Intervention de Claude Nougein

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 14 janvier 2015 : 1ère réunion
Accords de partenariat et de coopération avec l'irak — Examen du rapport et des textes de la commission

Photo de Claude NougeinClaude Nougein, rapporteur :

Ces deux accords participent à la reprise des relations avec l'Irak, interrompues depuis la guerre du Golfe en 1990-91. Ils visent à fournir un cadre plus solide à la coopération opérée par l'Union européenne et par la France, rendu nécessaire par les nouveaux besoins apparus depuis 2003, lesquels s'apparentent à ceux des États en post-crise.

Les négociations en vue d'un accord de partenariat et de coopération entre l'Union européenne et l'Irak ont été ouvertes en novembre 2006 ; l'accord signé le 11 mai 2012.

L'accord bilatéral est, quant à lui, au nombre de ceux signés en novembre 2009 à la suite de la visite des plus hauts dirigeants des deux Etats, à Paris et à Bagdad.

Depuis leur signature, le contexte intérieur irakien n'a pas facilité les actions de coopération mises en oeuvre.

La situation s'est de surcroît considérablement dégradée en 2014 avec les offensives de Daech, conduisant à une intervention militaire de la France et de certains pays membres de l'Union européenne aux côtés du gouvernement irakien. Elle a aussi conduit au remplacement, en septembre 2014, du gouvernement de M. Al-Maliki, très critiqué, dont le sectarisme a fourni un terreau propice à Daech pour étendre son emprise dans les régions sunnites. La réintégration des sunnites dans le jeu politique et institutionnel est donc cruciale. En outre, les relations entre le gouvernement fédéral et la région autonome du Kurdistan s'étaient fortement tendues, ajoutant un facteur d'instabilité supplémentaire.

Le gouvernement de rassemblement formé par M. Al-Abadi a obtenu la confiance du Parlement, à l'issue de tractations intenses. Chaque partie a dû se résoudre à d'importantes concessions et surmonter les divisions. Le nouveau Premier ministre se donne pour priorité la réconciliation, la consolidation de l'Etat de droit, une organisation plus décentralisée, la neutralité de la fonction publique et des forces de sécurité. Avec la région autonome du Kurdistan, la conclusion de plusieurs accords a réduit les différends.

Pour rétablir la souveraineté de l'Etat, il doit faire des concessions aux différentes composantes, sans susciter l'ire de la majorité chiite et de sa frange la plus radicale. On mesure la complexité de la tâche. Il aura besoin de l'appui de la communauté internationale. Il s'agit d'un objectif de la Conférence sur la paix et la sécurité en Irak, réunie à Paris le 15 septembre 2014.

Enfin cette situation de guerre civile a affaibli l'économie irakienne depuis 2013, ce qui fragilise davantage encore le pays.

Avec l'Union européenne qui dispose, depuis 2005, d'une délégation à Bagdad, les relations ont pris une forme classique.

Compte tenu de sa situation dans les années 1990 à 2003, de sa taille et de ses capacités internes, l'Irak n'a pu être associé à la démarche, alors en gestation, de partenariat avec les pays du sud et de l'est de la Méditerranée à l'instar de certains de ses voisins.

Depuis 2003, l'Union européenne a soutenu les efforts de reconstruction en engageant plus d'un milliard d'euros. Une des priorités était aussi la mission Eujust/Lex, dont le mandat s'est achevé en 2013, qui avait pour but de renforcer l'État de droit par des actions de formation des forces de police, de la justice ou de l'administration pénitentiaire.

Les relations vont donc déboucher sur la signature en 2012 de l'accord de partenariat et de coopération mais aussi sur un dialogue politique dont les axes prioritaires s'articulent autour de la gouvernance et l'état de droit, l'énergie durable, l'éducation et la formation professionnelle, et un volet société civile. L'Union européenne et l'Irak ont signé, en janvier 2010, un protocole d'accord relatif à un « partenariat énergétique stratégique ».

Toutefois, jusqu'à présent, les résultats ont été mitigés. Le niveau d'appropriation des programmes par les autorités a été plutôt faible. Très peu de projets ont été orientés vers les ONG et la société civile. Enfin, la dégradation de la situation sécuritaire freine les projets en cours et ne permet pas d'en lancer de nouveaux.

Avant le déclenchement de la crise actuelle, l'Union européenne était le deuxième partenaire commercial de l'Irak. En 2012, les échanges avaient atteint un montant total de 17,5 milliards d'euros dont 12,8 milliards d'euros d'importations, dominées à 99,7% par le pétrole. Pour ce motif, ils sont donc fortement déséquilibrés. Sur le marché irakien, l'Union européenne est devancée par la Turquie (26%) et par la Chine (15%).

Avec la France, les relations politiques ont été fluctuantes. Florissantes dans les années 1970 et 1980, elles se sont sévèrement dégradées depuis 1990 et ont eu quelques difficultés à redémarrer après 2003 en raison de la mauvaise compréhension de notre position lors de l'intervention militaire de la coalition menée par les Etats-Unis. Elles ont repris de façon plus forte à partir de 2009 et sont affermies aujourd'hui par le soutien militaire apporté dans la lutte contre Daech.

Sur le plan économique, le montant des échanges s'élève à 1,4 milliard d'euros, dont 500 millions d'exportations françaises (2% de part de marché). Les investissements français sont en stock de l'ordre de 2 milliards d'euros, si l'on y inclut les opérations réalisées par les filiales ou des structures de support à l'étranger.

Les relations culturelles sont à l'image des relations politiques : intenses dans les années 1970 et 1980, réduites à l'enseignement de la langue française au sein du centre culturel depuis les années 1990.

Il existe un Institut français à Bagdad et une antenne à Erbil depuis 2009.

Dans le domaine de la recherche, à travers l'Institut français du Proche-Orient et cinq missions de fouilles archéologiques, notre présence est surtout active dans la région autonome du Kurdistan.

L'enseignement du français reste difficile du fait de l'omniprésence de l'arabe et de l'anglais. Une centaine d'écoles (sur un total de 4 000 à 5 000) proposent le français comme seconde langue étrangère, et quatre facultés disposent de départements de français. Les moyens financiers de l'ambassade, surtout orientés vers les programmes de bourses, ne permettent pas de soutenir les établissements enseignant le français. En outre, le contexte sécuritaire ne permet pas l'envoi de lecteurs, de volontaires internationaux ou de stagiaires. Dans la région autonome du Kurdistan irakien, un contexte plus francophile facilite les actions mais les moyens financiers restant limités, l'initiative appartient donc aux communautés locales. Deux écoles primaires françaises ont été ouvertes, accueillant environ 200 élèves.

La formation des élites correspond à une forte attente des autorités pour la reconstruction du pays. Elle est susceptible de renforcer l'influence française. Deux programmes de bourses à coût partagé s'adressant à un public qualifié ont été mis en place avec les autorités centrales et avec le gouvernement régional kurde. Toutefois, le faible niveau linguistique et académique de certains boursiers, sélectionnés uniquement par la partie irakienne, la situation sécuritaire qui ne permet pas aux experts français qui devraient désormais participer à la sélection des candidats, et les problèmes financiers du gouvernement régional kurde, ont conduit à une suspension de ces programmes en 2014. Enfin, dans les domaines du renforcement de l'État de droit et de la gouvernance, la France soutient quelques ONG, finance des bourses et des formations au profit de journalistes, mais aussi dans le domaine de la sécurité.

Vous aurez remarqué que les actions, tant sur le plan économique que culturel, se sont développées plus facilement, pour des raisons historiques, pratiques et de sécurité, avec la région autonome du Kurdistan mais toujours en bonne intelligence avec les autorités fédérales de Bagdad. La France s'efforce de maintenir un équilibre entre les régions irakiennes.

Cette coopération est confortée par des accords bilatéraux :

- un accord COFACE qui engage la garantie du gouvernement irakien en cas de défaut de paiement et facilite ainsi les échanges ;

- un accord Agence française de développement qui a permis quelques actions de modeste envergure en raison de la situation sécuritaire et des réticences du gouvernement irakien à recourir aux prêts faiblement concessionnels ;

- un accord sur la protection des investissements qui sera prochainement soumis au Parlement, dont on peut regretter qu'il n'ait pas pu l'être en même temps que les deux projets de loi ;

- enfin, l'accord de coopération en matière de défense que le Sénat a examiné en 2011 sur le rapport de notre collègue Philippe Paul, et qui n'a toujours pas été ratifié par l'Irak, ce qui est dommage car certaines dispositions pourraient constituer un support juridique utile aux missions de conseil et de formation, actuelles et futures.

J'en viens maintenant aux grandes lignes des deux accords soumis à votre appréciation.

Celui avec l'Union européenne est bâti sur un canevas analogue aux accords traditionnellement conclus par l'Union avec des pays tiers. Il institue un dialogue politique structuré et régulier, facilite le commerce et les investissements, prévoit une coopération sectorielle étoffée et des actions plus spécifiques sur les questions de justice, de libertés et de sécurité.

La partie relative au dialogue politique réaffirme la question des droits de l'homme comme socle des relations et prévoit la mise en place d'échanges réguliers sur tous les sujets présentant un intérêt commun, en particulier la paix, la politique étrangère et de sécurité, le dialogue national et la réconciliation, la démocratie, l'Etat de droit, la bonne gouvernance... Elle prévoit également une coopération en matière de lutte contre le terrorisme qui repose en particulier sur des échanges d'informations, conformément au droit international et national, sur des actions de formation et sur des échanges d'expériences. Elle contient des stipulations dans le domaine de la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs, de la lutte contre la dissémination des armes légères et de petit calibre et de la lutte contre l'impunité pour les crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale. Dans chacun de ces domaines, l'Irak s'engage à adhérer aux instruments internationaux, à mettre en oeuvre les normes nécessaires en droit interne et à les appliquer effectivement, ce qui peut s'avérer hors de portée dans la situation actuelle pour la prolifération des armes légères et de petits calibres, par exemple.

Dans le domaine du commerce et des investissements, l'idée consiste à appliquer à l'Irak les règles applicables avec les pays-membres de l'OMC, alors que la candidature de ce pays n'a pas encore été examinée, tout en acceptant des mesures dérogatoires encadrées, limitées dans le temps et justifiées par la situation encore fragile de son économie. La partie comprend, entre autres, des dispositions sur la stimulation des investissements, mais sans prévoir de dispositions sur leur protection, ce qui rend possible et nécessaire d'opérer dans un cadre bilatéral. Je note aussi le soin particulier que les négociateurs de l'Union européenne ont attaché à la rédaction détaillée du volet sur l'ouverture des marchés publics. Il demeure néanmoins, semble-t-il, partiel car son application aux marchés des entités régionales ou locales reste discutable. Il est urgent que l'Union approfondisse cette question et que le Gouvernement y veille, l'ingénierie et la gestion des services aux collectivités locales sont des domaines d'excellence des entreprises françaises.

L'accord prévoit une coopération très étoffée dans un grand nombre de secteurs, que je n'énumérerai pas. Il s'agit, de fait, d'un appui technique à la mise en place de politiques publiques. Son montant restera modeste : de l'ordre de 75 millions d'euros inscrits pour la période 2014-2020 au budget de l'Union.

Enfin, le titre IV prévoit de façon spécifique les actions dans les domaines de la justice, des libertés et de la sécurité, en direction du système judiciaire, en matière de gestion des flux migratoires, de lutte contre la criminalité organisée et la corruption, le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, ainsi que contre les drogues illicites.

Comme la plupart des accords de ce type avec des pays tiers, il s'agit d'un accord dit « mixte », intervenant dans les domaines de compétence de l'Union européenne et de ses Etats membres. S'agissant des stipulations appartenant aux compétences exclusives, une clause permet leur entrée en vigueur à titre provisoire, dès lors que l'Union et le pays tiers l'ont ratifié - ce qui est le cas depuis 2012 - sans attendre l'achèvement des procédures par chaque Etat membre. À ce jour, 13 pays membres ont ratifié cet accord.

La constitution récente d'un gouvernement de transition en Irak et son engagement à inclure plus largement les minorités, rendent cet accord nécessaire. Il devrait renforcer la visibilité de l'action européenne et son influence. Surtout, l'Union européenne pourra l'orienter vers les secteurs les plus défaillants, en particulier l'état de droit, la police et la justice.

J'en termine par l'accord bilatéral de partenariat pour la coopération culturelle, scientifique et technique et pour le développement qui devrait à terme se substituer aux deux accords signés en 1969.

Il est proposé au Sénat d'en autoriser l'approbation cinq années après sa signature. Il n'a toujours pas été ratifié non plus par le Parlement irakien. Ceci traduit un relatif désintérêt des Parties. Celui-ci résulte des dérives du gouvernement Al-Maliki mais aussi de la situation sécuritaire qui relègue ces questions à l'agenda des priorités puisque le contexte ne permet guère de développer les actions de cette nature. Malgré tout, la volonté est de donner aux nouvelles autorités un signal positif. Les accords internationaux comme les lois sont autant des normes que des outils de communication....

On notera aussi que l'absence de ratification n'a pas empêché le développement de certains projets avec des résultats mitigés comme je vous l'ai précédemment exposé. L'accord permettra de répondre à la demande d'expertise attendue par l'Irak dans de nombreux domaines. Il comporte les stipulations traditionnelles destinées à faciliter la mise en oeuvre de la coopération, l'implantation et le bon fonctionnement des centres d'enseignement et des établissements scolaires mais aussi les travaux des missions archéologiques en Irak.

Il répartit les coûts entre les deux Parties, permet le libre transfert des sommes perçues ou versées au titre des activités de coopération (y compris les salaires), des exonérations et franchises de taxes pour les équipements d'appui et transactions de tout ordre dans le cadre des actions de coopération. Il facilite l'accueil des équipes d'assistance technique envoyées par la France pour accompagner les projets ainsi que le déplacement et le séjour des personnels concernés par l'accord.

On pourrait s'interroger sur le décalage entre les besoins prioritaires de l'Irak et l'examen de ces projets de loi, d'autant que la situation sécuritaire ne permet pas d'escompter leur mise en oeuvre avant plusieurs mois ou années.

Pour autant, ils offrent un cadre pour les développements futurs et seront pour certains aspects d'ores et déjà utiles aux autorités irakiennes pour stabiliser la situation politique et renouer le dialogue avec les minorités. Leur ratification permettra aussi d'afficher à l'égard du nouveau gouvernement une forme de bienveillance et d'encouragement et, au fur et à mesure de la stabilisation de la situation, de répondre plus facilement aux besoins structurels de l'Irak, et par conséquence de conforter et de développer nos positions sur le plan économique. Elle manifestera avec force notre volonté de continuer à agir sur le long terme en Irak.

Pour ces raisons, je propose à la commission d'adopter les deux projets de loi d'autorisation.

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