Merci de me donner cette occasion de vous présenter la position de la France au sein de l'Alliance atlantique : j'évoquerai les principaux enjeux pour l'Alliance à la veille du Sommet qui va se tenir au Pays de Galles, et vous parlerai également de la place de notre pays au sein de l'OTAN.
L'OTAN est en phase de transition, vers une troisième étape après celle de la Guerre froide - la plus longue, la plus statique aussi, où l'Alliance est parvenue à ses objectifs - et après la période plus opérationnelle des années 1990 et 2000 où l'OTAN a démontré ses capacités à conduire des opérations, dans les Balkans en Bosnie, au Kosovo, en Macédoine, ou encore en Afghanistan où l'opération a compté jusqu'à 130 000 hommes issus de quelque 50 pays. Ces opérations connaissent une forte décrue : en Afghanistan, la Force internationale d'assistance et de sécurité (FIAS) se termine à la fin de l'année, nous nous orientons vers une mission de conseil, de formation et d'assistance aux forces afghanes, pour deux ans, avec un effectif qui devrait compter 12 000 hommes ; les effectifs dans les Balkans, où l'OTAN compte encore 5 000 hommes au Kosovo, devraient décroître, la France a d'ores et déjà annoncé qu'elle retirait ses forces et l'ensemble de la mission va être revue.
L'OTAN va également revoir ses deux principales opérations maritimes : Ocean Shield, dans l'Océan Indien, tournée contre la piraterie, et Active Endeavour, chargée, au titre de l'article 5, d'une mission de surveillance générale en Méditerranée depuis les attentats du 11 septembre. Cet ajustement stratégique se réalise alors que l'Union européenne reconsidère également sa stratégie maritime.
L'OTAN mesure la « fatigue » des États envers les opérations extérieures, liée au bilan de ces opérations : l'Irak, où l'opération n'a certes pas été conduite par l'OTAN, l'Afghanistan, où planent bien des incertitudes, ou encore la Libye, où l'opération a été réussie mais où la situation se détériore ; les difficultés de ces grandes opérations font s'interroger sur les objectifs même que l'OTAN peut poursuivre. Les États deviennent plus difficiles à mobiliser, la France l'a constaté en République centrafricaine (RCA).
Plus récemment, la crise russo-ukrainienne interroge la mission de défense collective assumée par l'OTAN depuis son origine. Cette crise a révélé des différences de sensibilité entre les États de l'ouest de l'Europe, où la Russie n'est pas perçue comme une menace directe, et l'est du continent, en Pologne, dans les États baltes, en Roumanie, où les États se sentent directement menacés. On retrouve de façon certes atténuée le climat d'il y a dix ans, lorsque l'intervention en Irak avait, selon le mot du secrétaire d'État américain de l'époque, Donald Rumsfeld, opposé la « vieille » et la « nouvelle » Europe...
Certes, personne ne prétend qu'une intervention militaire de l'OTAN serait utile pour résoudre la crise russo-ukrainienne, mais l'Alliance est concernée par la demande de réassurance fortement exprimée par certains États. La France est au rendez-vous, en déployant des avions en Pologne, des navires en mer Baltique et en mer Noire, en mettant ses AWACS à disposition : cette réponse est très appréciée des Polonais, il est permis d'en espérer des incidences très positives. À plus long terme, l'OTAN adopte sa posture à la menace et aux nouvelles méthodes des Russes, qui déploient une « menace ambiguë », une forme de guerre hybride avec l'intervention de paramilitaires, d'hommes sans insignes, dans des pays comptant des minorités russophones et en « protection » de ces populations.
Face à cette menace, les États de l'Europe orientale demandent une présence renforcée de l'OTAN sur leur sol et en font un objectif central du Sommet au Pays de Galles. La France comprend cette préoccupation, mais devrait adopter une position plus nuancée, fondée sur trois principes : il faut être pertinent sur le plan militaire, sachant qu'en revenir à une position de type Guerre froide n'aurait aucun sens ; il faut être acceptable politiquement, en respectant l'Acte fondateur de 1997 entre l'OTAN et la Russie, où nous nous étions engagés à ne pas déployer de « forces substantielles » de combat sur les territoires de l'ex-Pacte de Varsovie : si le niveau de ces forces n'a pas été défini, un engagement existe et il n'y a pas lieu d'y revenir ; enfin, il faut une solution « soutenable » financièrement, sachant que notre pays contribue à 11 % du budget de l'OTAN.
Le deuxième axe du Sommet du Pays de Galles devrait porter sur la réévaluation des relations de l'OTAN avec la Russie. Au lendemain de la Guerre froide, après l'Acte fondateur de 1997, un Conseil OTAN-Russie a été créé à 29, où chacun des États était autour de la table ; ce Conseil a connu des hauts et des bas, avec une forte activité sur l'Afghanistan ou dans la lutte contre le terrorisme, puis une forte détérioration lors de la crise du Kosovo, puis celle de Géorgie et maintenant avec celle de l'Ukraine. Il n'est de secret pour personne que le président Poutine n'est pas un grand partisan du dialogue avec l'OTAN, comme l'a montré avant même la crise ukrainienne le gel des contacts sur la défense antimissiles ou encore sur la transparence nucléaire. Quelles relations l'OTAN vise-t-elle, à plus long terme, avec la Russie ? Il y a deux écoles : d'abord ceux qui, avec la France, constatent le gel des relations mais entendent maintenir ouverts les canaux du dialogue politique, en particulier les réunions au niveau des ambassadeurs, pour revenir dès que possible à un partenariat avec la Russie, nécessaire à la paix ; il y a ensuite les pays pour qui les changements russes sont tels, que la Russie n'est plus un partenaire mais un adversaire...