Cette communication sur les perspectives de l'après Stockholm s'inscrit dans un contexte particulier. Car c'est auprès de responsables européens en fin de mandat que j'ai recueilli les informations que je vais vous livrer. Si bien que le terme de « perspectives », avec ce qu'il comporte d'aléatoire, ne saurait être mieux choisi.
Le Programme de Stockholm adopté par le Conseil européen pour la période 2010-2014, était relativement ambitieux. « Mettre le citoyen au coeur de l'espace de liberté, de sécurité et de justice » : tel est l'objectif autour duquel s'articulaient ses grandes priorités. Le temps est venu d'en dresser le bilan et d'envisager le futur.
Qu'en est-il, tout d'abord, du volet « affaires intérieures » ?
S'agissant de la politique européenne de l'immigration, le bilan reste maigre. La réunion conjointe entre Parlement européen et parlements nationaux, organisée à Bruxelles, le 19 mars dernier, à l'initiative de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures, dite commission Libé, a bien fait apparaître que la politique européenne en la matière se réduisait, en dépit de grandes déclarations de principe quant à la nécessité d'une approche globale, à une tentative de rapprochement des règles en matière de droit d'asile ou de visas et à une contribution de l'agence européenne Frontex à la surveillance des frontières extérieures de l'Union.
À la Commission européenne, on estime, au demeurant, que les États membres sont, à titre principal, responsables du contrôle de leurs frontières extérieures. Pourtant, la situation est préoccupante. Le dernier rapport trimestriel de l'agence Frontex est, à cet égard, édifiant. En 2013, on a enregistré plus de 107 000 entrées illégales dans l'Union soit une hausse de 48 % par rapport à 2012. Le troisième trimestre 2013 a battu tous les records d'entrées illicites aux frontières extérieures de l'Union, avec 47 400 passages illégaux, contre 20 000 en 2012. Au quatrième trimestre de cette année, on a détecté aux frontières un nombre d'illégaux sans précédent depuis 2009 sur une période équivalente. Sur les quatre premiers mois de l'année 2014, le nombre de traversées recensées entre l'Afrique du nord et l'Italie aurait presque décuplé par rapport aux quatre premiers mois de l'année 2013. Au point que les autorités italiennes n'arrivent plus à faire face.
Il semble qu'on ait dépassé le stade où certains États membres, confrontés à de ponctuelles poussées migratoires, avaient simplement besoin d'être épaulés par l'agence européenne Frontex qui ne dispose, au demeurant, que de 300 agents avec un budget en diminution en 2014 - 89 millions d'euros, soit environ 0,4 % du budget de 24 milliards de dollars que les États-Unis y consacrent, avec 63 000 douaniers et leurs 50 000 garde-côtes.
Un projet de règlement sur la surveillance des frontières extérieures de l'Union est en cours de discussion. Mais il faut maintenant aller plus loin. Chaque État membre de l'Union doit comprendre qu'il est directement concerné par les pressions migratoires qui s'exercent sur les pays de la périphérie.
Le principe de libre-circulation à l'intérieur du territoire de l'Union ne peut plus être remis en cause - ce qui ne serait d'ailleurs pas souhaitable. En conséquence, tous les États membres ont la responsabilité de la surveillance des frontières extérieures. C'est la contrepartie de la création de l'espace Schengen. On ne devrait même plus parler de solidarité entre États membres mais de responsabilité commune.
Il y a plusieurs années, notre délégation aux affaires européennes avait préconisé la création de gardes-frontières européens. Cette proposition est toujours sur la table. Il s'agirait maintenant de l'activer. Contrairement à ce que certains pensent, c'est impérativement de plus d'Europe dont nous avons besoin sur ce dossier. Le repli sur soi serait parfaitement illusoire : les défis à relever en la matière appellent des réponses que chaque État membre seul est bien incapable d'apporter, et qui doivent mobiliser toute l'Europe.
Le règlement de la situation d'urgence que je viens de décrire n'est nullement contradictoire avec la mise en place d'une véritable gestion raisonnée et prospective des flux migratoires, à l'échelle européenne. Les principes qui doivent gouverner cette politique ont été définis depuis longtemps. Mais chacun voit que si l'actuelle crise migratoire ne trouve pas rapidement de solution, toute politique globale d'accueil et d'intégration risque d'être compromise.
J'évoquerai maintenant un dossier voisin du précédent, celui de l'asile.
Un chiffre tout d'abord : d'après Eurostat, les demandes d'asile dans l'Union européenne auraient atteint 435 000 en 2013, soit une hausse de 36 % par rapport à 2012.
En la matière, il existe, au sein de l'Union, de grandes disparités : quant au nombre des États membres qui accordent le droit d'asile, tout d'abord - cinq à six États, au premier rang desquels l'Allemagne, la France, la Suède et les Pays-Bas, prennent en charge 80 à 90 % des demandeurs d'asile - ; quant au taux d'acceptation, ensuite. Ainsi, certains États, accordent le statut de réfugié à 80 % des Irakiens qui en font la demande, quand d'autres ne le délivrent qu'à 3 % des demandeurs de cette nationalité !
Certains États, comme la France, ont une culture et une expérience de l'asile. D'autres en sont totalement dépourvus - c'est le cas des États nouvellement entrés dans l'Union européenne. Les procédures et les pratiques diffèrent d'un pays européen à l'autre. Le statut de réfugié et les aides qui l'accompagnent sont aussi très différents d'un État membre à l'autre.
Un paquet législatif comportant trois directives - la directive « qualification » - relative aux critères d'éligibilité des demandes -, la directive « procédure » et la procédure « accueil » - a été adopté par le Parlement européen au mois de juin 2013. L'adoption de ces textes et leur transposition devraient permettre un certain nombre d'harmonisations. L'actuelle explosion de la pression migratoire sur certains de ces pays pourra peut-être relancer le débat.
Mais ce qui importe avant tout pour l'Europe, c'est de mieux s'investir dans les régions du monde dont les demandeurs d'asile sont originaires. Les États européens devraient, par exemple, s'engager massivement avec des aides financières, mais aussi des programmes d'aide opérationnelle et technique, en faveur de l'Afrique et notamment en direction des pays africains qui accueillent parfois des millions de réfugiés. La Commission européenne appelle de ses voeux des programmes de ce type, qui pourraient être mis en oeuvre par les États membres de concert avec l'Union européenne, pour aider les régions du monde les plus concernées ; certains États européens, en fonction du contexte historique, pourraient d'ailleurs être mieux placés que d'autres pour piloter ce type d'opérations.
Dans le domaine de la sécurité intérieure, les progrès sont lents mais incontestables, notamment en matière de coopération policière. Europol, qu'une délégation de notre Commission des affaires européennes a récemment visité, apparaît à cet égard comme une vraie réussite. Se qualifiant lui-même comme un « méga-moteur de recherche », il facilite, à l'évidence, la transmission des informations entre États membres.
Il reste qu'aux yeux de la Commission, la sécurité intérieure est avant tout affaire des États membres et donc des politiques régaliennes. Elle ne s'en félicite pas moins de l'amélioration constante de la collaboration entre les différentes organisations policières. Cette coopération, au demeurant, a vocation à se renforcer à l'heure où la cybercriminalité et les différentes formes de grande criminalité organisée se consolident.
J'en viens aux perspectives de l'après Stockholm dans le domaine de la justice.
La Commission entend, à l'horizon 2020, renforcer ce qu'elle appelle l'État de droit. Elle a publié, au mois de mars dernier, une communication intitulée « Un nouveau cadre de l'Union européenne pour renforcer l'État de droit ». L'objectif est de combattre les violations du droit de l'Union lorsqu'elles existent, mais aussi la mise en cause des valeurs européennes dans tel ou tel État membre.
Lorsqu'un État membre de l'Union décide de se mettre en dehors de la loi, la Commission propose d'enclencher un mécanisme spécifique qui comprendrait deux étapes : un processus d'établissement des faits, suivi d'un dialogue avec l'État membre afin qu'il en vienne à respecter les règles et les valeurs de l'Union. Si ce dialogue n'aboutissait pas, une recommandation pourrait intervenir qui, si elle n'était pas suivie d'effet, serait susceptible de déclencher - perspective certes un peu illusoire et que la Commission appelle elle-même son arme atomique - l'application de l'article 7 du traité, qui prévoit la suspension du droit de vote au Conseil de l'État récalcitrant.
Des pays comme la Hongrie ou la Roumanie sont, en particulier, dans le viseur de la Commission. Rappelons par exemple que la Hongrie s'est débarrassée de 600 juges, tout simplement en abaissant l'âge de la retraite des magistrats.