La commission auditionne M. Louis Gautier, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, sur le projet de loi de finances pour 2015.
Mes chers Collègues, nous poursuivons notre cycle d'auditions consacré à l'examen du projet de loi de finances pour 2015, en accueillant Louis Gautier, qui vient de prendre ses fonctions de Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale.
Monsieur le Secrétaire Général, nous connaissons tous la sensibilité et l'importance des missions du SGDSN, au coeur de nos préoccupations, qu'il s'agisse de lutte contre la prolifération, d'exportation de matériel de guerre, de planification en matière de défense et sécurité, de préparation et de gestion des crises graves, ou encore de sécurité des communications gouvernementales, et - j'aurais garde de l'oublier au sein de notre commission si impliquée sur ce sujet - de cyberdéfense.
Ebola, Vigipirate, les drones survolant les centrales nucléaires, la cyber : vous avez du pain sur la planche ! Je vous laisse donc sans plus tarder la parole pour que vous puissiez nous parler de vos perspectives, et de votre budget.
Je suis très heureux de cette audition diligentée par votre commission pour la deuxième année consécutive - la première fois pour moi depuis ma récente nomination. Elle est l'occasion d'un examen des crédits du SGDSN figurant dans le projet de loi de finances 2015 au programme 129 des services du Premier ministre. Le SGDSN est une institution qui a peu souvent l'occasion de s'exprimer publiquement sur ses missions. Je vous remercie donc de l'opportunité que vous m'offrez de le faire aujourd'hui.
J'ai trouvé en prenant mes fonctions une administration en bon ordre de marche, et je veux tout d'abord rendre hommage à mon prédécesseur Francis Delon, qui a présidé pendant 10 ans aux destinées du SGDSN. Le SGDSN, administration sans histoire quoiqu'au coeur de l'Etat, est insuffisamment connu du public. Peut-être faut-il en chercher la raison dans une certaine culture du secret, nécessaire à la réalisation et à la nature de ses missions. Le SGDSN agit en appui de la prise de décision politique : ses travaux n'ont pas forcément vocation à être portés sur la place publique. D'un autre côté, il lui faut aussi s'adapter aujourd'hui à certaines exigences de transparence, inhérente à la vie démocratique, et aux légitimes demandes de nos concitoyens d'évaluer mieux la performance des services de l'Etat. La Cour des comptes a d'ailleurs engagé ce mois-ci un contrôle de l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information, (ANSSI), rattachée au SGDSN, et l'Inspection générale des finances doit rendre prochainement ses conclusions sur l'organisation des services du Premier ministre dont fait partie le SGDSN. Autrefois concentré sur son travail de coordination ministériel, le SGDSN doit aussi aujourd'hui veiller à l'élargissement d'une culture de protection et de prévention, par exemple en matière de sécurité informatique qui touche non seulement les services de l'Etat, mais au-delà les opérateurs privés, et également nos concitoyens. Ainsi, le futur plan « Ebola », ou le récent plan « Vigipirate » rénové ont vocation à être largement diffusés et connus du public : nous avons d'ailleurs déclassifié la grande majorité des mesures du plan Vigipirate à cette fin.
Le SGDSN a trois missions principales : d'abord un rôle de veille et d'alerte, pour ainsi dire de vigie, face aux menaces et aux risques. Ensuite, un rôle de « notaire public », à la fois conseil et rédacteur des décisions prises par l'Exécutif en matière de défense et de sécurité nationales. Enfin, un rôle d'opérateur, qu'il s'agisse de la gestion des habilitations, et des documents classifiés, des communications gouvernementales, ou encore de la sécurité des systèmes d'information cyberdéfense avec l'ANSSI.
Le SGDSN est organisé en quatre pôles, deux sont constitués en directions d'administration centrale : protection et sécurité de l'Etat (PSE) ; affaires internationales et stratégiques (AIST) ; un pôle est érigé en service à compétence nationale, l'ANSSI ; et deux établissements publics sont placés sous sa tutelle : l'Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN) et l'Institut national des hautes études de sécurité et de justice (INHESJ). S'y ajoute un service d'administration générale, qui assure le soutien ou le suivi administratif de cet ensemble.
Au sein du programme 129, les crédits prévus en 2015 s'élèvent à environ 243 millions d'euros en crédits de paiement, dont 94 millions sont transférés à la défense pour financer des programmes interministériels, notamment le renforcement des capacités techniques d'interception, de chiffrage et de décryptement. Par ailleurs, le budget du SGDSN porte les 17 millions, correspondant aux subventions affectées aux deux instituts précités. En termes de moyens humains, le nombre de postes en équivalents temps pleins s'élève à 850 personnels, dont à partir de cette année, 184 personnels affectés au centre de transmission gouvernementale (CTG) rattachés au SGDSN.
Ce budget 2015 est marqué par trois faits notables :
- la poursuite du plan de renforcement des moyens de l'ANSSI, qui disposera fin 2015 d'un effectif de 500 personnes, ce qui situera cette agence à un niveau, certes en deçà des moyens britanniques et américains mais comparable aux moyens allemands ;
- l'intégration du centre de transmission gouvernemental déjà mentionnée ;
- la contraction légère prévue au plan triennal des moyens du SGDSN et des deux instituts sous tutelle.
Avec les crédits budgétaires et les personnels qui lui sont rattachés, le SGDSN est en mesure d'exercer correctement les compétences et les responsabilités qui lui sont confiées. La direction protection et sécurité de l'Etat est chargée du suivi des crises, de la préparation des plans gouvernementaux et de l'organisation de l'Etat en temps de crise. En son sein, un bureau spécifique fonctionnant 24h/24 est relié à l'ensemble des cellules de crise dans tous les ministères et il les alimente de notes de situation et de synthèse. Il a ainsi permis de diffuser des informations aux administrations centrales et décentralisées lors de l'intervention au Mali, de l'accident de la Malaysian Airlines ou encore au sujet de l'épidémie Ebola. J'envisage de réaliser un audit de satisfaction des organismes abonnés à ce service pour mieux répondre à leurs attentes et éventuellement d'en étendre la diffusion aux opérateurs qui ne sont pas aujourd'hui destinataires de nos productions, ainsi qu'aux services déconcentrés de l'État. La direction PSE contribue également à l'élaboration des projets de loi et des textes réglementaires dans le domaine de compétence du SGDSN : la récente loi anti-terrorisme, la mise en application de la loi de programmation militaire s'agissant de la cyberdéfense, la problématique du contrôle des services de renseignement, ou encore la question du fichier PNR (Passengers Name Record) dont l'un des décrets est publié et l'autre est en cours de validation interministérielle. Cette direction a enfin une mission générale d'actualisation de la planification, qu'il s'agisse de l'importante réforme de Vigipirate, conduite en 2014, - dont il faudra sans doute adapter la mise en oeuvre car, des préfets, remonte un besoin de meilleur croisement de l'information et des instructions, au niveau du département - ou de la préparation actuelle, à partir du plan de pandémie grippale de 2011, d'un plan interministériel de lutte contre la fièvre Ebola. Le SGDSN a également pour mandat de réfléchir à l'évaluation des vulnérabilités face aux récents survols de drones au-dessus des centrales nucléaires. Face à la multiplication des intrusions, il est en train d'élaborer une réponse, tant juridique que capacitaire.
Le deuxième pôle, l'ANSSI, exerce, outre une fonction de veille permanente, un rôle décisif dans l'élaboration des normes en matière de cyberdéfense. Cette agence développe aussi un grand nombre d'outils et de procédés techniques permettant de détecter et de corriger les vulnérabilités des systèmes informatiques. Une visite de l'ANSSI vous permettrait de découvrir que le profil des salariés de l'agence est caractérisé par l'expertise et la jeunesse. L'âge moyen des personnels de l'ANSSI est de 28 ans. Au-delà de son assistance aux administrations de l'État, pour secourir leurs systèmes informatiques, l'Agence a développé un dialogue avec les opérateurs d'importance vitale sur lesquels repose aussi le bon fonctionnement des services publics et de l'économie. Le rôle crucial de l'ANSSI s'exerce non seulement auprès des administrations (avec le déploiement par exemple du réseau crypté ISIS) mais aussi des opérateurs, il s'étend en outre au développement d'une véritable culture de sécurité informatique dans la société - en formant par exemple 1400 stagiaires cette année. L'ANSSI a aussi des fonctions de représentation internationale - je pense notamment à l'Union européenne et à l'OTAN - Ce n'est donc pas une agence purement technique. L'ANSSI a une responsabilité de coordination interministérielle et d'encadrement normatif, ce qui justifie pleinement son rattachement au Premier Ministre.
Le troisième pôle, affaires internationales et stratégiques, assure comme les deux autres, des missions de veille, de coordination et de contrôle. AIST effectue des synthèses de situation sur les grandes crises internationales (Libye, Mali, Syrie, Irak...), cette direction suit les négociations en matière de prolifération nucléaire (Iran...), ainsi que la mise en oeuvre des grands traités de désarmement, comme par exemple la convention internationale d'interdiction des armes chimiques ou la participation à la coordination des signalements concernant la prolifération. Cette direction assure le pilotage de notre politique d'exportation d'armement et actualise en ce moment les « directives de haut niveau » qui servent de cadre méthodologique aux décisions proposées à l'exécutif, par la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre, la CIEEMG. Ce travail très important doit concilier deux impératifs : ne pas entraver les activités industrielles tout en veillant à ce que l'exportation de matériels sensibles ne constitue pas une menace pour la paix et la sécurité de notre pays. Le CIEEMG tient 17 réunions plénières par an, a traité environ 7 000 dossiers ces 18 derniers mois, soit un flux mensuel de 400 autorisations. Grâce à la réforme que vous avez votée en 2011, le nouveau dispositif de contrôle a été mis en place, avec de nouvelles procédures de licences, rénovées, et des moyens informatiques modernisés favorisant la dématérialisation des traitements.
La dernière mission du SGDSN est d'exercer la tutelle de l'Institut des hautes études de la défense nationale, l'IHEDN et de l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice, l'INHESJ, deux instituts qui ont pour vocation de former et sensibiliser respectivement aux questions de défense, de sécurité et de justice. L'IHEDN, au travers de ses sessions nationales, régionales et jeunes, touche chaque année 2 000 personnes. L'INHESJ, par ses sessions et ses séminaires, sensibilise 1 200 personnes chaque année. Chacun des deux instituts bénéficiera de 9 à 10 millions d'euros de budget en 2015.
Merci monsieur le Secrétaire général. Je donne la parole à nos deux rapporteurs, MM. Jean-Marie Bockel et Jean-Pierre Masseret.
Mes questions seront centrées sur la cyberdéfense mais nous évoquerons également la prévention de la radicalisation, sujet qui nous préoccupe dans les territoires. Je tiens à saluer la présence du nouveau directeur de l'ANSSI avec lequel nous avons déjà eu l'occasion de travailler. Ainsi donc, en matière de cyberdéfense, l'article 22 de la loi de programmation militaire qui concerne les opérateurs d'importance vitale attend encore son décret d'application, puis les arrêtés sectoriels, pour entrer pleinement en vigueur. Quel est le calendrier envisagé pour leur publication ? Les grands opérateurs, au premier rang en matière de télécom ou d'énergie coopèrent-ils bien et dans de bonnes conditions, car c'est un concept un peu nouveau en France ? Ont-ils suffisamment intégré qu'ils y ont tout intérêt ? Pouvez-vous nous dire également comment favoriser la diffusion de la culture « cyber » qui permet de prévenir 90% des difficultés dans le tissu des entreprises privées et en particulier dans les PME, dans les ministères au-delà de la sphère « sécurité défense » ? Comprend-on que l'on a intérêt à signaler les incidents et les difficultés ? Cela bouge-t-il dans les ministères où des attaques ont parfois défrayé la chronique ? Quel peut être le rôle du Premier ministre et de ses services en faveur de cette diffusion ? Enfin pour terminer, l'ANSSI, sous la tutelle du SGDSN, ne cesse de croître en effectifs et en moyens. Quelle est la cible in fine, à quel format stable voyez-vous l'ANSSI à terme et où se situerait ce terme ? Le ministre de la défense a affiché des ambitions, laissant entendre que la mise à niveau irait plus loin que l'alignement avec nos grands voisins. Le rattachement de l'ANSSI au SGDSN apparaissait comme une bonne formule en son temps, « gagnant-gagnant ». Est-on toujours dans ce schéma ?
Vous avez évoqué le survol des centrales nucléaires par des drones. Qu'en sait-on ? Peut-on en parler ? Qu'y-a-t-il derrière tout cela ? Par ailleurs, la CIEEMG est au sein du SGDSN l'organe qui autorise les exportations d'armement. Quel bilan tirez-vous de la modernisation des procédures d'instruction que nous avons votée en 2011, et qui produit ses pleins effets - notamment avec un nouveau logiciel - cette année ? Je ne vous interrogerai pas sur le Vladivostock... Dernière question, le SGDSN a reçu un mandat d'étude sur la prévention de la radicalisation. Quels sont les résultats de ce groupe de travail ? Nous venons de durcir l'aspect répressif, avec la loi anti-terrorisme, mais qu'en est-il du volet préventif ?
Si vous m'y autorisez, je prendrai les questions dans l'ordre inverse de leur formulation. S'agissant du rattachement de l'ANSSI au SGDSN, les délégations de compétences qui lui sont accordées, par exemple en matière normative ou son rôle dans la coopération internationale, justifient par son positionnement actuel. Ce n'est donc pas simplement une agence technique. Sur la question de l'augmentation des moyens, je rappellerai d'abord que, dans notre pays, il y a une division radicale entre les moyens consacrés à la cyberdéfense et les moyens dont le ministre de la défense dispose pour protéger les systèmes militaires, mais aussi pour répondre à d'éventuelles agressions. Dans les pays anglo-saxons, un choix différent a été fait. En France, cette démarcation s'explique au nom du respect des libertés publiques, mais aussi en raison de la mission de l'ANSSI qui s'étend au conseil à des opérateurs privés. Cette séparation à la fois organique et fonctionnelle me paraît valide et prouvée dans les faits. Nous avons programmé les effectifs de l'ANSSI pour atteindre 500 en 2015 et 600 en 2017, ce qui paraît suffisant pour assurer la stabilité de l'ANSSI, permettre des recrutements réguliers et le renouvellement souhaitable des personnels, qui participe de l'essaimage de la culture cyber dans la société. Nous pensons donc que nous aurons atteint en 2017 le bon étiage. Vous m'avez interrogé sur les secteurs que nous devrions davantage sensibiliser à la cyberdéfense. C'est une tâche parfois difficile. Il faut changer les habitudes. Nous portons la responsabilité de convaincre davantage. Le secteur de la santé par exemple ne se sent pas aussi concerné qu'il serait souhaitable par les enjeux de la cybersécurité. Or, la protection des données personnelles des dossiers médicaux mérite attention. La recherche a l'habitude d'un travail ouvert du fait notamment des exigences de coopération internationale, mais parfois il est aussi important que certaines opérations ne soient pas éventées, quand il s'agit de brevets par exemple. Il faut aider ces deux milieux à s'approprier, dans leur intérêt, les exigences de la culture du cyber. S'agissant de l'article 22, les décrets devraient être publiés en fin d'année et les arrêtés sectoriels tout au long de l'année 2015. Je propose que Guillaume Poupard, directeur général de l'ANSSI, vous fasse part de cet aspect de coopération avec les entreprises et les différents acteurs.
L'article 22 de la loi de programmation militaire fait que la France est le seul pays qui protège, par la loi, les opérateurs d'importance vitale, en imposant la mise en place des règles de sécurité définies par l'ANSSI, la remontée d'informations de la part des victimes d'attaques afin de donner l'alerte, de voir s'il y a d'autres attaques simultanées et de les aider à y répondre. Cet article permet également à l'ANSSI d'effectuer des contrôles sur les opérateurs en vue de vérifier que les moyens de sécurisation sont réellement mis en place et là, nous sommes dans le domaine règlementaire. Enfin cet article nous permet, en cas de crise majeure, comme celle subie par l'Estonie en 2007 avec une paralysie du pays, de donner des consignes strictes aux opérateurs afin de limiter, dans l'urgence, les conséquences de ces attaques. S'agissant du calendrier, nous sommes en « courte finale » pour les décrets d'application. Dans les différents domaines comme le transport, la défense, il y en a environ 18, nous allons définir des règles de sécurité et les différentes modalités d'application de la loi en coopération avec les opérateurs. L'ANSSI définit avec les différents opérateurs des règles applicables et soutenables, notamment sur le plan humain et financier. Ce travail est à même de rassurer les opérateurs qui voient que l'on travaille à leur sécurité en même temps qu'à celle de la Nation. Les arrêtés fixant ces règles sortiront au fil de l'eau en 2015. C'est un gros travail, mais je suis optimiste sur son issue. Nous sommes le premier pays au monde à entreprendre cette démarche, mais cet article de loi suscite l'intérêt en Allemagne, qui rédige actuellement une loi en ce sens, et plus largement en Europe. En termes de diffusion de ces questions de cyber, nous nous sommes intéressés d'abord aux réseaux des ministères et de l'administration - et c'est toujours le cas -. L'article 22 a permis l'extension aux opérateurs d'importance vitale et donc aux entreprises privées, mais il va falloir aller plus loin et protéger toutes les cibles potentielles contre les attaques cyber, le domaine industriel et le domaine de la recherche. Le domaine croît de manière exponentielle et il va falloir y adapter nos moyens. On ne peut pas travailler avec les opérateurs d'importance vitale comme avec les PME. Nous avons un lien direct avec les opérateurs, alors que nous sommes davantage dans une démarche de conseils à l'égard des PME, auxquelles nous diffusons déjà des guides de bonnes pratiques et des conseils. Nous sommes également dans une stratégie de démultiplication de l'effort avec la qualification de prestataires privés capables de détecter des incidents et de sécuriser des réseaux. Nous créons ce faisant de nouveaux métiers liés à la cybersécurité, pour permettre aux gens de se défendre et de se trouver en situation de cybersécurité acceptable. Je signalerai que l'ANSSI n'est pas le seul acteur, c'est une démarche interministérielle. Nous avons des liens étroits avec le ministère de la défense, de l'intérieur, des affaires étrangères et de l'économie. S'agissant de la sécurité des ministères en général, il y a une très forte hétérogénéité dans le traitement des menaces informatiques. Le ministère de la défense est un des seuls à atteindre un niveau « mature ». Nous travaillons avec eux au quotidien, puisque leur centre opérationnel est co-localisé avec le nôtre. Des arbitrages devront être pris en termes d'allocation de ressources dans certains ministères car la cybersécurité a un coût. S'agissant du format, nous avons aujourd'hui les moyens de répondre à notre mission. Pour moi, ce sont les hommes qui comptent. Nous gérons le turnover mais nous n'avons pas de marge. S'agissant de la coopération, c'est un domaine de souveraineté. La matière à échanger est très sensible, si bien qu'elle prend plutôt la forme de liens bilatéraux dans lesquels peut s'installer une relation de confiance. Nous en avons par exemple avec le Royaume-Uni et nous y travaillons avec l'Allemagne. Il faut un intérêt à se défendre ensemble.
Vous m'avez interrogé sur la modernisation des procédures en matière d'exportations d'armements. J'ai déjà évoqué les 400 dossiers examinés par mois et les 2 500 licences déjà notifiées depuis la mise en place du nouveau régime. A ce stade, le bilan sur la mise en oeuvre de SIGALE (Système de gestion et d'administration des licences d'exportation) est en demi-teinte. SIGALE doit être amélioré pour corriger certains dysfonctionnements (moteurs de recherche, traitement des rectificatifs demandés par les industriels), de finaliser les fonctionnalités attendues (signature électronique, etc.). Des améliorations sont donc nécessaires en termes de sécurisation du système et de rapidité. Sur la radicalisation, vous venez de voter un texte qui devrait faire avancer les choses de manière substantielle. En ce qui concerne l'aspect de la prévention et de la détection, la mise en place du numéro vert a été une bonne chose. Par la chaîne des préfets, des recteurs, nous avons fait passer des messages pour intervenir suffisamment en amont dans le traitement des cas individuels de radicalisation. De la même façon, l'administration pénitentiaire est très sensibilisée au problème. Nous avons également développé des actions de coopération internationale avec les pays de départ et les pays de transit. Mais nous avons conscience des difficultés dues à la diffusion de la propagande sur Internet. Les idées combattent les idées et la meilleure arme est sans doute la force des convictions qui animent les éducateurs et les responsables à tous niveaux.
Il y a aussi l'intelligence économique, mais ce problème de cyberdéfense concerne toutes les entreprises. Vous avez évoqué la question de la santé. Je sais qu'actuellement une association de chercheurs hollandais envisage de stocker des informations sur l'ADN d'une personne sur une carte à puce en vue de permettre la découverte de maladies de son titulaire. C'est un vrai problème d'éthique et de sécurité. S'agissant des drones, vous avez parlé de réponses capacitaires. On n'a pas le droit de tirer sur un objet volant à un mètre du sol. Faut-il modifier la loi pour pouvoir tirer ? Que pensez-vous du laser chinois qui détruit des drones, mentionné dans la presse ?
Je vous remercie pour votre présentation. Je souhaite revenir sur le plan Vigipirate et sur sa refonte que vous avez évoquée. Quelles sont les grandes modifications pour le rendre plus efficace et plus accessible ? Par ailleurs, en tant qu'ancienne auditrice de l'IHEDN, je me demande où seront réalisées les 2% d'économies annoncées tant à l'IHEDN qu'à l'INHESJ.
Certaines choses ont été modifiées, notamment le contrôle dans les aéroports a été renforcé. Pour Vigipirate, c'est surtout la philosophie qui a changé. On est passé d'un système horizontal qui ne couvrait pas tout le spectre des risques à un système vertical qui est décliné désormais par domaine ministériel et chez les grands opérateurs comme la SNCF, EDF. L'important toutefois, c'est de mieux coordonner les actions, notamment au niveau du département. On sait bien que l'efficacité des dispositifs de contrôles renforcés ne peut être absolue. Cependant, ils sont utiles et dissuasifs, je pense aux grands magasins à la veille des fêtes. Les modes du terrorisme ont changé depuis les années 80. La lisibilité des actes terroristes ne passe plus nécessairement par des actions toujours ciblées, de revendications et un message politique clairs. Notre rôle est de veiller à ce que tous les scénarios soient prévus, que les mesures soient réversibles. L'implication du réseau préfectoral est absolument primordiale car les préfets connaissent bien leur département et la situation de terrain. S'agissant de l'IHEDN et de l'INHESJ, l'économie programmée porte sur la réduction planifiée de deux emplois équivalents temps plein par an dans chacun de ces établissements, mais leur plafond d'emploi, respectivement de 96 et 75 ETP, est relativement important. Il s'agit d'une rationalisation de tâches et des fonctions. Pour contenir, voire réduire les charges de fonctionnement de ces deux établissements situés sur le même site, je prête une attention à la mutualisation de leurs fonctions supports. Est-il choquant de centraliser l'agence comptable, par exemple ?
En me rendant au Conseil de l'Europe récemment, j'ai découvert que celui-ci travaillait sur une règlementation de l'utilisation des drones. Suivez-vous ce texte ? Même s'il n'a pas de valeur normative, cela peut peut-être avoir des conséquences.
Ma question porte sur le plan Vigipirate. Ne pensez-vous pas que le citoyen devrait mieux connaître et comprendre ce plan ? Ne serait-il pas encore mieux que le citoyen soit intégré au plan, comme au Japon, même si certaines choses doivent, je le comprends bien, rester secrètes. Tout comme vous, je trouve très bien d'avoir la possibilité de descendre le niveau d'alerte.
Vous avez tellement raison M. Gournac. Nous avons déclassifié environ 200 des 300 mesures Vigipirate pour qu'elles soient communicables immédiatement à certains élus et responsables. Le plan Vigipirate est désormais accessible sur le site Internet du SGDSN, que nous allons revoir, et sur le site du service d'information du Gouvernement. D'une façon générale, ces plans de gestion des crises ont vocation à être connus mais il doit y avoir des éléments d'adaptation en fonction des publics visés. La pédagogie est différente selon qu'il s'agit de scolaires ou de sportifs par exemple. Il faut préparer la population à la possible survenue de dangers graves tout en évitant que la communication ait des effets anxiogènes. Les mesures doivent être expliquées. Il y a une éducation à faire. M. Pozzo di Borgo, vous attirez mon attention sur une information que je ne connaissais pas et je vais y regarder de très près.
Certains membres de la commission reviennent de New York et d'autres d'Asie. Nous faisons le même constat d'une mobilisation autour d'Ebola. Nous sommes surpris de voir que ce sujet a une importance très faible en France, du moins ce sont nos impressions. M. le Secrétaire général, je vous remercie ainsi que votre équipe.
La commission auditionne le Général Denis Mercier, chef d'état-major de l'armée de l'air, sur le projet de loi de finances pour 2015.
Notre cycle d'auditions sur le projet de loi de finances pour 2015 se poursuit. Nous accueillons le Général Denis Mercier, chef d'état-major de l'armée de l'air.
Mon Général, soyez le bienvenu au sein de notre commission, que vous connaissez déjà, même si vous la retrouvez aujourd'hui dans une composition renouvelée. Ses membres, croyez-le, ont été profondément émus à l'annonce de la mort du sergent-chef Thomas Dupuy, la semaine dernière, dans l'exercice de la mission qu'il effectuait dans le cadre de l'opération Barkhane. Nous nous associons aux souffrances de ses proches, et nous connaissons la solidarité que savent témoigner, dans ces occasions tragiques, les forces armées. Notre commission et, au-delà, l'ensemble du Sénat s'y associent de tout coeur.
C'est aussi en pensant aux sacrifices des hommes qui composent les armées que nous menons nos travaux. Outre les aspects budgétaires qui justifient cette audition, nous serons bien sûr attentifs à ce que vous pourrez nous dire des opérations extérieures (OPEX) pour lesquelles l'armée de l'air se trouve actuellement mobilisée.
L'année 2015, chacun en est désormais bien conscient, sera une année difficile pour la mise en oeuvre de la loi de programmation militaire. Comment apprécier-vous cet horizon, dans un contexte marqué par les restructurations ? Par avance, je vous remercie pour les éclairages que vous allez nous donner.
Général Denis Mercier, chef d'état-major de l'armée de l'air. - Je suis heureux, en tant que chef d'état-major de l'armée de l'air, de pouvoir partager devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, une fois de plus, certes, mais toujours avec la même fierté, une vision du travail accompli par les aviateurs et des enjeux auxquels ils doivent faire face, particulièrement pour cette année 2015, année charnière pour la mise en oeuvre du plan stratégique de l'armée de l'air.
L'armée de l'air est engagée en permanence et avec une grande réactivité dans les trois missions qui lui sont assignées dans le livre blanc sur la défense et la sécurité nationale: dissuader, protéger, intervenir. Sa réactivité se mesure en minutes pour la permanence opérationnelle. Elle se compte en heures pour intervenir n'importe où, n'importe quand, sur un large spectre d'opérations allant de la mission humanitaire à la haute intensité, y compris pour la composante aéroportée de la dissuasion. Et ce, avec la possibilité de conduire et d'exécuter depuis la métropole toutes les missions de la troisième dimension sur, hors, et à partir du territoire national pour atteindre l'ensemble des zones d'intérêt définies par le LBDSN.
Elle parvient à réaliser ses engagements car ses capacités, ses structures, et ses ressources humaines forment un ensemble cohérent, centré sur des compétences éprouvées au quotidien.
Fort de ce modèle, et pour garantir le maintien de la cohérence générale dans un contexte de réformes successives, l'armée de l'air a construit un plan stratégique visant l'horizon 2020 et qui s'inscrit dans les principes du projet CAP 2020 du chef d'état-major des armées. Cette vision s'appuie sur quatre piliers synergiques : la modernisation des capacités de combat, la simplification des structures, le développement des partenariats et la valorisation de l'aviateur. La démarche est volontariste, alors que l'armée de l'air a rarement été autant engagée sur de nombreux théâtres selon des modes d'action très divers, tout en assurant les missions permanentes sur le territoire national. Elle place au premier chef le volet humain, primordial dans cette période dense combinant engagements opérationnels multiples et restructurations profondes.
C'est la cohérence d'ensemble de cette architecture qui permet à l'armée de l'air de prendre des mesures innovantes et de renforcer l'adhésion du personnel pour continuer sa transformation, tout en assurant les engagements opérationnels qui lui sont fixés.
1. Une armée de l'air opérationnelle
L'armée de l'air continue d'honorer ses contrats opérationnels, couvrant un très large spectre de missions, coïncidant avec la maîtrise de l'ensemble des opérations dans la troisième dimension.
L'actualité vous le montre une fois de plus. Les missions intérieures ou extérieures sont toujours déclenchées sous très faible préavis. La zone d'opérations s'étend sur des surfaces considérables du Mali à l'Irak en passant par la République centrafricaine (RCA), alors même que de nombreux aviateurs continuent d'assurer des fonctions essentielles sur la base de Kaboul. Le spectre d'actions est toujours plus large.
Le 10 août dernier, seulement 24 heures après l'ordre présidentiel, le premier avion transportant de l'aide humanitaire se posait à Erbil, en Irak. Le 15 septembre, nos Rafale basés au Moyen Orient débutaient les missions de reconnaissance au-dessus de l'Irak et le 19 septembre, sur ordre présidentiel, les frappes sur les troupes de Daech débutaient. Depuis, notre mission en Irak visant à assurer la liberté de mouvement des forces irakiennes et garder la maîtrise des espaces terrestres sans occupation du terrain se poursuit sans discontinuer. Les efforts de renseignement de la coalition auxquels contribuent quotidiennement les avions français portent leurs fruits. Par ailleurs, la situation complexe sur le terrain voit alterner les phases de basse et haute intensité. J'en veux pour preuve les frappes successives des 23 et 24 octobre derniers au cours desquelles nous avons détruit de nombreuses installations utilisées par Daech pour préparer notamment des engins explosifs ou neutralisé des combattants sur le terrain.
Au cours du mois d'octobre dernier, plusieurs opérations interarmées combinées avec les forces spéciales mettant en oeuvre nos drones Reaper et des avions de chasse Rafale ou Mirage 2000D ont permis de poursuivre l'action contre AQMI. Je tiens à ce titre à rendre hommage à l'adjudant Thomas Dupuy, sous-officier du Commando Parachutiste Air numéro 10 d'Orléans, décédé la semaine dernière dans des combats au nord Mali.
De la mission humanitaire à l'opération aéroportée, du soutien aux opérations spéciales au renseignement, ces quelques exemples illustrent la diversité et le niveau d'engagement de l'armée de l'air actuellement.
En parallèle, l'armée de l'air assure sans discontinuer les missions permanentes sur le territoire national. En 2014, l'activité de sûreté aérienne (chasseurs et hélicoptères confondus) a été augmentée de 80% de par rapport à 2013, une recrudescence expliquée en partie par l'implication de l'armée de l'air dans les dispositifs particuliers de sûreté aérienne qui ont jalonné les commémorations du débarquement et du 14 juillet (640 HDV, 290 sorties). Dans le cadre des missions de sauvegarde, 43 opérations héliportées ont été conduites pour sauver 47 victimes. C'est par exemple le triplé du 27 mars avec une évacuation sanitaire et deux sauvetages en mer par nos hélicoptères de Solenzara. Et je vous rappelle que l'alerte de sûreté aérienne concerne aujourd'hui 8 avions de chasse répartis sur 4 plots, 5 hélicoptères, 4 centres de détection et de contrôle et 9 bases aériennes, un AWACS, un avion ravitailleur, sans oublier les systèmes de défense sol-air, et les systèmes de détection et de contrôle tactique.
En ce qui concerne la dissuasion, des opérations de montée en puissance intégrant un vol de réaction simulant un raid nucléaire, mettent en oeuvre quatre fois par an l'ensemble des forces aériennes stratégiques, des moyens offensifs et défensifs de l'armée de l'air dans un contexte de haute intensité atteignant un niveau de réalisme quasiment unique. Je porte une grande admiration à l'égard des aviateurs engagés dans cette mission si complexe et si vitale. C'est une admiration que j'ai vue partagée par le chef d'état-major des armées, et qu'il a signifiée lors de la cérémonie du cinquantenaire des FAS à Istres le 3 octobre. Il a pu constater l'abnégation, la maîtrise et la fierté du personnel de l'armée de l'air au service de la dissuasion aéroportée, engagés par ailleurs sur tous les fronts conventionnels, car je le souligne, les contrats opérationnels intègrent maintenant les moyens des forces aériennes stratégiques.
Mais les aviateurs sont également en alerte pour d'autres missions que les deux volets de la posture permanente de sûreté. Des avions de transport tactiques sont en alerte en permanence pour les plans nationaux, mais aussi pour se projeter n'importe où en Europe, ou en zone Afrique. L'armée de l'air est également prête à évacuer des ressortissants depuis la métropole ou depuis les détachements outre-mer ou prépositionnés. D'autres avions médicalisés sont en alerte 24h/24 et assurent à n'importe quel militaire en opération qu'il sera rapatrié vers la France pour être pris en charge dans un hôpital spécialisé dans les plus brefs délais.
L'excellence développée au quotidien pendant cinquante années d'alerte ininterrompue de défense aérienne et de dissuasion a façonné nos structures de commandement, nos bases aériennes, l'activité d'entrainement, les compétences de nos aviateurs et enfin nos capacités. Et c'est bien parce que cette culture opérationnelle est partagée par tout le personnel de soutien des bases aériennes, et des bases de défense, avec le même niveau de réactivité que l'armée de l'air est en mesure de répondre dans un tempo de plus en plus rapide à tous ses engagements.
2. Le C2, clé de voûte de nos engagements
La première clef du succès des engagements sous commandement français dans leur diversité, qu'ils soient intérieurs ou extérieurs, je ne le dirai jamais assez, c'est la capacité de commandement et de conduite des opérations aériennes. La réactivité, la réversibilité et l'adaptabilité caractéristiques des dernières opérations résultent d'une chaîne de commandement claire dont les moyens matériels et humains ont été rassemblés. Le commandement et la conduite des opérations aériennes en Afrique ont été regroupés avec les structures permanentes du CDAOA sur la base aérienne de Lyon Mont-Verdun. Ce dispositif est pleinement opérationnel depuis cette année qui a vu l'installation du commandement du CDAOA sur ce site.
Sous les ordres du CEMA, cette structure réalise la mutualisation des aéronefs au profit de plusieurs opérations extérieures. Un exemple : le 5 août dernier, nos Rafale déployés dans le cadre de l'opération Barkhane sont intervenus en RCA au profit de troupes de l'opération Sangaris qui étaient prises à partie par des groupes armés en très grand nombre. La mutualisation, ce sont également nos Transall et nos Hercules - une ressource toujours plus comptée mais grandement sollicitée - qui interviennent indifféremment à la fois au profit de différentes opérations nationales - Sangaris, Barkhane, Sabre - ou d'une opération menée au profit de l'Union Européenne, EUFOR RCA.
Simultanément, le CNOA conduit au quotidien un éventail très large d'opérations dans la troisième dimension sur le territoire national : permanentes (missions de sauvegarde : sauvetage en mer, PO), ou ponctuelles (DPSA, mais aussi HEPHAISTOS, participant à la lutte interministérielle contre les feux de forêts).
Cette densification participe aussi et surtout à l'optimisation de la ressource humaine rare en expertise C2. C'est cette expertise qui permet à la France d'être nation-cadre comme ce sera le cas en janvier 2015 pour la NATO Response Force (l'exercice Noble Arrow qui s'est déroulé du 13 au 29 et a vu la participation de 14 nations a permis de qualifier notre structure de commandement), ou de s'intégrer immédiatement dans les structures de commandement de la coalition évoluant au-dessus de l'Irak. Je souligne enfin qu'à Lyon, le personnel impliqué dans la conduite des opérations n'est pas permanent et intègre un fort pourcentage d'aviateurs prélevé sur nos unités qui sont engagées par ailleurs sur les théâtres intérieurs ou extérieurs.
3. La base aérienne, au coeur du système de combat
La base aérienne représente la deuxième clef du succès des opérations aériennes. C'est le système élémentaire de combat de l'armée de l'air qui permet l'exécution des opérations depuis les bases métropolitaines ou les bases prépositionnées.
Après la guerre froide, la détente à nos frontières et la multiplicité des engagements lointains avaient réorienté l'organisation des bases aériennes vers des tâches plus organiques. Aujourd'hui, la nouvelle donne stratégique en Europe, mais aussi l'allonge des nouveaux vecteurs nous incitent à replacer la base aérienne au centre de l'action opérationnelle. Je veux d'abord rappeler que les missions permanentes dévolues à l'armée de l'air s'effectuent sans relâche sur et à partir de nos bases aériennes. Mais nos bases sont aussi le point de départ des opérations extérieures interarmées. La Libye, puis le Mali et l'Irak ont démontré toute la pertinence qu'il y a à positionner nos bases en systèmes de combat toujours prêts à projeter de la puissance sous très court préavis pour un large spectre de missions. De même, les missions de réassurance conduites dans le cadre de l'OTAN suite à la crise ukrainienne ont mobilisé un système de commandement et de conduite aéroportés AWACS opérant depuis sa base aérienne de stationnement à Avord.
Le système « base aérienne » se trouve ainsi au coeur d'un réseau activable 24h/24 et 7 jours/7, 365 jours par an. Ses ramifications sont interarmées, mais aussi interministérielles et interalliées. L'interaction avec ce réseau s'étend ainsi à la mise à disposition des installations et du personnel des bases aériennes pour accueillir des missions urgentes de transport d'organes, par exemple, d'assistance aux populations en cas de catastrophe naturelle, ou de stationnement d'aéronefs étrangers. Hors de nos bases aériennes, aucun aérodrome n'est activé H24 en France.
La structure des bases aériennes est en cours d'adaptation pour assurer l'intégration optimale des soutiens interarmées dans cette quête perpétuelle de réactivité et des missions opérationnelles sous l'autorité du commandant de base. Cette réorganisation doit aboutir à un nouveau modèle, dit Base Aérienne XXI. Cette réorganisation permet aux bases aériennes de se recentrer sur leur activité opérationnelle dans un esprit de subsidiarité alors même que les structures de commandement de l'armée de l'air diminuent leurs effectifs. En 2015, la quasi-totalité de nos bases aériennes adoptera un format type BA XXI.
4. L'activité, moteur et condition de la performance
Sur les bases aériennes s'exerce l'activité, essentielle à la réalisation de nos missions et à l'entraînement de nos forces. C'est la troisième clef du succès des opérations aériennes, mais aussi la condition pour qu'elles s'effectuent en toute sécurité.
Les efforts financiers consentis par la LPM sur l'entretien programmé du matériel avec une augmentation en volume de +4,3% en moyenne par an sur 2013-2015 vont participer à l'arrêt de la chute de l'activité constatée depuis 2012, et causée en partie par la sous-dotation chronique du MCO. Dans cette enveloppe, nous avons déterminé 3 leviers permettant de remonter l'activité au niveau requis.
Premier levier, la réduction des formats.
Voulue par le Livre Blanc, elle conduit à diminuer le nombre d'heures de vol effectuées sur avion de combat. Par exemple en 2014, l'escadron 2/33 « Savoie » a fermé, coïncidant avec le retrait définitif du service de la flotte des Mirage F1.
Second levier, l'amélioration des performances du MCO aéronautique.
Nous sommes engagés aujourd'hui dans une approche nouvelle. Je veux saluer ici le travail remarquable de la SIMMAD dans la mise en oeuvre du projet CAP 16 visant à structurer les contrats du MCO autour de l'activité en lieu et place de la notion très relative de disponibilité, en créant notamment des partenariats innovants avec les industriels. Les résultats sont déjà là, avec par exemple pour le Rafale, un gain acquis pour 2015 de près de 14% sur le coût à l'heure de vol. Ce projet a conduit le ministre à confier à l'armée de l'air, par délégation du CEMA, la performance du MCO aéronautique pour l'ensemble des armées. Sous mon autorité directe, un secrétariat permanent auquel participent les autres armées et la DGA a été créé cet été pour me permettre d'exercer cette responsabilité. En parallèle de ce premier chantier, l'armée de l'air s'engage aussi dans le projet interarmées visant à optimiser la fonction logistique au travers de la réorganisation de la supply chain.
Troisième levier, l'entrainement différencié.
Remonter l'activité aérienne est nécessaire pour maintenir les unités de première ligne au plus haut niveau de polyvalence capable d'entrer en premier quelles que soient la nature et les menaces du théâtre. Pour les équipages de chasse, cela passe par un entrainement complet et de haut niveau qui nécessite une activité de 250 heures par an, dont 70 heures peuvent être réalisées sur simulateur. La réalisation des contrats de l'aviation de chasse fixés par le LBDSN requiert 290 équipages.
Mon objectif est d'assurer l'aptitude de l'armée de l'air à réagir immédiatement dans un large spectre d'environnements et de missions, tout en préservant la capacité à durer. Sur les 290, nous constituerons un réservoir de 50 équipages dédié aux phases moins complexes d'une opération. Leurs compétences seront entretenues à un niveau différent, notamment en volume d'heures de vol sur avion de chasse, mais seront réactivées en tant que de besoin pour assurer la continuité des opérations. Le projet COGNAC 2016, tout en répondant à ces exigences, permet par ailleurs de moderniser la formation des équipages chasse. Sa mise en oeuvre conditionne la fin de la réduction du format de l'aviation de combat.
Si ces trois leviers sont actionnés dans les faits et si la LPM est respectée, la reprise d'activité pourrait intervenir progressivement dès 2016. Le glissement du projet COGNAC 2016 à 2017 pourrait réduire la portée des efforts engagés, qui dépendent par ailleurs des résultats du chantier supply chain.
Concernant l'activité de nos équipages, en 2014, nous en sommes à 150 heures pour les équipages de chasse pour une norme de 180, 260 pour une norme de 400 pour les équipages de transport et 170 pour une norme de 200 pour les hélicoptéristes. Nous visons le maintien de cette activité en 2015. Si ce déficit venait à durer, c'est la capacité de l'armée de l'air à remplir ses contrats opérationnels qui se verrait dégradée, ainsi que la sécurité aérienne. Afin de ne pas aggraver cette situation, les surcoûts OPEX doivent bénéficier d'une couverture budgétaire complète.
5. Les aviateurs, au centre des opérations et du projet
Si l'activité est structurante pour assurer la performance de l'armée de l'air à l'entraînement comme en opérations, le facteur humain demeure au centre de mes préoccupations. La richesse, la force, la réactivité, les compétences, l'esprit et le coeur de l'armée de l'air, ce sont les aviateurs. Nos efforts d'organisation, s'ils ont permis de maîtriser la masse salariale allouée à l'armée de l'air, doivent aussi les aider à faire face aux défis opérationnels.
Mais aujourd'hui, la gestion des ressources humaines peut constituer notre vulnérabilité. Je mesure les conséquences des réductions fonctionnelles déjà engagées lors de la précédente LPM et celles à venir plus en termes de cohérence que de volume. La difficulté n'est donc pas tant la déflation que le rythme qui lui est imprimé. Entre 2008 et 2014, je vous rappelle que l'armée de l'air a diminué ses effectifs de 16 000 personnes, fermé 12 bases aériennes et 15 unités majeures. Dans les deux dernières années, c'est près de 5 000 postes qui ont été supprimés.
Pour 2014, la déflation représente sur une seule année 5% des effectifs du BOP AIR. Ceci est un défi car cette réduction se fait parfois au détriment du maintien de certaines compétences et de la préparation de l'avenir. Ce qui nous attend en 2015, c'est une réduction supplémentaire de plus d'un millier de personnel, dont 200 officiers.
Les rationalisations fonctionnelles ayant été réalisées lors des précédentes LPM, les déflations d'effectifs sur la période 2014-2018 nécessitent des restructurations, qui se traduisent par des fermetures de bases aériennes ou l'arrêt de l'activité de certaines plateformes aéronautiques. Le plan de l'armée de l'air approuvé par le ministre de la défense est décliné autour de plusieurs objectifs : réalisation des missions opérationnelles, création de pôles fonctionnels, et densification quand c'est possible. Son exécution est indispensable à la réalisation des objectifs de déflation sur la période. Les restructurations annoncées le 15 octobre s'inscrivent dans ce cadre.
Toujours en termes de gestion, je reste attentif au personnel de l'air intégré dans les services et directions interarmées en pleine période, eux aussi, de restructurations.
Enfin, des risques pèsent sur la population des officiers. La contrainte sur cette catégorie de personnel vise à s'aligner sur un taux d'officiers similaire à celui de la période précédant la RGPP. La forte rationalisation conduite depuis, la structure de l'armée de l'air (1500 personnels navigants), et les priorités affichées en matière de cyber défense, de renseignement et de C2, ne permettront probablement pas de tenir les objectifs de déflation actuellement envisagés de cette catégorie de personnel.
C'est pour toutes ces raisons que le plan stratégique de l'armée de l'air place l'humain au coeur de notre action :
- par une gestion des compétences plus dynamique, personnalisée et accompagnée. Nous avons engagé, par exemple, un projet permettant à tout aviateur de sortir avec un diplôme supérieur par rapport à celui avec lequel il est entré ;
- par une refonte de la mobilité, prenant mieux en compte les aspirations du personnel, et leur donnant plus de visibilité sur l'avenir ;
- par un travail sur l'identité, importante dans un format où de plus en plus d'aviateurs arment des structures interarmées, et la reconnaissance. Je porte une attention particulière à la reconnaissance de la valeur et de l'engagement de tout le personnel de l'armée de l'air ;
- par le dialogue entre toutes les catégories de personnel en dynamisant les structures de concertation ;
- par, enfin, le maintien d'un recrutement de qualité car malgré les diminutions d'effectifs, nous devons continuer de recruter des aviateurs pour près de cinquante métiers. Une campagne de recrutement a d'ailleurs été lancée fin septembre.
6. Une démarche capacitaire globale et cohérente
Après avoir évoqué les opérations, les structures de commandement, les bases aériennes, l'activité et les ressources humaines, je termine volontairement par les capacités qui sont indispensables pour moderniser notre aptitude à réaliser nos missions. Je veux vous montrer que la démarche capacitaire menée par l'armée de l'air est tout sauf une liste de courses mais repose sur un socle de cinq domaines majeurs issus du retour d'expérience et intégrant une vision de l'avenir : le commandement et la conduite, le renseignement, l'intervention immédiate, la projection et enfin la formation et l'entrainement. Chaque capacité regroupe des équipements qui ont tous un impact sur nos structures, nos doctrines d'emploi et les compétences de nos aviateurs.
L'année 2015 est une année charnière pour les capacités de l'armée de l'air. Sans être exhaustif, je souhaite attirer votre attention sur les points suivants:
La poursuite du programme système de commandement et de conduite des opérations aérospatiales (SCCOA) conformément au calendrier prévu est indispensable pour la protection du territoire du territoire national et l'interopérabilité avec l'OTAN. A ce titre, le lancement de sa version 4.2 constitue l'une de mes priorités. C'est tout d'abord l'acquisition de radars de nouvelle génération, qui doit être lancée en deux phases (2014 et 2015). C'est aussi la commande du troisième centre ACCS en 2015 et la rénovation du système GRAVES (pour la surveillance des objets spatiaux). Toujours en 2015, SCCOA intègre la rénovation de la composante C2 mobile, qui sera l'un des piliers pour la tenue de l'alerte NRF 2015. Enfin, nous attendons aussi la livraison de deux AWACS rénovés.
Ces programmes s'inscrivent dans la réflexion plus lointaine sur le système de combat aérien du futur dont le cerveau est bien le C2, qui offre par ailleurs à la France un niveau de souveraineté inégalé en Europe.
S'agissant du renseignement et de la surveillance, le retour d'expérience confirme tous les jours l'importance de cette capacité. La commande d'un troisième vecteur Reaper d'ici la fin de l'année et d'un second système Reaper au plus tôt, ainsi que l'a réaffirmé récemment le CEMA, s'inscrivent dans cette priorité, tout comme l'acquisition d'avions ISR légers. Ces programmes intègrent une réflexion plus lointaine sur le concept de fusion des capteurs provenant de tous nos équipements.
Concernant l'intervention immédiate, les Rafale, dont sept exemplaires seront livrés à l'armée de l'air en 2015, puis trois en 2016, sont indispensables à la montée en puissance du deuxième escadron de Rafale à vocation nucléaire, dont la mise en service opérationnelle est prévue en 2018. Le développement en cours du standard F3R entretient la dynamique de la modernisation permanente du Rafale, pour faire face aux multiples missions dans lesquelles cet appareil est engagé. Le retour d'expérience opérationnel me permet de souligner notamment l'importance de l'intégration au plus tôt du PDL NG (baptisé TALIOS). Nous réfléchissons déjà à la suite car nous continuerons à remplacer, au-delà de 2020, les Mirage 2000 par des Rafale.
Mais d'ici là, le traitement des obsolescences techniques et opérationnelles des Mirage 2000D permettra à l'armée de l'air de compenser en partie le retrait des flottes anciennes, d'assurer la cohérence de l'aviation de combat et d'honorer les contrats opérationnels. Le Mirage 2000D rénové continuera à jouer un rôle majeur dans l'armée de l'air. Le dossier de lancement de la réalisation sera proposé au ministre en 2015, pour une commande en 2016 et des premières livraisons en 2019, ce qui est déjà tard.
L'armement air-sol modulaire (AASM), arme inégalée qui confère au Rafale des possibilités de tir air-sol uniques, est une capacité clé utilisée dans toutes les opérations récentes qu'il est essentiel de pérenniser et de continuer à moderniser. Des livraisons sont attendues en 2015.
En ce qui concerne la projection, je veux souligner deux enjeux majeurs.
Le premier est la poursuite des livraisons des A400M Atlas (4 en 2015) qui démultiplie notre capacité de projection. Mais le retard de la montée en puissance de l'A400M entraîne un déficit capacitaire. C'est la raison pour laquelle j'attache une importance particulière à la notification en 2015 de la rénovation du C130.
Le second enjeu, qui est le plus important et que vous connaissez tous, concerne les avions ravitailleurs. Je ne vois pas une opération où ne sont pas engagés les ravitailleurs, alors que la flotte C135 est à bout de souffle. Qui souhaiterait voyager aujourd'hui dans un Boeing contemporain de la Caravelle? Alors que l'annonce de la commande du premier MRTT est intervenue la semaine dernière, la commande des huit suivants est attendue en 2015. L'enjeu concerne l'affermissement au plus tôt de la tranche suivante de trois.
Ces appareils s'inscrivent dans une large réflexion relative aux concepts d'emploi de flottes à long rayon d'action.
Dans le domaine de la formation et de l'entraînement, COGNAC 2016 est le principal projet. Ce projet performant ne se réduit pas à la simple acquisition d'un avion d'entrainement et de formation. Sa portée est globale, car il envisage une fermeture de plateforme aéronautique, la densification de l'activité école sur une autre, tout en participant à l'optimisation du MCO et de l'activité aérienne. Il conditionne, comme je vous l'ai dit, la réalisation du format du Livre Blanc. Ce projet permet d'économiser près de 110 millions d'euros par an, en entretien programmé du matériel et en carburant. Le passage au stade de réalisation en 2015 est indispensable pour une mise en oeuvre au plus tôt en 2017. Peut-on se permettre de perdre 110 millions d'euros par an ?
Vous voyez au travers de ce programme que la démarche capacitaire est globale et touche équipements, gestion des compétences, MCO, ressources humaines, et j'ajouterais les restructurations.
Ces capacités sont toutes liées, et amènent toutes de nouvelles opportunités de partenariats internationaux, notamment pour la construction de l'Europe de la défense.
Le budget de 2015 constitue en enjeu majeur pour la construction du plan stratégique de l'armée de l'air.
L'ensemble du modèle que nous construisons avec « Unis Pour Faire Face » est optimisé sur les quatre axes : capacités, organisation, ressources humaines, et partenariats. Cette transformation est taillée au plus juste et optimisée. Elle requiert l'obtention de la totalité des ressources prévues par la LPM.
Cette cohérence missionnelle, financière et humaine garantit l'aptitude de l'armée de l'air à accomplir les contrats qui lui sont fixés par le Livre Blanc. Elle offre cependant une fragilité vis-à-vis des ajustements ponctuels qui ne prendraient pas en compte la globalité des conséquences sur les 4 axes du projet.
Le Livre Blanc et la LPM qui en découle, ont été construits sur une ambition qui, dans un cadre contraint, permet de continuer la modernisation de nos armées. Pour l'armée de l'air, toute encoche reviendrait à remettre en cause notre capacité à exécuter nos missions de façon souveraine, car l'enjeu est bien la souveraineté.
L'année 2015 représente à ce titre une année clef. C'est au prix de sa réalisation que je garantis une armée de l'air opérationnelle, modernisée, ouverte aux partenariats et portée par ses aviateurs, et donc prête à combattre pour les années à venir.
En conclusion, je souhaite à nouveau souligner, alors que je viens de rendre visite aux aviateurs engagés dans le Golfe et en Afrique aux côtés de leurs camarades des autres armées, l'admiration que je leur porte pour leur engagement sans faille, alors que nombre d'entre eux m'ont avoué effectuer plusieurs OPEX dans la même année, tout en continuant d'assurer les missions permanentes sur le territoire national lorsqu'ils reviennent en France.
Merci, mon Général, pour cet exposé clair et cohérent. Nous apprécions les convictions que vous exprimez. Et nous savons bien que les équilibres de la LPM sont menacés par les impératifs budgétaires... Passons aux questions.
Le maintien en condition opérationnelle des aéronefs a fait l'objet ces dernières années de diverses réformes et a bénéficié d'un effort financier conséquent. L'organisation du MCO Aéronautique par milieu, plutôt que par armée, est particulièrement importante puisque les matériels sont utilisés par les trois armées, l'armée de l'air en utilisant tout de même un peu plus de la moitié. Pourtant, la disponibilité des aéronefs s'est à nouveau dégradée et est parfois qualifiée de préoccupante (tout le monde pense naturellement aux hélicoptères mais ce ne sont pas les seuls) : le taux global de disponibilité se situe autour de 40 % dans chacune des armées après avoir dépassé 63 % en 2005. La disponibilité a chuté de 20 points dans l'armée de l'air entre 2008 et 2013. Le ministre et le chef d'Etat-major des armées ont décidé au printemps dernier une réorganisation du MCO Aéronautique et vous en ont confié sa responsabilité. Quels sont vos objectifs ? Comment se met-elle en place concrètement ?
Dans son dernier rapport sur le MCO, la Cour des comptes estime que le nombre de plateformes aéronautiques demeure élevé, ce qui entraîne complexité logistique et coûts fixes importants. Elle propose de les diminuer de moitié (18 à 9). Qu'en pensez-vous ?
Elle estime également que les administrations centrales et les fonctions support ont peu participé aux réductions d'effectifs jusqu'alors. Quels sont vos projets en la matière ?
Enfin, la LPM prévoit une nette augmentation des dépenses d'entretien programmé des matériels (+4,3 % en valeur par an). Pensez-vous que cet effort sera suffisant pour faire face aux difficultés (vétusté de certains matériels, coûts en maintenance des appareils modernes, hétérogénéité des parcs...) ? Sera-t-il suffisant en particulier si l'engagement en OPEX reste au niveau que nous connaissons en 2014 ?
Concernant les réductions d'effectifs, comment allez-vous faire pour supprimer des postes d'officiers et comment pouvons-nous vous aider face à la difficulté que représente le dépyramidage pour l'armée de l'air ? S'agissant des drones, combien en avez-vous actuellement, combien comptez-vous en acquérir et comment entendez-vous les utiliser : en accompagnement des avions ou en tant que tels pour tirer ?
Les restructurations récemment annoncées posent-elles des problèmes sur un plan technique et humain ? Faut-il s'attendre à d'autres restructurations après celles-ci ? Comment se prépare l'accueil des MRTT sur la base d'Istres ?
Vous avez indiqué que vous collaboriez avec des partenaires d'autres pays, notamment l'Espagne. Est-ce par choix ou par nécessité ? Nous savons qu'une partie des recettes exceptionnelles, notamment celles tirées de la vente des fréquences hertziennes, ne seront pas au rendez-vous et que cela appelle des solutions de substitution comme les sociétés de projets. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ces sociétés de projets ? Quelles en seraient les implications pour l'armée de l'air ?
Général Denis Mercier. - En ce qui concerne le MCO, le taux de disponibilité de 40 % est une moyenne, le parc d'aéronefs étant composé de matériels différents. Ainsi, depuis quelques mois, la disponibilité du Rafale est bonne, permettant d'assurer les opérations et l'entraînement de manière satisfaisante. Ce n'est pas le cas de toutes les flottes. Mais la sous-activité est un paramètre plus pertinent que la sous-disponibilité. Ce qui importe, même si la disponibilité se trouve de temps en temps diminuée, c'est de pouvoir maintenir à la fois les opérations extérieures et l'entraînement. L'engagement en OPEX, compte tenu de la priorité qui lui est donnée, peut en effet conduire à dégrader l'activité en métropole. En OPEX, la disponibilité des matériels est supérieure à 85 % et permet de réaliser toutes les opérations essentielles demandées.
La sous-disponibilité des matériels résulte d'un sous-investissement d'un milliard d'euros hérité des précédentes programmations. Pour y remédier, nous avons obtenu une augmentation en volume (+4,3%) de l'entretien programmé du matériel, qui nous permet de maintenir la sous-activité à 20 %. En complément, nous nous efforçons d'avoir de vrais leviers d'action, comme le plan demandé à la SIMMAD, appelé « Cap 16 », qui vise à renégocier l'ensemble des contrats existants sous un angle différent. C'est ainsi que tous les contrats optroniques sont regroupés dans un contrat unique avec Thales. Les nouveaux contrats ont une dimension transverse et génèrent des économies d'échelle. L'installation de la SIMMAD à Bordeaux a permis la création de plateaux techniques avec les industriels qui s'y trouvent, permettant des échanges et la recherche de solutions. Les industriels comme Thales et Dassault ont également ouvert des guichets sur les bases aériennes, grâce auxquels il est possible de commander selon les besoins, donc de faire moins de stocks et d'économiser. Il existe quelques difficultés avec les hélicoptères et avec les avions patrouilleurs Atlantique de la Marine. Il faut aussi que nous soyons attentifs au rôle du SIAé.
En ce qui concerne les réductions des effectifs, nous allons y procéder, conformément à la LPM. La difficulté concerne en grande partie les officiers. Sur les 6 000 que compte l'armée de l'air, 1 500 relèvent du personnel navigant, sans fonction d'encadrement. En trois ans, le nombre de nominations de généraux de brigade a été divisé par deux, le nombre de colonels a diminué de 30 %, celui de lieutenant-colonel de 20 % et pour la première fois, 30 % de l'effectif d'une promotion de l'école de l'air ne passera jamais le grade de lieutenant-colonel. Nous en sommes là et on nous demande encore plus d'efforts. La baisse de moral est forte chez les officiers. Pour nous adapter, au lieu d'avoir une progression de la carrière des officiers en forme de pyramide inversée, nous tendons vers une progression en forme de « Y » : nous maintenons un recrutement de qualité relativement important et nous préparons les jeunes recrutes à l'idée que certains effectueront leur deuxième partie de carrière dans la défense et d'autres à l'extérieur. C'est ainsi que des stages en entreprises sont organisés à l'école de l'air. Des passeports de compétences « aux normes civiles » sont en train d'être mis en place. Et la formation continue est davantage tournée vers le monde de l'entreprise, avec par exemple des stages dits de « réserve inversée » permettant de mettre des officiers à la disposition des entreprises. C'est un autre modèle qui se met en place. Les jeunes officiers le comprennent assez bien. La difficulté subsiste avec ceux qui sont aujourd'hui lieutenants-colonels et qui ne sont pas préparés à cette évolution. Il est nécessaire de traiter leur situation au cas par cas.
En ce qui concerne les drones, nous avons aujourd'hui 4 Harfang et 2 Reaper, la capacité du Reaper étant nettement supérieure. Il est envisagé d'acquérir un troisième Reaper prochainement et un troisième système aérien de trois Reaper dès que possible, la LPM prévoyant 4 systèmes de 3, soit 12 aéronefs au total. En ce qui concerne les opérations à distance des drones, nous les avons testées, cela fonctionne bien mais nous avons décidé de ne pas les utiliser, non pour des raisons d'éthique, mais parce que nous préférons pouvoir apprécier les conditions localement. Je souligne que le pilotage des drones à distance est tout aussi contraignant pour les pilotes, qui sont mobilisés 24 heures sur 24. On ne gagnerait pas forcément d'argent à utiliser des drones depuis Cognac plutôt que depuis l'Afrique. Concernant le dépyramidage, je le répète, la contrainte pour les officiers est trop forte, je ne suis en mesure de réduire le nombre des officiers que de 180 par an. Et c'est déjà trop.
A propos des restructurations, il s'agit avant tout de faire de la densification. La fermeture de la base aérienne de Dijon, très emblématique pour l'armée de l'air, a été douloureuse, mais elle était pertinente car sa piste était trop enclavée. Le commandement des forces de soutien de l'armée de l'air et le commandement des forces organiques de l'armée de l'air seront fusionnés et transférés à Bordeaux, où sont déjà implantés la SIMMAD et de nombreux industriels de l'aéronautique. Désormais l'armée de l'air n'aura plus qu'un seul commandement organique (CFA, commandement des forces aériennes), un commandement des forces aériennes stratégiques (CFAS) et un commandement opérationnel (CDAOA, commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes). Par ailleurs, les deux autres unités que sont le CPA20, qui est un commando parachutiste de l'armée de l'air, et l'école de formation des fusiliers commando de l'air, seront regroupées dans un centre unique de formation militaire installé à Orange dans les locaux de la Légion étrangère. Ce regroupement génère des économies notables pour la défense en comparaison aux réaménagements qui auraient été nécessaires pour rénover les locaux respectifs de ces deux unités. La dissolution de la base aérienne de Balard s'inscrit dans le projet d'installation de l'état-major des armées sur ce site. Le transfert des escadrons d'avions de transport Casa de la plateforme aéronautique de Creil vers la base aérienne d'Evreux répond à un souci de regroupement des flottes de transport. Après ces restructurations, il ne restera plus grand-chose à restructurer au sein de l'armée de l'air. On demande beaucoup au personnel qui est las des réformes. Nous souhaitons une stabilisation à compter de 2018.
En ce qui concerne la base d'Istres, l'infrastructure pour les MRTT fait partie du projet. Elle sera réalisée en plusieurs phases, dans la mesure où les MRTT montent en puissance progressivement.
La base d'Istres n'est-elle pas confrontée au même problème d'enclavement que celle de Dijon ?
Général Denis Mercier - Non, la base d'Istres n'est pas enclavée, elle est au milieu de la plaine de la Crau. Je souligne qu'une des limites qui s'opposeront à l'avenir à la densification est le bruit. En matière de logistique, les besoins sont importants notamment sur les théâtres extérieurs. C'est pourquoi nous faisons appel à des partenaires, notamment européens, de la même manière que nous recourons à des avions ravitailleurs américains en Afrique. Concernant le retard des MRTT, je confirme que le calendrier est tendu. Enfin, s'agissant du financement, il est essentiel que nous puissions disposer des 31,4 milliards d'euros prévus par la LPM. Si les sociétés de projets peuvent être le moyen d'y parvenir, tant mieux.
Je rends hommage à vos aviateurs qui affrontent le danger avec courage et tout spécialement à l'adjudant Thomas Dupuy, tué récemment au Mali. Il est difficile de venir à bout de l'ennemi avec seulement des frappes aériennes. Ne faudra-t-il pas aussi faire intervenir des hommes au sol ? Je rentre de Beyrouth où j'ai fortement ressenti la peur que Daech inspire aux habitants. Où en sont les livraisons d'armes aux Libanais ? Que fera-t-on si Daech, qui est déjà présent au Liban, atteint Beyrouth ?
Général Denis Mercier - Il est vrai que l'armée de l'air ne peut pas tout, de même que les autres armées. La solution est avant tout politique. Les militaires créent les conditions pour une résolution politique. Par ailleurs, toutes les opérations militaires sont interarmées. Pour éviter que Daech avance sur Beyrouth, il faut l'arrêter maintenant. Mais n'oublions pas que ce sont les troupes irakiennes qui doivent reprendre le terrain à l'ennemi. Nos frappes doivent les aider à reprendre l'avantage. La difficulté est que Daech se positionne dans les villes, ce qui rend les frappes délicates. A cet égard, il faut rappeler qu'avant toute frappe, un juriste (legal advisor, ou LEGAD) se prononce au regard du droit international et du risque de dommages collatéraux, depuis le commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA) à Lyon ou depuis la base au Qatar pour les tirs en Irak.
Mon Général, merci pour cette audition passionnante, qui nous a permis d'aller bien au-delà de l'examen du projet de loi de finances.
La réunion est levée à 18 h 05.