Merci de m'accueillir et d'entretenir ce dialogue régulier entre nous, qui éclaire les décisions à prendre.
Les 34 plans industriels ont en effet été validés. Les feuilles de route ont été conçues et écrites par les industriels eux-mêmes. Les décisions ont été prises secteur par secteur, dans une perspective collective et tenant compte de la diversité de nos entreprises. En effet, toutes ne sont pas de grandes entreprises du CAC40, ni même de premier plan. Dans le big data par exemple, l'on trouve Atos, dirigée par Thierry Breton, grand groupe franco-allemand ; mais également OVH, start-up créative fondée par Octave Klaba qui emploie désormais plusieurs centaines de personnes. Un seul conflit est apparu, dans le secteur des déchets, entre Veolia et Paprec. Mme Royal et moi-même les avons finalement mis d'accord.
Ces 34 plans sont d'une richesse incomparable. Leur origine les rend à la fois plus audacieux et plus réalistes que s'ils avaient été conçus par l'administration ou par le politique. Ces entreprises connaissent leur secteur, leur marché et leur clientèle, et savent se projeter aux avant-postes des nouvelles frontières technologiques. Bref, ces plans nous remettent dans la course technologique, et nous font dans certains cas sauter une marche : là où nous étions en retard, nous avons les moyens de prendre de l'avance.
Leur financement est, pour la plupart, privé. C'est le cas pour les 780 millions d'euros prévus pour les 111 projets retenus dans le plan recyclage. Dans l'automobile, secteur traditionnellement soutenu, les aides publiques à la « voiture pour tous consommant moins de deux litres aux 100 km » sont minoritaires dans le financement du plan. Tous les fabricants peuvent construire une telle voiture, mais peu savent la vendre à 10 000 euros. Les prototypes présentés au prochain Mondial de l'automobile réuniront ces deux caractéristiques, grâce aux 120 millions d'euros du PIA et aux investissements des équipementiers. Les industriels trouvant un intérêt à investir déclenchent eux-mêmes d'autres décisions d'investissement.
Certains projets sont de la première importance, comme les 40 retenus dans la chimie verte ou les centaines dans l'agroalimentaire. La puissance publique est sollicitée dans certains domaines, mais intervient davantage par la commande publique et par des avances remboursables, en aucun cas par des subventions.
Les plans industriels sont financés par le PIA et la Bpi. Les trois phases du PIA ont été mises en ligne. Mon ministère a désormais la tutelle du commissariat général à l'investissement (CGI) afin de raccourcir les délais d'instruction des dossiers. Ceux-ci devaient auparavant passer par le commissaire général avant d'être validés - ou pas - par le Premier ministre, et leur instruction durait six mois au moins. Désormais, la direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (Dgcis), la direction générale du Trésor, le ministère « métier » concerné et le CGI sont mis autour de la table, prennent une décision en trois mois, soumise à ma validation. Le Premier ministre n'est sollicité qu'en cas de désaccord. Oui, dans certains cas, il faut un chef. L'innovation technologique suppose de l'innovation politique.
La Bpi est certes autonome, mais son action s'articule avec les priorités gouvernementales en matière industrielle. Lors de la conférence sociale, son directeur général, Nicolas Dufourcq, a rappelé la puissance qui lui avait été conférée grâce au renforcement de sa capitalisation. Mais sa force vient aussi de la politique industrielle que mène le gouvernement, qui vise à financer les priorités de la nation autant que les petits projets que le PIA ne peut soutenir. La Bpi participe aux 500 projets prévus dans l'agroalimentaire. Toutes les feuilles de route ont été validées en présence de la Bpi et du CGI - il y a ainsi une corde de rappel politique. Les 200 millions d'euros de l'enveloppe « innovation » octroyés par la Bpi ont été sanctuarisés dans les derniers arbitrages budgétaires et exercent un fort effet de levier. Chaque euro de subvention donne lieu à 22 euros de crédit, 37 si l'on prend en compte la mobilisation du secteur bancaire privé.
La Bpi peut toujours justifier ses choix, sur tel ou tel dossier, dans un sens ou dans un autre, que nous ne serions pas forcément fondés à contester. Mais quand on considère globalement son action à travers des ratios, on voit bien apparaître son caractère de banque publique. Sa rentabilité avoisine les 4 %, lorsqu'elle atteint les 8 % dans le secteur bancaire privé. Ses positions rentables financent celles qui le sont moins. La Bpi a, en définitive, le niveau de rentabilité d'une banque publique comme la Banque postale. Aller en-deçà serait dangereux. Ce taux atteint 6 % dans certains segments, 2 % dans d'autres. Je vous renvoie vers le directeur général de la Bpi pour plus de détails.
Nous nous apprêtons à rendre publics ces 34 plans, qui ébauchent rien moins qu'une nouvelle France. Prenez le plan « batteries » : nous n'en fabriquons pas, hors les batteries lithium métal polymère de Bolloré et les grosses batteries lithium-ion servant dans le ferroviaire. Doit installer des usines en France ? Comment reconquérir chaque brique technologique qui compose le secteur ? Le Commissariat à l'énergie atomique y a réfléchi, avec les industriels. Leur feuille de route est passionnante : lisez-la. Les pouvoirs publics sont, en définitive, faiblement sollicités sur le plan financier. Ces plans reposent d'abord sur le secteur privé. L'État intervient comme catalyseur, mais aussi au travers de la commande publique. Il nous faudra d'ailleurs réformer les règles de celle-ci le plus rapidement possible pour réduire les contraintes invraisemblables que nous nous sommes imposés nous-mêmes. C'est l'objet du projet de loi Mandon de simplification pour les entreprises ; le Gouvernement sollicite votre autorisation pour modifier par voie d'ordonnances les règles de la commande publique en matière d'innovation et introduire les clauses sociales et environnementale locales.
Les professions réglementées constituent des monopoles légaux, partiels ou totaux, ce qui leur permet de rendre un service dans des conditions avantageuses et de toucher une rémunération qui peut parfois être trente ou quarante fois supérieure à ce que le service justifie. Voyez les officiers ministériels... Je n'ai rien contre le fait de gagner de l'argent, mais abriter des professions libérales constitue, avouez-le, un étrange paradoxe. Je ne suis pas un apôtre de la concurrence à tout-va, mais un ministre soucieux de limiter les excès en chaque chose. Prenez l'exemple des ententes dans le secteur des télécommunications : elles étaient abusives et le pouvoir d'achat des consommateurs en a pâti ; mais l'ouverture totale à la concurrence n'a pas été saine non plus. Notre position sur la question des professions réglementées ne sera pas dogmatique, elle sera fondée sur les faits, au cas par cas.
Est-il normal, pour signifier un jugement, que le justiciable paye 40 ou 80 euros alors qu'une lettre recommandée, distribuée par la Poste dans des conditions spécifiques le cas échéant, suffirait ? De même, le monopole de la postulation devant les tribunaux de grande instance des avocats dans le ressort de leur barreau vous contraint à payer un avocat à Thionville si l'on vous y fait un procès, même si vous-même et votre conseil habituel habitez à Nantes... Les avocats ont certes besoin de vivre, et tout travail mérite salaire. Mais toute rémunération exige des efforts, et en l'espèce la condition n'est pas remplie. Croyez-en l'ancien avocat qui vous parle ! Pareil pour le notariat : les rentes de situation génèrent des rémunérations élevées et déconnectées des services rendus.
Je discuterai de toutes ces questions avec les professionnels. Les propositions de l'Inspection générale des finances (IGF) sont peut-être aveugles, peut-être pertinentes. Dans cette matière, ma science est insuffisante. J'avance avec la sérénité de l'homme à convaincre, pas celle de l'homme qui a tout décidé. La situation des greffiers des tribunaux de commerce, elle, est difficilement justifiable : il faudra y mettre un terme. Nous ferons dans tous les cas des propositions argumentées, soit de baisse des tarifs, soit d'ouverture à la concurrence. Cette dernière option n'est pas toujours la meilleure - le débat se pose pour les pharmacies, et la concurrence par les supermarchés. Elle n'est pas nécessairement source de dégâts. Elle peut même générer de l'activité, et être un aiguillon de modernisation et d'adaptation à la société numérique. Ainsi, Booking.com met péril notre petite hôtellerie. Si nous avions créé, derrière des plateformes de premier rang comme Google qui captent la valeur, des plateformes de second rang pour organiser un service mutualisé sous forme coopérative, nous n'en serions pas là. De même pour les librairies. Le secteur ne s'est jamais organisé pour livrer à domicile, ce qui contraint la ministre de la culture à agir. Nous arrivons toujours trop tard ! Il faut aider ces professions à s'adapter à un monde de plus en plus concurrentiel. La mondialisation déjoue les règles nationales, notamment fiscales. Conservons de la valeur chez nous, pour en faire profiter les caisses publiques. Le projet de loi contiendra également un volet innovation. Les 34 plans de reconquête industrielle exigent une adaptation de la législation dans certains domaines.
Les décrets de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, dans leur majorité, ont été pris. Nous sommes dans la phase finale d'application de la loi. Ceux de la loi du 18 juin 2014 relative à l'artisanat mettront plus de temps. Nous souhaitons néanmoins aller vite, et prendre en défaut la proverbiale lenteur de l'administration.
Lionel Jospin a laissé à la France un commerce extérieur excédentaire. En 2012, notre déficit extérieur atteignait 70 milliards d'euros. Nous l'avons réduit à 59 milliards d'euros. Mais nous ne parviendrons pas à l'équilibre sans une politique de compétitivité tournée vers l'intérieur de la zone euro, où nous réalisons 55% de nos échanges de biens manufacturés. Louis Gallois parle d'un travail de longue haleine : il a raison.
Notre attractivité s'est toutefois améliorée depuis un an, quatre baromètres récents en témoignent : ceux d'Ernst & Young, d'A.T. Kearney, de KPMG et de la Conférence des nations unies sur le commerce et le développement. Nous sommes revenus au niveau de 2010. Les investissements effectivement réalisés en France ont progressé de 8 points en un an selon Ernst & Young, et notre recherche et développement a bondi de 23 %. La France est reconnue comme une patrie d'innovation, et les 34 plans comme une cause de ces bons résultats. Paris est passé de la septième à la troisième place des villes les plus attractives de la planète. S'agissant des décisions futures des investisseurs, d'après un panel de 300 investisseurs mondiaux, la France devance l'Allemagne et le Royaume-Uni. L'attractivité ne repose pas que sur le coût du travail, mais aussi sur le coût de l'énergie et du capital. La Bpi montre que notre travail porte ses fruits : banque moins gourmande qu'une banque classique, moins rentable, mais plus patiente, elle est mieux à-même d'accompagner les petites entreprises aux faibles marges. Ses 3 000 participations la rendent unique au monde.
Le dossier Alstom n'était pas gagné, car General Electric a abattu ses cartes en 24 heures. Nous avions annoncé notre intention de bloquer l'opération en cas de refus d'une alliance. La branche énergie d'Alstom est finalement maintenue, et trois coentreprises sont créées : l'une dans les énergies renouvelables, une autre dans la vapeur et le nucléaire, la dernière dans les réseaux. Leur chiffre d'affaires cumulé avoisine les 7,5 milliards d'euros, davantage que la branche transports d'Alstom. Autrement dit, le décret Alstom du 14 mai 2014 pris par le Premier ministre et moi-même maintient sous étendard français 7,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Les sièges sociaux restent en France. Les dirigeants des structures sont français ou nommés avec notre approbation - la mienne, directement, s'agissant du dirigeant de la coentreprise formée dans le nucléaire. La possibilité de monter dans le capital de la coentreprise dans les énergies renouvelables n'est ouverte qu'à l'État français ; la barre des 50% du capital est, dans tous les cas, indépassable pour General Electric. Dans la vapeur, nous avons créé un CFIUS (Committee on foreign investment in the United States) à la française : un administrateur nommé par mes soins - M. Benjamin Gallezot, directeur adjoint de la Dgcis - n'aura pas voix délibérative mais exercera un droit de veto dans les cas mentionnés par la liste, longue comme le bras, jointe au protocole de 50 pages approuvé par tous.
Les Américains apportent 1,5 milliard d'euros de chiffre d'affaires dans les réseaux à la coentreprise. General Electric est un acteur de référence dans ce domaine. Les actifs sous contrôle d'Alstom sont ainsi renforcés. D'aucuns disent que nous avons abandonné la vapeur : c'est faux. Les turbines, Arabelle, les ilots conventionnels, sont maintenus dans la coentreprise. L'ingénierie, la conception, la fabrication et la livraison clés en main des usines, restent dans Alstom. D'autres soulignent que nous avons perdu le gaz : c'est vrai, mais il est produit en Suisse et en Allemagne. Bref, General Electric vendra du Alstom : c'est un allié.
D'autres enfin déplorent que l'État soit entré dans le capital, au motif que cela coûte cher. Or le contribuable n'y a rien perdu : l'État a vendu ses participations dans une entreprise pour investir dans une autre. Au surplus, l'argent est bien investi. Mettre 800 millions d'euros dans PSA s'imposait : nous ne pouvions laisser la famille Peugeot, seule dans un contexte profondément renouvelé par l'arrivée de Dongfeng ; de même, nous ne pouvions laisser Alstom, qui pèse 20 milliards d'euros, face à General Electric et ses 250 milliards d'euros, car le scénario à cinq ans était écrit. Bref, les deux milliards investis dans cette alliance de long cours rapporteront de l'argent au contribuable.