Intervention de François Patriat

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 25 juin 2014 : 1ère réunion
Réforme ferroviaire — Examen du rapport pour avis

Photo de François PatriatFrançois Patriat, rapporteur pour avis :

Le système ferroviaire français, dans sa configuration actuelle, résulte de la loi de 1997 qui a créé Réseau ferré de France (RFF). Il s'agissait alors de séparer le transporteur et le gestionnaire d'infrastructure, conformément aux premières règles européennes en la matière.

Seulement, nous ne sommes pas allés au bout de la logique. En effet, si RFF est propriétaire et gestionnaire de l'infrastructure, il se doit se tourner vers une filiale de la SNCF - SNCF-Infra - pour réaliser les travaux. SNCF-Infra, qui comprend environ 40 000 cheminots, est ainsi qualifiée de gestionnaire d'infrastructure délégué. Cette solution avait été retenue en 1997 afin de préserver la paix sociale au sein de l'entreprise SNCF.

Le gestionnaire d'infrastructure et le gestionnaire d'infrastructure délégué sont donc dans une situation de collaboration forcée, formalisée par de nombreuses conventions, au contenu procédural et tatillon.

En 1997, RFF a repris 20,5 milliards d'euros de dette à la SNCF. Ainsi, l'opérateur historique retrouvait des marges de manoeuvre financières pour son développement. En outre, l'État ne reprenant pas cette dette, il était plus aisé d'atteindre les critères de Maastricht en vue du passage à l'euro. RFF est en effet considéré comme une entreprise commerciale puisque son actif - le réseau - lui procure des recettes qui permettent de couvrir son passif. RFF n'est donc pas consolidé dans les comptes des administrations publiques. C'est, en quelque sorte, une structure de cantonnement d'une dette quasi-publique.

Enfin, RFF pilote la gestion et l'attribution des « sillons », c'est-à-dire des créneaux de circulation sur le réseau, mais c'est une direction autonome de la SNCF, appelée la direction de la circulation ferroviaire (DCF), qui en assure la gestion opérationnelle au quotidien.

Pour résumer, RFF, bien que propriétaire et gestionnaire de l'infrastructure, est obligé de s'en remettre à deux filiales du transporteur historique - SNCF-Infra et la DCF - pour mener à bien ses missions.

Aujourd'hui, ce système fonctionne mal. S'agissant de la gestion des sillons, la France a été condamnée l'année dernière par la Cour de justice de l'Union européenne. Il faut donc que la DCF quitte le giron de la SNCF pour être pleinement intégrée à RFF.

S'agissant de la maintenance, une enquête de la Cour des comptes demandée en 2012 par Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur spécial pour les transports terrestres, avait tracé un constat accablant.

RFF et SNCF-Infra sont des partenaires contraints avec des objectifs contradictoires. Guillaume Pépy, président de SNCF, et Jacques Rapoport, président de RFF, disent eux-mêmes que les deux entreprises ont l'habitude de se « faire la guerre ». En conséquence, elles ont conclu différentes conventions dont le suivi est assuré par plus de 200 personnes de part et d'autre. Les systèmes d'information ne sont pas non plus compatibles.

Plus grave, les coûts d'entretien du réseau sont insuffisamment maîtrisés. Les arbitrages entre sillons et travaux sont mal assurés. En effet, le gestionnaire doit arbitrer entre réaliser des travaux et perdre des recettes de péages. Il s'agit d'un réglage fin, que les deux entreprises, faute d'une bonne communication, ne réalisent pas au mieux.

Le diagnostic est largement partagé. Il avait fait l'objet d'un consensus lors des Assises du ferroviaire, organisées par le Gouvernement à la fin 2011.

Le remède est lui aussi consensuel : il s'agit de réunir au sein d'un même établissement public RFF, SNCF-Infra et la DCF. C'est ainsi que le projet de loi crée un nouvel établissement public industriel et commercial appelé SNCF Réseau. Ce dernier sera donc le propriétaire et le gestionnaire à part entière de l'ensemble du réseau ferré national.

Un autre établissement public industriel et commercial est également créé. Il poursuit les activités de l'opérateur historique en matière de transports de voyageurs et de marchandises. Il s'appellera SNCF Mobilités.

SNCF Mobilités et SNCF Réseau sont deux filiales parfaitement étanches l'une de l'autre, pour des raisons d'euro-compatibilité. Elles sont coiffées par un établissement public industriel et commercial (EPIC) appelé SNCF.

La tête aura vocation à assurer des fonctions transversales à l'ensemble du groupe (sûreté ferroviaire, informatique, définition de la politique de ressources humaines, etc.).

Ainsi, le projet de loi procède à la réunification de l'infrastructure mais aussi à la création d'un groupe public ferroviaire. C'est un point important d'un point de vue financier.

La dette ferroviaire atteint environ 44 milliards d'euros, à raison de 7 milliards d'euros pour la SNCF et de 37 milliards d'euros pour le gestionnaire du réseau. La dette de la SNCF apparaît sous contrôle et ne pose de problème particulier.

En revanche, la dette de RFF est plus préoccupante. En l'état actuel, l'établissement est confronté à un déficit annuel de 1,5 milliard d'euros au titre de la maintenance du réseau existant. En outre, il doit également lever environ 1,5 milliard d'euros pour financer le développement de quatre nouvelles lignes à grande vitesse (LGV), qui seront mises en service à compter de 2017.

Ainsi, en l'absence de réforme, on estime que la dette de RFF pourrait atteindre 70 milliards d'euros d'ici dix ans. Il est donc urgent d'agir et de rétablir les comptes du gestionnaire.

L'équilibre financier de la réforme est le suivant. D'abord, la constitution de SNCF Réseau doit permettre de dégager de substantiels gains de productivité et de mutualisation, estimés à environ 900 millions par an d'ici dix ans.

Ensuite, SNCF Mobilités est engagé dans un plan de performances qui doit permettre de dégager 500 millions d'euros en 2020. Une partie de cette somme serait transférée de SNCF Mobilités vers SNCF Réseau via l'EPIC de tête. Autrement dit, une partie des bénéfices de Mobilités permet de rééquilibrer les comptes du gestionnaire du réseau, d'où l'importance de constituer un groupe unique. Parallèlement, l'État ne percevrait plus de dividendes de la part de SNCF Mobilités.

Enfin, l'État a accepté que le groupe ferroviaire se constitue en groupe fiscal. Ainsi, les déficits de SNCF Réseau pourront être compensés par les bénéfices de SNCF Mobilités, ce qui réduit l'impôt sur les sociétés dû par le groupe.

Au total, l'effort de l'État, au titre de l'abandon du dividende et de l'impôt sur les sociétés, représente un gain de 500 millions d'euros pour SNCF Réseau.

L'objectif poursuivi par la réforme consiste donc à stabiliser la dette de SNCF Réseau à horizon dix ans. Je note cependant que mes interlocuteurs sont restés très prudents sur la cible visée d'ici 2025. Certains ont évoqué une stabilisation à hauteur de 60 milliards d'euros à cette date.

Le projet de loi comprend des garde-fous pour éviter que SNCF Réseau ne dérive de la trajectoire financière fixée par l'État.

Ainsi, l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF) a pour mission d'émettre un avis sur le projet de budget annuel de SNCF Réseau et de l'inciter à le corriger s'il s'écarte de la trajectoire retenue.

Le second garde-fou, c'est la « règle d'or » ou règle prudentielle pour le financement des investissements de développement, c'est-à-dire l'ouverture de nouvelles lignes.

Aujourd'hui, l'article 4 des statuts de RFF prévoit que, pour la création d'une nouvelle ligne, il ne peut s'endetter qu'à hauteur des recettes prévisionnelles. Dans le cas contraire, les autorités publiques doivent apporter le complément de financement.

En pratique, le retour sur investissement de plusieurs lignes mises en chantier récemment risque de se révéler plus faible que prévu. Autrement dit, RFF va devoir supporter une part du financement plus importante. Le renforcement de la règle d'or part donc du constat que les opérations de développement ont lourdement pesé sur les comptes de RFF.

Le projet de loi propose de réécrire la règle d'or. Ainsi, la capacité de SNCF Réseau de financer des investissements serait évaluée en fonction de différents ratios, notamment le poids de la dette par rapport à sa marge opérationnelle. Si SNCF Réseau apparaît déjà comme étant trop endetté, il ne pourra pas investir dans un projet de développement.

Dans le cas contraire, il pourra investir mais, tout comme aujourd'hui, seulement à hauteur des recettes attendues. Le respect de la règle d'or est lui-même surveillé par l'ARAF.

Cette trajectoire financière est-elle tenable ?

Aux dires de la SNCF et de RFF, l'État ne va pas assez loin et les comptes ne seront pas équilibrés à horizon dix ans. Il est vrai que des contraintes fortes pèsent sur le secteur.

D'abord, les recettes de SNCF Réseau risquent de ne pas être dynamiques. La crise économique a conduit à une baisse du trafic voyageurs et de marchandises. Les hausses des péages d'infrastructure, fortes ces quatre dernières années, seront limitées au moins jusqu'en 2018. SNCF Réseau ne pourra donc pas augmenter ses recettes par un effet-prix.

Ensuite, les subventions publiques seront, au mieux, maintenues mais il y a peu de chance pour qu'elles augmentent.

Enfin, SNCF Réseau reste exposé, comme l'État, au risque que les taux d'intérêt remontent dans les mois qui viennent.

Les efforts sur la dépense devront donc être très importants. L'idée de la reprise d'une partie de la dette de SNCF Réseau par l'État est régulièrement avancée pour l'aider à retrouver plus rapidement une trajectoire financière équilibrée.

Cette idée s'appuie notamment sur le fait que l'INSEE, le mois dernier, a requalifié un tiers de la dette de RFF, soit environ 10 milliards d'euros, en dette publique. Il s'agit donc de la fin d'un tabou et peut-être aussi d'une forme d'hypocrisie.

Néanmoins, il faut souligner que l'INSEE a reconnu qu'un actif - le réseau - était inscrit face à cette dette. En conséquence, le stock de dette publique nette - celui qui est pris en compte pour le calcul des ratios « maastrichiens » - n'est pas modifié.

À l'inverse, si l'État venait à reprendre cette dette, il n'y aurait plus d'actif inscrit en contrepartie et la dette nette augmenterait à due concurrence. La reprise de dette me semble être fausse bonne idée pour l'instant.

D'abord, RFF reste un emprunteur crédible sur les marchés. Une analyse de Standard & Poor's montre que les investisseurs considèrent qu'il s'agit d'une dette de l'État français. La dette est donc peu risquée et la différence de taux d'intérêt entre RFF et l'État est minime. En pratique, il n'y a pas d'urgence à libérer RFF de ce fardeau.

Surtout, on pourrait s'interroger sur le caractère vertueux d'une reprise de dette par l'État. Aujourd'hui, le poids de la dette est un puissant moteur pour que RFF, puis SNCF Réseau, se transforme et se modernise. C'est aussi un aiguillon qui pousse à choisir avec parcimonie les projets de développement.

Enlever un tiers de la dette ne contribue pas à nous interroger collectivement sur les bons choix à opérer pour notre réseau ferré national. En particulier, tous les rapports d'expertise soulignent que le réseau est trop grand et qu'il doit être réduit pour que nous réussissions à le maintenir dans un état de performance acceptable. L'année dernière, le rapport de la Commission Mobilité 21 a souligné que nous devions faire des choix, établir des priorités entre la construction de nouvelles infrastructures et maintenir le réseau en l'état. La reprise de la dette ne doit pas occulter ces questions fondamentales.

Ceci étant dit, il y a également un consensus pour dire qu'une partie de la dette de SNCF Réseau ne sera pas amortissable par le système ferroviaire. À terme, l'État sera donc probablement contraint d'en reprendre une partie.

L'article 2 ter du projet de loi, voté à l'initiative du rapporteur pour avis de la commission des finances de l'Assemblée nationale, demande au Gouvernement de rendre un rapport, d'ici deux ans, afin d'étudier les possibilités permettant de « traiter l'évolution de la dette historique du système ferroviaire ». Faudra-t-il faire une caisse d'amortissement de la dette ferroviaire (CADEF) ? La question sera posée.

Cela me semble un bon compromis. Pour l'instant, la reprise de dette ne me paraît pas urgente, moins urgente en tout cas qu'une réflexion collective sur le devenir de notre réseau.

Sous le bénéfice de ces observations et des amendements que je vous proposerai, je suis d'avis que la commission des finances propose au Sénat d'adopter le projet de loi portant réforme ferroviaire et, plus particulièrement, les articles 1er, 2, 2 ter, 4 et 5 qui comportent des dispositions qui intéressent plus directement l'équilibre financier de la réforme.

Ce texte de loi a quatre points essentiels. Celui de maintenir l'unité de la SNCF ; celui de garantir le statut des personnels ; celui de permettre de faire des économies et de réduire la dette ; celui de permettre l'ouverture à la concurrence que demande l'Europe d'ici 2019.

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