Intervention de Aline Archimbaud

Commission des affaires sociales — Réunion du 10 octobre 2012 : 2ème réunion
Création de la haute autorité de l'expertise scientifique et de l'alerte en matière de santé et d'environnement — Examen du rapport pour avis

Photo de Aline ArchimbaudAline Archimbaud, rapporteure pour avis :

L'expertise publique française a été structurée par les crises sanitaires du début des années 1990. Affaires du sang contaminé ou de l'hormone de croissance, scandales de l'amiante ou de la vache folle ont amené la création d'agences d'expertise souvent dotées de pouvoirs de régulation afin de permettre de prendre rapidement les décisions scientifiquement fondées susceptibles de protéger la santé humaine.

Ces agences, quelle que soit la qualité de leur travail et le dévouement de leurs agents, n'ont pas empêché la survenance de nouvelles catastrophes comme celle d'AZF ou le scandale du Mediator.

La succession des crises, et leurs pendants que sont les sur-réactions des autorités publiques à des menaces sanitaires, ont durablement mis en cause la confiance de nos concitoyens dans les institutions publiques, comme le montrent notamment les craintes autour de la vaccination contre l'hépatite B ou lors de la pandémie de grippe H1N1.

Parallèlement la diffusion des alertes sanitaires et environnementales est apparue comme entravée par les pressions auxquelles sont soumis les lanceurs d'alerte potentiels et par le risque d'inertie des institutions publiques.

Or une politique sanitaire et environnementale efficace est indispensable. Elle repose sur la crédibilité de l'action publique et sur l'implication des citoyens. Deux conditions doivent donc être réunies : l'expertise publique doit être irréprochable et ceux qui feront part de leurs doutes raisonnables sur l'impact d'un produit ou d'une activité ne doivent pas subir de pressions ou de rétorsions. Il convient de garantir l'indépendance de l'expertise et d'assurer tant la protection des lanceurs d'alerte que la prise en compte de leurs signalements quand ils sont fondés.

La loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé a déjà eu comme intention d'apporter des améliorations en matière d'indépendance de l'expertise et de protection des lanceurs d'alerte. A plusieurs égards cependant ce texte, dont la portée est limitée au domaine sanitaire, semble imparfait et sa mise en oeuvre insatisfaisante. Il convient donc de lui apporter des compléments.

Tel est l'objectif poursuivi par la proposition de loi déposée par Marie-Christine Blandin et les membres du groupe écologiste dont notre commission s'est saisie pour avis.

Son dispositif prévoit d'introduire dans notre droit trois innovations :

- la création d'une Haute Autorité de l'expertise scientifique et de l'alerte en matière de santé et d'environnement (HAEA) chargée « d'énoncer les principes directeurs de l'expertise scientifique et technique en matière de santé publique et d'environnement, d'en vérifier l'application et de garantir la mise en oeuvre des procédures d'alerte » ;

- la mise en place au sein des entreprises de plus de onze salariés d'une cellule d'alerte sanitaire et environnementale ;

- la protection de tous les lanceurs d'alertes sanitaires et environnementales.

J'ai examiné la proposition de loi dans un esprit constructif qui correspond aux souhaits de son auteure. Plus que la lettre du texte proposé c'est son objectif qu'il importe de faire entrer dans notre législation.

Mes travaux se sont principalement orientés sur l'articulation entre la proposition de loi et les dispositions existantes dans le code du travail. Dans le cadre du Protocole organisant la concertation avec les partenaires sociaux, la présidente de la commission des affaires sociales et le président de la commission du développement durable ont saisi les partenaires sociaux du texte de la proposition de loi afin de recueillir leur avis. J'ai souhaité compléter ces réponses par l'audition des partenaires sociaux et ai ainsi pu entendre le Medef, la CFDT, la CFTC et la CGT, les autres syndicats n'ayant pas souhaité ou pas pu répondre à ma demande dans les délais d'examen fixés.

La question de l'expertise sanitaire relevant également du champ de compétence de la commission des affaires sociales j'ai entendu sur l'ensemble des dispositions de la proposition de loi le point de vue d'un acteur indépendant particulièrement impliqué sur cette question, la revue Prescrire.

S'agissant de la création de la HAEA, les partenaires sociaux m'ont fait part de deux objectifs principaux, l'efficacité et l'absence de redondance avec les compétences des agences existantes, en particulier l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) dont ils sont partie prenante.

Ainsi, si la mise en place de normes centralisées pour définir les conditions d'indépendance de l'expertise ainsi que le contrôle des déclarations d'intérêt leur paraissent utiles, ils sont opposés à l'idée que la nouvelle instance dispose de pouvoirs d'expertise propres dont la constitution leur paraît difficile et la mise en oeuvre peu efficace. La revue Prescrire rejoint cette analyse mais estime utile la possibilité accordée à la HAEA de saisir directement le ministre d'une alerte afin de surmonter l'éventuelle inertie d'une agence.

Concernant la mise en place d'une procédure de recueil des alertes dans l'entreprise et le renforcement de la protection des lanceurs d'alerte, mesures qui, du fait de leur impact sur le droit du travail, relèvent du champ de la négociation nationale interprofessionnelle, les organisations consultées m'ont informée qu'elles n'envisageaient pas d'ouvrir une négociation à ce sujet.

Elles ont toutefois fait part de plusieurs remarques qui, malgré des points de vue parfois éloignés, laissent apparaitre un consensus. Les organisations patronales (Medef, UPA, CGPME) se sont montrées réticentes à l'idée de créer une cellule d'alerte dans chaque entreprise. Le Medef a malgré tout souligné la nécessité d'assurer une meilleure cohérence en matière de veille et d'alerte. Pour les représentants des employeurs, la création d'une nouvelle institution représentative du personnel (IRP) n'est pas opportune alors que de nombreuses entreprises sont victimes de la situation économique peu favorable. De plus, le Medef a, lors de son audition, fait valoir que la négociation sur la modernisation du dialogue social, qui a débuté en 2009, est toujours en cours et porte notamment sur la réforme des IRP.

Les organisations représentatives des salariés (CFDT, CFTC, CGT) ont estimé que la solution la plus pertinente serait de confier les missions que la proposition de loi donne à la cellule d'alerte au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ou, en son absence, aux délégués du personnel, car le lien entre conditions de travail, santé publique et environnement est désormais avéré. Elles ont mis en avant le caractère concurrent de cette structure envisagée par la proposition de loi par rapport aux IRP existantes et le besoin de renforcer celles-ci pour expliquer leurs doutes sur la nécessité de créer une cellule d'alerte dans chaque entreprise.

De fait, les questions que la proposition de loi laisse sans réponse sont celles de la composition et des modalités de désignation de la cellule ainsi que son indépendance vis-à-vis de l'employeur. Les dispositions applicables au CHSCT et à ses membres garantissent d'ores et déjà leur indépendance et leur protection contre un licenciement abusif. Cette IRP pourrait donc jouer le rôle de filtre des alertes dont les salariés la saisiraient, permettant ainsi d'écarter les signalements infondés ou de mauvaise foi.

La CFDT a rappelé l'existence d'un certain nombre de dispositions en matière d'associations des IRP aux questions environnementales ainsi que les avancées de la loi Bachelot de 2003 qui n'ont, jusqu'à présent, jamais été utilisées. Cela s'explique par le manque de formation des membres des CHSCT dans les domaines très techniques que sont les risques sanitaires et environnementaux. Son représentant, tout comme celui de la CGT, a donc suggéré que leur droit à la formation soit renforcé.

Toutes les organisations syndicales ont insisté sur l'autocensure dont font preuve les salariés ainsi que les pressions qu'ils subissent lorsqu'ils cherchent à révéler un risque lié à l'activité de leur entreprise. Dans la période actuelle de chômage élevé, le chantage à l'emploi dont ils peuvent être les victimes est souvent dissuasif. C'est la raison pour laquelle elles prônent avant tout une extension du droit de retrait reconnu au salarié et du droit d'alerte du CHSCT aux conséquences sur la santé publique et l'environnement des méthodes de production de l'entreprise.

Enfin, la CFTC a considéré que la difficulté majeure, pour les salariés, consiste à accéder à la connaissance scientifique nécessaire pour démontrer les risques dont ils soupçonnent l'existence. Celle-ci est souvent fragmentée dans l'entreprise, ce qui ne permet pas forcément à une personne isolée et non experte de reconnaître une situation de danger et de lancer une alerte. C'est pourquoi il a été suggéré de s'appuyer sur les réseaux de vigilance existants, en particulier les groupes d'alerte en santé au travail (Gast) qui sont en cours de déploiement auprès des agences régionales de santé (ARS), sous l'égide de l'institut de veille sanitaire (InVS).

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