En ce qui concerne la préparation opérationnelle, nous souhaitons conclure par deux réflexions transversales. Nous souhaitons mettre l'accent sur les Opex et les contraintes qu'elles font peser sur l'activité opérationnelle.
Remarque liminaire essentielle : nous avons évoqué le fait que, globalement, la préparation opérationnelle est inférieure aux objectifs mais nos armées nous ont prouvé que, malgré cette situation particulièrement difficile, elles pouvaient être envoyées sur des théâtres d'opérations extérieures variés et dans des conditions difficiles, par exemple en termes de délai, et y remplir pleinement leurs missions. Jugée à l'aune des Opex, la qualité de la préparation opérationnelle est donc tout à fait satisfaisante.
En ce qui concerne plus directement le maintien en condition opérationnelle, la multiplication et l'intensité des Opex ont des répercussions évidentes, par exemple sur les flux logistiques en métropole.
En outre, au-delà des dommages causés par les combats sur les matériels, leur usure est nettement supérieure en opération qu'en métropole, notamment lorsqu'ils sont utilisés dans des milieux abrasifs comme dans le désert. Le chef d'état-major de l'armée de terre nous a donné l'exemple des VAB qui, en presque deux ans d'emploi dans le désert malien, présentent les mêmes symptômes de fatigue et le même taux d'usure que ceux utilisés durant dix ans en Afghanistan ! Pour lui, la disponibilité des parcs terrestres et aéroterrestres restera encore contrainte en 2015 et en 2016, en partie du fait que les crédits d'EPM couvrent à la fois les coûts d'entretien des équipements utilisés en métropole dans le cadre de la préparation opérationnelle et les coûts d'entretien des matériels employés en opération. Or, l'enchaînement des engagements et les conditions d'emploi extrêmes soumettent les matériels à des taux d'usure hors norme et les chaînes logistiques à des distorsions importantes.
En outre, cette surutilisation des matériels et leur usure particulière fragilisent d'autant les missions de nos armées en métropole, ce qui peut affecter leurs missions intérieures.
Pour toutes ces raisons, il sera nécessaire que nous réfléchissions plus avant sur l'impact des Opex sur le maintien en condition opérationnelle et sur la prise en compte de ce sujet au moment de la décision de lancer une opération.
Deuxième élément transversal que nous souhaitons aborder : le principe de différenciation. Dans les années 2000, la disponibilité insuffisante des matériels a contraint nos armées à modifier leur approche : les matériels doivent dorénavant être suffisamment disponibles au bon endroit et au bon moment.
Ainsi, dans l'armée de l'air, l'activité générée depuis 2012 ne permet plus d'entretenir l'ensemble des compétences à hauteur des exigences des contrats opérationnels tout en assurant la formation des équipages les plus jeunes. Pour l'instant, un équilibre fragile est maintenu en privilégiant l'entretien des compétences les plus complexes par un nombre très restreint d'équipages.
La LPM a entériné l'application du principe de différenciation à l'activité et à l'entraînement. Il doit permettre à chacune des armées de tirer le meilleur parti de leurs ressources en distinguant un ensemble de forces de coercition aptes à s'engager sous faible préavis contre un adversaire du meilleur niveau et des forces à même de prendre part à des opérations de gestion de crise dans la durée, dont l'entraînement, au-delà d'un socle commun, est ciblé et modulé en fonction de la variété des missions.
Nous devons veiller à ce que, dans une période d'engagements intenses, le principe de différenciation ne fige pas l'écart qui existe entre les équipages ou les équipes.
Au-delà de la préparation opérationnelle, le programme 178 contient plusieurs postes de crédits relatifs à des fonctions de soutien : la planification des moyens et la conduite des opérations, la fonction pétrolière, le soutien des forces par les bases de défense ou le service interarmées des munitions. Nous ne pourrons évoquer ces aspects cette année par manque de temps, mais l'Amiral Rogel nous a mis en avant l'importance de ces postes budgétaires, par exemple ce qui touche aux carburants et aux munitions.
Mais nous souhaitons évoquer deux services en particulier. Tout d'abord, le service du commissariat aux armées (SCA). Créé le 1er janvier 2010, le SCA est le service d'administration générale des armées ; il est chargé des achats pour la vie courante et le transport des forces, ainsi que de l'exécution des dépenses relevant du soutien commun (soutien de l'homme, restauration, achats, finances, contrôle interne comptable, droits financiers individuels et soutien juridique...).
Depuis 2013, le SCA met en pratique la logique dite « de bout en bout » qui permet de mettre en place une chaîne de soutien continue, de la conception à la fourniture des prestations. Pour cela, le service fonctionne dorénavant selon une logique de filière (restauration-hôtellerie-hébergement-loisirs, habillement, soutien de l'homme, formation, assistance juridique...) et non plus territoriale. En conséquence, depuis le 1er septembre 2014, les groupements de soutien de base de défense sont hiérarchiquement rattachés au SCA.
Le SCA devient donc le service unique (interarmées) de soutien en appui des bases de défense, qui deviennent l'échelon de proximité. Du fait de ce regroupement de dépenses, les crédits de paiement du SCA sur le programme 178 passent de 26 millions en 2014 à 206 millions en 2015 mais il s'agit, je vous rassure, d'une opération comptable.
Plus sérieusement, notre commission restera très attentive aux conditions de vie de nos soldats, qui ont fait l'objet de rallonges budgétaires absolument indispensables en 2013.
Deuxième service avant de conclure notre rapport : le service de santé des armées (SSA). Prenant ses racines dès la fin du XVIIe siècle, le SSA emploie aujourd'hui environ 16 000 personnes, dont 11 000 militaires et 5 000 civils. Ses ressources atteignent 1,5 milliard d'euros par an dont 63 % en provenance du budget de l'Etat et 37 % de recettes extrabudgétaires (remboursements de l'assurance maladie, participation des patients...).
Il faut bien avoir conscience que la France est aujourd'hui l'un des rares pays, avec les Etats-Unis, à être capable de mettre en place une chaîne complète de santé au profit des troupes engagées, allant des zones de combat jusqu'au rapatriement dans un hôpital militaire. Certains pays sont performants pour une partie de cette chaîne, par exemple les Allemands sur les évacuations et le ravitaillement, mais aucun Européen ne peut faire ce que fait le SSA. Ceci permet notamment à notre pays, ce qui est essentiel et tout à fait spécifique, d'entrer en premier et rapidement sur un théâtre d'opérations.
A la croisée du monde de la défense et de la santé, le SSA a été touché depuis une vingtaine d'années par les changements profonds de ces deux mondes : côté défense, l'évolution du cadre stratégique post-Guerre froide et la fin de la conscription ; côté santé, l'application de la tarification à l'activité à l'hôpital, la technicisation et l'application de procédures médicales strictes, ainsi que l'organisation régionale des soins via les agences régionales de santé (ARS).
En outre, n'oublions pas qu'auparavant les familles de militaires se rendaient dans les hôpitaux militaires, ce qu'elles font de plus en plus rarement au regard du développement des structures civiles et de la mise en place de réseaux de soins auxquels le SSA s'est faiblement joint.
La loi de programmation militaire a pris acte de la nécessité de faire évoluer le soutien santé aux armées, et un nouveau projet de service « SSA 2020 » a été adopté il y a un an. Il consiste à recentrer le SSA sur les besoins opérationnels des armées et de rééquilibrer les activités au profit de la médecine dite de premier recours, l'équivalent du généraliste en ville. Dans une enveloppe financière contrainte, l'hospitalisation avait eu tendance à prendre une place de plus en plus importante, sans pour autant répondre nécessairement aux besoins opérationnels des armées.
C'est pourquoi le nouveau projet de service entend mettre fin à l'isolement du SSA et l'adapter aux contraintes actuelles. Ainsi, sur les 9 hôpitaux militaires qui sont tous de petites structures au regard des autres hôpitaux français, 4 seront regroupés en plateformes hospitalières à même de soutenir les besoins des armées en opération : une plateforme en Ile-de-France avec Bégin à Saint-Mandé et Percy à Clamart ; une plateforme en région PACA avec Sainte-Anne à Toulon et Laveran à Marseille. Quatre autres hôpitaux militaires (Brest, Bordeaux, Metz et Lyon) seront moins militarisés et assureront la régénération du contrat opérationnel. Ils noueront des partenariats étroits avec les ARS et les autres acteurs du monde de la santé pour mieux s'intégrer à l'offre de soins sur leur territoire.
Nous en arrivons donc à la question du 9e de ces hôpitaux, le Val-de-Grâce. Ouvert en 1979 et ayant subi peu de travaux depuis lors, il nécessiterait de très importants investissements pour respecter les normes de sécurité incendie et donc tout simplement pour recevoir des patients. En outre, ses activités ne sont que partiellement tournées aujourd'hui vers les besoins opérationnels des forces, puisqu'il ne dispose ni d'un service d'urgences, ni de traumatologie orthopédique. Qui plus est, l'offre de soins dans ce secteur de Paris est largement suffisante pour faire face aux besoins de la population.
La fermeture progressive du Val-de-Grâce permettra aussi de renforcer les deux autres hôpitaux franciliens, en particulier en équipes soignantes. Cela implique de mettre en place très rapidement un plan de redéploiement des personnels avec un phasage précis. Surtout, ce plan doit être établi en concertation avec les personnels concernés. Or, on constate plutôt, dans toute cette opération, un déficit d'information, de concertation interne et de dialogue, qui sont pourtant des éléments indispensables à la bonne mise en place d'une réforme de ce type.
Par ailleurs, on semble s'orienter vers le maintien, dans les locaux historiques, de plusieurs directions du SSA, notamment le musée, la bibliothèque et l'école du Val-de-Grâce, qui constituent des symboles forts pour le service de santé des armées et les armées en général. Restera la question du bâtiment actuel de l'hôpital qui date des années 70. Devrions-nous utiliser ce bâtiment pour combler certains déficits propres au centre de Paris, comme par exemple le transformer en résidence universitaire ? La structure du bâtiment actuel semble compatible avec une telle utilisation. Nous devons en tout cas mettre en oeuvre une réflexion collective pour trouver ensemble le meilleur usage à ce terrain situé en plein coeur de Paris.
En conclusion, et pour revenir à la question de la préparation opérationnelle, au coeur du programme 178, le PLF pour 2015 est conforme aux engagements de la loi de programmation militaire : l'entretien programmé des matériels progresse sensiblement (+4,4 %).
Cette progression ne fera cependant sentir ses effets que dans le temps, en raison des retards pris ces dernières années qui ont eu des impacts sur le niveau et la qualité des matériels et des stocks.
Même avec une progression aussi dynamique, les armées n'anticipent, pour les premières années, qu'une stabilisation de l'activité, ce qui justifie pleinement la nécessité de conduire parallèlement des réformes de structure pour tendre vers une amélioration de la préparation opérationnelle qui constitue - je le rappelle - un gage d'efficacité et de sécurité.
Comme nous l'avons indiqué, les faiblesses de cette préparation qui pèsent sur nos troupes ne les ont pas empêchées de remplir leurs missions en Opex, opérations qui se sont pourtant intensifiées ces dernières années. Il n'est pas certain que le calibrage de la LPM en termes d'entretien des matériels tenait compte de ce niveau d'Opex. C'est ce sur quoi nous devons rester vigilants pour l'avenir.