Intervention de Bernard Cazeneuve

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 18 novembre 2014 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2015 — Mission « sécurités » - programme « gendarmerie » - Audition de M. Bernard Cazeneuve ministre de l'intérieur

Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur :

Vous m'interrogez sur l'interdiction des grenades offensives dans un contexte où les manifestations sont de plus en plus violentes et marquées par la présence, non plus de manifestants mais de casseurs. Je voudrais revenir sur les raisons de cette interdiction et sur ce qui s'est réellement passé à Sivens. Par-delà le tumulte médiatique, les mensonges et les attaques personnelles, il y a une vérité et je veux vous en donner une version précise. J'ai pris conscience, bien des semaines avant ce drame, du risque considérable existant à Sivens, en lisant les notes quotidiennes du service de renseignement territorial et en constatant, jour après jour, les violences perpétrées contre les forces de l'ordre par environ 250 casseurs qui étaient également présents à Notre-Dame-des-Landes et qui s'attaquent aux forces de l'ordre avec des bombes d'acide, des cocktails molotov, des fusées et des pierres. Je rappelle qu'entre le 1er septembre et le 28 septembre 2014, 78 policiers et gendarmes ont été blessés à Sivens et 81 procédures judiciaires ont été ouvertes, dont 33 pour agression contre des forces de l'ordre. Telle est la réalité. J'ai donné des instructions fortes d'apaisement dans les jours qui précèdent le drame de Sivens. Elles ont une traçabilité. Ainsi, à l'occasion d'une réunion, le 21 octobre 2014, à la préfecture du Tarn, un accord avait été conclu avec le représentant des manifestants qui s'engageait à ce qu'il n'y ait pas de violence, en échange de quoi, le préfet s'engageait à ne pas positionner de forces de l'ordre à Sivens. Quand la manifestation démarre, il n'y a donc pas de forces de l'ordre positionnées à Sivens. Le préfet avait toutefois indiqué qu'il s'engageait à prévenir les agriculteurs en cas de débordements, car ceux-ci voulaient organiser une contre-manifestation et y avaient renoncé à condition qu'il n'y ait pas de violence et d'occupation de la « zone vie ». Dans la nuit du vendredi 26 au samedi 27 septembre, les casseurs ont attaqué la « zone vie » et dans ce contexte, la société de gardiennage qui la surveillait a prévenu la gendarmerie, notamment parce qu'il y avait aussi des engins piégeant qui risquaient de poser problème après la fin de la manifestation. Le préfet a fait venir les forces de l'ordre pour éviter les problèmes liés à la récupération de la « zone vie » après la manifestation, prévenir une contre-manifestation des agriculteurs et empêcher que les casseurs les plus radicaux ne se rendent à Gaillac. Les forces de l'ordre ont donc été réintroduites parce que l'accord n'avait pas été respecté et j'ai renouvelé les consignes d'apaisement. Dans la nuit de samedi 27 à dimanche 28, on assiste à une montée de la violence et à la survenue du drame dont je suis alerté à la fin de la nuit par le Directeur général de la Gendarmerie qui me fait savoir, oralement et par SMS, qu'une grenade offensive a été lancée, qu'elle a pu occasionner la mort, qu'il n'a jamais vu qu'une grenade offensive puisse commettre un tel dommage corporel et qu'un sac à dos a été déchiqueté. Comme l'affaire va être judiciarisée et la médecine légale va rendre un rapport qui permettra de connaître la vérité, je décide, par prudence, de ne pas m'exprimer sur le sujet tant que la justice ne s'est pas prononcée. J'ajoute deux points jamais évoqués dans la presse. On évoque des révélations faites par des gendarmes devant le juge et on affirme que j'aurais dû savoir. Or, je n'ai auditionné personne. Le procureur de la République, qui s'est exprimé le dimanche à 18h00 et le lundi à 18h00, a déclaré à ces deux occasions qu'il n'était pas en mesure de donner les causes de la mort de Rémi Fraisse. Il n'a pu le faire que le mardi à 18h00. Comment aurais-je donc pu savoir, si le juge lui-même ne le savait pas ? Je ne me préoccupe que de la vérité. Il y a une autre question, celle de la compassion, à propos de laquelle j'ai une expérience personnelle. Le 8 mai 2002, un attentat à Karachi tue 14 personnes de ma ville de Cherbourg. Le Président Jacques Chirac tient alors des propos de compassion lors des obsèques, mais ensuite, les familles des victimes viennent me trouver pour me dire qu'elles ne veulent pas de compassion mais la vérité. Je sais que la vérité viendra et qu'alors je pourrais témoigner ma compassion. Dès que le procureur de la République s'est exprimé le mardi à 18h00, j'ai déclenché deux enquêtes, la première sur les grenades offensives, qui m'a été remise la semaine dernière, la seconde sur les conditions du maintien de l'ordre du début septembre jusqu'à la date du drame, dont je recevrai les conclusions début décembre. Dès que la première m'a été remise, j'ai décidé d'interdire l'utilisation des grenades offensives après en avoir parlé avec le directeur général de la gendarmerie nationale. Ce n'est pas une arme mais une munition de maintien de l'ordre. Elle n'est pas destinée à tuer. Je ne désarme pas les forces de police et de gendarmerie. D'ailleurs, la police n'a jamais eu de grenade offensive pour maintenir l'ordre. La grenade lacrymogène instantanée (GLI) qui est un mélange de tolite et de lacrymogène permet de maintenir à distance les manifestants, avec le même effet de souffle mais sans dangerosité. Je ne désarme donc par les forces mais je leur permets de faire leur métier et d'accomplir des opérations de maintien de l'ordre dans le respect scrupuleux du droit et des principes républicains. Il n'y a pas de violence policière, il y a de la violence partout et les forces en sont les victimes. Il n'est pas acceptable qu'il y ait des morts au cours d'opérations de maintien de l'ordre. Je tenais à vous expliquer les raisons et la cohérence globale de ma décision.

S'agissant des tablettes numériques, une expérimentation va être conduite en 2015 pour voir si cet outil permet d'accélérer les interventions sur le terrain, comme c'est le cas pour les alertes SMS utilisées dans la lutte contre les cambriolages en zone rurale. Ce dernier dispositif donne de bons résultats avec une réduction de 9,36% des cambriolages sur les exploitations agricoles sur les trois derniers mois en zone gendarmerie, soit une baisse d'environ 4,5% sur un an.

Les redéploiements entre zones de police et zones de gendarmerie se poursuivent en relation étroite avec la direction générale de la gendarmerie et la direction générale de la police nationale et dans la concertation.

Nous regroupons des brigades, notamment celles composées de deux à trois gendarmes en milieu rural, pour permettre d'assurer des permanences 24h/24 dans un rayon d'action plus large. Il y a ainsi toujours quelqu'un pour se déplacer sur le territoire en cas d'urgence.

Concernant les ZSP, 11 sont dans le périmètre de la gendarmerie et 7 sont des zones mixtes gendarmerie/police. Au premier semestre 2014, il y a une réduction de 3,9% des cambriolages dans ces zones, contre 2% en dehors de ces zones. Le nombre d'atteintes volontaires à l'intégrité physique est en diminution, de même que celui des violences crapuleuses alors que les violences intrafamiliales progressent partout en France, ce qui appelle un travail interministériel. Les atteintes à la tranquillité publique augmentent de 1,14%. Le nombre des infractions à la législation des stupéfiants augmente car l'action des services est en hausse.

Les SGAMI sont des structures de mutualisation dans le domaine de la gestion des ressources humaines de la police et de la gendarmerie. Elles permettent de réaliser des économies d'échelle significatives.

Sur la question des drones, la sécurité des centrales nucléaires ne relève pas de la compétence du ministère de l'intérieur mais de celui de l'écologie. Le ministère de l'intérieur fournit des pelotons de gendarmerie contre d'éventuelles intrusions terrestres et la sécurité de l'espace aérien au-dessus des centrales est confiée au ministère de la défense. Le ministère de l'intérieur, plus précisément la direction de la gendarmerie nationale et la direction générale de la sécurité intérieure, conduisent des enquêtes et commencent à avoir des pistes. Nous mobilisons tous les moyens pour procéder aux identifications. Les moyens sophistiqués dont nous disposons ne permettent toutefois pas d'identifier les utilisateurs de tous les types de drones. Quant au laser, cette technique ne fonctionne pas pour détruire des drones, même en Chine, mais il existe d'autres techniques. Au terme des enquêtes en cours, nous vous communiquerons davantage d'informations.

Concernant la décision de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH), le sujet est confié au ministère de la défense. Il existe une instance de dialogue interne au sein de la gendarmerie, dont la CEDH n'avait, semble-t-il, pas connaissance quand elle a rendu son avis.

Sur la question des réseaux internationaux de la criminalité organisée, je vais prendre quelques exemples concrets. Concernant les vols d'engins agricoles qui partent ensuite vers l'Est, la gendarmerie a neutralisé un réseau de 20 cambrioleurs qui ont commis plus de 140 opérations de vol dans des exploitations agricoles. Le démantèlement des filières du crime européennes ou internationales se fait par le truchement du renseignement territorial qui permet d'identifier les délinquants d'habitude. Un travail très important est mené par la police scientifique et technique. Il y a une collaboration entre les services de renseignement des différents pays européens, y compris ceux des pays d'origine de ces mafias, et une collaboration des services de police au sein d'Europol. La lutte contre la cybercriminalité augmente en relation avec la lutte contre le terrorisme. Je vais nommer un « cyber préfet » chargé de lutter contre les trafics sur Internet. Nous travaillons également en liaison avec les agents de sécurité de nos ambassades pour le démantèlement des filières du crime.

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