Nous recevons ce matin M. Jean-Baptiste Mattéi, ambassadeur, représentant permanent de la France auprès de l'OTAN.
Un sommet des chefs d'État et de gouvernement aura lieu les 4 et 5 septembre prochains au Pays de Galles. Convoqué avant la crise ukrainienne, ce sommet devait principalement porter sur l'avenir de l'OTAN et sur les relations transatlantiques, dans la perspective de la transformation de la mission de la Force internationale en Afghanistan en une mission de formation et de conseil des forces afghanes de sécurité.
Le contexte a changé et vous évoquerez certainement les conséquences de la crise sur un certain nombre de sujets d'intérêt pour l'Alliance : les relations avec la Russie, l'étendue des missions de l'Alliance ou encore son élargissement.
Merci de me donner cette occasion de vous présenter la position de la France au sein de l'Alliance atlantique : j'évoquerai les principaux enjeux pour l'Alliance à la veille du Sommet qui va se tenir au Pays de Galles, et vous parlerai également de la place de notre pays au sein de l'OTAN.
L'OTAN est en phase de transition, vers une troisième étape après celle de la Guerre froide - la plus longue, la plus statique aussi, où l'Alliance est parvenue à ses objectifs - et après la période plus opérationnelle des années 1990 et 2000 où l'OTAN a démontré ses capacités à conduire des opérations, dans les Balkans en Bosnie, au Kosovo, en Macédoine, ou encore en Afghanistan où l'opération a compté jusqu'à 130 000 hommes issus de quelque 50 pays. Ces opérations connaissent une forte décrue : en Afghanistan, la Force internationale d'assistance et de sécurité (FIAS) se termine à la fin de l'année, nous nous orientons vers une mission de conseil, de formation et d'assistance aux forces afghanes, pour deux ans, avec un effectif qui devrait compter 12 000 hommes ; les effectifs dans les Balkans, où l'OTAN compte encore 5 000 hommes au Kosovo, devraient décroître, la France a d'ores et déjà annoncé qu'elle retirait ses forces et l'ensemble de la mission va être revue.
L'OTAN va également revoir ses deux principales opérations maritimes : Ocean Shield, dans l'Océan Indien, tournée contre la piraterie, et Active Endeavour, chargée, au titre de l'article 5, d'une mission de surveillance générale en Méditerranée depuis les attentats du 11 septembre. Cet ajustement stratégique se réalise alors que l'Union européenne reconsidère également sa stratégie maritime.
L'OTAN mesure la « fatigue » des États envers les opérations extérieures, liée au bilan de ces opérations : l'Irak, où l'opération n'a certes pas été conduite par l'OTAN, l'Afghanistan, où planent bien des incertitudes, ou encore la Libye, où l'opération a été réussie mais où la situation se détériore ; les difficultés de ces grandes opérations font s'interroger sur les objectifs même que l'OTAN peut poursuivre. Les États deviennent plus difficiles à mobiliser, la France l'a constaté en République centrafricaine (RCA).
Plus récemment, la crise russo-ukrainienne interroge la mission de défense collective assumée par l'OTAN depuis son origine. Cette crise a révélé des différences de sensibilité entre les États de l'ouest de l'Europe, où la Russie n'est pas perçue comme une menace directe, et l'est du continent, en Pologne, dans les États baltes, en Roumanie, où les États se sentent directement menacés. On retrouve de façon certes atténuée le climat d'il y a dix ans, lorsque l'intervention en Irak avait, selon le mot du secrétaire d'État américain de l'époque, Donald Rumsfeld, opposé la « vieille » et la « nouvelle » Europe...
Certes, personne ne prétend qu'une intervention militaire de l'OTAN serait utile pour résoudre la crise russo-ukrainienne, mais l'Alliance est concernée par la demande de réassurance fortement exprimée par certains États. La France est au rendez-vous, en déployant des avions en Pologne, des navires en mer Baltique et en mer Noire, en mettant ses AWACS à disposition : cette réponse est très appréciée des Polonais, il est permis d'en espérer des incidences très positives. À plus long terme, l'OTAN adopte sa posture à la menace et aux nouvelles méthodes des Russes, qui déploient une « menace ambiguë », une forme de guerre hybride avec l'intervention de paramilitaires, d'hommes sans insignes, dans des pays comptant des minorités russophones et en « protection » de ces populations.
Face à cette menace, les États de l'Europe orientale demandent une présence renforcée de l'OTAN sur leur sol et en font un objectif central du Sommet au Pays de Galles. La France comprend cette préoccupation, mais devrait adopter une position plus nuancée, fondée sur trois principes : il faut être pertinent sur le plan militaire, sachant qu'en revenir à une position de type Guerre froide n'aurait aucun sens ; il faut être acceptable politiquement, en respectant l'Acte fondateur de 1997 entre l'OTAN et la Russie, où nous nous étions engagés à ne pas déployer de « forces substantielles » de combat sur les territoires de l'ex-Pacte de Varsovie : si le niveau de ces forces n'a pas été défini, un engagement existe et il n'y a pas lieu d'y revenir ; enfin, il faut une solution « soutenable » financièrement, sachant que notre pays contribue à 11 % du budget de l'OTAN.
Le deuxième axe du Sommet du Pays de Galles devrait porter sur la réévaluation des relations de l'OTAN avec la Russie. Au lendemain de la Guerre froide, après l'Acte fondateur de 1997, un Conseil OTAN-Russie a été créé à 29, où chacun des États était autour de la table ; ce Conseil a connu des hauts et des bas, avec une forte activité sur l'Afghanistan ou dans la lutte contre le terrorisme, puis une forte détérioration lors de la crise du Kosovo, puis celle de Géorgie et maintenant avec celle de l'Ukraine. Il n'est de secret pour personne que le président Poutine n'est pas un grand partisan du dialogue avec l'OTAN, comme l'a montré avant même la crise ukrainienne le gel des contacts sur la défense antimissiles ou encore sur la transparence nucléaire. Quelles relations l'OTAN vise-t-elle, à plus long terme, avec la Russie ? Il y a deux écoles : d'abord ceux qui, avec la France, constatent le gel des relations mais entendent maintenir ouverts les canaux du dialogue politique, en particulier les réunions au niveau des ambassadeurs, pour revenir dès que possible à un partenariat avec la Russie, nécessaire à la paix ; il y a ensuite les pays pour qui les changements russes sont tels, que la Russie n'est plus un partenaire mais un adversaire...
Elle est sur notre ligne, c'est notamment la position de Frank-Walter Steinmeier, le ministre des affaires étrangères allemand. La Grande-Bretagne, elle, est sur une position plus dure que la nôtre.
Troisième axe du Sommet prochain, le rapprochement avec nos partenaires orientaux qui souhaitent des liens plus forts avec l'OTAN, en particulier la Géorgie, l'Ukraine et la Moldavie. La Géorgie est candidate à l'adhésion, la promesse lui a été faite en 2008 que ce serait possible, certains proposent de lui donner le Plan d'action pour l'adhésion ; la France n'y est pas très favorable, estimant le contexte peu opportun pour agiter le chiffon rouge, dans l'intérêt même des Géorgiens et même si la Géorgie fait ce qu'il faut pour obtenir cette avancée - elle a été par exemple le deuxième contributeur de l'opération en RCA. Il reste qu'il est difficile d'accorder la protection de l'article 5 à un État dont le cinquième du territoire est occupé par la Russie... Pour l'Ukraine, ensuite, l'adhésion à l'OTAN n'est pas une priorité, dans le contexte que l'on sait et l'on évoque plutôt, dans le cadre d'un règlement politique de la crise, la perspective d'une « neutralité », comme c'est le cas pour la Finlande, à condition bien sûr que ce soit la demande des Ukrainiens eux-mêmes.
Un autre aspect du débat portera sur le « partage du fardeau » de la défense, thème que les États-Unis veulent remettre sur la table. Deux chiffres sont parlants : entre 2008 et 2013, la Russie a augmenté de moitié son budget de la défense, quand les Alliés diminuaient le leur du cinquième. Au sein de l'Alliance, seuls quatre États respectent le critère des 2 % du PIB assignés à la défense : les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Estonie et la Grèce ; la France, à 1,85 %, figure parmi les bons élèves. Nous faisons également valoir que des éléments qualitatifs doivent être pris en compte, en particulier avec le critère des 20 % des dépenses de défense qui vont à l'équipement ou à la R&D ; cinq alliés respectent ce critère, dont la France, qui est à 25 %.
Nous faisons également valoir que le partage du fardeau ne saurait aller sans celui des responsabilités, ce qui pose la question des relations de l'OTAN et de l'Union européenne. Le climat a changé par rapport à il y a une dizaine d'années : il existait alors l'impression d'une compétition entre l'OTAN et l'UE sur les opérations extérieures ; l'esprit des « arrangements Berlin plus » s'est heurté au blocage de la Turquie sur la question chypriote, ce qui a limité les relations institutionnelles entre l'OTAN et l'UE, puis nous sommes passés à la période actuelle où c'est l'atonie, plutôt que la compétition, qui domine en matière d'opérations. La coopération fonctionne cependant en pratique, sur des domaines comme les capacités et l'on tend à en revenir à une idée de division du travail entre les deux institutions : à l'OTAN le haut du spectre des opérations, à l'UE le bas du spectre, même si nous avions des réserves à propos de cette division du travail.
Un débat existe sur les questions des capacités et de l'interopérabilité. À l'OTAN, la planification de la défense identifie des lacunes, à l'aune du principe qu'une capacité ne devrait pas dépendre à plus de moitié d'un seul pays ; nous en sommes loin pour certaines capacités, l'OTAN a listé seize lacunes capacitaires à combler - certaines sont des priorités de l'UE, comme le ravitaillement en vol, les drones ou les satellites. L'interopérabilité, ensuite, est une véritable valeur ajoutée de l'OTAN : nos armées travaillent ensemble depuis des décennies, en associant des pays non-membres comme la Suède ou la Finlande, très impliquées dans nos opérations. Nous devons poursuivre dans ce sens, préserver cet avantage.
Le Sommet, enfin, devra débattre de l'élargissement de l'OTAN. Parmi les quatre candidats déclarés - la Géorgie, le Monténégro, la Bosnie-Herzégovine et l'Ancienne République Yougoslave de Macédoine - une mention particulière peut être faite du Monténégro, ancien territoire serbe qui fait l'objet d'une forte pression russe pour l'implantation d'une base navale sur son territoire.
Quelques mots, enfin, sur la position de la France dans l'OTAN. La décision prise en décembre 2009 de revenir dans la structure militaire intégrée n'est nullement remise en cause et nos objectifs répondent au rapport Védrine : la vigilance, l'influence et la volonté que notre appartenance ne signifie pas une banalisation et un alignement sur les positions américaines. Nous participons à tout, sauf au Groupe des plans nucléaires. Cette présence est très importante pour se faire comprendre au sein de l'Alliance, c'est un enseignement de notre réintégration.
Notre présence dans l'institution est conforme à notre participation budgétaire ; quelque 800 Français travaillent à l'OTAN, nous avons des positions d'influence, d'abord avec le général Jean-Paul Paloméros, responsable de l'un des deux commandements stratégiques, le Commandement allié Transformation, basé à Norfolk en Virginie, mais aussi avec l'inspecteur général des armées Patrick Auroy, secrétaire général adjoint chargé des investissements de défense, qui travaille en lien direct avec Claude-France Arnould, directrice exécutive de l'Agence européenne de défense (AED). Enfin, les entreprises françaises représentent 17 % des contrats passés par l'OTAN, avec Thales au premier plan, pour un montant de quelque 1,7 milliard d'euros entre 2009 et 2012.
Nous revenons des États-Unis, où, à Washington et à Norfolk en particulier, des collaborateurs de la Maison-Blanche, du Département d'État, du Pentagone, ou encore le général Paloméros, avec qui nous avons passé trois demi-journées, nous ont tenu des propos qui convergent tout à fait avec les vôtres. Je suis, ensuite, tout à fait favorable à la voie du maintien de relations concrètes avec les Russes, mieux vaut chercher à les entraîner dans le concert européen plutôt qu'emprunter la voie du conflit, cela me paraît de bien meilleure méthode. Enfin, sans aller aussi loin que notre collègue député Pierre Lellouche, je m'interroge sincèrement sur le poids des différents pays au sein de l'Alliance, avec une certaine surreprésentativité de certains d'entre eux, sans lien avec leur apport en termes de capacités ! J'en suis, même, à m'interroger sur le bienfondé du rapport Védrine : qu'avons-nous à faire dans des structures où la décision découle de coalitions extraordinaires et si éloignées du terrain ?
Je salue votre première venue officielle devant notre Commission, Monsieur l'ambassadeur, tout en vous remerciant pour la présentation complète que vous venez de nous faire, qui répond à nombre de nos questions.
L'OTAN, effectivement, va évoluer, l'ancien Premier ministre norvégien Jens Stoltenberg vient d'être nommé au poste de secrétaire général par décision du Conseil de l'Alliance : quel lien avons-nous avec lui, comment interpréter cette nomination dans le jeu interne de l'OTAN ?
Sur la Russie, ensuite, nous nous sommes étonnés de voir, au sein de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, le durcissement des pays baltes qui ont évoqué quasiment la perspective d'une guerre. Sur la Géorgie, nous sommes également très prudents et je crois comme vous qu'aller trop loin pourrait desservir les Géorgiens.
Il me semble enfin que les Américains veulent étendre les compétences de l'Alliance : ils ont fait passer un amendement qui définit la sécurité énergétique comme une « mission-clé », quelle est la position française sur une telle extension ? N'y a-t-il pas un risque, alors que la présidence de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN reviendra dans quelques mois à un Américain ou à un Canadien, de voir cette compétence nouvelle être mise au service de la balance commerciale américaine ?
Pouvez-vous nous donner plus de détails sur l'intérêt industriel de l'OTAN pour la France ?
L'OTAN se cherche un nouveau rôle, en fait, depuis la fin de la Guerre froide, elle l'a trouvé au gré des circonstances mais la fin de l'opération en Afghanistan interroge ses missions mêmes : est-elle encore utile, et à quoi ? La crise ukrainienne fait ressurgir le spectre de menaces, donc l'intérêt de l'article 5. Mais d'une manière générale, l'OTAN se cherche de nouvelles compétences, celle de la sécurité énergétique est en débat depuis un certain temps ; lors de la session de printemps de l'Assemblée parlementaire, nous avons estimé que c'était une compétence de l'Union européenne. Ce débat traduit les difficultés de relations entre l'OTAN et l'UE. Nous défendons l'Europe de la défense, c'est la meilleure issue tant que les relations entre l'OTAN et l'UE ne seront pas bien établies.
Nos interlocuteurs américains nous ont dit qu'ils y étaient parfaitement prêts, mais qu'ils nous attendaient : c'est d'abord aux Européens de faire leur partie du travail...
Je ne suis pas d'accord avec ce qui a été dit sur la Géorgie. J'ai rédigé pour l'Assemblée parlementaire de l'OTAN un rapport qui se prononçait en faveur de l'attribution à ce pays du Plan d'adhésion, la commission devant laquelle je l'ai présenté a adopté mon rapport à l'unanimité. Attention à ne pas s'enfermer sur la seule ligne américaine, ni à se figer dès que les Russes montrent les muscles : si la France ne plaide pas la cause de la Géorgie, à tout le moins pour le Plan d'adhésion, qui reste en dehors de l'article 5, si nous ne tenons pas notre promesse de 2008, ce sera un très mauvais signal pour l'ensemble de l'Europe orientale. Je le dis en étant très favorable au renforcement de nos relations avec la Russie.
La France a-t-elle dans l'OTAN le poids qui doit lui revenir ? Je le crois et, en pratique, les décisions importantes ne sont pas prises par les coalitions extraordinaires que vous craignez, Monsieur le président, mais, le plus souvent, lors des réunions hebdomadaires informelles que nous tenons avec nos partenaires américains, britanniques et allemands - la réunion « quad ». Notre retour dans la structure intégrée nous a justement permis d'anticiper les décisions, alors qu'antérieurement nous n'avions pas les bons « capteurs » pour peser véritablement, le changement est notable.
Le nouveau secrétaire général, M. Jens Stoltenberg, prendra ses fonctions le 1er octobre, il connaît bien les Russes pour avoir négocié l'accord frontalier entre la Norvège et la Russie et il n'a pas la réputation d'être opposé à l'Union européenne.
Oui, d'autant que le président de la République connaissait déjà l'ancien Premier ministre norvégien, tous deux étant de la même famille politique. Parmi les autres candidats, l'accord ne s'est pas fait sur le nom de Franco Frattini, ancien ministre des affaires étrangères italien et ancien commissaire européen à la justice et aux affaires intérieures, tandis que Pieter De Crem, le ministre belge de la défense, s'est lancé trop tard dans la course, semble-t-il.
La sécurité énergétique européenne, facteur de la sécurité globale, peut-elle être confiée à l'OTAN ? La compétence relève déjà de l'Union européenne, ce qui n'enlève rien à l'intérêt d'échanges d'informations avec l'OTAN ou encore de missions particulières pour la sécurisation des infrastructures critiques. Même chose pour le capacity building, c'est-à-dire la formation d'armées tierces : l'Union européenne est déjà active sur ce domaine, on le voit par exemple au Mali.
L'enjeu industriel est effectivement une priorité, partie intégrante de la diplomatie économique promue par M. Laurent Fabius. Les entreprises françaises ont remporté 17 % du volume global des contrats, Thales vient au premier plan avec le système de communication de l'opération en Afghanistan, avec des systèmes de commandement et de contrôle, des systèmes de défense aérienne et antimissiles ; ces contrats concernent également des PME françaises, Ubifrance a organisé des séminaires pour diffuser au mieux l'information sur ces contrats. La France, du reste, passe pour remporter « trop » de contrats plutôt que pas assez, à quoi nous répondons que les 17 % concernent des entreprises françaises en position de « primo-contractantes », avec des sous-traitants qui ne sont pas toujours sur notre sol. La participation aux contrats de l'OTAN est également très importante pour le référencement des équipements. Hors Thales, des entreprises comme MBDA, Airbus ou ThalesRaytheonSystems (TRS) sont également actives à l'OTAN.
Les relations entre l'OTAN et l'UE gagneraient à être mieux définies, c'est vrai. Cependant, nous avons eu longtemps une vision bien cartésienne, comme s'il fallait que tout soit défini a priori, alors qu'une approche plus pragmatique prend désormais le dessus, on l'a vu avec le Livre blanc : la pluralité d'institutions compose une gamme d'outils dont on peut se servir au gré des situations.
Sur la Géorgie, je vous ai présenté la position française et il ne s'agit pas d'arriver les mains vides, des avancées sur la coopération sont possibles.
Les Géorgiens subissent la double peine : l'occupation d'une partie de leur territoire, et le recul de l'OTAN...
Élu de Saint-Nazaire, je soutiens la priorité donnée à l'exportation de nos matériels et systèmes de défense et je m'inquiète que nos pas de clerc sur la livraison des « Mistral » à la Russie, ne compromettent notre crédibilité globale : le choix s'est fait lors de la commande, tout changement ultérieur ne serait que l'expression d'une indécision !
Vous mentionnez, ensuite, nos lacunes capacitaires : pouvez-vous y revenir plus en détail ?
J'ai rencontré l'ambassadeur russe en France, Alexandre Orlov : son propos est sans ambiguïté sur l'attitude russe en cas de menace sur les populations russophones des pays baltes, et je l'ai trouvé peu amène avec l'Union européenne...
Nous sommes bien d'accord pour dire que le moment ne serait pas bien choisi pour intégrer la Géorgie ou l'Ukraine à l'OTAN, mais il faut voir que laisser les mains libres à la Russie, cela créerait de fortes tensions dans les pays baltes et en Pologne : quelle issue voyez-vous ?
La Russie ne manque jamais de nous rappeler les promesses non tenues par l'OTAN, l'importance de l'Acte fondateur de 1997 et nous ne devons pas perdre de vue que la Russie sait très bien s'adapter, nous ne devons jamais oublier que la Russie peut s'avérer plus forte que les États-Unis, qu'elle peut gagner bien des batailles, on vient de le voir sur l'énergie : c'est pourquoi je crois que le partenariat avec la Russie est, et restera essentiel pour l'Europe.
Vous ne mentionnez pas, ensuite, la Moldavie : qu'en est-il ?
Il nous faut être habiles, car nous devons renforcer le dialogue avec les Russes, tout en donnant un signal aux Géorgiens ; ceci est possible avec le Plan d'adhésion qui, je le répète, ne relève pas de l'article 5. Les Russes s'adaptent, à nous de montrer que nous ne sommes pas dupes et que nous résistons, je le dis d'autant plus aisément que je suis russophile et que je prône le développement de nos relations avec la Russie...
Sur la Libye, nous sommes unanimes pour dire que l'opération de l'OTAN a été bien conduite, mais pas terminée - et que nous assistons aujourd'hui à ce que nous pressentions déjà lorsque nous nous sommes rendus sur le terrain : des poches de territoires échappent à tout contrôle, le terrorisme s'y développe, parce que la guerre n'a pas été terminée au sol !
Nous sommes là devant un problème collectif. J'ai pu encore récemment sonder des parlementaires et des militaires allemands, je retire de nos discussions cette remarque de fond, que je crois partagée : tant que les chefs des États européens ne cèderont pas une petite partie de leur prérogatives constitutionnelles en matière de défense, l'Europe de la défense n'avancera pas. Je le dis en Européen convaincu, nous avons là une question décisive.
Sur le partage du fardeau, je crois que nous devons tordre le cou à quelques idées reçues qui ont la vie dure, je m'y attèle avec Josette Durrieu, Alain Gournac et Robert del Picchia, dans un rapport dont vous aurez bientôt la primeur. Car ce que nous avons vu aux États-Unis, c'est que le fameux mouvement de « bascule » de l'Europe vers l'Asie n'a rien d'évident, non plus qu'une prétendue baisse de la garde américaine sur notre continent. En revanche, ce que nous ont dit nos amis américains, c'est qu'ils avaient bien du mal à définir précisément quelle était la politique étrangère américaine. Les dépenses militaires américaines devraient certes ralentir, mais elles sont encore très, très loin devant celles des autres États du monde, l'écart est considérable. Enfin, sur l'industrie, nous avons dit à nos interlocuteurs qu'il n'était pas question pour nous d'abandonner nos industriels.
J'ajoute que le général Paloméros nous a confirmé l'importance qu'il y a de participer aux décisions stratégiques de l'OTAN, mais aussi l'intérêt de positions communes des Européens sur les questions de défense.
Nos alliés comprennent bien que le contrat sur les « Mistral » est ancien, qu'un changement dans son application poserait un problème de crédibilité. La décision finale doit intervenir en octobre, la pression va s'accroître d'ici là et dépendre, bien entendu, de la situation sur le terrain. Nous ne perdons pas de vue non plus que nos alliés orientaux dépendent encore de la Russie pour bien de leurs équipements, en particulier le transport stratégique.
Parmi les seize lacunes capacitaires, figurent le C2, c'est-à-dire le Commandant control, le ravitaillement en vol et plusieurs fonctions nécessaire à la « déployabilité » de nos forces.
Les Russes, effectivement, appliquent ce qu'il est convenu d'appeler la « doctrine Poutine », c'est-à-dire une forme d'intervention, indirecte, dès lors que des minorités russophones sont présentes sur un territoire.
C'est exact, sans compter que dans certains États, comme l'Estonie, des populations russophones n'ont pas de passeport - ni estonien, ni russe.
Quelle garantie de sécurité pouvons-nous apporter à ces pays, comment sortir de l'impasse ? Je n'ai pas de réponse définitive... L'Ukraine avait des garanties de sécurité au titre du Mémorandum de Budapest, on voit ce qu'il en est advenu. La crise de Crimée montre à cet égard le statut très particulier de l'article 5, qui ne bénéficie qu'aux Alliés et non aux partenaires.
A cette aune, on comprend l'intérêt qu'ont les Géorgiens pour l'adhésion à l'OTAN, mais aussi notre prudence, mêlée d'embarras, pour leur donner satisfaction ; les Russes n'ont certes pas un droit de regard sur l'OTAN, mais il est impossible de ne pas tenir compte de leur position...
Est-on nécessairement prisonnier de cette contradiction ? Ne peut-on en sortir ?
Cela nous renvoie à la question de l'OSCE, dont on voit bien que les principes ne sont pas effectifs et sont violés par la Russie.L'Acte fondateur, je l'ai dit, demeure une référence, nous n'y renonçons pas. La Moldavie reste très prudente dans ses relations avec l'Alliance.
Vous connaissez la situation en Libye. L'OTAN a été sollicitée, elle a réagi prudemment ; il faudrait une initiative coordonnée, elle est d'autant plus difficile à réaliser que nous manquons d'interlocuteurs.
S'agissant de l'Europe de la défense, il est vrai que la réticence des États à concéder le moindre pouce de souveraineté est un obstacle, mais il y a des progrès à faire, cependant, en renforçant le champ de la majorité qualifiée pour certains types de décisions moins vitales.
Sur le partage du fardeau, enfin, bien des choses ont changé depuis le temps où les Américains regardaient les Européens comme des « chocolatiers », et outre-Atlantique, on désire désormais que les Européens s'engagent davantage. La question se pose aussi entre Européens, puisque la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne représentent à eux trois quelque 60 % de l'effort du continent, cependant que les pays d'Europe orientale diminuent leur effort de défense...
Nous vous remercions chaleureusement pour votre analyse et le temps que vous nous avez consacré.
La réunion est levée à 12h20.