Intervention de Alexandre de Juniac

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 12 novembre 2014 : 1ère réunion
Audition de M. Alexandre de Juniac président-directeur général du groupe air france-klm

Alexandre de Juniac, PDG de Air France-KLM :

Le contexte est très difficile pour le transport aérien et pour Air France-KLM en particulier. Nous sommes dans une activité fortement capitalistique, l'achat des avions pèse lourdement sur les bilans. C'est aussi une activité intensive en main d'oeuvre, avec des salariés très qualifiés et qui sont pour l'essentiel des nationaux - c'est vrai à Air France-KLM comme dans les autres grandes compagnies historiques. Notre contribution économique directe est enfin importante, aussi bien pour le développement territorial, voyez les pôles aéroportuaires en Ile-de-France qui essaiment bien au-delà de la région capitale, que pour la balance des paiements courants, puisque nous sommes exportateurs de services. L'activité aérienne peut également être qualifiée de « critique », au sens où il n'y a pas de grand pays sans grande compagnie aérienne - c'est important pour les millions de touristes que nous acheminons dans notre pays, mais aussi pour nos entrepreneurs, nos cadres et tous les professionnels qui se rendent plus facilement dans le reste du monde depuis le territoire national ; cela vaut tout autant pour les Pays-Bas, où KLM est une compagnie de la Couronne, une compagnie plus ancienne qu'Air France puisqu'elle a été créée quatorze ans avant la compagnie française, une compagnie qui a d'emblée été tournée vers le lointain puisqu'elle a eu très tôt le record mondial pour une ligne long courrier, avec un Amsterdam-Djakarta dès 1929, imaginez le périple... Enfin, nous sommes dans une activité exposée à toutes les crises, qu'elles soient politiques, sociales ou climatiques : un coup d'Etat, l'éruption d'un grand volcan, une révolution, autant d'événements qui peuvent avoir une influence directe sur notre activité, et auxquels nous devons nous adapter.

Deuxième élément du contexte, le marché de l'aérien. Il évolue en continuant de croître, puisque le nombre de passagers augmente chaque année et que la tendance va se poursuivre : on estime à 50 millions le nombre de personnes, dans le monde, qui accèdent chaque année au pouvoir d'acheter un billet d'avion. De son côté, l'activité cargo s'est stabilisée, après s'être effondrée avec la crise de 2008. Enfin, la maintenance croît rapidement, parallèlement à l'évolution de la flotte. Le marché se déplace vers le low cost, qui représente déjà 40 % du trafic en Amérique du Nord et 45 % en Europe, et qui va continuer à progresser puisqu'il répond à la demande des consommateurs pour le court et moyen-courrier.

Troisième élément du contexte : en plus de s'être renforcée « par le bas » avec les compagnies low cost, la concurrence s'est renforcée « par le haut » avec les grandes compagnies du Golfe, qui proposent une offre de grande qualité sur le long-courrier, répondant à une stratégie de leurs Etats respectifs. Depuis deux ans, la première compagnie pour le nombre de liaisons intercontinentales n'est plus Air France-KLM, mais Emirates. Cette concurrence est d'autant plus rude qu'elle n'est guère équitable, car les compagnies du Golfe ne paient pas de charges d'infrastructures dans leur pays, alors que ces charges pèsent lourdement sur les compagnies européennes et américaines. Notre groupe, percevant depuis longtemps le danger, en a alerté les pouvoirs publics, qui se sont mobilisés pour tenter d'obtenir des conditions de concurrence équitables. Les choses progressent trop lentement, en tout cas beaucoup moins vite que l'activité de ces compagnies concurrentes : elles parviennent même à prendre des parts de marché sur le trafic entre l'Europe et l'Asie du Nord-Est, alors que leurs trajets sont bien plus longs et comportent une escale.

Le progrès des compagnies low cost est tout aussi impressionnant : avec 80 millions de voyageurs, Ryanair transporte en Europe autant de voyageurs qu'Air France-KLM dans le monde. Les compagnies low cost s'implantent dans de très nombreuses villes, se développant en réseau multipolaire, alors que les grandes compagnies se sont toujours développées à partir d'une seule base, d'un centre qui est leur hub. Leur modèle de développement est différent, nous luttons avec nos moyens, en demandant que les conditions de concurrence soient équitables, en particulier que les compagnies appliquent le droit local, conformément aux règles européennes ; nous agissons en justice dès que nous constatons que ce n'est pas le cas, les choses avancent, mais encore trop lentement.

Une chose réunit les compagnies low cost et les compagnies du Golfe : leur capacité à avoir créé des marques transnationales, à l'échelle mondiale ou européenne, sans identification à un pays particulier - mais plutôt à un produit, c'est une approche très différente de celles des compagnies historiques.

Comment notre groupe s'adapte-t-il à cette nouvelle concurrence et qu'attendons-nous, qu'espérons-nous des pouvoirs publics pour atteindre nos objectifs ?

J'ai déjà eu l'occasion de vous présenter notre plan stratégique Transform 2015, que nous avons lancé en 2012 pour remettre notre compagnie sur la bonne piste après des années de pertes massives et alors que la dette venait de tripler pour atteindre 6,5 milliards d'euros. Ce plan très ambitieux prévoyait d'améliorer la compétitivité de 20 %, pour l'entreprise dans son ensemble et pour chacune des trois catégories de personnels - pilotes, hôtesses-stewards et sol -, chacune l'ayant négocié et signé ; il engageait également un plan de départs volontaires pour quelque 10 000 salariés jusqu'en 2015, principalement chez Air France, KLM étant dans une situation moins défavorable et le droit néerlandais du travail, plus souple, permettant d'autres solutions. Ce plan a été suivi à la ligne, le déroulement en a été tout à fait exemplaire, « comme à la parade », et la grève qui vient de se dérouler n'en change pas la trajectoire : elle n'en fait que retarder l'échéance puisqu'en imposant 500 millions de pertes de recettes, elle nous conduit à un déficit d'exploitation de 330 millions d'euros, empêchant de terminer l'année 2014 en positif, comme nous l'espérions.

Après Transform, qui prend fin au 1er janvier prochain, débutera le plan Perform 2015-2020 qui est axé non plus sur la restructuration, mais sur la croissance, en sus de la compétitivité. Nous poursuivrons la montée en gamme initiée et déjà réussie avec Transform : nous jouons la carte du luxe à la française, de l'excellence de nos produits, de notre cuisine, le groupe investit 1 milliard de dollars pour que sur nos long-courrier les sièges de la business class soient convertibles en lit, pour que nos clients sachent qu'en choisissant Air France-KLM, ils auront le meilleur du service que propose notre pays - voilà ce qui nous fera gagner dans la course avec des compagnies qui auront toujours des coûts moindres que les nôtres, la réponse est dans la qualité de service.

Deuxième axe, celui de la croissance, avec une stratégie adaptée à chacun des grands segments de nos métiers. Dans le long-courrier, elle passe par des alliances, par la structuration de notre partenariat d'échelle mondiale. Comme nous l'avons fait avec Delta aux Etats-Unis, avec GOL au Brésil, nous devrons passer alliance avec une ou plusieurs grandes compagnies chinoises, avec une grande compagnie du Golfe : c'est notre stratégie du looking East. Elle est dans l'intérêt de notre groupe. Songez que notre joint venture avec Delta réalise un chiffre d'affaires de 12 milliards de dollars, c'est davantage que British Airways, avec une rentabilité à deux chiffres, c'est tout à fait exceptionnel dans le secteur aérien.

Pour le court-moyen-courrier, la croissance passe par une réponse au défi que nous posent les compagnies low cost : c'est la raison d'être de Transavia. A l'intérieur du continent européen, le seul marché en croissance est celui du low cost : nous ne pouvons pas en être absents, d'autant que c'est parce que nous y serons, avec le bon outil, que nous prendrons de la valeur pour nos interlocuteurs extra-européens. Disposer d'une compagnie low cost, comme le fait Lufthansa avec Germanwings ou British Airways, via IAG, avec Vueling, c'est valoriser nos racines européennes, c'est être plus forts dans les négociations avec les compagnies américaines ou chinoises. De plus, les compagnies low cost gagnent de l'argent, ce qui en fait un investissement intéressant.

Pour la maintenance, où Air France-KLM tient le deuxième rang mondial, derrière Lufthansa-Technik, notre croissance passe par de la proximité avec nos clients, en particulier en Amérique du Nord, le premier marché. Nous y développons en conséquence des stocks de pièces détachées.

Côté cargo, nous aurons achevé notre restructuration en 2015 ou 2016, la quasi-totalité de la marchandise sera transportée en soute des avions de passagers, c'est l'évolution du marché, rendue possible par l'extension des soutes dans ces avions.

Enfin, nous développons notre double hub de Paris-Charles-de-Gaulle et d'Amsterdam-Schiphol, qui est la porte qu'Air France-KLM ouvre sur le monde entier, cela exige un effort constant d'attractivité et de compétitivité. Nous demandons effectivement un allègement des charges de transport aérien, le rapport de Bruno Le Roux va dans ce sens. La taxe sur les voyageurs en correspondance, par exemple, nous pénalise par rapport à d'autres hubs y compris européens. Les enjeux sont importants par exemple pour l'organisation de congrès - je pense aux congrès de médecine, où la France est bien positionnée mais où des hubs comme Dubaï font des progrès rapides. Nous demandons un allègement de ces charges dans les meilleurs délais puis, à plus long terme, une négociation avec les Etats du Golfe pour rééquilibrer les conditions de la concurrence, pour construire un level playing field, comme disent les Anglo-Saxons, un terrain qui ne privilégie aucune des parties.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion