Les transactions du secteur non régulé représentent un enjeu colossal. Que la terminologie ne vous trompe pas : l'opposition n'est pas tranchée entre secteur régulé et non régulé. Il existe toute une palette de situations intermédiaires. Les fonds monétaires, par exemple, ne sont pas soumis au régulateur bancaire mais relèvent de notre supervision. La terminologie de shadow banking est une vue de banquier, qui consiste à penser que des acteurs font de la banque en dehors de la régulation bancaire. Nous préconisons pour notre part de proscrire les fonds à valeur constante, un peu trompeurs, au profit de ceux à valeur classique, autrement dit celle du patrimoine divisé par le nombre de parts. Nous participons à des ateliers internationaux sur ces sujets. Le plus lourd est celui des hedge funds et de leurs relations avec les banques. Il a été sérieusement travaillé par les régulateurs bancaires, et nous devrions parvenir à introduire un minimum de discipline dans ce secteur, d'autant qu'EMIR prévoit de faire passer une grande partie des transactions sur les dérivés, soit des centaines milliards de dollars, par les chambres de compensation, avec reporting et appels de marge.
Nous sommes l'un des États les plus favorables à l'ESMA tandis que les Allemands sont plus réservés, et que les Anglais se trouvent dans une situation déséquilibrée : notre autorité, qui est l'une des plus importantes, compte 450 agents, quand l'autorité anglaise en compte 4 000... Cela influe évidemment sur les rapports de force lorsque nous cherchons à établir une règle pour les Vingt-huit... L'ESMA n'en fait pas moins un bon travail, grâce à des équipes compétentes. Elle est financée à 60 % par les régulateurs, qui connaissent des difficultés budgétaires. Nous y tenons un rôle actif : je fais partie du management board et je préside le groupe corporate finance qui traite du droit des prospectus, des OPA et de toutes les questions d'émetteurs. Nous nous efforçons d'éviter le piège du juridisme et de faire des choix respectueux tant des intérêts des épargnants que de ceux des émetteurs.
Fabienne Keller m'interrogeait sur la déclaration des transactions de gré à gré. Toutes les transactions dérivées, y compris les OTC, sont désormais soumises à cette obligation, mais elle ne s'applique en France que depuis février. Nous sommes encore dans une phase de montée en puissance et de simple collecte des données. Nous ne serons en mesure de les exploiter que dans un an ou deux. Le risque est que nous dépensions beaucoup d'argent et d'énergie pour rassembler des données, mais sans disposer à terme des moyens colossaux - en informatique, en intelligence, en effectifs - nécessaires à leur traitement.
Quant au transfert des centres de décisions, je ne suis pas le plus compétent pour vous répondre. L'Europe est le marché naturel de beaucoup de nos interlocuteurs, il n'est donc pas choquant qu'ils choisissent le statut de société européenne. Que certains installent à Londres leur trésorerie ou leurs équipes suscite certaines inquiétudes, mais il ne faudrait pas surévaluer le phénomène. La France reste l'un des pays qui concentre le plus de sièges de grandes entreprises. Nous avions historiquement une base forte, car notre pays comptait beaucoup de grandes entreprises. Nous devons faire en sorte de conserver notre position...
Pour répondre à Philippe Dominati, voilà quinze ans que je travaille dans un monde « sans morale »... L'AMF s'intéresse surtout aux dérapages. Y en-a-t-il plus qu'avant ? Je n'en suis pas certain ; ils augmentent dans les périodes où les marchés sont volatiles.
Les risques de conformité, très importants, inspirent beaucoup de préoccupations à nos interlocuteurs, et la condamnation de la BNP, qui passait pour l'un des opérateurs les plus sérieux, ne fera que les aggraver. La réunion annuelle de toutes les équipes travaillant sur la conformité attire de plus en plus de monde. Certains de nos collaborateurs sont démarchés par des établissements en quête d'expertise sur ces questions. Les risques sont divers et complexes : j'ai été stupéfait, malgré mon expérience, de découvrir qu'on pouvait tricher sur le marché des changes et orienter le fixing, ou encore, manipuler le Libor. Le monde est plein de risques... Cependant, si nos interlocuteurs ne deviennent pas plus moraux, ils savent en tout cas que les mailles du filet se resserrent. Notre rôle n'est pas celui d'un régulateur bancaire : dans une affaire comme celle de la BNP, notre contrôle porte uniquement sur l'information publiée par la banque.
L'ACPR, dont Christian Noyer est président, et la Banque de France sont extrêmement proches : ce sont les mêmes équipes. Elles sont reliées par diverses passerelles. Robert Ophèle, numéro deux de la Banque de France, siège à l'AMF ; j'assiste à presque toutes les réunions de l'ACPR, y compris celles du collège de résolution. Je ne crois pas que les clients de la BNP aient lieu d'être très inquiets ; mais un tel accident ne peut qu'avoir des conséquences lourdes sur la stratégie de la banque et sur sa rentabilité.
Le financement des start-up n'est traditionnellement pas notre point fort. Un fonds doté de centaines de millions d'euros a été créé à cette fin dans la mouvance de la Caisse des dépôts. Il reste que ces entreprises ne trouvent pas en France de milieu aussi porté à prendre des risques que l'environnement californien. Si des progrès ont été accomplis, les start-up françaises continuent à avoir souvent davantage intérêt à se vendre qu'à chercher à atteindre une taille intermédiaire.