Je vous remercie de votre invitation : c'est un plaisir et un honneur de parler devant votre prestigieuse commission. Ma nomination est toute récente, j'ai néanmoins voulu maintenir ce rendez-vous par respect du Parlement ; j'ai été députée suffisamment longtemps pour estimer que les parlementaires n'ont pas à être les otages des remaniements ministériels. Je l'ai fait également parce que cette loi traduit un engagement fort du Président de la République, énoncé à plusieurs reprises, pour lequel, devant l'impatience qu'ont nos concitoyens à observer des résultats, nous ne devions pas allonger les délais. Ce projet de loi constitue un vrai progrès dans notre politique de développement et de solidarité internationale en termes de transparence, de cohérence et, je l'espère, d'efficacité.
Je salue le travail remarquable de mon prédécesseur au développement, Pascal Canfin, qui est, en lien étroit avec Laurent Fabius, l'instigateur de ce projet de loi. Bien entendu, le texte mérite d'être affiné, peut-être même allégé et j'ai toute confiance en la sagesse du Sénat pour l'améliorer. Mais il contient déjà les grands principes et les grandes orientations nécessaires. En cette première audition devant une commission parlementaire, je veux aussi vous présenter les grandes lignes de mon action. Je me donne pour axe de travail l'approfondissement dans la continuité. Une refondation de notre politique de développement a été entreprise par mon prédécesseur ; je ne suis pas de ceux qui aiment à renverser la table pour imprimer leur marque et j'ai toujours dénoncé les méthodes qui privilégient la communication au détriment de l'action. Le travail réalisé jusqu'ici, mené en coordination avec le ministère des affaires étrangères, le ministère de l'économie et des finances et l'AFD, a été de qualité. Tout a été fait pour chercher un consensus avec les ONG, avec les parlementaires, avec les collectivités territoriales et les différentes administrations.
L'élaboration d'un cadre d'action qui ne soit pas seulement l'apanage de l'exécutif, mais soit soumis à l'approbation et au contrôle du Parlement, est une première étape. La discussion du projet de loi parachève ce temps de la concertation, de la mise en cohérence et de la transparence. Un deuxième temps suivra : celui de la mise en oeuvre de tous ces principes et orientations. Il faudra s'assurer que les bonnes intentions sont mises en pratique pour que l'efficacité que nous appelons de nos voeux devienne une réalité plus tangible.
Cette efficacité, nous la devons à nos concitoyens, car l'argent public est un bien précieux qui doit être utilisé au mieux, comme je l'ai défendu pendant sept ans à la commission des finances de l'Assemblée nationale. Nous la devons aussi aux pays partenaires et aux populations que nous aidons. L'Agence française de développement est aujourd'hui un outil essentiel et son action doit être exemplaire ; son nouveau contrat d'objectifs et de moyens, pour 2014-2016, vous sera transmis bientôt. Cette efficacité, nous la devons également à la stabilité internationale. Je le dis en tant qu'auditrice de la session annuelle « politique de défense » de l'IHEDN ! On le voit très bien au Mali et en République Centrafricaine par exemple. Nous la devons enfin à la France, pour renforcer notre influence internationale : la politique de développement est un signe de générosité qui fait la grandeur de notre pays et affermit notre voix dans le monde.
Ce deuxième temps sera également marqué par les négociations sur le climat. La France accueillera en 2015 la 21ème Conférence des Nations unies sur le changement climatique. Préserver le climat, éviter un réchauffement de la planète supérieur à deux degrés, cela exige d'agir en faveur du développement. Le dérèglement climatique est en effet l'une des plus grandes menaces pour le développement des pays les plus pauvres, que nous devons aider à choisir un mode de développement écologiquement soutenable et à s'adapter aux impacts du changement climatique. La Conférence de Rio+20 en 2012 a lancé le travail de préparation des objectifs de développement durable qui devront être adoptés par l'Assemblée générale des Nations unies en septembre 2015. Enfin, je poursuivrai le dialogue avec les ONG, qui jouent un rôle fondamental dans ce domaine. Je remercie tous ceux qui oeuvrent chaque jour pour améliorer la vie quotidienne et préparer l'avenir de centaines de millions de personnes. Les instances de consultation sont désormais en place ; il faut les faire vivre. Je réunirai prochainement le Conseil national du développement et de la solidarité internationale, qui au-delà des acteurs que j'ai déjà cités, rassemble les syndicats, les entreprises, les organismes de recherche. La démarche a été collective et doit le rester, c'est la condition de la performance.
La francophonie est dans mon périmètre d'action ; c'est un honneur pour une élue de Saint-Pierre-et-Miquelon, territoire à l'avant-poste d'un grand bassin francophone. Les territoires ultra-marins doivent devenir les têtes de pont de la France, pour faire rayonner la francophonie dans le monde. Car la francophonie, ce n'est pas la France, c'est le monde. C'est la langue de toutes ces personnes qui l'étudient, la parlent ou souhaiteraient la parler, et l'aiment, tout simplement. Parce qu'elle est attachée à des valeurs et à une culture partagée.
Mon ambition est de rendre la francophonie encore plus dynamique et la langue française plus attractive. Je veux consolider le travail engagé depuis près de deux ans par Yamina Benguigui, dont je tiens ici à saluer le travail et l'engagement, en particulier pour les droits des femmes francophones. L'une de mes priorités sera la jeunesse francophone. Pour l'ancienne conseillère d'éducation populaire et de jeunesse que je suis, c'est une question essentielle. Actuellement, 60% de la population francophone a moins de 30 ans. Les projections annoncent 800 millions de locuteurs francophones en 2050, dont plus de 80% en Afrique. C'est un formidable essor potentiel, plus rapide que la croissance de la population mondiale, qui doit être accompagné par une politique linguistique ambitieuse. Je veillerai ainsi à la mise en oeuvre du fonds de solidarité prioritaire « 100 000 professeurs pour l'Afrique » et approfondirai le renforcement de l'espace francophone dans le domaine scientifique. La francophonie, c'est un privilège culturel mais c'est aussi un atout politique et économique : l'espace francophone représente 15% de la richesse mondiale et 12% du commerce international. Le prochain sommet de l'Organisation internationale de la francophonie à Dakar en novembre prochain sera un grand rendez-vous, au cours duquel sera désigné un nouveau secrétaire général.
Le regroupement de la francophonie et du développement au sein d'un même secrétariat d'État n'est pas un renoncement comme je l'ai entendu dire ; au contraire, il s'inscrit dans une logique de complémentarité et d'efficacité. Sur l'éducation, par exemple, améliorer l'accès à l'éducation et la qualification des enseignants, c'est développer l'enseignement du français. La quasi-totalité des seize pays pauvres identifiés comme prioritaires est francophone.
J'en viens au projet de loi. Il est composé de deux parties : 10 articles et un rapport annexé. L'une de ses lignes directrices est la transparence. Il est issu des Assises du développement et de la solidarité internationale qui, de fin 2012 à début 2013, ont renoué les fils du dialogue entre l'État et la société civile. Elles se sont conclues sur la nécessité d'un texte, soumis au Parlement, consacrant les orientations de la politique de développement. Le contrôle du Parlement ne s'arrêtera pas à cette seule loi : vous serez régulièrement informés par des rapports plus nombreux. Les évaluations seront systématisées selon une grille d'indicateurs communs clairement définis dans le rapport annexé au projet de loi. Ces orientations ne doivent cependant pas être figées dans le marbre ; à la demande des députés, une révision aura lieu dans cinq ans.
L'autre objectif du projet de loi est d'apporter une plus grande cohérence à notre politique de développement, pour plus d'efficacité. Cela passe notamment par la prise en compte des spécificités des pays : il y a plusieurs « Sud ». L'action de la France doit sans cesse s'adapter à un monde en mouvement. J'ai trop souvent critiqué l'uniformité de la politique à l'égard de l'outre-mer pour ne pas m'attacher à une logique de partenariats différenciés.
Le projet de loi cherche également à donner plus de cohérence à l'action multilatérale et à l'articuler au mieux avec l'aide bilatérale. Je ne rêve pas, par purisme méthodologique, d'une unique action mise en oeuvre par un unique organisme. Toutes les initiatives enrichissent notre aide au développement ; mais elles doivent être mieux valorisées, notamment en améliorant leur visibilité. C'est ce qui est proposé aux collectivités, à travers la notion d'action extérieure des collectivités territoriales, volontairement plus large que le terme de coopération décentralisée. Cela donne plus de liberté aux collectivités et sécurise leur action - c'est là l'un des principaux apports normatifs du projet de loi. La politique de développement économique doit aussi être mieux coordonnée avec les autres politiques publiques, comme dans le domaine fiscal et environnemental, la promotion des libertés individuelles et des droits de l'homme, ou encore la politique outre-mer.
Les députés ont inscrit l'objectif de 0,7% du revenu national brut (RNB) dédié au développement dans le projet de loi. Il est également indiqué que la France reprendra une trajectoire ascendante vers les objectifs qu'elle s'est fixés dès lors qu'elle renouera avec la croissance.