Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission procède à l'examen du rapport de MM. Alain Houpert et Yannick Botrel, rapporteurs spéciaux, sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » (et article 47) et sur le compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ».
Il nous est proposé de doter la mission en 2015 de 3,1 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE), soit une hausse de 4,2 %, et 2,9 milliards d'euros en crédits de paiement (CP) ce qui révèle une contraction de 8 %. Avant de présenter mon analyse des crédits, je relève que les dépenses fiscales rattachées à la mission affichent des résultats satisfaisants. Ainsi, le rapport Guillaume sur les dépenses fiscales et sociales les avait jugées assez ou très efficaces.
J'observe que l'évolution contrastée pour les AE et les CP ne fait que traduire la poursuite de l'application de la nouvelle programmation financière de la politique agricole commune (PAC). Parler d'un budget reflétant à la fois un engagement en faveur de l'agriculture et la contribution du ministère à l'effort de maîtrise des dépenses publiques comme le fait le Gouvernement est d'autant moins acceptable qu'une analyse objective disqualifie les arguments gouvernementaux. D'une part, le compromis agricole européen se traduit en effet par de moindres ambitions pour nos productions agricoles, alors que l'Europe pourrait davantage contribuer aux équilibres alimentaires mondiaux. D'autre part, La réduction des CP touche plus particulièrement les dépenses d'intervention effectivement perçues par nos agriculteurs, les plus utiles.
Je m'interroge sur la sincérité de ce projet de budget dans la mesure où les crédits dédiés aux aléas ne sont pas provisionnés : risques climatiques, économiques et sanitaires, ou encore risques associés aux refus d'apurement communautaires dont la facture pourrait atteindre 1,8 milliard d'euros selon la Cour des comptes, que le ministre évalue à près d'un milliard d'euros, et dont seuls 400 millions d'euros sont prévus par le projet de loi de finances rectificative pour 2014. Certaines dotations, comme celles destinées à l'assurance-récolte ou aux industries agro-alimentaires, me paraissent enfin sous-calibrées.
Plus globalement, je m'inquiète des effets concrets d'arbitrages budgétaires qui ne semblent pas à la mesure des difficultés économiques rencontrées par les exploitations et par certains territoires. Il en est ainsi de la simple reconduction des aides globales aux filières, du recours au programme des investissements d'avenir (PIA) en remplacement des crédits budgétaires du ministère, de l'avenir de la filière sucrière alors que l'heure de sa dérégulation approche, les inconnues portant sur du bouclage financier du plan annoncé par le Président de la République à Cournon, des effets de l'intégration de la prime herbagère agro-environnementale dans le dispositif des indemnités compensatoires de handicaps naturels, de la suppression de certains régimes d'exonération de cotisations sociales comme le contrat vendanges, des ponctions sur les fonds de roulement de grands partenaires, en particulier les chambres d'agriculture...
Mes inquiétudes sont redoublées par les coupes opérées par le Gouvernement à l'Assemblée nationale en deuxième délibération : 26,5 millions d'euros en moins, dont 21,4 millions d'euros sur le seul programme 154. Et par quelle ardente obligation le Gouvernement justifie-t-il ces coupes à l'aveugle ? Une actualisation des prévisions de dépenses !
Dans ces conditions, je crains que ne s'accentue la perte de vitalité de notre agriculture, qui a déjà subi un recul très préoccupant des surfaces et de ses emplois. J'insiste pour que le désengagement du budget général ne se traduise pas par une réduction des soutiens à la « Ferme France ». Le pays doit au contraire mobiliser ses enveloppes européennes au titre de la PAC ; restons attentifs à la mobilisation effective du PIA et du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural », le CASDAR - d'autres formules qu'un compte d'affectation spéciale ne seraient-elles d'ailleurs pas plus propices à la continuité du financement du développement agricole et rural ?
Des économies sont possibles pour la mission agriculture, mais pas de fausses économies. Les efforts de rationalisation des ressources humaines du ministère peuvent être poursuivis : les transferts de responsabilité de l'État vers les régions dans le cadre de la nouvelle PAC devront être accompagnés des transferts d'emplois nécessaires ; je crois dans les effets des allègements fiscaux et sociaux mais les productions primaires en bénéficieront-elles vraiment ? - et je souhaite que le coût des normes soit mieux maîtrisé. Enfin, malgré la légitimité des objectifs de développement agricole durable, nous ne devons pas perdre de vue les équilibres qui ont permis à l'agriculture de compenser le recul des terres et de l'emploi par des gains de productivité.
L'article 47 rattaché à la mission exclut les entreprises de travaux agricoles, ruraux et forestiers du dispositif d'exonération de cotisations sociales de l'emploi saisonnier agricole et met fin à l'exonération de la part salariale des cotisations sociales dont bénéficient les salariés embauchés pour les vendanges. Ces deux mesures ne sont pas justifiées. L'exposé des motifs ne me convainc pas. Pour la première, il s'agirait de lutter contre la précarisation des emplois et le travail clandestin, alors que la saisonnalité de nombreux travaux agricoles s'impose à tous et n'est pas un mode d'organisation du travail souhaité par les employeurs ! L'exonération appliquée contribue aussi, de toute évidence, à une normalisation des conditions d'emplois.
La seconde, la suppression de l'exonération de cotisations sociales salariales aux vendangeurs ne saurait être considérée comme une mesure favorisant l'attractivité de ces emplois ou une mesure de justice sociale. Elle traduit plutôt la propension du Gouvernement à rechercher des effets d'aubaine fiscalo-sociaux sur le dos des plus défavorisés. Car ce sont des salariés modestes, aux gains mensuels moyens de l'ordre de 650 euros, soit moins que le seuil de pauvreté, qui seront touchés par une mesure qui élèvera les coûts salariaux et réduira l'attractivité des emplois concernés. La plus grande mécanisation qui en résultera affectera la qualité des produits.
Dans ces conditions, je vous propose de ne pas adopter les crédits de la mission « Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales », mais d'adopter ceux du compte spécial « développement agricole et rural », tout en supprimant l'article rattaché 47.
Je précise d'emblée que je n'en n'arriverai pas aux mêmes recommandations que mon collègue. Les dotations globales du programme 149 « Forêt » s'élèvent pour 2015 à 279,31 millions d'euros en AE et à 296,68 millions d'euros en CP. Les crédits baissent par rapport à 2014 car ils avaient alors fait l'objet d'une augmentation exceptionnelle de 11 %, en raison de la mise en place d'une nouvelle action consacrée au Fonds stratégique de la forêt et du bois (FSFB) et à l'augmentation de la subvention à l'Office national des forêts (ONF). Le soutien du Gouvernement à la filière bois est donc stable en réalité.
L'ONF, principal opérateur du programme 149, bénéficiera en 2015 de subventions de l'État pour un montant total de l'ordre de 202 millions d'euros (via l'action 11 « Gestion des forêts publiques et protection de la forêt »), dont un versement compensateur en faveur de la gestion des forêts des collectivités locales de 140 millions d'euros, soit 20 millions d'euros de plus que ce que prévoit le contrat pluriannuel d'objectifs et de performances. L'office gère les 4,7 millions d'hectares de forêts publiques, soit environ 27 % de l'ensemble de la surface forestière de notre pays.
La dotation de l'action 12 « Développement économique de la filière et gestion durable » s'élève à 50,4 millions d'euros en AE et à 52,6 millions d'euros en CP. Elle contribue à la poursuite du plan chablis après le passage de la tempête Klaus en 2009. La dotation de l'action 13, à hauteur de 10,6 millions d'euros en autorisations de paiement et 21,8 millions d'euros en crédits de paiements, assure le financement du FSFB, dont l'instauration par la loi de finances pour 2014 est un gage de cohérence et du soutien du Gouvernement à la filière.
La baisse de la subvention de l'État à l'ONF est sans cesse reportée parce que celui-ci doit faire face depuis plusieurs années à une situation financière difficile qui n'a jamais pu être redressée. Une enquête sur les soutiens à la filière forêt-bois a été demandée à la Cour des comptes à la fin de l'année 2013 en application de l'article 58-2 de la LOLF. Ce travail devrait faire l'objet d'une audition pour suite à donner en début d'année 2015. L'ONF pourrait tirer profit d'une mobilisation de l'ensemble de la filière - amont et aval - autour de l'objectif de valorisation de la ressource bois. Il serait pertinent que les soutiens publics à la filière bois, aides budgétaires ou mesures fiscales, soient soumis à la condition d'une gestion effective des forêts par les propriétaires qui en bénéficient.
La dotation du programme 206 « Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation », soit 512 millions d'euros, témoigne de l'importance capitale de la sécurité et la qualité sanitaires de l'alimentation pour le gouvernement. La baisse constatée de 1 % par rapport à 2014 est en fait due à un changement de périmètre. Ce budget 2015 met en oeuvre les dispositions de la loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, qui reconnaît à la sécurité alimentaire la valeur de principe d'action publique.
L'action 1 « Prévention et gestion des risques inhérents à la production de végétaux », dotée de 22,56 millions d'euros, soutient les fédérations régionales de défense contre les organismes nuisibles (Fredon) dont les compétences ont été récemment étoffées par la loi d'avenir pour l'agriculture.
L'action 2 « Lutte contre les maladies animales et protection des animaux », avec 94,75 millions d'euros, assure, au plus juste coût, le suivi des programmes de contrôle et de prévention des principales épizooties, qui sont d'ailleurs en régression. Grâce à la hausse des moyens consacrés aux visites sanitaires bovines, aviaires et porcines, la direction générale de l'alimentation du ministère satisfera aux recommandations émises par la Cour des comptes sur son fonctionnement et ses activités de contrôle.
Les actions 3 « Prévention et gestion des risques sanitaires liés aux denrées alimentaires » et 4 « Actions transversales », qui reçoivent 90,4 millions d'euros, connaissent une hausse de 1,4 million d'euros par rapport à 2014, dont je ne peux que me féliciter, puisqu'elle bénéficiera notamment aux laboratoires publics d'analyse de référence, démontrant la cohérence du Gouvernement dans la mise en oeuvre de ses engagements en matière sanitaire.
L'action 6 « Mise en oeuvre de la politique de sécurité et de qualité sanitaire de l'alimentation » voit sa dotation augmenter de 250 000 euros afin de tenir compte des ajustements de périmètre budgétaire et des évolutions de l'activité de la direction générale de l'alimentation du ministère.
J'observe avec satisfaction que les moyens afférents au programme 206 « Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation » sont stabilisés et que certains dispositifs sont même renforcés. La France doit rester à la pointe des exigences en matière de sécurité sanitaire. Je vous propose d'adopter les crédits de la mission « Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales » ainsi que ceux du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ». À l'heure de la mise en place du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), le Gouvernement juge important de rationaliser le dispositif d'exonération de cotisations sociales du monde agricole. Tout en comprenant les motivations de mon collègue - le monde agricole a besoin de souplesse en raison de sa saisonnalité - je vous propose de nous en remettre à la sagesse du Sénat sur l'article rattaché 47.
Les contrôles visant les agriculteurs ont suscité des manifestations, au motif que la France les appliquerait avec plus de zèle que ses voisins, multipliant la paperasserie. Dans les 500 000 exploitations, l'emploi diminue chaque année. Qu'en est-il des effectifs des corps de contrôle ? Peut-on parler d'une suradministration agricole ?
Les élus de montagne ont une vive inquiétude sur les services de restauration des terrains en montagne (RTM). Bien que le changement climatique augmente l'érosion et les risques de glissements de terrain, les crédits stagnent ou baissent. Dans ce projet de loi de finances, onze départements se partageront 150 000 euros en AE et 150 000 en CP. À qui veut-on faire croire que l'on peut agir avec une somme aussi faible ? Les services de RTM au sein de l'ONF peinent à entretenir des zones boisées : tous les maires concernés vous le diront. Il est grand temps que la courbe de leurs crédits s'inverse. Je défendrai en séance un amendement de redéploiement : le Gouvernement doit envoyer d'autres signaux et que les contrats de plan traitent une situation qui devient inquiétante.
Nous avons beau être habitués, ici ou ailleurs, à l'intensité des débats sur l'agriculture, le manichéisme d'Alain Houpert me surprend. Le budget de l'agriculture - enseignement, quelques mesures sociales, filières, offices... - pèse peu. Pour avoir été en responsabilité sur ces questions, je sais qu'il est compliqué de maintenir des crédits dans une situation nationale et européenne telle que la nôtre. Le Gouvernement s'est efforcé de sauver l'essentiel : la PAC. Car la question est bien de savoir si elle existera encore après 2020. Il s'est battu avec opiniâtreté, et la part de la France en est sortie grandie. Les agriculteurs le savent. Cela me fait sourire : à chaque réforme de la PAC, les agriculteurs se battent pour sauvegarder la PAC d'avant, celle-là même qu'ils avaient combattue lors de sa mise en place. Je me souviens de leurs actions contre les quotas laitiers, en 1982 - jeune parlementaire, j'avais été confronté à une tentative de pendaison ; les mêmes les ont défendus ensuite...
Les gouvernements, de droite comme de gauche, se sont battus pour que la France reste le premier bénéficiaire de la PAC. Je regrette les distorsions entre les terres les plus et les moins productives. Là où le rendement est de 110 quintaux à l'hectare, les droits à paiement unique (DPU) sont de 352 euros par hectare, tandis qu'ils sont de 180 euros là où le rendement est de 55 quintaux à l'hectare... Ils ne profitent pas toujours à ceux qui en ont le plus besoin.
Reste le problème éthique et économique de l'article 47. Il faut préserver les contrats vendanges. Je ne parle pas des grands crus. La viticulture de qualité a encore besoin de vendanges manuelles et non mécaniques. Aujourd'hui, les viticulteurs peuvent faire appel par Pôle Emploi à des chômeurs qui gagnent en moyenne 220 euros sur trois semaines. Demain, ils devront mécaniser les récoltes ou ne recourir qu'à une main d'oeuvre étrangère, qui remonte du Languedoc à la Bourgogne en passant par les côtes du Rhône, avant d'aller peut-être en Champagne.
L'argument selon lequel le monde viticole a le CICE et ne peut avoir le beurre et l'argent du beurre ne tient pas : les exonérations profitent aux vendangeurs, pas aux employeurs. Plus à gauche que jamais, je défendrai les salariés. La situation est différente pour les forestiers, dont l'activité n'est pas soumise à la même saisonnalité. Je me souviens de la loi Evin, présentée comme une loi de santé publique : vingt-cinq ans après, on lit encore au Clos Vougeot : « toujours en vin, jamais Evin ». Évitons une perte de substance pour la mutualité sociale agricole (MSA) comme pour les territoires. Les acteurs de la vigne aux Hospices de Beaune m'ont demandé d'être vigilant : je le serai.
Est-ce du manichéisme ? Je partage les inquiétudes du rapporteur spécial sur les réseaux des chambres d'agriculture, la réforme de la PAC, ou les difficultés de la filière sucre, qui concernent au premier chef mon département. Celui-ci produit aussi 10 % du champagne, sans qu'il y ait un rapport entre les deux... L'article 47 fragilise l'activité viticole, mais surtout le pouvoir d'achat des vendangeurs : étudiants, chômeurs, travailleurs pauvres qui améliorent ainsi leur ordinaire. Nous ne soutiendrons pas cette mesure inappropriée : sinon c'est la mécanisation ou la main d'oeuvre étrangère qui prendra le relais.
Avez-vous une explication sur la disparition de la subvention au Centre national de la propriété forestière ? Le rétablissement de l'ONF suffira-t-il à le rendre capable de gérer les forêts domaniales et communales ?
Le recul des activités agricoles me préoccupe. Dans le Finistère, les contrôles pèsent sur les agriculteurs, mais aussi sur les pêcheurs. L'économie devient suradministrée. A-t-on suffisamment provisionné les aléas, qui agitent le monde agricole, comme à Morlaix dernièrement, occasionnant des dégâts sur les bâtiments administratifs ?
Les employeurs recourent parfois à la main d'oeuvre étrangère parce qu'ils ne trouvent pas de saisonniers en France, malgré le grand nombre de chômeurs disponibles sur les listes de Pôle Emploi, pour lesquels il est souvent plus avantageux de ne pas travailler. C'est aussi beaucoup plus simple : il suffit de payer une facture, au lieu de se noyer dans les formalités administratives. Cela appelle une simplification du droit du travail dans ce secteur.
Je suis favorable à votre amendement qui préserve les contrats vendanges. Outre que ce travail est dur, surtout dans les premiers jours, ce plus donné aux vendangeurs maintient des vendanges manuelles, et contribue à la qualité du produit. Je crois savoir que la subvention au Centre national de la propriété forestière ne serait supprimée que pour cette année - l'opérateur puisant dans son fonds de réserve - et serait rétablie l'année prochaine.
Je n'ai pas vu de ligne budgétaire relative aux forêts nouvelles. Dans mon département, nous en préparons une de mille hectares, près de Cergy-Pontoise, en bord de l'Oise, sur la commune de Pierrelaye, sur d'anciens terrains de la Ville de Paris.
Un groupe de travail sur les normes devrait être constitué par la commission des affaires économiques ; il faut s'en féliciter. Je serais manichéen ? Au moins ne suis-je pas populiste : je suis fier des prestigieux terroirs de Bourgogne.
Je propose d'étendre le contrat vendanges aux saisonniers des travaux agricoles et forestiers. Le nombre d'emplois dans l'agriculture baisse. En Allemagne, ce type d'emploi coûte 7 euros charges comprises, contre 15 euros chez nous. Comment ne pas voir de corrélation entre nos régimes fiscaux et sociaux et le niveau des prélèvements obligatoires, d'une part, et le nombre d'emplois, d'autre part ?
Seulement 27 millions d'euros sont inscrits pour couvrir les aléas et le financement nécessaire à l'essor de l'assurance récolte n'est toujours pas au rendez-vous. Pour ne pas apparaître manichéen, je soutiendrai l'action du Gouvernement à Bruxelles pour faire face à l'embargo russe.
Les agriculteurs se plaignent régulièrement qu'il y aurait en France plus de contrôles que dans les autres pays ; je n'ai pas de réponse sur cette question. Voici quelques années, la filière porcine en Bretagne prétendait que la situation en Espagne était de ce point de vue bien plus favorable, et des collègues du conseil général des Côtes d'Armor, s'étant déplacés, avaient constaté que la réglementation y était observée comme chez nous.
Le montant prévu pour les aléas peut paraître peu important ; c'est la pratique budgétaire depuis longtemps, y compris sous d'autres gouvernements, parce que par hypothèse l'on ne peut les chiffrer. D'autres organismes, tels que les groupements de défense sanitaires dans les départements, constituent aussi des provisions pour y faire face.
Le recours aux travailleurs étrangers serait plus facile ? Dans mon département, des contrôles de gendarmerie dans la zone légumière ont donné lieu à de spectaculaires amendes. Le Gouvernement, mieux que moi, pourrait apporter une réponse à la légitime question de Michel Bouvard. Les nouvelles forêts ne relèvent pas du programme 149 « Forêt », Monsieur Delattre, mais du programme 154, qui compte une ligne reboisement. L'ONF a vu sa subvention augmenté de façon sensible l'an dernier ; or ses affaires s'améliorent avec le redressement du cours du bois depuis 2013.
Le Centre national de la propriété forestière devra puiser 16 millions d'euros dans son fonds de roulement de 25 millions d'euros. Il s'agit certes d'un fusil à un coup ; le directeur me confiait son inquiétude, mais il attendait un versement début 2015, et le Gouvernement a pris l'engagement de suivre mois par mois l'évolution de ses finances.
L'année prochaine sera une année charnière : première année de la nouvelle PAC, du programme pluriannuel européen, fin des quotas laitiers. Si l'on cumule le budget de l'État et les fonds européens, on constate une légère hausse. Quelques axes forts se dessinent : la compétitivité, l'aide aux jeunes agriculteurs, la création de 60 postes de contrôleurs sanitaires. La fin du contrat vendanges ne se réduit pas une initiative de Gouvernement, elle tire aussi les conséquences d'une décision du Conseil constitutionnel. Des amendements ont été adoptés de manière assez oecuménique par la commission de l'économie sur cette question.
L'apurement des comptes nous ramène huit ans en arrière, à la période 2006-2009. La France a eu tort de jouer la montre, comme sur les plans de campagne ; certaines grosse coopératives auront plus d'intérêts à rembourser que de principal. Les rapporteurs pour avis ont été moins sévères qu'Alain Houpert : Gérard César et Jean-Jacques Lasserre, relevant un certain nombre d'éléments positifs, ont émis un avis de sagesse.
La ligne reboisement est de 740 0000 euros. Ce n'est pas grand-chose... Les agriculteurs se plaignent souvent. Mais après la récolte, dans la zone intermédiaire, qui va de la Lorraine à la Charente, ils sont si désespérés, qu'ils se taisent. Il y a un suicide par jour.
À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Agriculture ».
Le sujet traité par l'article 47 suscite l'émotion. Il reste qu'une décision du Conseil constitutionnel rappelle l'obligation d'un traitement égal des salariés sous le rapport des cotisations sociales. Cette exonération n'est d'ailleurs pas la seule spécificité du contrat « vendanges » : les salariés en congés payés, y compris les fonctionnaires, peuvent en bénéficier, conformément à la tradition rurale de la France. L'Assemblée nationale a en outre adopté en deuxième lecture un amendement exonérant de cotisations patronales toutes les entreprises forestières. Voilà pourquoi nous nous opposerons à la suppression de l'article 47 et proposerons en séance des amendements consensuels pour nous sortir de cette affaire dans le respect de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de ce que représente le vin dans notre pays.
L'amendement n° 1, proposé par M. Alain Houpert, tendant à la suppression de l'article 47 est adopté.
La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ».
Puis la commission procède à l'examen du rapport M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial, sur la mission « Justice » (et articles 56 à 56 quater).
Les six programmes de la mission « Justice » sont dotés de 9,24 milliards d'euros en autorisations d'engagement et de 7,94 milliards d'euros en crédits de paiement, en hausse respectivement de 21,91 % et de 1,71 % par rapport à 2014. La progression des autorisations d'engagement demandées pour 2015 correspond au renouvellement d'une majorité des marchés de gestion déléguée de l'administration pénitentiaire.
L'article 13 du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 prévoit une augmentation de 1,2 % des crédits de paiement de cette mission en 2015-2017 par rapport à 2014, sous l'effet notamment de la création de 600 postes par an. Les emplois créés en 2015 se répartiront entre l'administration pénitentiaire (528 ETP), la protection judiciaire de la jeunesse (56 ETP) et la justice judiciaire (49 ETP), alors que 33 emplois seront supprimés dans le programme soutien « Conduite et pilotage de la politique de la justice ».
Si la justice apparaît bien comme l'une des priorités du Gouvernement, le budget qui nous est soumis et les créations d'emplois proposées doivent être considérés dans le contexte d'une sous-exécution chronique du plafond d'emplois, d'une performance contrastée et d'un retard de la France par rapport aux autres pays européens.
La dernière étude comparative des systèmes judiciaires de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice ne place la France qu'au 37e rang sur 45, selon le critère du budget de la justice rapporté au PIB par habitant. Selon les données de l'étude datant de 2012, la France comptait ainsi moitié moins de juges professionnels que la moyenne des pays du Conseil de l'Europe et quatre fois moins de procureurs. Nous comprenons mieux pourquoi ils sont tellement surchargés...
Le plafond d'emplois sur lequel se prononce le Parlement est en outre chroniquement sous-exécuté, ce qui pose la question de la sincérité budgétaire. L'écart entre le nombre de magistrats en activité et le plafond d'emplois atteint 1 244 emplois équivalent temps plein travaillés (ETPT), soit 13,6 %.
Dans ce contexte, les résultats de performance sont pour le moins contrastés. Les délais moyens de traitement des procédures civiles ont augmenté entre 2012 et 2013, et l'on anticipe un allongement par rapport aux prévisions du projet annuel de performances (PAP) annexé au projet de loi de finances pour 2014. La dépense moyenne de frais de justice par affaire pénale a progressé de plus de 8 % entre 2012 et 2013. La surpopulation carcérale augmente : le taux d'occupation des maisons d'arrêt s'établissait à 131 % en 2012 et à 134 % en 2013, la cible 2017 (133 %) ne visant qu'une très légère amélioration. Enfin, la dégradation des conditions de travail et l'insécurité croissante des personnels pénitentiaires se mesurent par l'augmentation, entre 2012 et 2013, du nombre d'évasions (de 3,8 à 4,4 évasions pour 10 000 détenus sous garde pénitentiaire directe ou en sortie sous escorte) et du taux d'agression contre un personnel ayant entraîné une interruption temporaire de travail (de 16,7 % à 21,5 %).
Quel écart entre les ambitions politiques du Gouvernement et les moyens alloués à la justice ! En particulier, l'augmentation des effectifs dans les juridictions d'application des peines et les services pénitentiaires d'insertion et de probation reste nettement insuffisante par rapport au surcroît de travail résultant de la création de la contrainte pénale par la loi du 15 août 2014. L'application des réformes judiciaires devrait être étalée dans le temps, afin de ne pas alourdir encore les tâches des personnels.
Enfin, plusieurs postes de dépenses apparaissent, une nouvelle fois, sous-dimensionnés : ainsi les frais de justice (449,9 millions d'euros), inférieurs de plus de 120 millions d'euros à la prévision d'exécution pour 2014, malgré les économies réalisées pour freiner leur augmentation.
Dans l'attente d'une réforme du financement de l'aide juridictionnelle qui pourrait intervenir en 2015, le financement complémentaire par des crédits extra-budgétaires, proposé à l'article 19 du projet de loi de finances, ne répond pas à l'objectif de modération de la pression fiscale et pénalise les détenteurs de contrats d'assurance de protection juridique. C'est pourquoi notre commission, sur l'initiative du rapporteur général, s'est prononcée pour une solution de financement pérenne et lisible : le rétablissement de la contribution pour l'aide juridique.
Si l'effort accompli dans le domaine de l'administration pénitentiaire est appréciable, l'objectif de 63 500 places de prison, sur lequel se fondait la programmation triennale 2013-2015, a été reporté à 2019, empêchant de mettre en oeuvre le principe d'encellulement individuel dans les maisons d'arrêt. La régulation budgétaire ayant porté en 2013 et 2014 sur les créations de places de prison, le solde annuel net moyen de 762 places sur la durée du quinquennat (2013-2017) reste inférieur de plus de moitié au solde net annuel de créations de places entre 2008 et 2012, lequel s'établissait à 1 575.
L'article 56 rattaché augmente le montant du droit de timbre dû en appel et allonge sa durée de perception, afin de financer les indemnités dues aux avoués dont l'office a été supprimé. Je vous propose d'adopter cet article qui tire les conséquences d'une sous-évaluation des dépenses et d'une surévaluation des recettes.
L'article 56 bis diffère de deux années supplémentaires l'entrée en vigueur de la collégialité de l'instruction, serpent de mer des réformes de la justice dont le principe a été voté en 1985, 1987 et 1993 et 2007, mais jamais mis en oeuvre faute de moyens, puisqu'il exigerait la création d'environ 300 postes de magistrats. Ce ne sera guère que son quatrième report... Un nouveau projet de loi devant être prochainement débattu au Parlement, je propose, dans l'attente de cette discussion, d'adopter cet article.
L'article 56 ter reporte de deux années supplémentaires l'entrée en vigueur de la suppression des juridictions de proximité. Comme pour l'article 56 bis, des consultations sont en cours en vue d'un débat parlementaire, même si aucun projet de loi n'a encore été déposé.
L'article 56 quater, enfin, reconnaît le caractère discriminatoire et abusif du licenciement pour faits de grève des mineurs grévistes en 1948 et 1952, et prévoit de leur verser, ainsi qu'à leurs ayant-droit, une allocation forfaitaire. Si je suis favorable à cet article qui répond à une situation spécifique et clôt un contentieux ancien ; je regrette néanmoins que son coût s'impute sur les crédits d'aide juridictionnelle destinés aux plus pauvres.
Je vous propose d'adopter sans modification les crédits de la mission « Justice », qui correspond à la mise en oeuvre d'une politique régalienne, ainsi que les articles 56 à 56 quater rattachés aux crédits de cette mission.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Justice », ainsi que les articles 56, 56 bis, 56 ter et 56 quater.
Enfin la commission procède à l'examen du rapport de M. Dominique de Legge, rapporteur spécial, sur la mission « Défense » et le compte d'affectation spéciale « Gestion et valorisation des ressources tirées de l'utilisation du spectre hertzien, des systèmes et des infrastructures de télécommunications de l'État ».
Facialement, le budget de la défense pour 2015 est conforme à la loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2014 à 2019. Les ressources totales de la défense, soit 31,4 milliards d'euros en crédits de paiement, sont stables par rapport à 2014.
La comparaison des budgets 2014 et 2015, programme par programme, est rendue difficile par la réforme, engagée en 2013, de la gouvernance des effectifs du ministère et du pilotage de sa masse salariale.
Conformément à la loi de programmation militaire (LPM), les crédits d'équipement des forces passent de 16,4 milliards d'euros en 2014 à 16,7 milliards d'euros en 2015. Afin d'améliorer la préparation et l'activité opérationnelle, les crédits consacrés à l'entretien programmé des matériels progressent de près de 4,5 %. Les programmes d'armement se poursuivent comme prévu, les autorisations d'engagement de la mission augmentant de 14 %. Cette hausse, conforme à la trajectoire fixée par la LPM, est rendue possible par la stabilisation des dépenses de fonctionnement et une baisse prévue de la masse salariale de 1,9 %. Les réductions d'effectifs sont d'ailleurs engagées selon le rythme fixé par la LPM - 7 500 emplois temps plein (ETP) seront supprimés en 2015 - et de nouvelles restructurations ont été récemment annoncées par le ministre.
Cette façade rassurante cache une réalité bien plus sombre : ce budget est irréaliste et insincère, sur le plan des dépenses comme des ressources.
Le premier des postes de dépenses manifestement sous-évalués est celui des OPEX. Leur coût en 2014 sera d'environ 1,1 milliard d'euros. Malgré ce dépassement de près de 650 millions d'euros, la provision destinée à couvrir ces opérations en 2015 est inchangée à 450 millions d'euros. Or je n'ai pas entendu dire que nous allions nous désengager du Mali, de la Centrafrique ou de l'Irak. Contrairement à ce qu'on a voulu nous faire croire, le ministère de la défense participe au financement des OPEX à hauteur de 30 % à travers la réserve de précaution interministérielle. D'ailleurs, 400 millions d'euros de crédits d'équipement de la mission « Défense » vont être annulés par décret d'avance pour 2014, au titre de la solidarité interministérielle
Les équipements, déjà très anciens, engagés en OPEX subissent une usure accélérée alors que nos forces en ont plus que jamais besoin. La prolongation de leur activité en attendant la livraison de nouveaux matériels pourrait coûter jusqu'à 350 millions d'euros sur la période de programmation, qui ne sont pas prévus au budget. C'est le coût des mesures de régulation des engagements, c'est-à-dire de la temporisation des commandes de nouveaux équipements provoquée par les multiples annulations de crédits que subit la mission « Défense » en cours de gestion.
Les dysfonctionnements du moteur de calcul de paie Louvois continuent de peser sur les dépenses de personnel de cette mission, qui finance l'intégralité du surcoût, selon le principe d'auto-assurance du titre 2 : 160 millions d'euros de crédits de paiement normalement destinés aux investissements seront annulés pour abonder ce titre 2.
La prévision de dépense pour 2015 ne prend pas en compte la probable répétition de ce surcoût, alors que le remplacement de Louvois ne devrait pas intervenir avant 2017. De l'ensemble de ces facteurs, qui se répéteront en 2015, il résulte que le montant des impayés reportés sur l'exercice 2015 pourrait atteindre 3,8 milliards d'euros, contre 3,4 milliards d'euros fin 2013 : la moitié des crédits d'investissement pour 2015 serviront à régler les impayés des exercices précédents, tandis que la moitié des dépenses prévues interviendront grâce à un crédit forcé sur les fournisseurs de la défense. Cette situation n'est soutenable ni pour le budget de la défense, ni pour ses fournisseurs, dont la trésorerie est mise à contribution.
La situation des ressources est tout aussi préoccupante. Pour atteindre les 31,4 milliards d'euros prévus, le budget 2014 avait complété les 29,6 milliards d'euros de crédits budgétaires par une ponction de 1,5 milliard d'euros sur le programme d'investissement d'avenir (PIA) et par 200 millions d'euros de produits de cessions. Contestable au regard des principes puisque les subventions destinées au CEA et au CNES venaient en réalité financer l'annuité 2014 de programmes d'armement déjà engagés, cette mesure avait au moins le mérite d'inscrire des ressources certaines.
La situation est bien différente pour 2015 : les crédits budgétaires proprement dits reviennent de 29,6 à 29,1 milliards d'euros. On cherche les 500 millions d'euros manquants dans des recettes exceptionnelles qui passeraient de 1,7 milliard d'euros en 2014 à 2,3 milliards d'euros en 2015... si elles se réalisaient. Or le contraire est certain, le ministre de la défense lui-même l'a reconnu. Un amendement du Gouvernement a en outre été adopté par l'Assemblée nationale : les crédits budgétaires sont encore réduits de 100 millions d'euros au titre du coup de rabot général.
Les ressources exceptionnelles censées compenser cette baisse viendraient de la vente des fréquences libérées par la TNT. Elle ne se réalisera pas dans le délai imparti. Le Gouvernement travaille actuellement à une solution de rechange : on nous annonce le montage complexe d'une société de projet qui rachèterait des matériels au ministère de la défense pour ensuite les lui louer. Nous ne sommes pas parvenus à obtenir le rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) et du contrôleur général des armées (CGA) sur ce sujet. Le problème posé pour l'indépendance de nos armées est manifeste, et d'un strict point de vue budgétaire, cela s'appelle de la cavalerie : il faudra un jour ou l'autre payer le coût de ce support.
La situation est d'autant plus grave que nos forces sont sollicitées au-delà de leurs capacités de régénération : la disponibilité des matériels s'effondre et la préparation des troupes en métropole en souffre. Les lacunes capacitaires se font de plus en plus criantes et les programmes d'armement censés les combler sont compromis par l'impasse financière dans laquelle se trouve la défense. Le ravitaillement en vol est assuré par des Boeing KC135 vieux de presque 60 ans, et dont la disponibilité ne cesse de diminuer. Les véhicules de l'avant blindé (VAB), eux, ont plus de 35 ans.
Quel signal envoyons-nous à nos soldats en siphonnant le financement de ces programmes vitaux pour notre sécurité ? On nous demande de voter un budget présentant 3,8 milliards de reports et 2,2 milliards d'euros de recettes exceptionnelles qui, de l'aveu même du ministre, ne se feront pas ; s'y ajoute le surcoût réel des OPEX, qui se montera à 0,2 ou 0,3 milliard d'euros pour le seul ministère de la défense. Ce budget est insincère à hauteur de 6 à 6, 2 milliards d'euros sur un total de 31 milliards d'euros.
Nous pourrions être tentés de faire confiance au Gouvernement, mais la nouvelle dégradation budgétaire dont l'Assemblée a été le théâtre la semaine dernière nous l'interdit. C'est un signe suffisamment grave pour que je vous invite, à regret, à ne pas voter à ce stade les crédits de la mission « Défense ». Nous nous associerions par-là à un mensonge d'État.
La tradition, pour la majorité sénatoriale, était de voter ou de s'abstenir sur les crédits de la défense. La gravité des éléments rapportés par Dominique de Legge la remet en cause. La France est sans doute le pays le plus engagé à l'extérieur. Certaines novations budgétaires sont inadmissibles : l'équilibre de ce budget repose sur des recettes exceptionnelles et aléatoires, pour ne pas dire illusoires. Il est donc insincère. Quant à l'idée d'une société de projet, si le ministère de la défense recourt déjà à des partenariats public privé (PPP), nous ne les avons jamais étendus aux armes létales. Nous sommes tout simplement en présence d'une technique de débudgétisation appliquée à l'armement. J'appelle à contrecoeur l'attention du Gouvernement sur la gravité de ses choix.
Je salue la lucidité de ce rapport. Je m'étais opposé à la loi de programmation militaire, qui promettait son lot de désillusions. La théorie des recettes exceptionnelles ne peut reposer que sur la durée ; à défaut, elle fait peser un risque important sur notre outil de défense, sur l'industrie, qui pâtit durement de l'absence de grands programmes, et bien sûr sur la situation de nos soldats présents sur différents fronts. L'idée de location de matériels ne doit pas être rejetée a priori, mais étudiée avec prudence.
Je crains de voir venir le moment où, après un événement grave sur un théâtre d'opérations extérieur, le matériel sera incriminé et où l'on nous demandera ce que nous avons fait. Nous ne sommes pas à la hauteur du courage de ceux que nous envoyons en opérations extérieures. Nous le répéterons avec force dans l'hémicycle : il n'est pas question pour nous d'approuver ces crédits.
Refuser les crédits de la défense nationale serait très grave à l'heure où la France, conformément à la tradition suivie depuis le général de Gaulle, est engagée seule dans plusieurs opérations extérieures. Nous devons pouvoir continuer à moderniser notre armée et à faire fonctionner l'industrie de la défense. Atteindre un consensus sur ces trois points suppose des équilibres complexes. Le sujet n'est pas uniquement budgétaire et comptable. Chacun en conviendra, le ministre de la défense se bat pour maintenir les capacités de l'armée française. C'est pourquoi je suis moins réservé que vous sur l'accélération des commandes à nos industries - Airbus Group, Dassault, Thales, Safran, la DCNS, le groupe de formation DCI...
La France vient de recevoir de l'Arabie saoudite une commande de 3 milliards de dollars de matériel militaire destiné au Liban. Nous pourrions créer un Special Purpose Vehicle (SPV), suivant l'exemple des États-Unis et d'Israël, afin de financer des achats d'armement moderne. Il ne s'agirait pas d'une société privée : l'État y détiendrait, moyennant 2 milliards d'euros ou 2,5 milliards d'euros, une minorité de blocage. Ce mode de financement de matériel militaire sophistiqué ne peut être écarté d'un revers de main. Avant d'entrer en guerre en 1917, les Américains ont acheté des chars Renault : cette réussite de Clemenceau a largement contribué à financer l'effort de guerre. Clemenceau ou de Gaulle ne sont pas des symboles de déclin.
Dispose-t-on d'une évaluation consolidée du coût de l'opération Louvois ? Je suis plus circonspect que vous sur celui du projet Balard. Les PPP ont fait l'objet d'évaluations critiques, notamment par le Sénat. Pour Balard, vous nous dites que le surcoût des travaux pourrait être compensé par la faiblesse des taux d'intérêt, en quelque sorte par accident. Ce n'est pas un argument que l'on peut retenir. S'il faut compter sur une baisse hypothétique sur les prochaines années, on peut se faire du souci.
Le président Wilson aurait aussi voulu que les Américains participent à la SDN, monsieur Germain. J'ai toujours voté les crédits de la défense, ou bien je me suis abstenu, quels que soient les gouvernements. C'est donc avec amertume que je me dispose à voter contre, en dépit de mon estime pour Jean-Yves Le Drian. Le chef d'état-major nous dit que nos soldats n'ont plus les moyens de s'entraîner et de faire sortir les blindés des casernes. On ne peut demander à notre armée d'être partout présente pour défendre nos valeurs tout en lui en refusant les moyens. Mon refus sera un vote d'appel au Gouvernement : la rigueur budgétaire ne doit pas compromettre notre défense, ce serait pour nous parlementaires une responsabilité dramatique.
Je voterai ces crédits pour démontrer la mobilisation de nos forces politiques au côté de nos forces militaires, malgré les arbitrages douloureux auxquels il nous faut consentir. Que pense le rapporteur spécial des mutualisations à l'échelle européenne ?
Réticent sur les PPP, je m'étais opposé à la désastreuse opération Balard. Je suis très réservé, pour les mêmes raisons, au recours à des sociétés pour louer du matériel. C'est une usine à gaz imaginée pour dissimuler l'insincérité de ce budget, que je ne voterai pas.
La droite est pourtant coutumière du recours aux PPP, notamment dans ses politiques locales. Il ne s'agit ici que d'un système financier remplaçant des acquisitions par des locations. Il serait intéressant de comparer l'effort de la France pour sa défense à celui de l'Allemagne...
La France consent un effort considérable au nom de toute l'Europe. Chaque rapporteur a fait une proposition de réduction de crédits. Quelle augmentation préconiseriez-vous ici ?
Le problème est bien, comme l'a dit le rapporteur général, celui de l'adéquation entre nos ambitions et nos moyens. La société de projet ne figure pas dans le budget que nous votons : l'évoquer revient à reconnaître que les recettes exceptionnelles inscrites dans ce budget ne se feront pas.
Nous n'avons pas obtenu communication du rapport que le Gouvernement a demandé à l'IGF - cela finira par un contrôle sur place et sur pièces. S'agirait-il de sociétés publiques ou privées ? Comment peut-on incriminer le PPP de Balard et en proposer de nouveaux pour l'armement ?
L'opération Louvois est un désastre dont nous subissons les conséquences. Le remplacement a été décidé fin 2013, la bascule aura lieu en 2017. Le coût exact semble difficile à obtenir. Se pose dans l'immédiat la difficulté de recalculer toutes les fiches de paye : si certains n'ont pas touché leur dû, beaucoup ont bénéficié de trop-perçus - qui ne reviendront pas dans le budget des armées.
Le logiciel Louvois a d'abord été testé de manière satisfaisante dans le service de santé des armées, qui compte 10 000 fonctionnaires. Puis il a été utilisé dans l'armée de terre. Il est très vite apparu qu'il n'était pas adapté à la complexité du paiement des soldats en campagne. Cela ne concernait théoriquement que 1,5 à 2 % des effectifs... mais jamais les mêmes ! En réalité, tous les soldats étaient susceptibles d'être affectés. Les épouses des militaires lésés se sont mobilisées pour réclamer à l'Etat les sommes non versées. A l'inverse, les engagés volontaires qui ont bénéficié de trop-versé ont quitté l'armée au terme de leur contrat sans rien signaler et le recouvrement des sommes payées à tort supposait des procédures complexes. Dans la marine, la mise en place de Louvois, demandée par l'État-major, s'est bien déroulée.
Grâce à Louvois, l'on aurait pu supprimer 800 emplois administratifs, soit l'équivalent d'un régiment qui aurait ainsi été sauvé. Le système n'a pas fonctionné car la paie du soldat est diabolique : chaque mouvement, chaque sortie du quartier ou de la caserne, chaque entrainement engendre des indemnisations dont le montant est variable et imprévisible. Le logiciel était adapté pour des petits effectifs mais non pour de grands effectifs centralisés.
La défense européenne n'est pas un élément nouveau. Il est loisible d'inscrire en recette exceptionnelle des contributions de nos alliés ; il appartient au Gouvernement de se rapprocher de ceux-ci pour garantir la recette attendue. En l'état actuel des choses, le budget est totalement déséquilibré.
Je partage l'analyse de François Marc selon laquelle il faut démontrer la mobilisation des forces politiques malgré les arbitrages. Mais de quelle mobilisation parle-t-on lorsque, la semaine dernière, l'Assemblée nationale a adopté en seconde délibération un amendement diminuant les crédits des armées ? Il est excessivement grave de continuer à inscrire des recettes dont chacun sait, y compris le ministre, qu'elles sont inexistantes.
Comme Jean Germain, je suis gêné de conclure à la non adoption de ces crédits mais c'est le meilleur service à rendre à nos armées. Nous ne pouvons laisser croire que nous pensons ce budget réaliste. Je veux espérer que, lors de la discussion en séance plénière, le Gouvernement annoncera qu'il va respecter la loi de programmation militaire et qu'il pourra trouver dans un délai raisonnable les 2,3 milliards d'euros de recettes exceptionnelles qui manquent actuellement. Nous reverrons alors notre position. En l'état du projet de Jean-Yves Le Drian, nous avons toutes les raisons de penser que cette recette n'existera pas en 2015. Ce vote est un appel au Gouvernement à se ressaisir et à dire la vérité au moment où nos forces armées sont engagées au péril de leurs vies.
À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat ne pas adopter les crédits de la mission « Défense ».
Les crédits du CAS sont tout aussi insincères. Je recommande le même vote.
La commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits du compte d'affectation spéciale « Gestion et valorisation des ressources tirées de l'utilisation du spectre hertzien, des systèmes et des infrastructures de télécommunications de l'État ».
La réunion est levée à 16h45.