Intervention de Frédérique Espagnac

Commission des affaires économiques — Réunion du 19 novembre 2014 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2015 — Mission « agriculture alimentation forêt et affaires rurales » et compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural » - examen du rapport pour avis

Photo de Frédérique EspagnacFrédérique Espagnac, rapporteure :

C'est la première fois que je suis amenée à présenter devant notre commission les crédits de la MAFFAR, en me concentrant exclusivement sur le programme 206 qui porte sur la « sécurité et la qualité sanitaires de l'alimentation ».

Comme le remarquaient vos rapporteurs dans les précédents rapports budgétaires de la commission, la sécurité sanitaire des produits agricoles et alimentaires constitue une impérieuse nécessité pour l'ensemble des acteurs de la filière car toute suspicion fait que le consommateur se détourne massivement des produits douteux, entraînant un effondrement économique pour les producteurs : cela a été constaté pour le concombre en juin 2011, ou encore pour les lasagnes et produits transformés à base de boeuf lors de la crise de la viande de cheval début 2013.

La France bénéficie plutôt d'un haut niveau de sécurité sanitaire des produits agricoles et alimentaires. Mais, ce constat n'est pas sans nuances. En février dernier, la Cour des comptes, dans son rapport annuel, a porté un jugement sévère sur l'insuffisance des contrôles du ministère de l'agriculture sur la période 2009-2012. La Cour constatait que les établissements de remise directe n'étaient susceptibles de recevoir la visite des services de l'État qu'en moyenne tous les 10 à 12 ans, dans la mesure où seulement 7 % d'entre eux sont contrôlés chaque année. La Cour déplorait également l'insuffisance des contrôles sur les denrées provenant d'importations d'autres pays de l'Union européenne. La Cour critiquait enfin le fait que les non-conformités constatées lors des contrôles étaient rarement sanctionnées.

Dans le même temps, l'Office alimentaire et vétérinaire européen (OAV), placé auprès de la direction générale « Santé et consommation » de la Commission européenne, avait mené à la mi-2013 un audit dans les abattoirs de volaille en France, montrant de graves lacunes en matière d'hygiène, de respect du bien-être animal et de graves non-conformités au niveau des inspections ante mortem et post mortem des animaux. Le risque était après une telle inspection de voir le commerce de viande de volaille remis en cause, avec l'interdiction de délivrer des certificats pour les opérateurs concernés.

A ces insuffisances dans le dispositif national de sécurité alimentaire, il existe une cause commune : la forte réduction des moyens humains consacrés à cette mission. La révision générale des politiques publiques (RGPP) a conduit entre 2007 et 2012 à la suppression de pas moins de 620 postes dans les services vétérinaires. Cela ne pouvait être sans conséquence. Dans le même temps, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), chargée de coopérer sur le terrain avec les agents du ministère de l'agriculture, au sein des directions départementales de la protection de la population (DDPP), a connu une saignée de ses effectifs, comme en témoigne l'analyse des crédits de la mission « Économie ».

Il faut donc inverser la tendance. Cette inversion avait déjà été entamée lors des précédents budgets : le budget pour 2013 avait divisé par deux la baisse prévue des effectifs des services vétérinaires ; le budget 2014 avait sanctuarisé ces effectifs. Le budget 2015 va plus loin puisqu'il prévoit la création de 60 postes pour le contrôle dans les abattoirs de volaille, ce qui se traduit par une remontée du plafond d'emploi en année pleine sur le programme 206 de 20 ETP.

Au final, les crédits du projet de loi de finances pour 2015 sont quasiment identiques à ceux de 2014, à 501 millions d'euros en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement, contre 505 millions d'euros en 2014.

Plus de la moitié du budget, soit 285 millions d'euros, est constitué des salaires et cotisations sociales des personnels du ministère de l'agriculture, avec un peu plus de 4 500 équivalents temps plein (ETP), auxquels il faut ajouter un peu plus de 200 agents des services centraux, direction générale de l'alimentation (DGAL), brigade nationale d'enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP), qui sont pris en charge sur le programme 215 consacré à la conduite et au pilotage de la politique agricole.

La comparaison poste à poste du budget 2015 avec le budget 2014 du programme 206 est difficile, dans la mesure où la maquette budgétaire interne au programme a été refondue. On peut noter avec satisfaction le maintien de quelques enveloppes tout à fait indispensables : dans le domaine de la prévention et de la gestion des risques inhérents à la production végétale, une ligne budgétaire d'un peu plus de 22 millions d'euros est conservée, dont la moitié est déléguée aux fédérations régionales de défense contre les organismes nuisibles (FREDON), qui organisent les inspections et gèrent les foyers de maladies végétales. En outre, 2 millions d'euros sont inscrits de nouveau pour financer le plan écoantibio, qui vise à réduire de moitié d'ici 2020 l'utilisation des antibiotiques d'importance critique en élevage. La loi d'avenir pour l'agriculture a mis en place des mesures contraignantes pour lutter contre l'antibiorésistance provenant de la consommation d'antibiotiques dans les élevages. C'est un sujet majeur de santé publique. L'État poursuit dans le budget 2015 l'accompagnement du plan écoantibio, sachant que la France est pionnière en la matière et qu'une réduction de consommation d'antibiotiques vétérinaires de 12 % a déjà été observée en trois ans. D'importants crédits, de plus de 30 millions d'euros, sont conservés pour indemniser les éleveurs forcés d'abattre les troupeaux par mesure de précaution.

Quelques marges de manoeuvres sont apparues sur le programme 206, permettant d'inscrire moins de crédits sur certains postes : la quasi-disparition du risque en matière d'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) - avec 5 cas en 2010, 3 en 2011, 1 en 2012, 2 en 2013 et aucun jusqu'à présent en 2014 - permet d'alléger le dispositif en mettant fin aux tests systématiques en abattoirs sur animaux sains. Une économie de 6,9 millions d'euros est ainsi réalisée. Les crédits consacrés à la gestion des autres maladies animales (hors ESB) sont également réduits de 6,4 millions d'euros, pour tenir compte des coûts réellement constatés les années précédentes.

Ces marges permettent de renforcer d'autres lignes budgétaires : les coûts des visites sanitaires obligatoires dans les élevages étaient systématiquement sous-évalués : le budget 2015 corrige le tir en inscrivant 14,3 millions d'euros contre 11,1 millions d'euros en 2014. L'objectif du ministère est de renforcer les visites sanitaires dans les élevages porcins, mesure qui coûte à elle seule 1,3 à 1,7 millions d'euros : en tout état de cause, cela coûte moins cher que de devoir faire des prélèvements systématiques en abattoirs pour recherche des trichines. En outre, 1 million d'euros en plus est dégagé pour des dépenses informatiques afin d'améliorer le système d'information de la DGAL, essentiel à la bonne marche du dispositif de surveillance sanitaire. Les crédits destinés à l'équarrissage sont eux aussi augmentés pour faire face aux besoins criants en la matière dans les outre-mer, en particulier en Martinique. Enfin, les moyens de la BNEVP sont renforcés, l'idée étant de doubler les effectifs de la brigade en trois ans.

La subvention pour charge de service public provenant du programme 206 est quasiment identique pour l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) en 2015 à celle de 2014, à hauteur de 63 millions d'euros. Les contributions des autres ministères s'établissent à 31 millions d'euros, ce qui porte le total des subventions à 94 millions d'euros sur un budget total de l'Anses d'environ 130 millions d'euros. La loi d'avenir pour l'agriculture a attribué à l'Anses une mission supplémentaire consistant, au-delà de l'évaluation des risques en matière de produits phytopharmaceutiques, à délivrer les autorisations de mise sur le marché pour ces produits. Cela se traduit budgétairement par le transfert de 10 postes du programme 215 vers le programme 206. L'Anses a pu compter jusqu'à présent sur l'augmentation assez dynamique de recettes provenant de taxes affectées. Mais elle était bloquée dans sa capacité à utiliser ces crédits en recrutant des personnels hors plafond d'emploi, pour faire face à des pics ponctuels d'activité. Le projet de loi de finances pour 2015 lève ce verrou et permettra à l'agence, qui vient d'effectuer son emménagement dans ses nouveaux locaux, à côté du site de l'école nationale vétérinaire de Maisons-Alfort, d'accélérer la réalisation des évaluations, en particulier dans le domaine des phytopharmaceutiques. Cette rapidité d'exécution est une des conditions de maintien de sa crédibilité comme organisme d'expertise de référence.

Cette agence constitue en effet un fleuron reconnu en Europe de l'évaluation des risques. Il convient donc de lui donner les dotations nécessaires pour rester un établissement d'excellence. Les perspectives d'extension de ses prérogatives, dans le domaine de la phytopharmacovigilance, des produits biocides, ou encore de la toxicovigilance, nécessiteront sans doute de lui attribuer des ressources supplémentaires dans les prochains budgets, soit sous forme de taxe affectée, soit sous forme de rebasage budgétaire.

Dépenser à peine un demi-milliard d'euros pour assurer un niveau élevé de sécurité sanitaire de l'alimentation n'est au final « pas cher payé ». D'autant plus qu'une partie du coût des contrôles est pris en charge par les opérateurs économiques eux-mêmes. Par exemple, l'État encaisse chaque année près de 50 millions d'euros au titre de la taxe d'abattage payée par les industriels. La Cour des comptes a relevé que le coût des contrôles pourrait être encore plus supporté par les acteurs économiques, comme par exemple dans le domaine du contrôle des importations de produits alimentaires.

Des crédits bien plus élevés seraient nécessaires en cas d'épidémie animale avérée : 12 milliards d'euros pour la fièvre aphteuse au Royaume-Uni en 2001, 2 milliards d'euros pour la peste porcine aux Pays-Bas en 1997-1998. Plus d'un milliard d'euros pour la fièvre catarrhale ovine (FCO) en France entre l'apparition de la maladie en 2006 et le retour de la France au statut « indemne » fin 2012. La logique de prévention et de réponse rapide aux crises émergentes est donc vertueuse d'un point de vue budgétaire. Le choix politique exprimé dans ce budget pour 2015 de ne pas désarmer notre appareil de sécurité sanitaire en matière de produits agricoles et alimentaires doit donc être salué.

J'émets ainsi en ma qualité de rapporteure, un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission : « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et des crédits du compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural ».

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