Je n'ai pas l'opinion définitive et déterminée de certains, car je suis utilisateur de la SNCF, et j'ai aussi connu, comme tout exécutif local, les demandes qui nous sont faites par les uns et les autres. Cette réforme est complexe - si les solutions étaient simples, cela se saurait depuis des années. C'est d'ailleurs pour cela qu'à l'Assemblée nationale comme au Sénat, à gauche comme à droite, les opinions des uns et des autres peuvent être différentes et parfois concordantes. Cela d'ailleurs ne me choque pas : je pense que l'un des défauts du système politique français est d'empêcher les accords transpartisans, sauf à être condamné par son propre camp... alors que dans le même temps le parti populaire européen (PPE) et les sociaux-démocrates (S&D) se mettent d'accord pour présider alternativement le Parlement européen.
La SNCF n'est pas une entreprise comme les autres. C'est une entreprise qui a une histoire, une histoire importante dans les moments difficiles de notre pays, et qui touche énormément de Français chaque jour - c'est pour cela que les conflits sociaux sont compliqués.
Voici ce que je comprends de la réforme. Alors que la dette de 44 milliards d'euros augmente de 3 milliards d'euros par an, la réforme permettrait d'économiser 1,5 milliard d'euros chaque année. De plus, les discussions à l'Assemblée nationale ont permis de dégager un socle social commun, avec notamment un comité central d'entreprise (CCE) unique, qui a convaincu, sinon l'ensemble, au moins un certain nombre de cheminots et de syndicats. Enfin, une règle d'or prévoit que ceux qui demandent de nouvelles lignes - l'Etat ou les collectivités - en assurent le financement. Je pense qu'il s'agit d'une réforme compréhensible pour les Français et d'une véritable avancée à défaut de solution complète. C'est toujours mieux que le statu quo.
Je souscris au propos de Marie-France Beaufils : comme tout service public, le transport ferroviaire ne peut fonctionner sans subvention publique. Certes, l'Allemagne n'a plus de dette ferroviaire, mais la raison est très simple : lors de la réunification, il a été décidé du rachat total des dettes des deux systèmes, celui de la République fédérale d'Allemagne et celui de la République démocratique d'Allemagne - rachat d'ailleurs en partie payé par l'Union européenne. Mis à part ce cas très particulier, le système ferroviaire ne s'autofinance dans aucun pays à ma connaissance.
Le TGV illustre le fait que la SNCF est une entreprise spéciale. Le TGV ne s'est certes pas beaucoup vendu : à l'Espagne, à l'Italie, à la Corée du Sud et au Maroc - et encore dans ce dernier cas s'agit-il d'une compensation du roi pour avoir préféré le F16 américain au Rafale français. Mais le TGV, c'est aussi un rêve français. Bien sûr, on pourrait raisonner en purs technocrates et en constater après le résultat - notamment la progression de certains partis. Le TGV ne s'est pas vendu, mais il est quand même une grande réussite technologique de l'intelligence française. On peut se moquer des records de vitesse, mais pour beaucoup dans notre pays, c'est une fierté - et je ne m'en désolidarise pas. Évidemment, nous pourrions avoir de meilleurs commerciaux, mais il reste que nos ingénieurs ont accompli quelque chose de bien. Il est légitime que les cheminots en soient fiers.
Un dernier mot sur les gares-bois évoquées par François Patriat. Il y a dans certaines régions des mots sacrés, et j'imagine qu'en disant « le bois ! » dans un hémicycle, on suscite immédiatement l'enthousiasme des écologistes, des sylviculteurs, du monde agricole, des conseillers généraux, de certains maires etc.
Ensuite, les choses s'enchaînent : nous avons le plus grand réseau forestier, mais nous n'arrivons pas à le vendre, faute de pouvoir le transporter. Comment le transporter ? Arrêtons les camions qui polluent et choisissons le rail. On ne peut que voter pour cela ! Ensuite, les syndicats accentuent leurs pressions, enthousiastes devant les perspectives de créations d'emplois. Puis l'on trouve un petit village avec une gare en dépérissement : c'est l'endroit idéal pour la gare-bois, car cela permettra de maintenir l'école. Et pour peu que le directeur de l'école vienne s'étonner que l'on transporte du bois - même si cela ne marche pas - et pas des élèves, on décide de faire passer un TER !
Bien sûr, je suis le seul à céder à ce genre de pressions, à avoir cette espèce de faiblesse devant les électeurs... Je fais cette confession. Je sais que chacun, autour de la table, a refusé de manger de ce pain-là, n'ayant pour seul souci que le solde structurel du pays. Je demande donc à tous ceux qui savent lutter de me dire comment ils ont réussi à le faire !
Plus sérieusement, il faut bien comprendre que c'est notre système lui-même qui aboutit, de fil en aiguille, à cette situation : la responsabilité est partagée.