Sur le dossier du parquet européen, que j'ai eu l'honneur de rapporter, nous plaidions, suivis en cela par beaucoup d'Etats membres, en faveur de la collégialité, quand la Commission européenne privilégiait un projet très intégré, qui érigeait l'Olaf (Office européen de lutte antifraude) en procureur général unique. Nous avons voté l'exception de subsidiarité, et, avec quatorze chambres nationales, brandi un carton jaune devant la Commission. Ce qui fut fructueux, puisqu'elle a revu son projet et ne se montre plus hostile à l'idée de collégialité. Elle s'attache, en revanche, à faire prévaloir deux aspects qui lui paraissent essentiels : l'efficacité et l'indépendance du parquet européen.
Le schéma qui semble rallier aujourd'hui tous les suffrages, à l'exception de ceux du Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni, serait le suivant : un procureur en chef avec cinq adjoints ; une formation collégiale de vingt à vingt-cinq membres - un par État. La formation collégiale, qui pourrait être divisée en chambres permanentes ou ad hoc pour traiter les dossiers, serait le lieu du pouvoir stratégique pour toutes les décisions importantes - engager des poursuites ou de classer sans suite une affaire, notamment. Le procureur européen serait quant à lui chargé de faire tourner la structure et d'assurer le suivi des dossiers traités. Dans les États membres, enfin, siègeraient des procureurs délégués.
La Commission européenne restera ferme sur ce qu'elle estime marquer l'indépendance du parquet européen à l'égard des États membres. Si une affaire concerne la Roumanie, par exemple, elle refuse que le procureur roumain du parquet européen soit seul en charge du dossier. Elle accepte toutefois, c'est le bon sens, que ce procureur puisse siéger dans la chambre qui prendra la décision.
En tout cas, tous mes interlocuteurs ont insisté sur le fait que le carton jaune des parlements nationaux a eu un impact psychologique déterminant. Voilà qui ouvre, peut-être, une ère de collaboration plus étroite entre la Commission européenne et les parlements nationaux...
J'en viens au dossier relatif à la protection des données personnelles, sur lequel il convient d'être prudent. La Commission recherche manifestement un hypothétique équilibre entre la protection des données et le développement des entreprises européennes dans le domaine du numérique. Les plus optimistes relèvent que la situation évolue lentement et que le Parlement européen a, pour sa part, bien avancé sur le sujet. Les pessimistes constateront qu'il sera sans doute difficile de trouver une solution avant la fin de l'année 2015, les blocages restant forts sur un certain nombre de points.
Les données personnelles constituent une matière première d'une valeur considérable : le marché mondial des données représente sans doute des trilliards d'euros. L'Europe, estime la Commission, a un puissant intérêt à voir se développer sur son sol des Google européens. Mais, d'un autre côté, il ne faut pas oublier les enjeux liés aux droits des personnes, auquel la France est très attachée : droit d'accès - qui détient quoi concernant tel ou tel citoyen -, droit au consentement, droit à l'oubli, droit au refus de voir traiter et exploiter des données personnelles, interprétation uniforme des droits des citoyens au niveau européen.
Le projet de règlement sur la protection des données personnelles civiles et commerciales, de même que le projet de directive sur les données pénales et judiciaires s'efforcent de répondre à ces enjeux.
À la suite de l'affaire Snowden, la Commission a adressé treize recommandations au Gouvernement américain pour « assainir » les relations entre l'Europe et les États-Unis en matière d'échange de données et rétablir la confiance. Douze d'entre elles ont un caractère technique ; la treizième touche à une question capitale : qu'advient-il des données européennes transférées aux Etats-Unis ? La discussion n'est pas facile mais les lignes semblent bouger. On se dirige, semble-t-il, vers une restriction d'accès à ces données pour les agences de sécurité, comme la NSA...
Qu'un désaccord persiste sur la treizième recommandation, soulèverait, estime la Commission, un vrai problème politique. Le gouvernement américain, rappelle-t-elle, n'est pas la seule partie prenante en la matière, et le Congrès américain semble plutôt hostile à la position européenne. La Commission invite donc les parlementaires des États membres à nouer le dialogue avec leurs collègues américains.
J'en viens à la formation des juges en Europe. C'est un aspect très important du programme de travail que la Commission européenne souhaiterait mettre en oeuvre pour les cinq prochaines années. La formation des magistrats tient une place importante dans le programme justice de 2015-2020. La moitié des crédits de la Commission dédiés à la Justice y sera consacrée.
J'en tire deux conclusions, non sans avoir au préalable rappelé que les éléments d'information qui m'ont été présentés, et qui constituent la matière première de cette communication, m'ont été fournis par des représentants d'institutions européennes en fin de mandat. J'ai donc été souvent destinataire de réflexions pouvant s'apparenter à des testaments politiques.
J'estime parfaitement fondé le souhait exprimé par la Commission de consacrer le mandat à venir à la simplification, à la consolidation et à la mise en oeuvre des textes législatifs existants au plan européen. Mes interlocuteurs se sont souvent montrés modestes, développant l'idée que les institutions européennes existaient pour apporter une valeur ajoutée aux politiques conduites par les États membres dans le secteur, et s'efforçaient de mettre en place un socle minimal et acceptable par tous de règles et de procédures dans le domaine de la coopération policière et judiciaire, de l'asile, de l'immigration, des visas, etc.
Ma seconde conclusion sera peut-être plus sévère, en tout cas plus franche. Dans le secteur de la justice et des affaires intérieures, l'Union européenne dispose de moyens fort maigres, voire dérisoires, même si certains investissements ont été substantiels, en particulier pour Europol.
Je vous ai indiqué tout à l'heure que le budget consacré par l'Union à la surveillance de ses frontières extérieures représentait environ 0,4 % du budget que les États-Unis dédient à cette fin. En adhérant à l'Union européenne, beaucoup d'États n'ont pas compris que l'entrée dans l'espace Schengen - la Bulgarie et la Roumanie n'y sont pas encore parties mais pourraient le devenir d'ici peu de temps - impliquait le contrôle de leur portion de frontières extérieures pour le compte de tous les autres États membres. Cette contrainte est d'autant plus forte que les accords de Dublin les obligent à traiter les demandes et à héberger, en cas d'acceptation, les réfugiés qui ont présenté leur requête sur leur territoire. Et pourtant, ces États sont souvent dans l'incapacité d'assurer un contrôle efficace de leurs frontières. Il y faudrait un renfort européen.
Désormais, il faut tirer les conséquences de cette situation. Le repli sur soi n'étant pas une solution, ce sont au contraire les moyens mutualisés de l'Europe toute entière qui doivent être renforcés et mis au service des politiques d'immigration, d'asile et d'intégration, pour le plus grand profit de tous les États membres de l'Union européenne.