Intervention de Yaëlle Amsellem-Mainguy

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 16 juillet 2014 : 1ère réunion
Table ronde sur la jeunesse

Yaëlle Amsellem-Mainguy, chargée d'études et de recherches à l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire :

L'INJEP est, pour le moment, un établissement public autonome dépendant du ministre chargé de la jeunesse. Je ne me mettrai pas davantage en difficulté face à ma tutelle.

Même s'il est impossible de dresser un portrait de la jeunesse en cinq minutes, il me semble important d'insister sur le fait qu'il existe une jeunesse et des jeunes. Il s'agit bien de passer de l'enfance à l'âge adulte, il s'agit bien de parcours de vie, de biographies, de transitions. On n'est plus dans des trajectoires uniformes comme on a pu les connaître pendant longtemps, où l'on se transmettait une entreprise de père en fils ou, plus rarement en France, de mère en fille.

On le voit bien au cours des entretiens que l'on mène, et des enquêtes statistiques que l'on réalise, toutes les biographies des jeunes sont faites d'allers et de retours. Il n'y a plus de passage net et définitif vers l'âge adulte. Toutes les enquêtes que nous menons montrent que les étapes qui pouvaient exister naguère ne s'enchaînent plus comme auparavant : finir ses études pour accéder à l'emploi, se marier, partir de chez ses parents, et enfin avoir un enfant, ce qui constituait le but ultime.

Aujourd'hui, on arrête ses études, puis on peut les reprendre, on part de chez ses parents, on vit en colocation, on revient chez ses parents et on part mener des études ailleurs. On déménage temporairement, on a un partenaire ou une partenaire, puis le couple se sépare et l'on revient chez ses parents.

Le passage à la parentalité, sur l'ensemble du territoire, ne constitue plus un marqueur du passage à l'âge adulte : ainsi nombre de jeunes couples avec enfants vivent chez leurs parents, notamment, en outre-mer ou en Picardie.

Ces éléments, qui ont beaucoup marqué les étapes du passage à l'âge adulte jusqu'aux années 1980, sont beaucoup moins opérants aujourd'hui, même s'ils restent des indicateurs importants dans le parcours de vie, notamment dans la manière dont les jeunes les racontent.

Il me semble important de rappeler que l'adolescent constitue un public spécifique, même si les problématiques qui lui sont liées dépassent largement cette tranche d'âge. Cette étape échappe largement aux politiques publiques, puisqu'elle est située entre l'enfance et l'âge adulte, entre dix et dix-sept ans, entre le collège et le lycée. C'est une période qu'on saisit mal, qu'on saisit peu.

Les jeunes passent d'un environnement marqué par l'importance de la famille, où les valeurs sont prescrites par les parents ou par l'école, à un environnement marqué par les amis, qui imposent peu à peu de nouvelles normes et de nouveaux codes sociaux. C'est bien là que réside la difficulté de savoir que faire de ces jeunes, comment les accompagner, entendre ce qu'ils veulent, même si cela ne correspond pas forcément à nos souhaits.

Si, entre douze et quatorze ans, les préoccupations et les rythmes scolaires sont primordiaux dans leurs discours, et les occupations de loisirs vécues davantage comme une contrainte, à partir de quatorze - quinze ans, les jeunes sont partagés entre leurs amis, qui prennent de plus en plus de place dans leur vie sociale et les activités extrascolaires. Il faut l'entendre : sortir entre amis, aller au cinéma, dans des centres commerciaux, rester sans rien faire, c'est extrêmement important quand on est jeune. Même si les adultes passent leur temps à dire que, lorsqu'on ne fait rien, on perd son temps, pour les jeunes, quand on ne fait rien, on fait beaucoup de choses : on parle, on lit, on écoute de la musique, on débat de l'actualité, de la société, on parle avec ses copains !

Derrière cette impression de génération homogène, les jeunes sont cependant loin d'être égaux devant les difficultés qui se concentrent sur les moins diplômés ou les non diplômés, sur ceux qui sont les plus éloignés des centres urbains ou des métropoles. Les parcours d'entrée dans la vie adulte se sont diversifiés et la jeunesse est de mieux en mieux formée. Elle a donc des attentes de plus en plus fortes et les exprime, ce qui change de la jeunesse d'il y a quarante ans, qui était moins formée, avait des attentes moins précises et des déceptions moins fortes, à la hauteur de la formation qu'elle avait reçue.

70 % d'une génération sortent aujourd'hui du système éducatif avec au moins le baccalauréat en poche, 42 % sont diplômés de l'enseignement supérieur mais, à l'autre bout de l'échelle, près de 20 % ont quitté le système éducatif sans aucun diplôme. Ces constats sont à nuancer selon l'origine sociale : un enfant d'enseignant a quatorze fois plus de chances de décrocher un baccalauréat qu'un fils d'ouvrier non qualifié ; à l'inverse un enfant d'ouvriers a presque autant de risques (un sur quatre) de sortir sans diplôme que de chances (un sur quatre aussi) d'être diplômé du supérieur.

La jeunesse est confrontée à deux phénomènes particulièrement alarmants, à propos desquels on doit tous être vigilants, qui sont l'appauvrissement et l'exclusion. Ces phénomènes frappent aujourd'hui quasiment le quart des jeunes, contre 13 % de la population en général.

Presque un jeune sur quatre se trouve en dessous du seuil de pauvreté. Tout ceci fait émerger un public que les structures luttant contre l'exclusion sociale -Restos du coeur, Croix-Rouge, ATD Quart Monde- ne connaissaient pas jusqu'alors : personnes de plus en plus jeunes, sans lien avec leurs parents, sans ressource financière, plutôt peu qualifiées. Depuis peu, on voit également de plus en plus de jeunes femmes.

Les « NEET » (« not in education, employment or training »), ces jeunes qui ne sont ni étudiants, ni employés, ni stagiaires, et qui ont fait l'objet d'un article dans Le Monde il y a deux jours, constituent un indicateur pour l'Europe. C'est surtout le cumul de certains facteurs qui explique leur mise à l'écart. Ils sont plus souvent issus de l'immigration, ont fréquemment un faible niveau d'éducation, vivent ordinairement dans une région reculée, appartiennent plus généralement à des ménages à faibles revenus.

Les « NEET » représentent environ 18 % à 20 % de la tranche d'âge des 18-24 ans, et sont 21 % des 25-29 ans, avec un gros écart entre les femmes, plus touchées, et les hommes. Ceci doit nous alerter sur les inégalités territoriales, et les inégalités entre les hommes et les femmes, vécues par les jeunes.

L'éducation populaire et informelle peut et doit servir de levier pour permettre à ces jeunes d'accéder différemment à des qualifications et développer ainsi des compétences sociales et psychosociales reconnues, qu'ils n'ont pu faire valoir au sein du système scolaire. C'est ce que proposent le dispositif du service civique et le programme européen « Jeunesse en action », devenu « Erasmus Plus - Jeunesse et Sports ».

C'est également ce qu'offre, dans une autre mesure, le brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (BAFA), sur lequel j'ai particulièrement travaillé et qui offre la possibilité d'exercer une fonction d'encadrement à partir de dix-sept ans. Cette fonction peut se révéler importante sur le marché du travail, même si elle n'est pas forcément définie comme telle, sans conditions de diplôme. Le BAFA permet à tous les jeunes d'acquérir une première expérience professionnelle ou dans le domaine du volontariat. Il s'agit pour des jeunes d'encadrer d'autres jeunes, ce qui correspond à une demande d'une partie de la jeunesse de vivre dans l'entre-soi à un moment de sa vie.

Les animateurs participent à l'extension et à l'élargissement des activités éducatives en direction de lieux, de publics et d'âges de la vie que n'avait pas ou peu investi l'éducation nationale. Le BAFA est l'occasion d'un passage entre l'enfance et l'âge adulte où, d'un seul coup, on a des responsabilités et des personnes sous sa responsabilité. C'est aussi une manière de construire et de participer à un projet d'équipe important dans la définition de soi, surtout en situation de difficulté.

Ce qui pose à chaque fois difficulté, c'est la différence entre les attentes des jeunes et celles des familles. Pour une grande part, les familles veulent bénéficier d'un « retour sur investissement » en matière de loisirs, de culture, de choix d'orientation. Les jeunes, quant à eux, se situent dans des enjeux d'épanouissement, de construction identitaire, de diversité, de curiosité. Ce n'est pas sans conséquence sur la façon dont on considère les loisirs, ni sur la manière dont les milieux sociaux investissent certains loisirs, quelques-uns pouvant devenir disqualifiants parce qu'investis par les milieux populaires, par exemple.

Ceci pose la question qu'évoquait jadis Pierre Bourdieu et qui demeure d'actualité : où en est-on de la culture légitime ? Que penser de ces jeunes, dont les adultes considèrent qu'ils ne lisent pas, alors qu'ils passent leur temps sur Facebook : quand on est sur Facebook, on passe bien son temps à lire ! Sur Twitter, ils passent leur temps à écrire ! Ils passent leur temps à lire des mangas, à écouter de la musique. Ce sont des pratiques culturelles, même si elles ne sont pas considérées comme légitimes.

J'évoquerai à ce sujet une des perles du baccalauréat : un examinateur demande à un candidat de lui parler de Corneille : l'adolescent cite alors les paroles d'un titre du chanteur Corneille ! Cela a donné lieu à un certain décalage générationnel et culturel entre le lycéen -pour qui Corneille est un musicien d'aujourd'hui- et l'enseignant, qui n'a su que faire.

À force de répéter aux jeunes qu'ils ne lisent pas, qu'ils ne mangent pas bien, qu'ils consomment trop d'alcool et ne font pas ce que l'on attend d'eux, ils finissent par penser que, pour être jeune, il faut mal manger ! On le voit très bien dans les enquêtes qui sont faites en matière de santé. Quel message envoie-t-on à la jeunesse en lui répétant qu'elle ne lit pas, n'écoute pas la bonne musique, ne sait pas s'habiller, mange mal, boit trop d'alcool, fume trop, regarde trop d'écrans, alors qu'il est légitime que les adultes consultent leur smartphone à table, parce qu'ils ont du travail, et que le travail est plus important que les copains ?

Il existe un décalage entre ce que l'on voudrait qu'ils soient, ce qu'ils sont, et la manière dont on apprécie ce qu'ils font, leurs compétences qui, notamment pour les moins qualifiés, peuvent être réelles et doivent être reconnues par la société.

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