Intervention de Alain Houpert

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 19 novembre 2014 : 3ème réunion
Loi de finances pour 2015 — Mission « agriculture alimentation forêt et affaires rurales » et article 47 et compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural » - examen du rapport spécial

Photo de Alain HoupertAlain Houpert, rapporteur spécial :

Il nous est proposé de doter la mission en 2015 de 3,1 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE), soit une hausse de 4,2 %, et 2,9 milliards d'euros en crédits de paiement (CP) ce qui révèle une contraction de 8 %. Avant de présenter mon analyse des crédits, je relève que les dépenses fiscales rattachées à la mission affichent des résultats satisfaisants. Ainsi, le rapport Guillaume sur les dépenses fiscales et sociales les avait jugées assez ou très efficaces.

J'observe que l'évolution contrastée pour les AE et les CP ne fait que traduire la poursuite de l'application de la nouvelle programmation financière de la politique agricole commune (PAC). Parler d'un budget reflétant à la fois un engagement en faveur de l'agriculture et la contribution du ministère à l'effort de maîtrise des dépenses publiques comme le fait le Gouvernement est d'autant moins acceptable qu'une analyse objective disqualifie les arguments gouvernementaux. D'une part, le compromis agricole européen se traduit en effet par de moindres ambitions pour nos productions agricoles, alors que l'Europe pourrait davantage contribuer aux équilibres alimentaires mondiaux. D'autre part, La réduction des CP touche plus particulièrement les dépenses d'intervention effectivement perçues par nos agriculteurs, les plus utiles.

Je m'interroge sur la sincérité de ce projet de budget dans la mesure où les crédits dédiés aux aléas ne sont pas provisionnés : risques climatiques, économiques et sanitaires, ou encore risques associés aux refus d'apurement communautaires dont la facture pourrait atteindre 1,8 milliard d'euros selon la Cour des comptes, que le ministre évalue à près d'un milliard d'euros, et dont seuls 400 millions d'euros sont prévus par le projet de loi de finances rectificative pour 2014. Certaines dotations, comme celles destinées à l'assurance-récolte ou aux industries agro-alimentaires, me paraissent enfin sous-calibrées.

Plus globalement, je m'inquiète des effets concrets d'arbitrages budgétaires qui ne semblent pas à la mesure des difficultés économiques rencontrées par les exploitations et par certains territoires. Il en est ainsi de la simple reconduction des aides globales aux filières, du recours au programme des investissements d'avenir (PIA) en remplacement des crédits budgétaires du ministère, de l'avenir de la filière sucrière alors que l'heure de sa dérégulation approche, les inconnues portant sur du bouclage financier du plan annoncé par le Président de la République à Cournon, des effets de l'intégration de la prime herbagère agro-environnementale dans le dispositif des indemnités compensatoires de handicaps naturels, de la suppression de certains régimes d'exonération de cotisations sociales comme le contrat vendanges, des ponctions sur les fonds de roulement de grands partenaires, en particulier les chambres d'agriculture...

Mes inquiétudes sont redoublées par les coupes opérées par le Gouvernement à l'Assemblée nationale en deuxième délibération : 26,5 millions d'euros en moins, dont 21,4 millions d'euros sur le seul programme 154. Et par quelle ardente obligation le Gouvernement justifie-t-il ces coupes à l'aveugle ? Une actualisation des prévisions de dépenses !

Dans ces conditions, je crains que ne s'accentue la perte de vitalité de notre agriculture, qui a déjà subi un recul très préoccupant des surfaces et de ses emplois. J'insiste pour que le désengagement du budget général ne se traduise pas par une réduction des soutiens à la « Ferme France ». Le pays doit au contraire mobiliser ses enveloppes européennes au titre de la PAC ; restons attentifs à la mobilisation effective du PIA et du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural », le CASDAR - d'autres formules qu'un compte d'affectation spéciale ne seraient-elles d'ailleurs pas plus propices à la continuité du financement du développement agricole et rural ?

Des économies sont possibles pour la mission agriculture, mais pas de fausses économies. Les efforts de rationalisation des ressources humaines du ministère peuvent être poursuivis : les transferts de responsabilité de l'État vers les régions dans le cadre de la nouvelle PAC devront être accompagnés des transferts d'emplois nécessaires ; je crois dans les effets des allègements fiscaux et sociaux mais les productions primaires en bénéficieront-elles vraiment ? - et je souhaite que le coût des normes soit mieux maîtrisé. Enfin, malgré la légitimité des objectifs de développement agricole durable, nous ne devons pas perdre de vue les équilibres qui ont permis à l'agriculture de compenser le recul des terres et de l'emploi par des gains de productivité.

L'article 47 rattaché à la mission exclut les entreprises de travaux agricoles, ruraux et forestiers du dispositif d'exonération de cotisations sociales de l'emploi saisonnier agricole et met fin à l'exonération de la part salariale des cotisations sociales dont bénéficient les salariés embauchés pour les vendanges. Ces deux mesures ne sont pas justifiées. L'exposé des motifs ne me convainc pas. Pour la première, il s'agirait de lutter contre la précarisation des emplois et le travail clandestin, alors que la saisonnalité de nombreux travaux agricoles s'impose à tous et n'est pas un mode d'organisation du travail souhaité par les employeurs ! L'exonération appliquée contribue aussi, de toute évidence, à une normalisation des conditions d'emplois.

La seconde, la suppression de l'exonération de cotisations sociales salariales aux vendangeurs ne saurait être considérée comme une mesure favorisant l'attractivité de ces emplois ou une mesure de justice sociale. Elle traduit plutôt la propension du Gouvernement à rechercher des effets d'aubaine fiscalo-sociaux sur le dos des plus défavorisés. Car ce sont des salariés modestes, aux gains mensuels moyens de l'ordre de 650 euros, soit moins que le seuil de pauvreté, qui seront touchés par une mesure qui élèvera les coûts salariaux et réduira l'attractivité des emplois concernés. La plus grande mécanisation qui en résultera affectera la qualité des produits.

Dans ces conditions, je vous propose de ne pas adopter les crédits de la mission « Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales », mais d'adopter ceux du compte spécial « développement agricole et rural », tout en supprimant l'article rattaché 47.

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