Intervention de Michelle Demessine

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 19 novembre 2014 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2015 — Mission « défense » - programme « préparation et emploi des forces » - examen du rapport pour avis

Photo de Michelle DemessineMichelle Demessine, rapporteur :

Comme le disait le Général de Villiers devant notre commission, la préparation opérationnelle est le gage de notre réactivité et de notre efficacité ; c'est aussi, nous disait-il, l'assurance de la sécurité du personnel. Il citait l'exemple des pilotes d'hélicoptères qui doivent obligatoirement s'entraîner pour être capables de poser leur machine sur le pont d'envol d'un bateau de la marine. Il n'y a rien d'inné là-dedans !

Or, les précédentes lois de programmation militaire ont plutôt sacrifié ce poste de dépenses, ce qui a entraîné une crise de la disponibilité du matériel au début des années 2000. Dans le nouveau contexte stratégique consécutif à la fin de la Guerre froide, les crédits affectés à la maintenance des équipements avaient ainsi fortement diminué ; notre commission s'en est régulièrement fait l'écho pour le regretter.

Certes, des réformes d'organisation et de structures ont été menées pour améliorer les choses et contrecarrer la baisse des crédits, mais les performances sont restées décevantes en termes de disponibilité. C'est particulièrement vrai pour les aéronefs, dont la disponibilité, très variable selon le type d'appareil, atteignait 63 % en 2005 mais plafonnait à 40 % en 2013. Divers éléments peuvent expliquer cette évolution statistique, notamment un changement de méthode de calcul à partir de 2012.

Pour autant, selon le rapport récent de la Cour des comptes qui fait autorité en la matière - aux dires mêmes du ministre -, la dégradation a repris dans la deuxième moitié des années 2000 et touche les trois armées. Comme nous l'indiquait le Général Girier, directeur de la SIMMAD, lors de son audition, il manquait une demi-annuité au MCO aéronautique sur la dernière LPM. Même en repoussant des actions de maintenance, cela a entraîné des restes à payer importants à la fin de chaque année. En 2012, le report de charges pour le MCO aéronautique représentait 19 % des dépenses engagées dans l'année ! Depuis, ce report de charges reflue, mais son niveau n'est pas supportable sur le moyen terme.

Du côté de la flotte, la disponibilité a plutôt été redressée et, du côté des matériels terrestres, la disponibilité des matériels anciens reste insuffisante tandis que celle des matériels récents est satisfaisante.

Les problèmes de disponibilité des matériels expliquent largement le fait que l'activité opérationnelle soit restée inférieure aux objectifs. Cette activité, qui a connu une évolution globalement à la baisse dans la période récente, s'inscrit 15 % en deçà des normes reconnues par l'OTAN, chiffre que nous ont confirmé les chefs d'état-major durant les auditions.

Dans l'armée de terre, le nombre de journées de préparation et d'activité opérationnelle par homme s'est élevé à 120 en 2013 contre un objectif de 150 dans la LPM d'alors. De même pour le nombre d'heures de vol par pilote : 157 heures contre 180. Les équipages des avions de la patrouille maritime devraient réaliser 288 heures de vol en 2015 contre un objectif de 350. Dernier exemple, pour les avions de chasse, le nombre d'heures de vol devrait atteindre 150 heures en 2015 contre un objectif de 180.

Dans ce contexte tendu, la LPM a pris acte de la nécessité de faire de l'activité opérationnelle un objectif prioritaire. Le rapport annexé à la LPM avance trois explications majeures à la baisse de l'activité opérationnelle :

- la dynamique haussière des coûts d'entretien sous-tendue, d'un côté, par le vieillissement des parcs et, de l'autre, par l'arrivée de matériels de nouvelle génération au coût d'entretien plus élevé.

Il s'agit en particulier de l'effet « baignoire », ou de la courbe en U, que nos collègues Gilbert Roger et André Dulait évoquaient régulièrement lorsqu'ils présentaient ce rapport : un matériel récent coûte cher à entretenir pour des raisons technologiques et nous avons maintenu longtemps en service des parcs vieillissants qui coûtent aussi très cher à entretenir ;

- deuxième explication, une hausse du coût des facteurs de production plus rapide que l'inflation ;

- troisième explication, une dégradation du niveau des stocks de pièces de rechange dans lesquels les armées ont puisé durant tant d'années pour faire face aux urgences.

La LPM fixe comme « priorité forte » l'inversion de cette tendance. A cette fin, les crédits consacrés à l'entretien programmé des matériels (EPM) progresseront en moyenne de 4,3 % par an en valeur pour s'établir à un niveau moyen de 3,4 milliards d'euros courants par an sur la période.

L'EPM, que je viens de mentionner, représente un peu plus de la moitié du MCO et une part importante du programme 178 (44 % en 2015). Il correspond aux achats de prestations et de pièces de rechange auprès des fournisseurs publics ou privés. Le MCO est également constitué de la masse salariale attachée à l'entretien et à la maintenance, qui en représente environ 40 % du coût total, et de dépenses d'investissement et d'entretien des infrastructures, qui représentent moins de 5 % de la dépense totale du MCO. Comme nous l'avons indiqué au début de notre rapport, les crédits de personnel sont dorénavant inscrits au programme 212 même s'ils sont « fléchés » par fonction.

En cohérence avec la LPM, les crédits de paiement de l'entretien programmé du matériel sont fixés à 3,2 milliards d'euros dans le PLF pour 2015, ce qui représente une progression en pourcentage de 4,4 %.

Dans le détail, les évolutions sont variées selon les armées, elles dépendent en particulier des cycles d'entretien de certains matériels : +8,3 % en crédits de paiement pour les forces terrestres, +1,1 % pour les forces navales et +5,4 % pour les forces aériennes. Les forces navales paraissent moins bien loties en 2015 mais elles connaîtront une « bosse » de paiement autour de 2017 avec la période d'arrêt du porte-avions.

Il faut également souligner que les autorisations d'engagement, qui permettent de lancer des opérations pluriannuelles, bondissent de 35 % en 2015, elles passent de 3,4 milliards à 4,7 milliards. Cette évolution est prometteuse, mais nous devrons être attentifs à ce que les crédits de paiement soient suffisamment approvisionnés dans les années à venir pour y faire face.

Cette différence conséquente entre les engagements et les paiements nous montre, s'il en était besoin, le décalage qu'il peut exister entre un effort budgétaire et sa concrétisation sur le terrain. Qui plus est, la progression des dépenses doit d'abord permettre de « se remettre à niveau » après des années de vaches maigres. De ce fait, cet effort ne se fera réellement sentir sur les indicateurs d'activité opérationnelle qu'au mieux à partir de 2016. Selon les estimations, il ne permettra en lui-même que de stabiliser les indicateurs sur le court terme.

Pour les améliorer, il faut donc des réformes structurelles et le ministère a lancé à cet égard trois chantiers d'optimisation touchant le maintien en condition des matériels :

- la poursuite de la rationalisation de l'organisation, selon une logique de délégation des responsabilités par milieu et non par armée.

Une telle organisation est particulièrement importante pour l'aéronautique puisque les matériels sont répartis entre les trois armées à un niveau bien supérieur aux autres matériels : l'armée de l'air dispose de 56 % des aéronefs mais la marine de 16 % et l'armée de terre de 28 %. Au printemps dernier, le ministre et le chef d'état-major des armées ont, en quelque sorte, parachevé le processus engagé en 2000 avec la création de la SIMMAD et ils ont confié la responsabilité du MCO aéronautique au chef d'état-major de l'armée de l'air. Cette mise en cohérence des liens hiérarchiques et fonctionnels devrait fluidifier la chaine de décision et éviter le fonctionnement par silos qui existait auparavant ;

- deuxième chantier d'optimisation, l'amélioration de la performance contractuelle. Les trois maîtres d'ouvrage délégués (SIMMAD, SIMMT pour le terrestre, SSF pour le maritime) ont engagé une revue générale de l'ensemble de leurs contrats ;

- enfin troisième chantier, la rénovation de la chaîne du soutien qui vise à optimiser la logistique et les approvisionnements des armées. Cette réforme, appelée « supply chain », passe notamment par la création de « hubs » logistiques permettant une gestion moderne des pièces de rechange qui doivent, demain, se trouver au bon endroit au bon moment.

On peut également mentionner, dans ces différents chantiers, la clarification des relations avec la DGA : celle-ci a en effet un rôle premier dans le MCO en tant qu'elle conçoit et commande le matériel. Le plus souvent, le MCO dit « initial », c'est-à-dire pour les premières années de la vie d'un matériel, relève d'ailleurs du programme 146 géré par la DGA. Les différentes structures du MCO sont maintenant intégrées plus en amont dans les équipes qui travaillent à la définition d'un nouveau matériel pour bien prendre en compte, dès cet instant, les impératifs ultérieurs d'entretien et de maintenance.

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