Commission des affaires économiques

Réunion du 15 juillet 2014 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • alstom

La réunion

Source

La séance est ouverte à 17 h 05.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Nous sommes heureux d'accueillir M. Arnaud Montebourg, quelques jours après la validation des ultimes feuilles de route relatives aux 34 plans de la Nouvelle France industrielle et dix mois après la présentation des priorités de la politique industrielle de la France par le président de la République. Comment ces plans s'articulent-ils avec le Programmes d'Investissement d'Avenir (PIA) et l'action de la Banque publique d'investissement (Bpi France) ? Avoir des outils ne suffit pas : encore faut-il les manier efficacement, au service d'une même finalité.

Vous avez également annoncé le dépôt à la rentrée d'un projet de loi sur la croissance et le pouvoir d'achat, qui devrait contenir une trentaine de mesures destinée à affaiblir les monopoles et à diminuer les rentes de situation de certaines professions réglementées - huissiers de justice, greffiers des tribunaux de commerce, taxis, etc. -, ainsi que le préconisait le rapport Gallois. Pouvez-vous nous donner davantage de détails ? Où pensez-vous l'inscrire dans l'agenda parlementaire, fort chargé au Sénat ?

Du chemin a été parcouru depuis le début de la mandature. Notre commission a examiné plusieurs réformes : sur le financement de l'économie et la création de la Bpi, sur la régulation bancaire, sur la consommation, puis l'artisanat, le commerce et les très petites entreprises... Avez-vous des éléments d'évaluation de ces textes ? La mise en place de la Bpi a-t-elle eu les effets escomptés ? Quelle est sa valeur ajoutée, par rapport aux outils qui existaient auparavant ?

Notre commission est également compétente en matière de commerce extérieur. Nous avons plusieurs fois auditionné Nicole Bricq...

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Où en est le plan de redressement de nos échanges extérieurs qu'elle avait lancé ? L'objectif de rééquilibrage de nos échanges commerciaux est-il atteignable ? Encore faudrait-il distinguer la facture énergétique du reste du déficit.

D'autres chantiers structurels sont en cours, sur la fiscalité des entreprises et des ménages, et sur la simplification administrative. Ces leviers sont essentiels pour la croissance potentielle du pays, mais leurs effets ne sont pas immédiats.

Enfin, quel bilan tirez-vous du dossier Alstom ?

Debut de section - Permalien
Arnaud Montebourg, ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique

Merci de m'accueillir et d'entretenir ce dialogue régulier entre nous, qui éclaire les décisions à prendre.

Les 34 plans industriels ont en effet été validés. Les feuilles de route ont été conçues et écrites par les industriels eux-mêmes. Les décisions ont été prises secteur par secteur, dans une perspective collective et tenant compte de la diversité de nos entreprises. En effet, toutes ne sont pas de grandes entreprises du CAC40, ni même de premier plan. Dans le big data par exemple, l'on trouve Atos, dirigée par Thierry Breton, grand groupe franco-allemand ; mais également OVH, start-up créative fondée par Octave Klaba qui emploie désormais plusieurs centaines de personnes. Un seul conflit est apparu, dans le secteur des déchets, entre Veolia et Paprec. Mme Royal et moi-même les avons finalement mis d'accord.

Ces 34 plans sont d'une richesse incomparable. Leur origine les rend à la fois plus audacieux et plus réalistes que s'ils avaient été conçus par l'administration ou par le politique. Ces entreprises connaissent leur secteur, leur marché et leur clientèle, et savent se projeter aux avant-postes des nouvelles frontières technologiques. Bref, ces plans nous remettent dans la course technologique, et nous font dans certains cas sauter une marche : là où nous étions en retard, nous avons les moyens de prendre de l'avance.

Leur financement est, pour la plupart, privé. C'est le cas pour les 780 millions d'euros prévus pour les 111 projets retenus dans le plan recyclage. Dans l'automobile, secteur traditionnellement soutenu, les aides publiques à la « voiture pour tous consommant moins de deux litres aux 100 km » sont minoritaires dans le financement du plan. Tous les fabricants peuvent construire une telle voiture, mais peu savent la vendre à 10 000 euros. Les prototypes présentés au prochain Mondial de l'automobile réuniront ces deux caractéristiques, grâce aux 120 millions d'euros du PIA et aux investissements des équipementiers. Les industriels trouvant un intérêt à investir déclenchent eux-mêmes d'autres décisions d'investissement.

Certains projets sont de la première importance, comme les 40 retenus dans la chimie verte ou les centaines dans l'agroalimentaire. La puissance publique est sollicitée dans certains domaines, mais intervient davantage par la commande publique et par des avances remboursables, en aucun cas par des subventions.

Les plans industriels sont financés par le PIA et la Bpi. Les trois phases du PIA ont été mises en ligne. Mon ministère a désormais la tutelle du commissariat général à l'investissement (CGI) afin de raccourcir les délais d'instruction des dossiers. Ceux-ci devaient auparavant passer par le commissaire général avant d'être validés - ou pas - par le Premier ministre, et leur instruction durait six mois au moins. Désormais, la direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (Dgcis), la direction générale du Trésor, le ministère « métier » concerné et le CGI sont mis autour de la table, prennent une décision en trois mois, soumise à ma validation. Le Premier ministre n'est sollicité qu'en cas de désaccord. Oui, dans certains cas, il faut un chef. L'innovation technologique suppose de l'innovation politique.

La Bpi est certes autonome, mais son action s'articule avec les priorités gouvernementales en matière industrielle. Lors de la conférence sociale, son directeur général, Nicolas Dufourcq, a rappelé la puissance qui lui avait été conférée grâce au renforcement de sa capitalisation. Mais sa force vient aussi de la politique industrielle que mène le gouvernement, qui vise à financer les priorités de la nation autant que les petits projets que le PIA ne peut soutenir. La Bpi participe aux 500 projets prévus dans l'agroalimentaire. Toutes les feuilles de route ont été validées en présence de la Bpi et du CGI - il y a ainsi une corde de rappel politique. Les 200 millions d'euros de l'enveloppe « innovation » octroyés par la Bpi ont été sanctuarisés dans les derniers arbitrages budgétaires et exercent un fort effet de levier. Chaque euro de subvention donne lieu à 22 euros de crédit, 37 si l'on prend en compte la mobilisation du secteur bancaire privé.

La Bpi peut toujours justifier ses choix, sur tel ou tel dossier, dans un sens ou dans un autre, que nous ne serions pas forcément fondés à contester. Mais quand on considère globalement son action à travers des ratios, on voit bien apparaître son caractère de banque publique. Sa rentabilité avoisine les 4 %, lorsqu'elle atteint les 8 % dans le secteur bancaire privé. Ses positions rentables financent celles qui le sont moins. La Bpi a, en définitive, le niveau de rentabilité d'une banque publique comme la Banque postale. Aller en-deçà serait dangereux. Ce taux atteint 6 % dans certains segments, 2 % dans d'autres. Je vous renvoie vers le directeur général de la Bpi pour plus de détails.

Nous nous apprêtons à rendre publics ces 34 plans, qui ébauchent rien moins qu'une nouvelle France. Prenez le plan « batteries » : nous n'en fabriquons pas, hors les batteries lithium métal polymère de Bolloré et les grosses batteries lithium-ion servant dans le ferroviaire. Doit installer des usines en France ? Comment reconquérir chaque brique technologique qui compose le secteur ? Le Commissariat à l'énergie atomique y a réfléchi, avec les industriels. Leur feuille de route est passionnante : lisez-la. Les pouvoirs publics sont, en définitive, faiblement sollicités sur le plan financier. Ces plans reposent d'abord sur le secteur privé. L'État intervient comme catalyseur, mais aussi au travers de la commande publique. Il nous faudra d'ailleurs réformer les règles de celle-ci le plus rapidement possible pour réduire les contraintes invraisemblables que nous nous sommes imposés nous-mêmes. C'est l'objet du projet de loi Mandon de simplification pour les entreprises ; le Gouvernement sollicite votre autorisation pour modifier par voie d'ordonnances les règles de la commande publique en matière d'innovation et introduire les clauses sociales et environnementale locales.

Les professions réglementées constituent des monopoles légaux, partiels ou totaux, ce qui leur permet de rendre un service dans des conditions avantageuses et de toucher une rémunération qui peut parfois être trente ou quarante fois supérieure à ce que le service justifie. Voyez les officiers ministériels... Je n'ai rien contre le fait de gagner de l'argent, mais abriter des professions libérales constitue, avouez-le, un étrange paradoxe. Je ne suis pas un apôtre de la concurrence à tout-va, mais un ministre soucieux de limiter les excès en chaque chose. Prenez l'exemple des ententes dans le secteur des télécommunications : elles étaient abusives et le pouvoir d'achat des consommateurs en a pâti ; mais l'ouverture totale à la concurrence n'a pas été saine non plus. Notre position sur la question des professions réglementées ne sera pas dogmatique, elle sera fondée sur les faits, au cas par cas.

Est-il normal, pour signifier un jugement, que le justiciable paye 40 ou 80 euros alors qu'une lettre recommandée, distribuée par la Poste dans des conditions spécifiques le cas échéant, suffirait ? De même, le monopole de la postulation devant les tribunaux de grande instance des avocats dans le ressort de leur barreau vous contraint à payer un avocat à Thionville si l'on vous y fait un procès, même si vous-même et votre conseil habituel habitez à Nantes... Les avocats ont certes besoin de vivre, et tout travail mérite salaire. Mais toute rémunération exige des efforts, et en l'espèce la condition n'est pas remplie. Croyez-en l'ancien avocat qui vous parle ! Pareil pour le notariat : les rentes de situation génèrent des rémunérations élevées et déconnectées des services rendus.

Je discuterai de toutes ces questions avec les professionnels. Les propositions de l'Inspection générale des finances (IGF) sont peut-être aveugles, peut-être pertinentes. Dans cette matière, ma science est insuffisante. J'avance avec la sérénité de l'homme à convaincre, pas celle de l'homme qui a tout décidé. La situation des greffiers des tribunaux de commerce, elle, est difficilement justifiable : il faudra y mettre un terme. Nous ferons dans tous les cas des propositions argumentées, soit de baisse des tarifs, soit d'ouverture à la concurrence. Cette dernière option n'est pas toujours la meilleure - le débat se pose pour les pharmacies, et la concurrence par les supermarchés. Elle n'est pas nécessairement source de dégâts. Elle peut même générer de l'activité, et être un aiguillon de modernisation et d'adaptation à la société numérique. Ainsi, Booking.com met péril notre petite hôtellerie. Si nous avions créé, derrière des plateformes de premier rang comme Google qui captent la valeur, des plateformes de second rang pour organiser un service mutualisé sous forme coopérative, nous n'en serions pas là. De même pour les librairies. Le secteur ne s'est jamais organisé pour livrer à domicile, ce qui contraint la ministre de la culture à agir. Nous arrivons toujours trop tard ! Il faut aider ces professions à s'adapter à un monde de plus en plus concurrentiel. La mondialisation déjoue les règles nationales, notamment fiscales. Conservons de la valeur chez nous, pour en faire profiter les caisses publiques. Le projet de loi contiendra également un volet innovation. Les 34 plans de reconquête industrielle exigent une adaptation de la législation dans certains domaines.

Les décrets de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, dans leur majorité, ont été pris. Nous sommes dans la phase finale d'application de la loi. Ceux de la loi du 18 juin 2014 relative à l'artisanat mettront plus de temps. Nous souhaitons néanmoins aller vite, et prendre en défaut la proverbiale lenteur de l'administration.

Lionel Jospin a laissé à la France un commerce extérieur excédentaire. En 2012, notre déficit extérieur atteignait 70 milliards d'euros. Nous l'avons réduit à 59 milliards d'euros. Mais nous ne parviendrons pas à l'équilibre sans une politique de compétitivité tournée vers l'intérieur de la zone euro, où nous réalisons 55% de nos échanges de biens manufacturés. Louis Gallois parle d'un travail de longue haleine : il a raison.

Notre attractivité s'est toutefois améliorée depuis un an, quatre baromètres récents en témoignent : ceux d'Ernst & Young, d'A.T. Kearney, de KPMG et de la Conférence des nations unies sur le commerce et le développement. Nous sommes revenus au niveau de 2010. Les investissements effectivement réalisés en France ont progressé de 8 points en un an selon Ernst & Young, et notre recherche et développement a bondi de 23 %. La France est reconnue comme une patrie d'innovation, et les 34 plans comme une cause de ces bons résultats. Paris est passé de la septième à la troisième place des villes les plus attractives de la planète. S'agissant des décisions futures des investisseurs, d'après un panel de 300 investisseurs mondiaux, la France devance l'Allemagne et le Royaume-Uni. L'attractivité ne repose pas que sur le coût du travail, mais aussi sur le coût de l'énergie et du capital. La Bpi montre que notre travail porte ses fruits : banque moins gourmande qu'une banque classique, moins rentable, mais plus patiente, elle est mieux à-même d'accompagner les petites entreprises aux faibles marges. Ses 3 000 participations la rendent unique au monde.

Le dossier Alstom n'était pas gagné, car General Electric a abattu ses cartes en 24 heures. Nous avions annoncé notre intention de bloquer l'opération en cas de refus d'une alliance. La branche énergie d'Alstom est finalement maintenue, et trois coentreprises sont créées : l'une dans les énergies renouvelables, une autre dans la vapeur et le nucléaire, la dernière dans les réseaux. Leur chiffre d'affaires cumulé avoisine les 7,5 milliards d'euros, davantage que la branche transports d'Alstom. Autrement dit, le décret Alstom du 14 mai 2014 pris par le Premier ministre et moi-même maintient sous étendard français 7,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Les sièges sociaux restent en France. Les dirigeants des structures sont français ou nommés avec notre approbation - la mienne, directement, s'agissant du dirigeant de la coentreprise formée dans le nucléaire. La possibilité de monter dans le capital de la coentreprise dans les énergies renouvelables n'est ouverte qu'à l'État français ; la barre des 50% du capital est, dans tous les cas, indépassable pour General Electric. Dans la vapeur, nous avons créé un CFIUS (Committee on foreign investment in the United States) à la française : un administrateur nommé par mes soins - M. Benjamin Gallezot, directeur adjoint de la Dgcis - n'aura pas voix délibérative mais exercera un droit de veto dans les cas mentionnés par la liste, longue comme le bras, jointe au protocole de 50 pages approuvé par tous.

Les Américains apportent 1,5 milliard d'euros de chiffre d'affaires dans les réseaux à la coentreprise. General Electric est un acteur de référence dans ce domaine. Les actifs sous contrôle d'Alstom sont ainsi renforcés. D'aucuns disent que nous avons abandonné la vapeur : c'est faux. Les turbines, Arabelle, les ilots conventionnels, sont maintenus dans la coentreprise. L'ingénierie, la conception, la fabrication et la livraison clés en main des usines, restent dans Alstom. D'autres soulignent que nous avons perdu le gaz : c'est vrai, mais il est produit en Suisse et en Allemagne. Bref, General Electric vendra du Alstom : c'est un allié.

D'autres enfin déplorent que l'État soit entré dans le capital, au motif que cela coûte cher. Or le contribuable n'y a rien perdu : l'État a vendu ses participations dans une entreprise pour investir dans une autre. Au surplus, l'argent est bien investi. Mettre 800 millions d'euros dans PSA s'imposait : nous ne pouvions laisser la famille Peugeot, seule dans un contexte profondément renouvelé par l'arrivée de Dongfeng ; de même, nous ne pouvions laisser Alstom, qui pèse 20 milliards d'euros, face à General Electric et ses 250 milliards d'euros, car le scénario à cinq ans était écrit. Bref, les deux milliards investis dans cette alliance de long cours rapporteront de l'argent au contribuable.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Dans le contexte actuel, cela ne peut faire de mal. J'ai une interrogation supplémentaire : il n'y a pas corrélation entre la hausse du crédit d'impôt recherche et les dépenses de recherche et développement. Comment expliquer ce paradoxe ? Vous avez pourtant souligné la progression de notre attractivité ...

Enfin, le rapport de l'IGF sur les professions réglementées sera-t-il rendu public ?

Debut de section - Permalien
Arnaud Montebourg, ministre

Oui, mais je me laisse quinze jours pour en décider précisément, le temps d'associer mes collègues à cette décision. Nous ne sommes pas responsables des indiscrétions dont la presse s'est fait l'écho, d'ailleurs inexactes.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Les chiffres évoqués ne sont certes pas à prendre tels quels. Les notaires ont également une fonction mémorielle et de conseil auprès des familles qu'ils suivent : leur valeur n'apparaît pas dans le rapport. Le cas des greffiers des tribunaux de commerce est plus simple : ils jouissent en effet d'une véritable rente de situation. Attention à ne pas affecter la qualité des services rendus à la population.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Merci pour cet exposé très intéressant.

S'agissant des 34 plans, je vous félicite pour la simplification des procédures. À l'origine, celles-ci étaient, c'est vrai, trop complexes. Nous attendons beaucoup de cette nouvelle architecture, qui semble plus efficace.

Les professions réglementées ont en effet donné lieu à beaucoup de commentaires dans la presse. Pourquoi le rapport de l'IGF est-il resté dans le coffre ? Comment articulerez-vous ses propositions avec les dispositions votées par les députés dans le cadre de la proposition de loi relative aux taxis ? Je rejoins notre président : les notaires ont une fonction de conseil et de dialogue avec les familles, qui n'est pas tarifée... Les pharmaciens de mon département, rural, commencent à s'inquiéter, car laisser jouer la concurrence dans ce domaine revient à programmer leur disparition. Sur ce sujet, soyons pragmatiques.

Une partie essentielle - près de 80 % - de notre déficit extérieur est liée à notre facture énergétique. Quels sont vos sentiments sur la transition énergétique ? Je connais votre position sur le nucléaire, constante et courageuse. Quid du gaz de schiste ? Le temps de la recherche et de l'expérimentation n'est-il pas venu ?

La solution que vous avez trouvée dans le dossier Alstom était la meilleure, bravo. Venant d'un libéral comme moi, et adressé à un ministre lui-même en voie de libéralisation, ce compliment atteste d'étranges convergences de vues !

Debut de section - Permalien
Arnaud Montebourg, ministre

Pas tout à fait...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

L'évaluation du montage financier aura lieu plus tard, ai-je compris. Qu'en attendez-vous ? Selon quel mécanisme l'État rachètera-t-il les actions de Bouygues ?

Les sous-traitants d'Alstom dans les énergies renouvelables s'inquiétaient du rapprochement avec Siemens ; et, dans une moindre mesure, de l'alliance scellée avec General Electric. Leurs inquiétudes sont-elles fondées ?

Je vous avais informé de la situation d'une imprimerie de mon département, mise en liquidation judiciaire la semaine dernière malgré l'appui des pouvoirs publics. Comment voyez-vous l'avenir de l'imprimerie en France, alors que le numérique les fait disparaître les unes après les autres ? De quels leviers dispose-t-on pour les sortir de l'ornière ?

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Jean-Claude Lenoir fait référence au rapport sur la fracturation hydraulique qu'il a écrit avec Christian Bataille au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifique et technologique. Sans-doute faudrait-il distinguer la question de l'opportunité d'exploiter le gaz de schiste de celle de la technique utilisée.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Vaugrenard

Je n'ai pas entendu la même chose que Jean-Claude Lenoir dans les propos du ministre - sans doute ne retient-on que ce qui nous fait plaisir à entendre...

Félicitations pour votre volontarisme et votre pragmatisme, monsieur le ministre ; ils sont indispensable dans la période que nous traversons.

Les décrets d'application de la loi sur l'artisanat, le commerce et les petites entreprises doivent être pris le plus vite possible. On parle beaucoup de nos grandes entreprises, et l'on a raison de le faire, mais notre tissu artisanal et commercial de proximité est fait d'entreprises non délocalisables qui ont aussi besoin d'être soutenues. Ce texte a de plus fait l'objet d'un consens large.

La France souffre, par comparaison avec ses voisins, des blocages de son dialogue social. Si cela continue, notre économie et nos emplois en pâtiront. Seules six branches sur quarante ont commencé à négocier les contreparties au crédit d'impôt compétitivité emploi. Il y a là un grave problème de confiance, qui mine notre potentiel de croissance. Comment ne pas réagir face à des partenaires sociaux qui augmentent leur propre rémunération de 29 % et réclament simultanément une baisse du Smic ? Comment progresser vers un système gagnant-gagnant, et empêcher les entreprises qui jouent le jeu de se sentir dupées ?

Les études que vous avez citées sur l'attractivité de notre pays sont intéressantes ; 34 % des investisseurs envisagent de s'implanter en France, contre 27 % en Allemagne et au Royaume-Uni : c'est significatif et cela va contre le pessimisme ambiant.

Un mot sur le rôle de la puissance publique dans la maîtrise du capital de nos grandes entreprises. La construction navale en est un autre exemple : les chantiers STX sont à vendre ; dans l'hypothèse d'un rachat par un concurrent européen, leur disparition est à craindre. Comment voyez-vous évoluer ce dossier ? Y a-t-il un repreneur ne cherchant pas à tuer l'entreprise ? À Saint-Nazaire, la construction d'un ferry d'un type nouveau, à gaz, est également menacée, faute de financements. Agissons vite, sans quoi le potentiel d'innovation et de recherche de cette entreprise de mon département nous échappera.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Chatillon

David Azéma, directeur général, sera-t-il remplacé à l'agence des participations de l'État ? Nous avions souhaité à l'unanimité que l'État nomme des administrateurs privés au-delà des administrateurs publics, pour insuffler de la compétence dans les conseils d'administration.

Chacun sait ce que Dexia apportait en termes de financement des collectivités du bloc communal, à qui elle prêtait 17 milliards d'euros par an ; personne ne l'a remplacée. Avec Bâle III, les banques privées ne jouent pas le jeu. Comment, sans l'appui des banques, financer des collectivités qui sont les plus gros investisseurs publics ? Comment soutenir l'artisanat de proximité et les travaux publics ?

Il faut simplifier les normes, ce maquis des 480 000 règlements - beaucoup plus que chez nos voisins. À titre d'exemple, les bailleurs publics de la région toulousaine m'ont indiqué qu'en limitant la mise aux normes handicapé au rez-de-chaussée des bâtiments, on économiserait 10 % de l'investissement global. De même, ne construire en ville qu'un parking par appartement au lieu de deux générerait d'appréciables économies...

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Je partage votre point de vue. Au lieu d'imposer à une cité universitaire d'avoir tous les appartements aux normes handicapés, nous pourrions satisfaire la demande en ne le prévoyant que pour le rez-de-chaussée, comme les pays nordiques. J'avais posé la question au Centre national des oeuvres universitaires et scolaires ; mais peut-être a-t-on peur de certains groupes de pression...

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Le Cam

Le notariat joue un rôle important en milieu rural, où il a déjà souffert de l'apparition des agences immobilières. Il représente pourtant une garantie de légalité. Il y a sans doute des choses à changer : les échanges de peu de valeur occasionnent des frais incompressibles de plusieurs centaines d'euros. Lorsqu'une commune doit racheter quelques mètres carrés, cela revient cher ! La concurrence pourrait avoir du bon, mais pourrait aussi porter un coup fatal au tissu local.

Les banques sont trop frileuses, dans le secteur de la construction ou de l'immobilier en particulier : elles préfèrent spéculer plutôt que prendre des risques pour des constructions pavillonnaires ou des rachats de maisons, sans parler de l'investissement productif.

Debut de section - Permalien
Arnaud Montebourg, ministre

Ce que j'en avais dit devant le Sénat avait déjà provoqué une grande émotion.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Leroy

Je vous adresse les mêmes félicitations que mon collègue Jean-Claude Lenoir : je vois avec plaisir votre détermination, notamment pour votre projet énergétique dans l'Est. Vos projets reposent bien souvent sur l'innovation ; mais quid des pôles de compétitivité ? Je rejoins la question du président sur l'efficacité du crédit impôt recherche dans la promotion de l'innovation dans l'industrie. Sous votre autorité, bien des projets évoluent grâce à l'action de l'État - ce qui n'épouvante pas le gaulliste que je suis. Mais les investisseurs privés, d'où qu'ils soient, sont encore très frileux vis-à-vis de l'industrie française : je suis curieux de savoir comment l'enquête qui conclut à des intentions d'investir en France plus élevées que chez nos voisins a été faite...

Que reste-t-il du grand emprunt ? Comment est-il levé et quel est son degré de consommation ? Il faudra remettre à niveau les centrales nucléaires - on parle de carénage - ce qui entraînera des chantiers considérables. Est-ce planifié ? Pour Cattenom, dans mon département, cela mobilisera sur six ans de 2 000 à 3 000 emplois. Il ne faudra pas trop tarder. Merci enfin de vous intéresser aux industries du bois : vous êtes le premier ministre de l'industrie à être venu au ministère de l'agriculture pour proclamer tout l'intérêt que vous portez à cette filière.

Je salue donc votre tentative de réhabiliter la politique industrielle.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Sur le carénage, il fallait poser la question à Henri Proglio : c'est EDF qui est concerné.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Dilain

L'une de vos 34 priorités est la rénovation thermique des bâtiments ; je vous remercie de l'avoir choisie, mais ne freinons pas - ce serait contradictoire - les efforts en cours dans ce domaine. L'agence nationale de l'habitat (Anah), par exemple, pulvérise ses objectifs, et pourrait les doubler, si on lui en donnait les moyens. Pour 500 millions d'euros de subventions versées, ce sont 1,2 milliards d'euros de travaux, avec 25 000 emplois maintenus ou créés. Stimuler d'un côté et freiner de l'autre relèverait de l'injonction paradoxale qui, selon les médecins, rend fou.

Debut de section - Permalien
Arnaud Montebourg, ministre

Pour entrer dans le capital d'Alstom, nous avons signé un pacte avec Bouygues, transmis à l'Autorité des marchés financiers (AMF), selon lequel pendant 22 mois à partir de l'entrée de General Electric, il ne peut nous vendre ses actions qu'à 35 euros. Au-delà, la loi du marché s'imposera. Nous n'avions pas d'obligation de les acheter dans ce cadre ; l'AMF nous a dénié ce droit en parlant d'action de concert ; nous avons décidé de nous ranger à cette décision pourtant discutable : nous pouvons en effet attendre 22 mois pour acheter à un autre tarif. S'il est plus élevé, nous utiliserons l'option ; s'il est moins élevé, nous attendrons. Nous pourrons acheter quelques actions en dessous du seuil de déclenchement d'une OPA que nous ne souhaitons pas. D'aucuns ont parlé de catastrophe pour le gouvernement : pas du tout ! Cela nous empêche d'agir vite, mais pas d'agir à nos conditions.

Nous discuterons avec General Electric des cas que vous me signalez : c'est notre allié, notre partenaire. Alliés d'un ministre socialiste : avouez que c'est distrayant ! Chacun fait son apprentissage : moi du libéralisme, paraît-il, et General Electric du socialisme...

Debut de section - Permalien
Arnaud Montebourg, ministre

L'imprimerie et surtout la papèterie sont sinistrées, nous en sommes conscients. L'essentiel des investisseurs étaient nordiques ; à cause de la surcapacité en Europe, ils ne veulent pas vendre et préfèrent fermer. Ceux qui rachètent viennent d'Asie, où il n'y a pas assez de capacités de production. Mais les propriétaires refusent de céder, comme à Docelles ou pour Storaenso. Nous nous interrogeons sur la manière de faire face à une stratégie de démantèlement. Nous n'avons pas de plan. Pour l'instant, nous comptons les trop nombreux morts. Toutes les idées pour construire un plan spécifique au secteur sont bonnes à prendre.

Debut de section - Permalien
Arnaud Montebourg, ministre

Faites-les nous passer. Une septième branche, la chimie, a signé dans le week-end un accord sur le CICE, avec une promesse d'embauche de 47 000 et de 1 000 alternants : pour un secteur de 200 000 personnes, « ça se connaît », comme on dit dans mon pays ! Je ne sais pas si le Sénat a lui aussi un comité de suivi parlementaire sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) - peut-être pourriez-vous créer une structure commune avec l'Assemblée nationale. J'ai demandé à l'Insee des enquêtes qualitatives : dans les services, 43 % des entreprises envisagent d'embaucher, 31 % dans l'industrie ; enfin, 50 % des entreprises tous secteurs confondus envisagent d'investir, ce qui marque un niveau de confiance élevé.

Les baromètres de l'attractivité sont anciens, non gouvernementaux ; ils constatent un décrochage en 2010 et une remontée spectaculaire l'année dernière. On m'accuse souvent de faire fuir les investisseurs étrangers par mes déclarations, par mon décret du 14 mai... La preuve que non : ils affluent ! Ils ne s'interrogent pas sur la question de savoir si les Nations ont encore le droit de vivre et de se défendre : c'est un fait, dans le monde, elles le font et le feront, quoi qu'il en coûte. Vous ne pouvez pas empêcher une Nation de dire : ça, c'est en dehors de la concurrence ; ça, on n'y touche pas, c'est notre travail, notre sueur, notre sang, notre histoire ! C'est le cas d'Alstom. Tant que je suis là, personne ne le marchandisera. Cessez, je vous en prie, cette espèce de logomachie libérale stupide du Financial Times, que les députés UMP, en particulier, répètent à l'envi. Nous avons encore le droit de décider ; nous ne sommes pas une colonie des investisseurs étrangers !

Des offres sont sur la table pour STX, nous en faisons la revue. Nous voulons, comme vous, d'un investisseur de long terme, patient, d'un industriel sincère qui ne cherche pas avant tout à se débarrasser d'un concurrent, loyal partenaire de l'État qui restera dans le capital : l'oiseau rare ! Mais nous avons des touches : le poisson arrive à la marée...

Sur les ferrys à gaz, l'autorité judiciaire britannique nous a donné tort : nous n'avons pas de solution et nous en cherchons.

Nous sommes en train de choisir le remplaçant de David Azéma. C'est difficile : la loi Cahuzac place tout détenteur d'autorité en relations avec l'économie en situation de conflit d'intérêts potentiel. Tous les candidats se demandent ce qu'ils feront après... ils se voient déjà cernés par les conflits d'intérêts ! Nous voulons quelqu'un qui vienne du monde de l'entreprise. La doctrine de l'État actionnaire que nous avons redéfinie et communiquée au Conseil des ministres, se construit sur des stratégies d'influence. Là où il est majoritaire, actuellement, il ne peut pas l'être au conseil d'administration : mais qui a pu inventer une chose pareille ? Il faut en finir avec cette règle ! Là où l'État est minoritaire, il doit augmenter sa puissance de frappe. Il n'a pas vocation à devenir majoritaire dans des entreprises comme Renault, Alstom, PSA - dans ces secteurs, l'État n'a pas compétence pour diriger, contrairement aux industries de souveraineté. Mais il peut être davantage influent. Pour cela, les administrateurs doivent être non pas des fonctionnaires d'autorité, mais des stratèges d'influence. Grâce aux administrateurs indépendants, l'intérêt de l'entreprise peut rejoindre celui du personnel ou l'intérêt général. Nous devons donc faire évoluer les 700 administrateurs : j'ai bien l'intention de diversifier le cheptel !

Debut de section - Permalien
Arnaud Montebourg, ministre

Ils devront travailler : représenter l'État n'est pas une profession libérale que l'on pratique à son compte ! Nous avons 110 milliards d'euros de participations dans 70 entreprises ; la première est GDF-Suez, avec 40 milliards. Notre stratégie d'influence est loyale : nous ne déléguons pas des Mata-Hari dans les conseils d'administration, mais essayons de convaincre. Les administrateurs devront changer de culture : ils ne sont plus là seulement pour prendre des ordres afin de savoir ce qu'ils doivent voter, mais ils devront être là pour discuter et réfléchir... C'est une mutation.

La fin du monopole n'est pas la fin des notaires, mais la fin de l'obligation de passer par les notaires : nuance ! Les gens auront le choix.

Debut de section - Permalien
Arnaud Montebourg, ministre

Peut-être pas : TF1 est resté le numéro un après sa mise en concurrence, Orange aussi. J'entends votre appel à la prudence. Le milieu rural a bon dos : les charges de notaire y sont très rentables, beaucoup plus qu'en milieu urbain, sauf dans les métropoles où réside une clientèle aisée.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Il y a des règles, comme celle des 2 000 habitants.

Debut de section - Permalien
Arnaud Montebourg, ministre

Nous pouvons aussi décider de baisser les tarifs. Nous reviendrons devant vous sur ces questions.

Nous avons tranché l'affaire des banques. Les rapports lénifiants de la Banque de France détonnaient avec les remontées du terrain : la situation était en réalité catastrophique pour les crédits de trésorerie, provoquant des défaillances de TPE et de PME. Nous avons donc dit aux banques que nous allions lier leurs bonus - qui ont encore augmenté - à l'obligation d'apporter ces financements de court terme aux TPE, lors d'un accord de place qui favorise l'économie réelle. Nous leur avons aussi demandé de financer les plans industriels derrière la Bpi.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Les TPE n'ont pas de fonds de roulement car elles sont sous-capitalisées, contrairement aux entreprises allemandes.

Debut de section - Permalien
Arnaud Montebourg, ministre

J'ai sanctuarisé les pôles de compétitivité : le fonds unique interministériel (FUI) reste de 100 millions. Nous avons cependant abandonné le financement de leur animation. Mais devons-nous en garder soixante-dix ? Aux États-Unis, il y en a six. On me demande de faire des économies sur cela... comme sur tout.

Nous avons fait le choix d'une relance par l'investissement privé sous impulsion publique, faisant preuve d'un rooseveltisme réinventé : les barrages, la fibre, les chaînes hôtelières, les ports, les infrastructures du savoir... Avec peu d'argent public, nous pouvons mobiliser beaucoup d'argent privé. Nous voulons faire par exemple des paradores français : pourquoi ne pas mettre nos monuments historiques parfaitement entretenus, peu visités, en baux emphytéotiques en conservant la possibilité de visiter ? Stéphane Le Foll est d'accord pour les haras nationaux ; il y a de nombreux châteaux - il n'y a pas que le Mont-Saint-Michel et Carcassonne en France - qui pourraient être valorisés par lots de dix à quinze pour créer un appel d'air.

En Languedoc-Roussillon, chaque commune du littoral a son projet de port de plaisance : des milliers de plaisanciers ne trouvent pas d'anneau. Nous imaginerons des opérations d'investissement sur fonds privés uniquement, puisqu'une recette permet de rentabiliser ces investissements ! Même chose pour la centaine de sites potentiels inventoriés par l'administration - dont trois ou quatre sur le Rhône - qui pourraient accueillir des barrages. Ce sont des ateliers nationaux sur fonds privés. Peu d'argent public, beaucoup d'investissement privés et énormément de travail pour la Nation, voilà ma logique. Nous sommes en train de sortir les dossiers des cartons - nous aurons besoin de votre aide pour simplifier la réglementation « grenellienne »... il y en a, du batracien à ventre jaune, de la barge à queue noire, du crapaud sonneur à défendre !

EDF prévoit plusieurs dizaines de milliards d'euros d'investissement pour le grand carénage, pour des dizaines de milliers d'emplois. Cela sera fait dès la première lecture acquise de la loi, pour qu'EDF ait une visibilité à long terme. Nous avons plafonné la part d'énergie nucléaire dans la loi, mais la prolongation reste possible - position interministérielle que j'approuve.

Notre position sur la rénovation thermique des bâtiments est très pratique : ce sont les industriels du secteur, Point P et Delta Dore qui proposent des solutions aux artisans, que Point P forme gratuitement, avec Isover, Saint-Gobain, etc. Cela n'enlève rien à ce qui existe : nous nous contentons de l'offre industrielle ; la demande relève de Mme Ségolène Royal.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Je vous remercie d'être venu.

La réunion est levée à 18 h 40.