Intervention de Yves Détraigne

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 28 mai 2014 : 1ère réunion
Délai de prescription de l'action publique des agressions sexuelles — Examen des amendements

Photo de Yves DétraigneYves Détraigne, rapporteur :

Le 5 juin dernier, j'ai rapporté devant vous une proposition de loi instituant une évaluation médicale à la conduite pour les conducteurs de 70 ans et plus.

Ce texte partait du constat qu'à compter d'un certain âge, probablement 70 à 75 ans, le conducteur est davantage vulnérable, mais aussi, sur le plan institutionnel, que la mise en oeuvre d'un permis de conduire européen allait de pair avec l'abandon du principe d'un permis délivré à vie, ouvrant la possibilité de contrôler régulièrement l'aptitude à la conduite. Ensuite, cette proposition de loi se fondait sur le constat que plusieurs pays prévoient déjà une visite médicale pour les conducteurs âgés, qui peut conditionner la validité du permis au-delà d'un certain âge.

Toutefois, lors de sa séance publique du 13 juin 2013, le Sénat a renvoyé la proposition de loi en commission. Le débat a souligné en particulier que les personnes âgées ne présentent pas le risque le plus élevé pour la sécurité routière, qu'elles se caractérisent plutôt par leur sérieux, qu'elles sont plus prudentes, qu'elles roulent moins vite ; il est également apparu que cette mesure stigmatiserait injustement les personnes âgées, qu'elle risquerait d'accroître l'isolement, notamment en milieu rural, et qu'elle aurait un coût élevé.

Le débat en commission a toutefois montré que la question méritait d'être approfondie. Un groupe de travail a donc été créé, avec Mmes Benbassa, Klès et Troendlé, pour conduire des auditions complémentaires et déterminer si une visite médicale préalable au permis de conduire était une mesure utile.

Nous avons entendu le délégué interministériel à la sécurité routière, le président du syndicat des médecins du permis de conduire et les représentants des assurances et des mutualistes.

Ces auditions nous ont montré que deux motifs s'opposent à l'organisation d'une telle visite médicale. En premier lieu, le lien entre âge du conducteur et accidentologie ne se vérifie pas avant un âge très avancé où il se confond en réalité avec l'état de santé : c'est donc moins une question d'âge que d'état de santé. Ainsi, le professeur Dominique Richter, représentant du syndicat des médecins du permis de conduire, estime que si une visite médicale devait être instituée, elle devrait alors intervenir sans condition d'âge.

La rédaction initiale de la directive européenne relative au permis de conduire imposait un examen médical à compter d'un certain âge, mais cette obligation a été rejetée par les pays où il existait déjà une telle obligation : ils ont expliqué que, mise en place dans les années 1950 ou 1960, elle n'avait pas fait la preuve de son utilité, mais qu'elle était en revanche politiquement très difficile à supprimer. Du reste, la question se pose de l'efficacité d'une telle visite, alors que l'état de santé peut se dégrader très rapidement.

En second lieu, les personnes âgées ne sont guère exposées aux facteurs de risque les plus graves - l'alcool, la drogue, la vitesse. Ce sont des personnes qui prennent peu de risques et s'autorégulent, au point que les assureurs ne les considèrent pas comme une population à risque. Elles limitent leurs déplacements en voiture au strict nécessaire, si elles sont isolées ou que manque une offre de transports publics.

Dans certains cas, la mesure pourrait avoir un effet contreproductif : plusieurs études ont montré que l'instauration d'une visite médicale incitait certaines personnes âgées à cesser de conduire, sans même tenter de passer cette visite, alors même qu'elles conduisent sans danger.

L'action la plus efficace en la matière, ainsi qu'il ressort de nos auditions, est plutôt de sensibiliser les médecins, surtout les généralistes, au fait que certaines pathologies rendent la conduite dangereuse, ou de les inviter à être attentifs lors de la prescription de certains médicaments ayant des effets négatifs sur le comportement des conducteurs. L'ordre des médecins s'y emploie, et cela fait également partie des actions que mène la délégation interministérielle à la sécurité routière : 220 000 brochures ont été envoyées à tous les médecins, généralistes et spécialistes sur le sujet des conducteurs âgés. Dominique Richter, représentant du syndicat des médecins du permis de conduire estime même que cette sensibilisation pourrait être intégrée dans les études de médecine.

En parallèle, il convient de poursuivre les activités de formation en direction des personnes âgées, à l'instar de celles dont les organismes de retraite ont pris l'initiative, et qui visent à leur rendre confiance tout en leur expliquant que dans certaines situations, la baisse naturelle de leurs réflexes doit les inviter à une prudence accrue, lors des traversées d'intersections par exemple.

Les auditions ont enfin montré que les dispositions en vigueur, comme l'article R. 221-14 du code de la route, qui permet au préfet de faire vérifier l'aptitude à la conduite d'une personne et de suspendre, le cas échéant, le permis de conduire, restent mal connues et sous-utilisées, ainsi que l'a relevé le délégué interministériel à la sécurité routière, qui a admis que les préfets pourraient être mieux sensibilisés à ce mécanisme.

En conclusion, j'estime donc, à la lumière du travail que nous avons conduit à la suite de l'adoption de la motion de renvoi en commission, qu'il n'y a pas lieu de poursuivre sur la voie législative. Il n'en reste pas moins que je suis régulièrement contacté par des journalistes de la presse écrite et audiovisuelle car le débat refait régulièrement surface dans les départements touchés par des accidents, souvent spectaculaires, mettant en cause des conducteurs âgés. Ainsi, pas plus tard que la semaine dernière, j'ai été contacté par des journalistes à la suite de la pétition lancée par les habitants de la commune de Saint-Jean-le-Vieux, dans l'Ain, contre un automobiliste de 77 ans qu'ils considèrent comme un danger public et à propos duquel le maire déclare, dans Le Parisien-Aujourd'hui en France : « Les députés devraient réfléchir à un texte qui, comme dans de nombreux pays, oblige à passer un examen médical à partir d'un certain âge ou en cas de maladie. »

S'il est vrai, cependant, que ces accidents sont souvent spectaculaires et mortels, ils sont relativement peu nombreux dans les statistiques de l'accidentologie, et c'est pourquoi je vous propose de nous en tenir là.

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