations aérospatiales (SCCOA) conformément au calendrier prévu est indispensable pour la protection du territoire du territoire national et l'interopérabilité avec l'OTAN. A ce titre, le lancement de sa version 4.2 constitue l'une de mes priorités. C'est tout d'abord l'acquisition de radars de nouvelle génération, qui doit être lancée en deux phases (2014 et 2015). C'est aussi la commande du troisième centre ACCS en 2015 et la rénovation du système GRAVES (pour la surveillance des objets spatiaux). Toujours en 2015, SCCOA intègre la rénovation de la composante C2 mobile, qui sera l'un des piliers pour la tenue de l'alerte NRF 2015. Enfin, nous attendons aussi la livraison de deux AWACS rénovés.

Ces programmes s'inscrivent dans la réflexion plus lointaine sur le système de combat aérien du futur dont le cerveau est bien le C2, qui offre par ailleurs à la France un niveau de souveraineté inégalé en Europe.

S'agissant du renseignement et de la surveillance, le retour d'expérience confirme tous les jours l'importance de cette capacité. La commande d'un troisième vecteur Reaper d'ici la fin de l'année et d'un second système Reaper au plus tôt, ainsi que l'a réaffirmé récemment le CEMA, s'inscrivent dans cette priorité, tout comme l'acquisition d'avions ISR légers. Ces programmes intègrent une réflexion plus lointaine sur le concept de fusion des capteurs provenant de tous nos équipements.

Concernant l'intervention immédiate, les Rafale, dont sept exemplaires seront livrés à l'armée de l'air en 2015, puis trois en 2016, sont indispensables à la montée en puissance du deuxième escadron de Rafale à vocation nucléaire, dont la mise en service opérationnelle est prévue en 2018. Le développement en cours du standard F3R entretient la dynamique de la modernisation permanente du Rafale, pour faire face aux multiples missions dans lesquelles cet appareil est engagé. Le retour d'expérience opérationnel me permet de souligner notamment l'importance de l'intégration au plus tôt du PDL NG (baptisé TALIOS). Nous réfléchissons déjà à la suite car nous continuerons à remplacer, au-delà de 2020, les Mirage 2000 par des Rafale.

Mais d'ici là, le traitement des obsolescences techniques et opérationnelles des Mirage 2000D permettra à l'armée de l'air de compenser en partie le retrait des flottes anciennes, d'assurer la cohérence de l'aviation de combat et d'honorer les contrats opérationnels. Le Mirage 2000D rénové continuera à jouer un rôle majeur dans l'armée de l'air. Le dossier de lancement de la réalisation sera proposé au ministre en 2015, pour une commande en 2016 et des premières livraisons en 2019, ce qui est déjà tard.

L'armement air-sol modulaire (AASM), arme inégalée qui confère au Rafale des possibilités de tir air-sol uniques, est une capacité clé utilisée dans toutes les opérations récentes qu'il est essentiel de pérenniser et de continuer à moderniser. Des livraisons sont attendues en 2015.

En ce qui concerne la projection, je veux souligner deux enjeux majeurs.

Le premier est la poursuite des livraisons des A400M Atlas (4 en 2015) qui démultiplie notre capacité de projection. Mais le retard de la montée en puissance de l'A400M entraîne un déficit capacitaire. C'est la raison pour laquelle j'attache une importance particulière à la notification en 2015 de la rénovation du C130.

Le second enjeu, qui est le plus important et que vous connaissez tous, concerne les avions ravitailleurs. Je ne vois pas une opération où ne sont pas engagés les ravitailleurs, alors que la flotte C135 est à bout de souffle. Qui souhaiterait voyager aujourd'hui dans un Boeing contemporain de la Caravelle? Alors que l'annonce de la commande du premier MRTT est intervenue la semaine dernière, la commande des huit suivants est attendue en 2015. L'enjeu concerne l'affermissement au plus tôt de la tranche suivante de trois.

Ces appareils s'inscrivent dans une large réflexion relative aux concepts d'emploi de flottes à long rayon d'action.

Dans le domaine de la formation et de l'entraînement, COGNAC 2016 est le principal projet. Ce projet performant ne se réduit pas à la simple acquisition d'un avion d'entrainement et de formation. Sa portée est globale, car il envisage une fermeture de plateforme aéronautique, la densification de l'activité école sur une autre, tout en participant à l'optimisation du MCO et de l'activité aérienne. Il conditionne, comme je vous l'ai dit, la réalisation du format du Livre Blanc. Ce projet permet d'économiser près de 110 millions d'euros par an, en entretien programmé du matériel et en carburant. Le passage au stade de réalisation en 2015 est indispensable pour une mise en oeuvre au plus tôt en 2017. Peut-on se permettre de perdre 110 millions d'euros par an ?

Vous voyez au travers de ce programme que la démarche capacitaire est globale et touche équipements, gestion des compétences, MCO, ressources humaines, et j'ajouterais les restructurations.

Ces capacités sont toutes liées, et amènent toutes de nouvelles opportunités de partenariats internationaux, notamment pour la construction de l'Europe de la défense.

Le budget de 2015 constitue en enjeu majeur pour la construction du plan stratégique de l'armée de l'air.

L'ensemble du modèle que nous construisons avec « Unis Pour Faire Face » est optimisé sur les quatre axes : capacités, organisation, ressources humaines, et partenariats. Cette transformation est taillée au plus juste et optimisée. Elle requiert l'obtention de la totalité des ressources prévues par la LPM.

Cette cohérence missionnelle, financière et humaine garantit l'aptitude de l'armée de l'air à accomplir les contrats qui lui sont fixés par le Livre Blanc. Elle offre cependant une fragilité vis-à-vis des ajustements ponctuels qui ne prendraient pas en compte la globalité des conséquences sur les 4 axes du projet.

Le Livre Blanc et la LPM qui en découle, ont été construits sur une ambition qui, dans un cadre contraint, permet de continuer la modernisation de nos armées. Pour l'armée de l'air, toute encoche reviendrait à remettre en cause notre capacité à exécuter nos missions de façon souveraine, car l'enjeu est bien la souveraineté.

L'année 2015 représente à ce titre une année clef. C'est au prix de sa réalisation que je garantis une armée de l'air opérationnelle, modernisée, ouverte aux partenariats et portée par ses aviateurs, et donc prête à combattre pour les années à venir.

En conclusion, je souhaite à nouveau souligner, alors que je viens de rendre visite aux aviateurs engagés dans le Golfe et en Afrique aux côtés de leurs camarades des autres armées, l'admiration que je leur porte pour leur engagement sans faille, alors que nombre d'entre eux m'ont avoué effectuer plusieurs OPEX dans la même année, tout en continuant d'assurer les missions permanentes sur le territoire national lorsqu'ils reviennent en France.

Merci, mon Général, pour cet exposé clair et cohérent. Nous apprécions les convictions que vous exprimez. Et nous savons bien que les équilibres de la LPM sont menacés par les impératifs budgétaires... Passons aux questions.

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